5. Le géant et la sirène-bébé

Par Dédé

Michelle reprend des forces.

Elle est alitée sur son lit d’hôpital depuis plusieurs semaines.

Elle a cru qu’elle allait mourir. Ou presque.

Elle se souvient de la Dame-Oiseau qui a voulu l’emmener vers l’Eau-Delà. Tout ceci n’était peut-être qu’un rêve. Peu importe. Parce que la bataille, elle se sent prête à la poursuivre.

La maladie ne vaincra pas.

Elle peut compter sur le soutien de sa famille. Son frère, Anton, va lui rendre visite, accompagné de Benjamin, son neveu.

Michelle et Benjamin ont une relation tante-neveu particulière. Elle s’est toujours sentie proche de cet enfant. Il a une imagination débordante. Ils se racontent beaucoup d’histoires. Michelle avait dit à Anton, lors de son admission à l’hôpital, de ne pas inquiéter l’enfant avec sa maladie. Surtout maintenant qu’il est au courant pour l’Alzheimer de son grand-père. Mais Benjamin a insisté pour venir la voir. Michelle n’a pas eu d’autres choix que de céder…

— Tatie Michelle ! entend-elle crier au loin.

Peu de temps après, Anton et Benjamin apparaissent dans l’entrebâillement de la chambre. La jeune femme remarque que le petit garçon tient une boite à chaussures entre ses mains.

— On ne te dérange pas ? s’inquiète Anton.

— Vous ne pouvez pas plus mal tomber, ironise sa sœur.

Benjamin a très envie de s’approcher d’elle pour lui faire un câlin. La voir à l’hôpital, très fatiguée, l’intimide.

— Allez ! Viens par là ! Approche un peu, champion !

Benjamin confie la boite à chaussures à son père.

Le petit garçon s’avance vers sa tante. Il a compris qu’elle avait besoin de se reposer. Il ne faut pas trop l’embêter…

Michelle l’étreint avec le peu de forces qu’elle a gagné ces derniers jours. Sa présence lui fait tellement du bien. Voir Anton lui donne également du baume au cœur. Si elle est encore en vie aujourd’hui, c’est parce qu’elle a une famille qui la soutient, des racines qui ne sont pas prêtes de la laisser partir.

— Comment vont mes autres neveux et nièces ? demande Michelle.

— Célia est à son cours de danse, et Théo a son cours particulier. Je les emmènerai avec moi la prochaine fois, explique Anton en remontant ses lunettes rondes.

Michelle se tourne vers son neveu :

— Est-ce que tu veux que je te raconte une histoire ?

Anton s’apprête à les laisser un peu tranquilles. Les murs blancs de la chambre l’angoissent un peu. Mais, sa sœur la retient :

— On a envie que papa reste pour écouter l’histoire, n’est-ce pas ?

— Oui ! s’exclame Benjamin avec enthousiasme. Mais, la prochaine fois, c’est moi qui raconte une histoire. Chacun son tour, tu te rappelles ?

La patiente de l’hôpital hoche la tête. Ce petit garçon a de la mémoire. Elle ne peut qu’être d’accord avec sa proposition.

— Donc… c’est l’histoire de Gilles le géant…

— Gilles comme papy ! la coupe son neveu.

— Oui, comme papy, précise-t-elle en souriant discrètement en direction d’Anton. Un jour, Gilles le géant va se promener sur la plage et il rencontre une petite sirène. Une toute petite sirène. Elle n’était encore qu’un bébé.

Anton commence à comprendre que le prénom n’est pas qu’une coïncidence ou qu’un simple hommage. Michelle raconte sa propre histoire. C’est presque un trait de famille, cette capacité à transformer un épisode de leur vécu en une histoire fictive.

— Ça existe, les sirènes-bébés ? s’étonne Benjamin.

— Dans cette histoire, oui. La sirène-bébé était toute seule. Elle avait été abandonnée. Elle avait faim. Elle avait besoin d’aide. Et, le géant n’avait pas d’enfants. Il se perdait dans le regard de cette sirène. Il l’avait trouvée adorable dès le premier regard. Elle était si sage. Il n’avait pas réfléchi bien longtemps avant de vouloir l’adopter. Pour qu’elle soit sa fille aux yeux de tout le monde.

