Ilmie n’aimait pas les longs voyages. Il les haïssait, même. Mais il ne pouvait pas y échapper, il était le dernier conducteur haut gradé, tous les autres avaient mysérieusement disparu en plein travail. Les conducteurs normaux ne faisaient que chevaucher des dragons, un labeur vraiment ingrat et dangereux, tandis que les conducteurs haut gradés fabriquaient en dix secondes de jolis véhicules pour transporter de la marchandise. La jolie barque d'Ilmie était faite entièrement de molécules. Des molécules habilement agencées qui formaient une base courbée et de hautes barrières pour ne pas que la cargaison ne tombe. Il y avait ajouté quelques décorations abstraites pour mettre en évidence sa fibre artistique. Ilmie prenait un réel plaisir à créer, cependant, il devait continuellement ordonner à ses molécules de rester soudées. Et ça, c’était un travail épuisant qui demandait une concentration sans faille. Il n'avait pas le droit à l'erreur. Parce que sa barque naviguait à cinquante mètres de hauteur, juste au-dessus de l'obscurité des rues de Domélyl.
Bien qu’Ilmie en eût l’habitude, ces trajets étaient absolument invivables. Tout d’abord, sa création, reliée par de longs câbles aux dragons, était secouée dans tous les sens et cela le décoiffait sans arrêt -une frustration existentielle pour tous les Anges-. Ensuite, il devait toujours rappeler le chemin à prendre à ces somptueux animaux, car ils l’oubliaient tous les centièmes de seconde -les dragons étaient des têtes de linotte, c’était bien connu-. Ajoutez cela à l’énergie qu’il devait consacrer à ses molécules et vous aurez une idée du pire voyage possible. Et pour couronner le tout, lorsque le convoi allait enfin arriver en vue de la Tour, un grand choc se fit sentir. Un grand choc qui mit l’estomac d’Ilmie à rude épreuve. Les dragons ne comprenaient plus rien. Ils volaient vers le haut, et pourtant, la barque partait vers le bas. Ilmie se pencha au dessus de la balustrade sculptée. Une quantité phénoménale de molécules étrangères s’étaient accrochées à sa barque et les tiraient effectivement en bas. En bas et vers le Nord. Vers le Nord, vers le quartier d’Arkeide. Un Ange surgit devant lui.
Terels était moins haut que ce qu’il pensait et manqua sa cible. Il tira dans le véhicule et non sur son conducteur. Il mit cette petite bêtise au compte de son grand âge, tandis que toutes les molécules de son ennemi vinrent s’écraser contre sa figure. Sans doute que leur but étaient de lui provoquer une commotion cérébrale. C’était une grave erreur. Une commotion demandait beaucoup de puissance aux molécules et seuls les très grands magiciens détenaient une telle force. Les molécules de Terels, bien plus puissantes, réussirent à repousser celles de son ennemi. Le vieillard se propulsa dans la barque et s’accroupit, une main contre le sol, les cheveux se balançant encore dans le vide. Son jeune adversaire voulut le chasser de sa sublime création, mais avant qu'il n’ait le temps de riposter, Terels le plaqua contre les caisses de bois avec quelques molécules dégourdies. D’autres de ses molécules -les plus grandes- forcèrent le passage des lèvres du jeune Ange. Le conducteur tenta tant bien que mal de garder la bouche fermée, mais les petites soldates n’hésitèrent pas à lui détruire les lèvres pour passer. Elles se postèrent dans sa gorge et ne la quittèrent pas. Le pauvre jeune homme tenta encore d’attaquer Terels avec ses molécules, mais, avant qu’elles n’atteignent le vieillard, il perdit connaissance et ses molécules avec. Terels piétina les petites molécules inertes et acheva d’étrangler le jeune homme inconscient. La strangulation était sa méthode préférée. Le conducteur étant décédé, le véhicule commença à se désagréger. Mais le vieil Ange en recréa les bases avec ses propres molécules.
Terels tourna la tête. S’il avait réussi à liquider le conducteur, les autres membres de la résistance ne s’en sortaient pas aussi bien. D'autres Anges se trouvaient à bord du bateau et ils repoussaient hargneusement les Résistanges. Contrairement à Terels, ils n’avaient pas des mastodontes pour molécules, eux. Ils n’avaient pas été combattants de métier. Terels voulut réagir, mais il n’en eut pas le temps. Les ennemis furent soudainement agités d'un grand frisson. Explosion de molécules. Les Anges ennemis devinrent des feux d’artifice -bleus, naturellement, à cause de leurs molécules-. Un intrus avait pénétré dans leur corps. Le Perce-Magie avait frappé. Il les avait tous touchés en moins d'une seconde.
