Notre déjeuner terminé, la longue étape de rangement débuta.
Heureusement, Henry était aussi redoutable que moi en matière d’organisation.
Salle de bains, chambre, entrée, salon.
Sa stratégie visait à débarrasser en priorité les objets volumineux comme ma vieille télévision, mes petits meubles de chevet, lampes et vêtements d’hiver. Puis vint le tour des piles de cartons. Peu à peu, grâce à l’efficacité conjuguée d’Henry et la mienne, mes petites affaires rejoignaient celles de mon colocataire.
À chaque objet que je rangeais, à chaque directive que me donnait Henry, je réalisai à quel point l’organisation de l’appartement était minutieuse.
Alors que je déballais ma vieille console de jeux avec la vague intention de la monter directement dans ma chambre, une question me traversa l’esprit.
— Jérôme regarde souvent la télévision ?
— Ça lui arrive. Pourquoi ?
— Disons que lors de la visite, ça ne m’avait pas choquée, mais j’ignorais tout de son handicap, maintenant, ça me paraît tout de suite plus incongru comme détail.
— Pourtant, il existe de plus en plus de programmes en audiodescription.
— C’est vrai. Je n’y avais pas pensé. Ça doit être un peu déconcertant comme expérience pour un voyant.
— Pourquoi ?
— Ce serait comme lire le livre d’un film que l’on est tout juste en train de regarder à la télé.
Henry rigola de bon cœur.
— Ma réflexion était un peu bizarre, non ?
— Pas du tout. C’est normal de vous interroger sur son quotidien. Même si je reconnais volontiers que ce n’est pas la première question à laquelle je m’attendais.
Je détournai le regard, me fendant d’un petit rire nerveux.
— Oui, murmurai-je. Je suis souvent la fille qu’on attend pas à cet endroit.
Heureusement, Henry ne remarqua rien de mon trouble.
— Vous cherchez du travail n’est-ce pas ? me demanda-t-il.
Je suspendis mes gestes, légèrement mal à l’aise.
— Euh oui, c’est exact… comment le savez-vous ?
— Disons qu’avant votre première visite, j’ai pris la liberté de me renseigner un peu sur vous.
Je grimaçai.
Je détestais cette idée, même si c’était de bonne guerre considérant que j’allais partager l’appartement de son neveu aveugle.
— J’espère que vous n’avez rien trouvé de compromettant, plaisantai-je dans l’espoir de me décrisper un peu.
— Si cela avait été le cas, vous ne seriez pas là.
Je baissai les yeux. J’avais toujours porté une grande attention aux traces volontaires ou pas que je laissais sur la Toile, mais même ainsi, certaines informations passaient toujours entre les mailles du filet.
— Internet est un outil fabuleux quand on sait s’en servir, continua-t-il. Je n’ai pas eu de mal à trouver votre CV.
— Je vois. Ça m’étonnait un peu que vous ne m’ayez pas posé la question quand nous nous sommes vus la première fois. Mais je comprends mieux maintenant. En réalité, vous le saviez déjà.
— Effectivement. Et pour ne rien vous cacher, cela m’arrangeait.
— Vraiment ?
— Oui. Ne pas avoir d’activité professionnelle dans l’immédiat, signifie que vous êtes totalement disponible pour vous occuper de Jérôme.
— Je…
— Cela ne veut pas dire que vous ne devez jamais travailler, ne vous inquiétez pas.
— Ah, tant mieux. L’espace d’un instant j’ai cru que vous attendiez que je devienne une sorte de…
— D’aide-ménagère à temps plein ? De femme au foyer ?
— Quelque chose comme ça.
— Ce n’est pas du tout mon objectif. Vous commencez à peine à construire votre vie, vous enfermer dans cet appartement serait prendre le risque de vous voir partir à courte échéance et ce n’est pas dans l’intérêt de mon neveu.
J’approuvai vaguement.
Je comprenais ses motivations, mais je n’arrivais pas à décider si ça me plaisait ou pas.
— En passant une annonce dans le journal, je ne vous cache pas que je ciblais une personne plus âgée. Quelqu’un avec une expérience de vie plus conséquente. Quelqu’un capable de lui tenir tête autant que de se rendre disponible pour lui.
