Le roi nous convoqua tard dans l'après-midi.
De retour devant ses appartements, les mêmes gardes qu'au matin exigèrent que nous prouvions notre identité avant de pouvoir entrer ; comme si Will ne s'était pas déjà plié à ce même protocole un peu plus tôt dans la journée.
De l'autre côté, nous tombâmes avec étonnement sur Caud. Il me salua allègrement avant de s'adresser plus solennellement à son commandant : « Le roi Lim est venu quérir mon aide. Il souhaitait que je lui amène le jeune Jarem. »
Derrière lui, assis en tailleur sur un banc, se tenait un jeune homme qui devait être d'un ou deux ans mon cadet.
« Je suis surpris que tu n'aies déjà rejoint l'aile des ombres, s’enquit Will.
- Bonjour Will ! Le Roi Lim souhaitait attendre votre retour avant de me faire gagner l'aile », répondit-il avec candeur.
A ses mots, Will se figea de nervosité. Il regarda furtivement dans plusieurs directions, comme s'il venait d'être témoin d'un bruit que lui seul avait entendu.
« Restez ici », nous ordonna-t-il alors qu’il se dirigeait déjà vers la salle du trône. Caud le suivit sans en recevoir l'injonction. Jarem profita de ce moment suspendu pour se lever et me serrer la main. « Tu es une sans-droit, toi aussi ? s'enquit-il avec malice.
- Je ne sais pas, avouais-je, désarçonnée par une question aussi directe.
- Je suis sûr qu'on deviendra de très grands guerriers au service de sa majesté, le roi Lim : premier monarque détenteur d’une armée de soldats onégiens ! Tu n’as pas hâte de rencontrer les autres et de commencer les entraînements ? »
Il me regardait avec des yeux pétillants d’excitation. De mon côté, je n'avais pas compris un traître mot de ce qu’il me racontait et il dût aisément s’en apercevoir, car il ajouta : « Le bon roi Lim ne t’a encore rien expliqué ?
- Le bon-roi-Lim a dû omettre certains détails. Tu as, me semble-t-il, eu plus de chance que moi.
- J’aurais sans doute mieux fait de me taire. Oublie ce que je viens de te dire », termina-t-il en retournant rapidement s’asseoir, comme s’il ne s’était rien passé.
Je voulus le convaincre de m’en dire davantage lorsqu’une porte s’ouvrit avec fracas. Le Roi apparut en tête de troupe et nous dépassa sans nous accorder le moindre coup d'œil. Will et Caud le talonnaient de près. D’un simple geste du menton, nous sûmes que nous devions les suivre. Jarem et moi fument emmenés dans une nouvelle pièce, puis invités à nous asseoir autour d’une petite table en acajou.
« Apporte-nous la tisane », exigea froidement le roi en regardant Will. Pendant un court instant, ce dernier se fit hésitant. Les mains peu assurées, il vint poser une théière fumante et deux tasses sur la table. « Vous pouvez nous laisser maintenant », continua le roi, sans une ombre d'affection ni aucune gratitude envers son subalterne.
Lorsque les deux hommes fermèrent la porte, Lim versa hâtivement l’infusion dans nos tasses respectives. Ce ne fut qu'après avoir redéposé la théière qu'il daigna enfin nous regarder pour la première fois.
« J'ai fait parvenir de nouvelles herbes afin de vous accueillir comme il se doit. Jusqu'à ce matin, nos réserves étaient malheureusement vides. »
Je me penchais en avant, afin de pouvoir humer les vapeurs qui émanaient de la tasse, lorsque le roi nous invita brusquement à en boire tout le contenu tant qu’il était bien chaud. Son impatience ne me disait rien qui vaille, bien que l’odeur du breuvage fût alléchante. Pourquoi n’y avait-il que deux tasses ? Pensait-il vraiment que nous tomberions dans un traquenard aussi évident ?
Alors que mes réflexions captivaient toute mon attention, je ne remarquai pas tout de suite, qu’à côté de moi, Jarem lui avait déjà obéi. Lorsque je me rendis compte de son geste, le roi éleva la voix et appela mon nom avec fermeté. Son ton me fit sursauter.
« Bois cette tisane.