Une fois tous les ennemis tombés dans les profondeurs de la ville, Terels indiqua aux dragons une nouvelle direction. Les dragons avaient bien vu ce qu’il s’était passé, mais ils s’en moquaient. Ils n’allaient quand même pas aider ceux qui les dirigeaient si méchamment. Alors ils obéirent à leur nouveau commandant qui, lui, avait l'air gentil. Arrivés au stade d'Arkeide, les résistants ouvrirent les caisses de bois. C’était le quinzième convoi qu’ils avaient réussi à dérober. Et, comme les quinze précédents, il était d’une richesse sans précédent. De la nourriture à profusion venant des quatre coins du monde, des robes bleues qui avaient été importées de pays où les fleurs bleues étaient très communes, un nombre incalculable de plantes pharmaceutiques provenant des forêts les plus lointaines... Les Anges de la Tour étaient des commerçants talentueux qui obtenaient tout ce qu’ils voulaient à coup de petites signatures. Terels, lui, avait l'habitude de voir ce genre de marchandises. Ce qui retint son attention fut ce qu’il manquait. Il n’y avait aucune cargaison en provenance d’Elnayr. C’était pourtant l’un de leur meilleurs partenaires. Les Anges de la Tour avaient-ils perdu leur accord avec cette ville ? Terels leva la tête vers Dée qui n’était jamais loin de lui. Elle le regardait, elle aussi. Elle aussi avait remarqué.
- E-l-n-a-y-r-m-an-qu-e.
Les Résistanges décidèrent de fêter leur victoire, mais Terels n’irait pas avec eux. Il devait aller voir le Perce-Magie. Le vieux magicien était le seul à se préoccuper de lui. Les autres Anges étaient trop vaniteux pour admettre que leurs victoires n’avaient lieu que grâce à leur allié. Leur allié qui leur sauvait la mise à chaque fois. Leur allié qu'ils détestaient et qui avait raison de les détester à son tour. Terels n’ignorait pas que le petit homme le haïssait lui aussi. Mais il avait bon espoir que leurs relations s’améliorent. Le Perce-Magie avait paru soulagé d’apprendre qu’il pourrait tout à fait atteindre les convois depuis l’immeuble le plus élevé d’Arkeide. Terels avait été très heureux d’avoir pu le rassurer. C'était un pas de plus vers l'amitié.
Le vieil Ange savait qu’il n’allait pas trouver immédiatement son allié parmi les ruines. Le Perce-Magie était d’une habileté démoniaque pour se cacher dans les recoins les plus sombres de son grand quartier. C’était bien lui, le seigneur d’Arkeide. Les Résistanges, eux, n’osaient même pas s’éloigner du stade, de peur de se perdre. Après quelques heures, il fut très étonné de trouver le Perce-Magie, assis sur un balcon à moitié effondré, à plus de trente mètres du sol. Il était resté dans l'énorme immeuble depuis lequel il tirait sur les convois. Et il était très facile à repérer. Pourquoi être resté ici, alors qu'ils avaient terminé l'assaut depuis longtemps ? Il s’éleva immédiatement à la hauteur de la petite structure branlante. Le Perce-Magie observait au loin, mais il ne semblait pas remarquer l’Ange. Terels fixa le tireur, perplexe. Et s'approcha.
Le petit balcon de la fleuriste a une très belle vue sur la Tour.
Tous les enfants viennent admirer le paysage, quand on leur ordonne de ramener des fleurs pour les occasions. La fleuriste leur laisse toujours un moment pour satisfaire leurs yeux. Elle sait que cette vue les fascine tous, alors elle a fait installer une jolie petite barrière de métal sculpté, pour ne pas que les plus petits ne tombent.
Des petites fleurs métalliques trônent sur la petite rambarde. Là où s’appuient les petits admirateurs qui regardent la grande Tour bleue.
Elle ressemble un peu à un poivrier géant.
D’autant plus que certaines parties tournent sur elle même, comme si elle voulaient répandre du poivre sur Domélyl. Les Anges ne trouvent certainement pas la ville à leur goût, ha ha !
- Eh, May’ké ? demande Eivind en entourant les épaules du Perce-Magie avec ses petits bras, y a Terels à côté de toi ! Tu l’as même pas senti, t’es sûr que tu vas bien ?
En réalité, May'ké l'a très bien senti. Mais il fait semblant de ne pas être dans son assiette. La gamine est plus gentille quand il fait ça.
May’ké ignore la Fillette dans le Vent et attend que l’illusion se dissipe.
Il garde les yeux rivés sur la Tour.
Elle ne change pas vraiment, entre l’illusion et la réalité. C’est plutôt les bâtiments autour qui changent. Leur vernis s’effrite et certains toits se voûtent. Mais aucun ne tombe, heureusement. May’ké en mourrait.
Le quartier d’Arkeide, c’est un peu son enfant.
May’ké tourne la tête.
Terels. Encore !
L’Ange se rend compte que le Perce-Magie le voit enfin.
