6. La prouesse du Grand-Bi

Par Dédé

Célia et Théo font du tri dans le garage de leurs grands-parents.

Ils ont entendu leur grand-mère se plaindre du bazar à maintes reprises. Alors, pour rendre service, ils se sont portés volontaires pour trier ce qui doit être gardé, jeté ou éventuellement vendu.

Dans plusieurs cartons, ils ont mis la main sur des albums de famille. Les deux adolescents se disent qu’ils peuvent faire plaisir à leur grand-père, malade d’Alzheimer. En ce moment, Gilles sourit avec beaucoup d’émotion quand un souvenir, aussi anecdotique soit-il, lui revient en mémoire. Parce que chaque réminiscence est une victoire contre la maladie.

Ils ont retrouvé d’anciennes broderies de leur grand-mère et de vieux livres de recettes de cuisine. Leur grand-mère faisait toujours un peu de broderie lorsqu’elle les gardait le mercredi. Et que dire de sa recette de purée de vieux légumes !

Ces derniers jours, ils n’ont pas eu l’occasion de la voir réaliser cette recette. C’est qu’elle est plutôt éteinte, Lydie. Elle broie du noir. Et, si un garage nettoyé peut l’aider à regagner un peu le moral, ses petits-enfants n’hésitent pas à se retrousser les manches.

Dans un recoin bien dissimulé du garage, Célia tombe sur une vieille machine à écrire. Elle ignore qui a bien pu s’en servir. Ce qu’elle sait, c’est qu’elle a toujours rêvé écrire là-dessus. Maladroite comme elle est, elle écrira sans doute « hachoir » au lieu du mot « histoire » mais elle a envie d’essayer.

Elle met de côté la machine, dans l’intention de demander la permission à ses propriétaires de l’emprunter.

Théo fait une découverte qui l’étonne aussi. Un vélo.

— C’est un Grand-Bi, lui apprend sa sœur derrière son épaule.

L’adolescent de seize ans se retourne vers sa petite sœur, interloqué :

— Pourquoi tu me parles de géants bisexuels tout à coup ? Tu as trouvé un sachet d’herbe dans un des cartons, c’est ça ? s’amuse Théo.

Célia fait semblant de s’esclaffer. Cela fait des années que son frère mérite la palme de la blague nulle.

— C’est une bicyclette qui a vu le jour vers les années 1870, il me semble.

— Merci, Wikicélia ! ironise son frère

Il fait de l’humour mais cette trouvaille a réveillé en lui bien des souvenirs.

Principalement, son grand-père qui lui apprend à faire du vélo.

Les courses de bicyclettes avec Anton, son père.

Sa mère, Prune, qui les filme parfois.

Sa grand-mère qui prépare le goûter.

De bons souvenirs.

Et, c’est peut-être à cause des hormones de l’adolescence mais, il a une pensée pour Danaëlle. La fille de sa classe qu’il rêve d’impressionner.

— Il y a moyen de faire quelque chose avec ce vélo, réfléchit-il à voix haute.

Sa sœur a entendu.

Elle jette à nouveau un œil au Grand-Bi. Il est rouillé de partout. Tous les morceaux de l’engin menacent de s’écrouler au moindre mouvement.

Clairement, il n’est pas du tout en état de marche.

— Tu veux faire quoi avec ça ? s’inquiète Célia.

— Je pourrais proposer une petite balade à Danaëlle. Je sais qu’elle aime les vélos. Elle va forcément aimer celui-là.

Tous les jours, Célia entend parler de cette fille. Elle a vite compris que son frère en est amoureux. Elle ne supporte plus qu’il n’ait que son prénom à la bouche. Toutes ses discussions tournent autour d’elle. C’est épuisant…

— Ce n’est pas parce qu’elle vient au lycée en vélo qu’elle est passionnée de bicyclette, tu sais.

Théo fait mine d’être vexé, tirant la langue face à sa sœur.

— Au pire, je vais rouler en… Grand-Bi… sur un fil, suspendu au-dessus du vide. Ça va vachement l’impressionner, ça.

— Quand tu vas tomber et finir aplati comme une crêpe bouillie, elle va être aux anges. Elle va même en redemander. Vraiment. Tu devrais foncer…

Célia n’a pas l’impression que son grand frère ait saisi son ton très sarcastique.

— Philippe Petit a fait ça, lui. Avec un fil reliant les deux tours du World Trade Center, fanfaronne le fils aîné de Prune et d’Anton.

— Sauf que tu oublies une chose…

— Quoi ?

— Tu n’es pas Philippe Petit.

Théo n’est pas dupe. Son idée de funambulisme n’en est pas vraiment une. Il s’amuse surtout à taquiner sa sœur.

À la voir, elle a vraiment l’air de croire qu’il est capable de tenter une telle prouesse.

— Tu sais, sœurette, papa a réussi à impressionner maman en trempant des Pringles dans du Nesquik. Et… j’aime vraiment beaucoup Danaëlle. Elle doit penser que je suis l’idiot du village mais… Je voudrais qu’elle me voit autrement.

Sa sœur se retient d’écarquiller les yeux, surprise.

C’est bien la première fois que Théo se confie à elle à ce point.

— Sois toi-même. Tu es loin d’être l’idiot que tu prétends être, Théo…

Il recule d’un pas :

— Je rêve ou tu viens de me complimenter ?

— T’as rêvé ! Tu sais très bien que je ne ferai jamais une chose pareille, répond-elle non sans lui adresser un clin d’œil.

Elle lui tape sur l’épaule :

— Tu n’as pas besoin de Pringles, de Nesquik de vieille bicyclette ou de risquer une mort certaine en imitant un funambule pour te faire apprécier de quelqu’un. Tu dois juste avoir confiance en toi, c’est tout.

L’adolescent sent bien que sa sœur a touché un point sensible.

Au lieu de verser une petite larme et de prendre Célia dans ses bras pour la remercier de son discours flatteur, il se remet à parcourir le reste du garage, bientôt suivi par sa petite sœur.

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