- De quelles herbes s'agit-il ? lui demandais-je, la gorge serrée.
- Bois cette tisane, répéta-t-il, en insistant froidement sur chaque mot.
- Je n’ai pas soif, sire, je vous remercie.
- Je ne me répéterai plus, jeune fille. Je te somme de boire cette tisane. »
Je jetai un bref regard à Jarem qui ne semblait aucunement affecté par le breuvage. Il m'était difficile d'accepter la vétusté de mon emprise sur la situation, mais il fallait me mettre à l'évidence : je n’étais pas en position de refuser. Je pris la hanse de ma tasse entre les doigts et bus son contenu en trois gorgées. Lorsque je redéposai le récipient sur la table, mes mains tremblaient. « Il ne nous reste donc plus qu’à attendre », dit-il simplement en croisant les bras et en s’enfonçant confortablement dans son siège. Son attitude intensifia la peur qui grondait en moi depuis le début de notre entrevue ; rendant les battements de mon cœur insoutenables.
Après quelques minutes à nous regarder en chiens de faïence, Jarem se mit à tousser une première fois, puis une deuxième. Il regarda le roi en écarquillant les yeux. Puis sa toux s'intensifia et les intervalles entre chaque quinte se firent de plus en plus courtes. Je me levai de ma chaise et le rattrapai juste avant qu’il ne s’écrase au sol. Du sang presque noir se mit à s'écouler de sa bouche puis du dessous de ses yeux. Il fut ensuite pris de convulsions pendant une minute qui sembla durer des heures. Il souffla enfin son dernier soupir étranglé et tout fut terminé. Je n'avais alors plus qu’un poids mort entre les mains. De dégoût ou de terreur, je lâchai sa tête qui s'écrasa lourdement sur le plancher verni de la salle.
Je me reculai ensuite contre le mur le plus éloigné du roi. J'aurais tout donné pour être en mesure de le traverser et de prendre mes jambes à mon cou.
« Comme c'est dommage, commença le roi Lim, avec une moue faussement accablée. J’avais beaucoup d’espoir dans ce petit. Il était obéissant et particulièrement volontaire.
- Il est... mort ! glapis-je.
- Il s'agit d'un regrettable malentendu. S’il avait bien été un sans-droit, comme il prétendait l’être, les choses ne se seraient pas terminées ainsi. Tu ne peux que t’en prendre à Will de s’être laissé berner.
- Mais pourquoi… Quel est donc ce poison ? Je … » Ma voix mourut ; il ne m'arrivait rien.
Je baissai les yeux sur le corps inerte de Jarem qui n’avait pas eu cette chance et la peur fit place à la sidération. Comment son bon-roi-Lim pouvait-il rester de marbre face à une telle tragédie ? Le rôle d'un monarque n'était-il pas de protéger son peuple ? Les mots me manquaient pour exprimer le désespoir que je ressentis à ce moment précis. Le roi, quant à lui, me regardait calmement sans prononcer le moindre mot. J'étais certaine que son silence était calculé et intentionnel. Il souhaitait que je déduise par moi-même les conséquences de mon absence de symptômes.
« Oui, Alys. Tu sembles avoir enfin compris. Tu es donc bien une sans-droit. La plus vile création d’Onégan, Dieu des ténèbres. Toutes mes félicitations. »
Je ne répondis rien.
N'attendant vraisemblablement aucune réponse, il continua son récit dans une épouvantable indifférence : « Au commencement, naquit le peuple d'Onuan. Héritiers superbes, à l'image du Dieu de la Lumière. Lorsque Onégan eut vent du succès de son frère, dévoré par la jalousie, il tenta de lui opposer une pâle copie à qui il offrit des facultés puissantes mais hautement destructrices et sales. Ses héritiers, vils et cruels, tentèrent sans relâche de prouver leur supériorité et d'asseoir leur pouvoir. Mais, ce fut sans compter l'intelligence et la pureté des onuens qui parvinrent continuellement à retourner la situation à leur avantage. Vous, les sans-droits, êtes les descendants directs de ces monstres sans âme. Depuis la grande bataille de Sacr' et la signature des traités, vous n'êtes plus très nombreux et ne représentez plus la menace que vous étiez autrefois. Je pourrais vous tuer, à l'instar des autres monarques du Royaume des Quatre et de mon propre père. Mais, j'ai décidé de vous offrir une chance unique. Travaillez et battez-vous à mes côtés ; mourez pour l'honneur ! Alys, termina-t-il en posant des yeux glaçants sur moi, acceptes-tu de te joindre à moi et au peuple du Nord pour effacer ces longues années d’affrontements et ramener la paix et la sérénité entre nos deux races ? »
Moi qui priais le Dieu de la Lumière depuis toujours, jamais, je n’aurais imaginé possible d'être la descendante du Dieu des Ténèbres.
