Des milliers de flocons s'amassaient sur le sol, recouvrant peu à peu les pieds de Neyol. Le capitaine embrassait du regard les montagnes qui se dressaient devant lui, telles des fantômes, derrière le rideau de neige.
Cet endroit lui était inconnu néanmoins un étrange sentiment de "déjà vu" s'emparait de lui. Il ne se sentait pas désorienté.
Il crut, un instant, être dans un rêve mais le froid, qui lui mordait le visage, était bien réel.
— J'aime cet endroit Neyol.
Alina était à ses côtés. Sa robe, dans le paysage immaculé, paraissait si noire qu'elle semblait irréelle. Neyol imagina qu'un artiste fou avait surgi des entrailles de la terre, avec, dans la main, son pinceau qu'il avait plongé dans le noir profond des ténèbres. S'agenouillant sur le sol blanc de neige, l'artiste, d'un geste rapide, avait dessiné la robe des ombres à même la peau d'Alina sans qu'aucune goutte de nuit ne tombe sur les flocons. Le pirate se surprit à la trouver belle. Sa peau, abîmée de mots, était troublante mais il se reprit rapidement et l'admonesta.
— Qu'est ce qu'on fait ici et comment on a atterri ici?!
— Je voulais vous faire voir ce bel endroit. C'est ici que je suis née.
Elle leva gracieusement le bras et le pointa au loin.
— Voyez vous ce trou plus loin. C'était mon cocon.
Neyol leva les sourcils.
— Vous êtes née dans un trou?
— Oui.
— Et vous étiez dans un cocon à l'intérieur de ce trou?
— En effet.
— Et vous êtes sortie de cet oeuf comme un poussin?
— Pas vraiment de cette façon mais...
— Vous vous foutez de moi, c'est ça?!
Alina fit non de la tête.
— Aucune femme, ni homme ne naît ainsi!
La jeune femme leva les yeux vers le ciel et soupira.
— Les sorcières le font.
Un bref instant Alina sembla avoir honte de ce qu'elle était.
Le regard de Neyol se durcit et il cracha sur le sol.
— Je le savais.
— Les sorcières ne sont pas mauvaises.
Le capitaine grimaça.
— Vous êtes des créatures répugnantes. Normal que vous naissiez dans la fange.
— Vous n'avez pas toujours dit ça.
Neyol se tourna vers Alina.
— Vous me parlez comme si je vous connaissais.
— C'est le cas mais vous avez tout occulté. C'était plus facile.
— Vous délirez sorcière!
Le pirate regarda autour de lui
— Dites moi où m'avez vous emmené?!
— Vous êtes dans le berceau des sorcières. Nous naissons toutes ici.
— Comme des animaux.
— Les anciens Dieux nous ont enfouis ici.
— Les anciens Dieux ne sont que des légendes que racontent les vieux ivrognes des tavernes.
Alina ignora la dernière remarque du pirate.
— Malheureusement les sorcières ne se réveillent plus depuis bien des années et nous ne sommes plus nombreuses.
— Ca c'est pas plus mal.
Elle baissa les yeux, comme résignée. Sa voix se fit plus fragile et une larme discrète s'échappa sur sa joue glacée par le froid.
— Vous vous trompez Neyol. Les sorcières sont importantes dans ce monde.
— Ce qui est important dans ce monde pourri, c'est l'argent, le rhum et les bonnes bagarres.
— Vous n'êtes pas aussi basique que vous voulez le faire croire Neyol.
Crilone se racla la gorge et cracha vers le sol.
— Vous semblez si bien me connaitre. Je suis qui pour vous?
Alina soupira.
— Vous souvenez de votre mère Neyol?
Le pirata secoua la tête.
— Votre père peut-être.
— Mon père était un minable alcoolique et c'est le seul souvenir que je garde de lui.
— Et vous vous buvez quoi? De l'eau?
Neyol se mordit la lèvre inférieur.
— Si j'avais eu mon sabre je vous aurais tranché la gorge sorcière.
— Il est donc heureux pour moi que vous l'aillez oublié. Votre père est mort depuis tant d'années pourtant vous avez encore de l'animosité contre lui?
— Vous ne pouvez pas comprendre.
— Ce que je sais en revanche c'est que la vie avec une sorcière est loin d'être facile. Il l'aimait tellement pourtant.
— Que voulez vous dire?
— Vous avez très bien compris Neyol.
Crilone ferma les yeux et tomba à genoux sur le tapis de flocons.
Il ne sentait plus le froid, ni le vent, ni la pluie blanche qui tombait et recouvrait son corps.
La seule chose qu'il sentit, ce fut la main d'Alina sur son épaule.