— En somme vous cherchiez une personne comme Marilou et pas de bol, vous êtes tombé sur moi.
Le sourire gêné d’Henry valait toutes les réponses du monde à mes yeux, pourtant, il m’avoua tout de même :
— Disons que votre visite a légèrement chamboulé mes prévisions.
— Dans ce cas, pourquoi m’avoir acceptée ?
— J’admets volontiers qu’il y avait un peu de curiosité derrière ma démarche, mais sachez qu’en dépit de mes réserves initiales, j’approuve votre emménagement.
— En fait, vous n’avez eu aucune autre visite c’est ça ?
Le sourire d’Henry s’élargit.
— Quand Jérôme et vous aurez trouvé vos marques, nous en reparlerons et je vous expliquerai pourquoi ça ne pouvait être que vous.
Qu’est-ce que je devais comprendre ? Que j’étais finalement pas son choix par dépit ?
Tout cela me laissait perplexe, j’optai donc pour mon mode de repli habituel : le silence.
Henry eut la délicatesse de ne pas insister. Pour me donner une contenance, je déballai une partie de mes livres jeunesse.
J’observai la collection de mon colocataire avec une mine perplexe. Henry sembla comprendre l’origine de mon expression puisqu’il m’indiqua avec un sourire franc :
— Vous pouvez utiliser les rangées du dessus et celles du bas. Jérôme gardera celles à mi-hauteur. Maintenant, si vous préférez les ranger tous ensembles par ordre alphabétique, mieux vaudra vous arranger directement avec lui.
J’observai pensivement la couverture du livre que je tenais.
Décidément, Henry était quelqu’un de particulièrement attentif. Sur tous les plans. Et j’étais de plus en plus convaincue que ce n’était pas uniquement parce qu’il allait me confier la garde de son neveu. Un neveu qui avait largement l’âge de faire ses choix tout seul, mais passons.
Tandis que je rangeais mon livre, je ne remarquai pas qu’Henry saisissait le carton que j’avais mis à l’écart. Cette grande boite à secret regroupant toutes ces affaires trop personnelles pour être déballées en public.
— La boite où il est noté « affaires de couture » est-elle destinée à votre chambre ? me demanda-t-il.
Je pâlis.
— Attendez ! Donnez-le-moi ! Je m’en occupe !
Je me précipitai pour lui arracher le carton des mains, renversant dans mon empressement, la grande boite en équilibre précaire sur la pile.
Mon matériel à dessin se répandit sur le tapis.
J’étais rouge de honte, mais j’avais évité le pire.
À voir cette petite étincelle malicieuse dans le regard d’Henry j’en déduisis qu’il avait compris que je cachais là quelques secrets intimes. Ce qu’il ignorait, c’est qu’il était à deux doigts de découvrir mon doudou. Oui, mon doudou. Cet ours jadis tout doux et pelucheux que les années avaient rendues gris et rêche.
Dans un monde idéal, c’est une chose que j’aurais pleinement assumée. Dans ce monde tout bizarre, je préférais garder cela pour moi. Oui, dans ce monde formaté, les adultes n’avaient pas de doudous et n’étaient plus sensé en avoir. Pour se réconforter en cas de coups durs, les gens normaux avaient de véritables relations. Amis, famille, amoureux. Bref…d’autres gens comme eux. Moi je n’avais que cet ours tout abimé et je concevais mal comment les choses pourraient changer un jour sans que je me sente encore plus en décalage avec le monde que je l’étais maintenant. Donc cela resterait mon secret. Et c’était très bien ainsi.
— Je… je suis désolée, bafouillai-je. J’ai… c’est qu’il y des choses vraiment… personnelles dans ce carton et… et…
— Chacun ses petits secrets, plaisanta Henry avec un clin d’œil.
Je soupirai de soulagement, constatant qu’il ne se formalisait pas de ma réaction trop abrupte. Je reposai le carton compromettant sur le canapé et je ramassai rapidement tous les stylos, crayons et autres feutres que j’avais répandu à terre.