Témoin de mon intense réflexion intérieure, le roi reprit une nouvelle fois la parole, adoptant une approche moins théâtrale : « Nous avons besoin de vous et je pense être l’une des seules personnes à m’en rendre compte. Maintenant que tu connais mes plans, je ne peux plus te laisser partir.
- Si je refuse de me battre à vos côtés, qu'allez-vous faire de moi ? lui demandais-je alors que je bandais les poings le long de mes cuisses.
- Je souhaiterais ne pas devoir en arriver là. »
Malgré la conviction qu’il voulait mettre dans ses mots, le roi du Nord cachait une grande nervosité. Pendant un long moment, aucun de nous deux n’ouvrit la bouche. Il m'avait complètement coincée. Refuser son offre équivalait à signer mon arrêt de mort. Mais... Accepter signifiait devenir son esclave pour toujours.
Je pris une profonde inspiration et déclarai que j’acceptais. Un intense soulagement se dessina sur son visage.
« Parfait, tu rejoins donc l'aile des ombres dès ce soir et tu commences ton entraînement demain matin. »
Il m’invita à sortir, mais mon esprit voulait rester auprès du garçon. Après un ultime regard en direction de son pauvre corps sans vie, je quittai les lieux et retrouvai Caud et Will de l’autre côté de la porte. Ils me regardèrent sortir seule de la pièce et le visage de Caud se décomposa. « Présentez-la à Oslov et – s’adressant uniquement à Will – fais lui traverser la Porte des ombres.
- Nous y allons de ce pas, mon seigneur », répondit-il en se prosternant devant son roi.
Nous quittâmes les appartements royaux et nous engageâmes dans le couloir qui menait à la sortie.
« Merci Caud. Il est maintenant temps pour toi de rejoindre ta femme et ton jeune fils.
- Qu’en est-il des injonctions du roi et de ma punition ?
- Je m’occupe d’Alys et je te relève de ta peine. Va mon ami, nous avons eu suffisamment d’émotions pour aujourd'hui.
- Merci, Will. Vous êtes le meilleur commandant que j’aie eu la chance de rencontrer. Je vous dois tout.
- Ce n’est point à moi que tu devrais prêter pareille allégeance, le réprimanda Will avec douceur.
- Je voulais simplement que vous le sachiez. »
Ils se firent une brève accolade d’où exhalait un profond respect, puis Caud se retourna vers moi et me serra moi aussi dans ses bras. « Conserve toujours ce courage qui te caractérise si bien. Je suis désolé pour tout le reste... Prends soin de toi. »
Il me sourit tristement avant d'emprunter une petite porte dérobée dont je ne m’étais pas aperçu de l’existence.
Lorsque ses pas moururent de l'autre côté du mur, Will me fit signe de le suivre. Nous empruntâmes une nouvelle fois le plus court chemin qui menait aux cuisines. Lorsque nous ouvrîmes la porte, les odeurs de nourritures me donnèrent instantanément la nausée. Je n’avais pas le cœur à manger. Will m’obligea à m’asseoir malgré ma réticence manifeste et se mit arpenter la salle à la recherche de plats dont nous pouvions nous emparer. Il revint très vite avec ses deux bras remplis à ras bord et posa le tout sur la table.
Quelques cuisinières étaient affairées à leurs établis mais aucune ne nous adressa ni mot ni regard. Elles s'en allèrent rapidement dans une pièce à côté en emportant divers plats. La cuisine resta ensuite totalement déserte. « Même si tu n’en as pas envie, je te conseille vivement de manger.