— Le géant ? Le papa d’une sirène ? Waouh !

— Bien sûr, la géante, sa femme, était d’accord pour que la sirène devienne leur fille. Ils l’ont toujours bien nourrie, ils s’en sont très bien occupés. Un jour, la géante et le géant lui ont fait un cadeau : ils lui ont offert un petit frère, Anton.

— Anton comme papa ! s’extasie l’enfant.

— Oui, comme papa. Même Anton s’occupait très bien de sa sœur-sirène. Ils grandissent ensemble. Anton a continué de prendre soin de sa sœur. Il n’a jamais arrêté. Mais…

— Que s’est-il passé, ensuite ?

Anton le premier ne voit pas où sa sœur veut en venir. Que Michelle soit sa sœur biologique ou adoptive, cela n’a jamais fait aucune différence pour lui. Il la considère et la considérera toujours comme sa sœur.

— Anton est tombé amoureux. Il a eu des enfants. Il a continué de s’occuper de tout le monde. Tu sais pourquoi ?

— Non…

— Parce qu’il est comme ça… Il est très gentil. Il s’occupe de tout le monde mais jamais de lui. Parce qu’il se dit que vu qu’il est géant, il n’a pas le droit d’être triste ou fatigué.

Le père de Benjamin commence à comprendre le message caché que sa sœur souhaite lui adresser. C’est si subtil…

— Il y a quelque chose qu’Anton n’a pas compris…

— Quoi ? Quoi ?

— Les géants peuvent aussi avoir besoin d’aide. Les sirènes ou n’importe qui d’autres sont aussi là pour lui. Il n’est pas seul à porter le poids du monde sur ses épaules, raconte Michelle avec une once d’émotion dans la voix.

Anton aussi se retient de pleurer devant son fils, devant sa sœur.

Il est vrai qu’il prend énormément sur lui en ce moment. La maladie de sa sœur. Celle de son père. Sa mère qui peine à tout supporter et qui déprime. Sa volonté de conserver un semblant de vie normale pour ne pas chambouler ses enfants. Il n’ose même pas entièrement se confier à sa femme sur ce qu’il ressent face à toutes ces épreuves. Il y aurait tant de choses à raconter...

Il préfère se montrer comme le rocher de la famille, celui qui peut tout supporter et sur qui tout le monde peut compter.

— Les géants et la sirène sont une famille. La famille doit se serrer les coudes et les genoux, ensemble. Se battre. Ensemble.

Le père et la tante de Benjamin luttent pour ne pas céder à leur émotion, de plus en plus vive. Anton est sur le point de laisser tomber le masque et Michelle le voit bien. Elle espère que son frère a bien compris le message.

Sinon, elle a peur qu’il fasse un burn-out s’il continue de porter toute la famille sur son dos.

Le petit garçon interrompt, sans le savoir, ce moment plein de vérités et de non-dits :

— Tatie ! Je sais que tu te bats beaucoup à l’hôpital ! Papa m’a dit que tu avais besoin d’aide pour te battre. Alors, j’ai eu une idée…

Le petit garçon revient vers son père pour récupérer la boite à chaussures :

— Tiens !

Michelle se redresse et pose le cadeau sur ses genoux. Elle l’ouvre avec précaution, à la fois émue et intriguée.

Sa surprise est grande lorsqu’elle découvre des gants de boxe à l’intérieur.

— Tu te battras mieux avec ça ! se justifie Benjamin.

Anton et Michelle ne peuvent s’empêcher d’échanger un petit rire.

— C’était son idée, se défend Anton. Et oui, je n’ai rien fait pour empêcher ça. Je trouvais ça si mignon…

Michelle ne sait pas tout de suite quoi dire.

Le jeune fils d’Anton a toujours fait preuve de créativité. Il ne s’en rend sans doute pas compte mais il sait trouver les mots et les cadeaux qui réconfortent les adultes.

Benjamin n’a que huit ans mais, il a tout ce qu’il faut pour être un géant, comme son grand-père et son père avant lui.

Il a tout ce qu’il faut pour venir en aide à toutes les sirènes de la famille.

À toutes les sirènes, peu importe leur taille.

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