Henry quant à lui rassembla les feuilles volantes. Compilation hétéroclite d’une paire d’année de dessin. L’expression d’une passion qui se renforçait avec le temps. Il parcourut rapidement du regard les œuvres qu’il avait récupérés. L'admiration que je vis naitre sur ses traits me toucha.
— C’est vous qui dessinez tout cela ? demanda-t-il, me tendant la liasse de feuilles.
J’approuvai d’un hochement de tête embarrassée.
— Joli coup de crayon.
— Merci. J’adore le dessin. J’ai toujours rêvé de devenir créatrice de dessins animés. Mais pour mes parents ce n’était pas un véritable métier, alors, j’ai choisi une autre orientation. Diamétralement opposée.
— C’est dommage. Vous avez indéniablement du talent.
Je souris timidement.
— C’est pas grave. J’ai volontairement choisi des études compliquées mais elles ont eu le mérité d’être extrêmement stimulantes intellectuellement parlant. Malheureusement, ça n’a rien donné de concluant.
— Pour quelle raison ?
— Soyons honnêtes, les opportunités de travailler dans ma branche de métier ne se bousculent pas au portillon. Surtout pour une jeune femme mal assurée dans un milieu d’hommes. Du coup, jusqu’à ce jour, tous mes efforts sont restés vains.
— Vous cherchez depuis longtemps ?
— Pratiquement deux ans.
— Ne vous découragez pas. Les choses peuvent changer très vite. La preuve, il y a quelques semaines, vous n’auriez certainement jamais parié emménager avec un jeune homme aveugle et pourtant…
— Un point pour vous.
Je ramassai mes derniers feutres, songeuse.
Il avait raison. Depuis la fin du lycée j’avais souvent imaginé ce que serait ma vie presque dix ans plus tard, mais aucun des scénarios de cette époque ne correspondait de près ou de loin à ma réalité d’aujourd’hui.
Je secouai la tête, amusée, continuant à ranger mon matériel par ordre de taille et de couleur.
— Vous prospectez dans votre branche d’études ou vous avez déjà tenté d’élargir votre champ de recherche ? enchaina Henry me tendant mes dessins.
— En théorie dans ma branche de métier. Dans la pratique, je me demande si je n’ai pas fait le tour de la question. J’aime les sciences, mais ce n’est peut-être pas ce dont j’ai besoin.
— Comment cela ?
— Je me suis orientée là-dedans parce que c’était une discipline exigeante. Et je lui ai tout sacrifié. Mon temps, ma vie sociale, mes loisirs. C’était une forme de fuite en avant effrénée.
— Vous regrettez votre choix ?
— Absolument pas. Au contraire. C’était grisant de complexité et ça m’empêchait de me focaliser sur d’autres problèmes, seulement, ce que j’ai oublié d’anticiper à l’époque, c’était qu’au bout de cette course à l’échalote je me retrouverai seule sur le bord de la route. Perdue. Sans destination précise mais avec face à moi un vide intellectuel dans lequel s’ouvraient tant de chemins. Tant de possibilités, mais aucun itinéraire clair. Les gens se plaignent souvent de ne pas avoir le choix. Personnellement ce qui me perd, c’est d’en avoir l’embarras.
J’attrapai mon carton à dessin et j’y rangeai soigneusement mon matériel, tout en ajoutant :
— Je n’ai jamais considéré mes études comme une erreur de parcours, pour autant, aujourd’hui, je réalise que ce ne serait pas si terrible que cela de changer mon fusil d’épaule en acceptant autre chose. Ça me sera certainement plus profitable que de cumuler les entretiens désastreux et les CV laissés lettres mortes.
— Ce n’est pas un choix facile, mais la démarche est sensée. Vous avez raison d’ouvrir vos horizons.
— Merci. Ça m’aura pris un certain temps pour mettre un petit mouchoir sur mon orgueil de jeune diplômée, mais j’ai compris la leçon. Le chômage est un véritable cercle vicieux.
Je soupirai.
— Cette période aura au moins eu le mérite de m’aider à réaliser à quel point ce tissu social était important au quotidien alors aujourd’hui je me dis que même si ma vie n’a pas pris le tournant que j’imaginais si clairement à l’époque, eh bien, ce n’est pas grave. Ma situation est différente. Pour autant peut-on considérer qu’elle est moins bonne ?