- Je ne peux pas.
- Rien de tout ceci n’est ta faute.
- Le roi et vous partagez le même avis, lui répondis-je. Mais selon lui, c'est vous l'unique responsable. »
Je regrettai instantanément mes mots, mais ne pus m'empêcher d'en rajouter davantage : « Vous saviez que cela pouvait arriver. Vous saviez que j’aurais pu mourir moi aussi !
- Je pensais sincèrement que Jarem était un sans-droit. Lorsque je l'ai rencontré, il en était tellement persuadé lui-même. Je n’avais jamais vu un garçon se comporter de la sorte alors que son village le voulait déjà un pied dans la tombe. Sans doute a-t-il simplement voulu quitter sa triste vie en espérant qu’elle soit meilleure dans la peau d’un autre. Je suis terriblement accablé par sa disparition, termina-t-il d’une voix chancelante.
- Il est mort, Will. Un innocent est mort ! Votre tristesse, aussi sincère soit-elle, ne le ramènera pas à la vie. »
Mes mots étaient durs, j’en avais conscience. Je savais aussi que je n’étais pas supposée lui parler de la sorte ; pour autant, j'étais tellement bouleversée qu'il m'était difficile de raisonner. Il fallait que je relâche toute la colère que j’avais à l'intérieur, même si je ne l’exprimais pas de la bonne manière ni en face de la bonne personne. Ce n’était pas de la main de Will que Jarem avait succombé et ce n’était certainement pas de son propre chef qu’il l’avait conduit à Forgeroc. J'en étais à présent convaincue. Will n'était qu'un pion de plus sur l'échiquier du roi.
« Je ne peux pas changer le passé. Sache seulement que je n’hésiterais pas une seule seconde si je le pouvais. Aucune mort ne me laisse indifférent. » Comme je ne lui répondais pas, il en profita pour changer de sujet : « Je t’en prie, Alys. Il faut vraiment que tu manges. Tu le regretteras amèrement si tu n’avales rien. »
Je l’écoutai malgré moi et me servis un petit bol de châtaignes au lait sucré. Il fit le même choix et nous mangeâmes dans un grand silence. Nos deux bols terminés, Will récupéra quelques gâteaux salés et les fourra dans ma poche.
- Ces petits gâteaux sont une spécialité de Céleste qui dirige les cuisines du château. Ils sont bons n’est-ce pas ? me demanda-t-il
- Excellents. »
Il laissa échapper un sourire sans joie puis nous empruntâmes la porte par laquelle nous étions venus. Pendant notre trajet, le commandant m’expliqua que j’allais rencontrer le grand maître artisan de Forgeroc. Il se prénommait Oslov et était un homme apparemment fort exigent. « Il dirige le grand arsenal situé dans l’aile est. S’il te trouve suffisamment compétente, tu devrais pouvoir l’assister dans ses diverses tâches. Tu jongleras alors entre ton travail de ferronnerie et tes séances d’entraînement dans l’aile des ombres.
- L’aile des ombres ? répétais-je pour qu’il m’en apprenne davantage.
- C’est l’aile qui se trouve de l'autre côté de la porte des ombres. Je t’y conduirai lorsque nous en aurons terminé avec Oslov. Tu y rencontreras les autres sans-droits et y vivras la majorité du temps lorsque tu ne travailleras pas dans l’arsenal.
- Vous y verrais-je ? l’interrompis-je dans son explication.
- Seuls les sans-droits sont autorisés à y vivre, c’est-à-dire, les autres soldats orphelins et les deux maîtres qui les entraînent. D’autres personnes s’invitent occasionnellement pour la journée. Sans oublier l'aide quotidienne d’Ode, qui sera désormais ta cuisinière attitrée. »
Cela faisait beaucoup de nouvelles informations en si peu de temps. Sans oublier qu'il avait délibérément ignoré ma question initiale. Finalement, alors qu'une ultime interrogation allait fouler mes lèvres, il m’indiqua que nous étions arrivés. « Avant que nous n’entrions, je te rappelle que tu ne pourras pas parler de Conan. Je te conseille de te présenter comme la fille d’un autre forgeron, malheureusement décédé. Donne le moins de détails possibles. Oslov connaît ton père et cela pourrait l'amener à se poser des questions inutiles et dangereuses à ton sujet.