- Je voulais vous remercier. Sans vous, nous y serions peut-être tous passé. Comme toujours, en réalité. Je ne sais pas ce que nous ferions sans vous.
- De rien.
L’Ange ne se montre absolument pas mal à l’aise. Il a appris à se contenter des réponses courtes de May’ké.
- Je venais aussi voir comment vous alliez. Nous avons ramené beaucoup de choses de notre dernière embuscade et je me disais qu'il ne devait pas y avoir beaucoup de réserves, ici… Est-ce que vous avez besoin de quelque chose ? A manger, à boire, pour vous réchauffer ?
- Non.
Parce que May’ké n’a jamais faim. Il n’a jamais soif. Il n’a jamais froid.
Lui aussi, c’est un surhomme. Mais un surhomme un peu différent -qui ne sait pas faire trois pas sans tomber à la renverse-.
Les deux surhommes restent silencieux.
Le Perce-Magie lève subitement les yeux vers le ciel. Il sent quelque chose, sa nuque vibre. Il se lève. Oui, la magie est là.
- Qu’est-ce qu’il y a ? Vous avez senti quelque chose ? demande le magicien.
- Un puissant, un gamin et deux moyens, répond May’ké, tellement concentré qu’il ne se rend même pas compte qu’il a répondu plus de deux mots -et à Terels, en plus !-.
- Un gamin !? s’exclame l’Ange, Mais qu’est-ce qu’il fait ici !?
Le Perce-Magie lui tourne le dos -manquant de s’encoubler dans ses propres jambes- et part dans la direction inverse du magicien.
Terels hésite à le suivre. Et quand il se décide enfin, c'est trop tard.
May'ké a disparu dans les ruines.
→ J’aime trop l’idée !!! Et cette magie, les molécules, c’est très très bien pensé, très joli, alors qu’en même temps elles peuvent devenir destructrices !
“Parce que sa barque naviguait à cinquante mètres de hauteur, juste au dessus de l'obscurité des rues de Domélyl.”
→ J’aime beaucoup la façon d’amener cette phrase, tout à la fin du paragraphe. Ça surprend, et ça nous plonge très subitement dans le décor.
→ “au-dessus”
“cela le décoiffait sans arrêt -une frustration existentielle pour tous les Anges”
→ Trop mignon hihi^^
“les dragons étaient des têtes de linotte”
→ Ça aussi c’est trop chouuu^^
“Le conducteur tenta tant bien que mal de garder la bouche fermée, mais les petites soldates n’hésitèrent pas à lui détruire les lèvres pour passer.”
→ C’est assez horrible comme image, mais super bien trouvé^^ J’aime beaucoup ! Par contre, pauvre petit Ilmie, il n’aura eu droit qu’à quelques pauvres paragraphes…
“Le Perce-Magie avait frappé. Il les avait tous touchés en moins d'une seconde.”
→ Waw. Il fait peur, le May’kinou.
“Alors ils obéirent à leur nouveau commandant qui, lui, avait l'air gentil.”
→ Haha, je ne sais pas s’ils ont la même notion de “gentil” que nous, parce que tuer tout un équipage…
“De la nourriture à profusion venant des quatres coins du monde, des robes bleues qui avaient été importée de pays où les fleurs bleues étaient très communes, un nombre incalculable de plantes pharmaceutiques provenant des forêts les plus lointaines…”
→ “quatre”
→ “importées”
“C'était un pas de plus vers l'amitié.”
→ Ouais ouais…
“Elle ressemble un peu à un poivrier géant.”
→ Haha^^
“D’autant plus que certaines parties tournent sur elle même, comme si elle voulaient répandre du poivre sur Domélyl. Les Anges ne trouvent certainement pas la ville à leur goût, ha ha !”
→ Je suis morte (oui, encore)
“Leur vernis s’effrite et certains toits se voûtent. Mais aucun ne tombe, heureusement. May’ké en mourrait.”
→ C’est très touchant, cet attachement à la ville qu’a May’ké
“Nous avons ramené beaucoup de choses de notre dernière embuscade, alors je me demandais si vous aviez besoin de quelque chose... Il ne doit pas y avoir beaucoup de réserves, ici… Est-ce que vous avez besoin de quelque chose ?”
→ Le “quelque chose” se répète un peu, je trouve…
“Mais un surhomme un peu différent -qui ne sait pas faire trois pas sans tomber à la renverse-.”
→ Hihi
“tellement concentré qu’il ne se rend même pas compte qu’il a répondu plus de deux mots -et à Terels, en plus !-.”
→ Re-hihi
“- Un gamin !?, s’exclame l’Ange, Mais qu’est-ce qu’il fait ici !?”
→ Aaaah mais c’est qui ??? C’est qui-heuuuuu ????
Merci, hihi, je suis content que ce chapitre t’ait plu !
Merci pour les corrections, elles me sont très utiles ! :)
A bientôt !^^