- Pourquoi ne puis-je donc pas dire la vérité ?
- Comme je te l'ai déjà expliqué, il ne faut jamais que tu déclines ta véritable identité en dehors de l'aile des ombres. Si Oslov ou d'autres personnes venaient à apprendre que tu n'es finalement pas orpheline comme le roi le prétend, nous ne pourrions plus te protéger. Souviens toi de la réaction de mes hommes ou des habitants de ton village. Si vous êtes orphelins, le roi peut aisément se placer dans une position de protecteur dont le but est d’assurer votre survie alors que vous n’avez plus rien : ni famille, ni possessions. En contrepartie, vous devenez ses soldats et défendez son royaume. Te penses-tu capable de faire attention ?
- Si je veux vivre, ai-je seulement le choix ? » demandais-je sans attendre la moindre réponse de sa part.
Nous restâmes quelques secondes devant une porte noire et massive avant que Will ne nous ouvre la porte.
L’intérieur de la pièce était poussiéreux et l’atmosphère plutôt austère. Quelques dizaines de soldats en armure faisaient les cent pas pour protéger le contenu des différentes salles. Nous prîmes à gauche puis à droite et pénétrâmes enfin dans une pièce, hautement chauffée, dédiée sans aucun doute à la forge. J’y reconnus aisément les différents outils indispensables au travail du métal et fus émerveillée par leurs nombres et apparentes qualités. De gigantesques établis débordaient de marteaux, de tenailles, d'étaux, de brosses, d'étampes, de tisonniers et de poinçons de toutes les tailles. À côté, l'atelier de mon père ressemblait à de l'amateurisme. De larges enclumes noires propres mais usées se tenaient près de chacun des trois foyers en activité et une énorme cuve à charbon occupait le coin le plus éloigné de la pièce. L’exigence d’Oslov pouvait aisément se vérifier par la rigueur du rangement et la propreté de ses instruments et tables de travail. L’entièreté de la pièce était impeccable. Je me surpris à ressentir une grande excitation à l’idée de pouvoir y travailler et à enfin mettre en pratique ces longues années d’observation et d’apprentissage passif.
Sur un des établis, était posé une superbe cervelière arrondie, sur le point d’être achevée.
« Quel travail magnifique, ne pus-je m’empêcher de murmurer avec émerveillement.
- Je suis heureux de voir que de jeunes gens puissent encore reconnaître la beauté d'un travail parfaitement réalisé, répondit une voix à l’autre bout de la salle.
- Bonjour maître Oslov, répondit Will. Comme promis par le roi Lim, je vous amène une nouvelle recrue. Si vous l’en estimez digne, elle vous assistera de la façon dont il vous conviendra. »
L’homme se leva avec aisance d’un tabouret et s’approcha de nous, d’un pas régulier et soutenu. Oslov était grand et des muscles saillants se dessinaient à travers des vêtements aussi propres et maculés que tout ce qui se trouvait dans cette pièce. Il me jaugea d’un air purement hautain puis m’adressa une première question. « Ainsi, penses-tu posséder ce qu’il faut pour travailler dans mon atelier ?
- J’ai de bonnes connaissances de la forge, monsieur, lui répondis-je d’une voix que je voulais sans faille.
- Nous allons voir ça. »
Le chef de l’arsenal me conduisit face à une grande armoire. « Que m’apportes-tu si je te dis qu’il me faut enlever la calamine de l’acier ? » me demanda-t-il promptement.
La calamine était une forme de rouille qui se développe sur les métaux lorsqu’ils sont soumis à d’intenses chaleurs. Mon père la retirait à l’aide d'une brosse métallique lorsqu’elle n’était pas trop incrustée. J’en trouvai une à l’arrière d’une des planches de l’armoire et la lui tendis. Il me posa instantanément une autre question : « De quelle pince aurais-je besoin pour forger un couteau en fer de seylan ?
- Une tenaille à coquille, monsieur. Pour permettre un travail adapté et donner une forme plate à la lame. » J’en saisis rapidement une pour étayer mes propos. Oslov regarda la tenaille quelques instants puis m’invita à le suivre. Mon test continua pendant une bonne heure. Il me demanda, entre autres, l’utilité d’un billot, le poids et la forme les plus adaptés des enclumes ainsi que de nommer toute une série d’outils qu’il me présentait les uns derrières les autres. Je ne me trompai qu’à de très rares occasions, mais il ne manqua jamais de me le faire remarquer de la façon la plus écrasante qui soit. Certaines de ses questions étaient particulièrement ardues et il me fallait parfois y réfléchir longtemps avant de pouvoir apporter une réponse, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Je sentais qu’il me mettait volontairement à rude épreuve et qu’il augmentait la difficulté de ses questions à mesure que le temps passait. « Il me semble entrevoir certaines grandes lacunes dans sa compréhension de l’art de la forge, mais puisqu'il n'y a personne d'autre à disposition, je suppose qu'elle devrait faire l’affaire pour le moment – Will me sourit – Pour autant, une dernière question me chatouille le bout de la langue. Où as-tu appris les maigres connaissances que tu possèdes ? »
Sa question m’irrita. Oslov paraissait démuni de toute qualité humaine, mais il était certain qu’il maîtrisait son art comme personne. Contre toute attente, son orgueil titilla le mien et je voulus lui prouver que je valais bien plus que ce qu'il pensait avoir perçu par ses futiles questions. « Mon père était forgeron, lui répondis-je laconiquement.
- Et comment se nommait cet homme ?
- Forben, monsieur », lui mentis-je en jetant un bref coup d’œil à Will. Il avait été le maître de mon père pendant ses jeunes années d’apprentis et je le savais mort depuis peu. Il fut retrouvé poignardé dans une ruelle sombre après avoir connu la misère et perdu sa femme dans la vague de pneumonie qui sévissait à Ourlelac. Je savais qu’il avait eu plusieurs enfants qui avaient connu des fins presque aussi tragiques que lui. Son histoire me semblait adaptée à une couverture pour ma qualification de soldat orphelin. « Une bien triste fin pour un homme de son envergure », me répondit Oslov. C’était la première fois depuis ma rencontre avec lui que je sentis une pointe d’émotion dans sa voix. Elle fut cependant de très courte durée. « Je t’attendrai donc demain dans la journée. J’espère que tu ne me feras pas regretter de t’accueillir dans mon domaine.
- Vous ne le regretterez pas, maître, répondit Will, d’une voix amusée.
- Je vous prie de m’excuser, mais du travail m’attend à présent. »
Sans nous laisser le temps de formuler les coutumes d’usages pour prendre congé, Oslov se détourna de nous et je l’entendis hurler le nom de Mura. Un jeune homme accourut. Il me lança un bref regard puis se présenta devant son maître. Will et moi quittâmes les lieux afin de les laisser travailler.
De retour dans le couloir, Will me félicita pour la réussite du test à laquelle j’avais été soumise et pour mon mensonge sur Forben. Il me demanda ensuite quelques informations supplémentaires à son sujet. Alors que nous reprenions notre marche, je tentai de faire un compte rendu complet de ce que je savais de lui.
« Tu as eu une excellente idée, je suis impressionné.
- Merci, lui répondis-je non sans une certaine fierté.
- Tu verras, Oslov est le meilleur dans son domaine et je pense qu’il va beaucoup apprécier de t’avoir dans son atelier.
- Il n'en avait pas l'air très convaincu.
- Tu t’habitueras vite à son caractère de cochon et à son cynisme. Il est vrai que s’il n’avait pas eu un don aussi exceptionnel pour la ferronnerie et la fonte, jamais il n’aurait obtenu pareille fonction au sein de l’arsenal. »
Will se mit à rire de ses propres paroles puis, voyant que je ne me joignais pas à lui, m’indiqua que nous étions fins prêts pour l’aile des ombres.
Après avoir traversé quelques larges couloirs, nous gravîmes une série d’escaliers très peu éclairés. Ils nous menèrent à une salle drôlement bien aménagée. De majestueux fauteuils marron étaient disposés en demi cercle près d'un foyer éteint. Au milieu, se tenait une grande table dressée et décorée de chandelles parfumées à la lavande. Sur les murs, quelques tableaux étaient accrochés ainsi qu’une carte du Royaume d'Haedhen. Je ne pus ensuite m’empêcher de poser tristement les yeux sur mon ancien village. Will racla sa gorge pour m’inviter à le suivre.
Je perdis ensuite rapidement le fil de notre cheminement.
Au bout d'un couloir, Will m’indiqua une porte du menton. Elle était grande et taillée dans une pierre rose et blanche. Au centre de la porte, se découpait un large œil de bœuf fermé de l'intérieur. Enfin, tout au-dessus, quelques mots avaient été gravés directement dans la pierre.
J’allais rencontrer mon destin et devoir quitter Will. Je me sentis soudain très accablée. La simple idée de me voir traverser seule cette porte et pénétrer dans cet inconnu me donna des frissons ; je n’en avais nullement envie.
« Un bon lit chaud t'y attend », me dit-il, témoin de mon état évident d’inquiétude. Je ne lui répondis pas. Ne sachant plus si je pouvais réellement croire à ces tentatives désespérées de réconforts.
Il frappa ensuite trois coups lents à la porte, comme il l’avait fait avant de pénétrer dans les appartements royaux, et elle s'ouvrit. Un homme chauve et bedonnant nous accueillit en se grattant le ventre. Lorsqu’il reconnut Will, il se mit droit et s’écarta instantanément de notre passage. Le moment était donc venu pour moi d’entrer et de nous dire au revoir.
Alors que j’allais faire mon premier pas vers l'inconnu, l’homme salua le commandant : « Bonjour maître Will, j’espère que vous avez fait bon voyage. Votre chambre est propre et rangée comme il vous sied.
Will le remercia avant de me dépasser pour entrer le premier.
« Vous … commençais-je, totalement abasourdie.
- Nous n’avons pas toute la journée, me répondit-il, plutôt amusé devant mon air ahuri. Comme je te l'ai déjà bien trop souvent promis à tort, laisse-moi enfin te conduire à une vraie chambre. »
J'ai également beaucoup aimé ce chapitre. Le rythme s'enchaîne bien, et la petite révélation de Will donne un bon effet tourne-page. On a hâte de savoir ce qui se passe dans l'aile des Ombres !
On reçoit beaucoup d'informations, mais pas trop non plus, ce qui nous laisse intégrer ce qu'on vient d'apprendre. Dommage pour Jarem par contre...
Quelques petites coquilles :
Bois cette tisane, répétât-il, en insistant froidement sur chaque mot.
=> répéta-t-il
le bon roi Lim ne t’a encore rien expliqué ?
=> il manque la majuscule au début de la phrase
- Je ne me répéterai plus, jeune fille. Je te conjure de boire cette tisane. »
=> Je ne suis pas sûre que le verbe "conjurer" soit le plus adéquat. Il est plutôt synonyme de supplier, implorer, or le roi a plutôt l'air d'ordonner.
« au commencement, naquit le peuple d'Onuan. Héritiers superbes, à l'image du Dieu
=> là encore il manque la majuscule
Il y a toujours la majuscule en début de phrase même quand le personnage reprend une parole, qu'il poursuit ce qu'il a dit, d'autant plus que tu avais mis un point au moment où il s'est interrompu pour laisser place à un petit paragraphe de narration.
C'est la même chose pour ces phrases :
"vous saviez que cela pouvait arriver. Vous saviez que j’aurais pu mourir moi aussi !"
"je t’en prie, Alys. Il faut vraiment que tu manges. Tu le regretteras amèrement si tu n’avales rien. »
De dégoût ou de terreur, je lâchai sa tête qui s'écrasa lourdement sur le planché verni de la salle.
=> le plancher
Tu ne peux que t’en prendre à Will de s’être laissé ainsi berné.
=> berner ( mais j'aurais aussi inversé berner et ainsi, pour que la phrase soit plus cohérente et semble moins à rallonge : De s'être laissé berner ainsi.)
Elles s'en allèrent rapidement dans une pièce à côté en emportant diverses plats.
=> divers
Voilà, bonne journée !
Je regarde pour l'ajout de tes corrections !