Henry rigola.
— C’est une bonne question, me concéda-t-il.
Je me mordis la lèvre, gênée par mon expansivité verbale. De manière très concrète, j’avais du mal à m’ouvrir aux autres. Je me sentais toujours si superflue dans les conversations que je m’effaçais complètement de peur de paraitre trop stupide avec ma manière si particulière de voir les choses. Mais face à Henry, mes barrières tombaient avec une facilité déconcertante.
— Je suis désolée, je parle beaucoup trop… C’est juste que je n’ai pas l’habitude qu’on me prête une oreille si attentive.
— Au contraire. Ce que vous dites est très intéressant et témoigne d’une belle maturité. Et puis, même si vous décidez de changer d’orientation en cours de route, ce que vous avez appris sur vous-même durant vos études n’est pas perdu. Au final, on oublie souvent qu’en dehors du socle fondamental de connaissance qu’apporte l’école, elle transmet également un certain nombre de savoirs-être et de valeurs qui sont tout aussi importantes, sinon plus.
— C’est tellement vrai.
Je déposai mon carton sur la table.
— Et vous n’avez jamais envisagé de reprendre des études ?
— J’en ai bien assez comme ça ! plaisantai-je.
— Peut-être bien, mais pas dans le domaine qui vous passionne. Vous évoquiez tout à l’heure le monde du cinéma d’animation. Dès lors que vous étiez majeure et au chômage, vous auriez pu vous réorienter malgré les inquiétudes de vos parents.
— Je l’ai envisagé durant un moment, mais ce sont des écoles très onéreuses. Bien trop pour moi, alors j’ai choisi un autre compromis.
— Un compromis ?
— Trouver un travail alimentaire qui me libère suffisamment de temps pour vivre ma passion à côté. Après tout, rien ne m’empêche d’apprendre à l’animation et le dessin en autodidacte. Vous l’avez dit vous-même, internet est un outil formidable. Aujourd’hui, les tutoriels et autres cours en ligne sont légion.
— J’en conviens. Pour autant, cela ne les rend pas accessible au premier venu.
— Oh, ça n’a rien de bien sorcier. Il suffit d’avoir quelques bases en anglais et beaucoup de patience.
Henry fronça les sourcils, légèrement circonspect.
— Vous savez, les gens se font toujours une montagne de l’apprentissage, mais, c’est à la portée de n’importe qui. Ce qui diffère, c'est le temps dont les uns et les autres ont besoin pour intégrer chaque notion essentielle. Avec de la patiente et de la motivation on parvient facilement à de bons résultats. Malheureusement de nos jours, élèves comme professeurs manquent souvent des deux. C’est ça qui rend l’apprentissage difficile, bien plus que les concepts enseignés en eux-mêmes.
Henry rigola discrètement.
— Je ne suis pas complètement d’accord, mais j’en connais un qui appréciera beaucoup votre vision des choses.
Jérôme ?
Je détournai les yeux, embarrassée d’avance par la remarque que j’allais faire.
— Je suppose que réapprendre l’autonomie a du être un combat de tous les instants pour votre neveu.
— En effet, mais Jérôme est quelqu’un d’extrêmement exigeant envers lui-même.
— C’est quelque chose que je ne comprends que trop bien, avouai-je.
— Je n’en doute pas. Je suppose même que comme lui, vous êtes capable de travailler sans relâche pour atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés.
— Vous supposez bien, lui concédai-je. Même si pour ma part, je considère plus cela comme de la détente que comme du travail à proprement parler. De toute façon, même si j’ai déjà bien progressé, je suis loin d’avoir un niveau professionnel.
— Pourtant, vu vos dessins, j’aurais tendance à penser le contraire.
— À première vue, cela peut faire illusion, mais ils sont bourrés de défauts. Et ça c’est inacceptable. Il faut que ce soit parfait.
— L’excellence ne tolère pas la moindre forme d’approximation.
— À qui le dites-vous ?
— Oh ce n’est pas moi qui le dit mais plutôt Jérôme. Combien de fois l’ai-je déjà entendu me le répéter. Quand je vous dis que vous me le rappelez beaucoup.
Je ricanai nerveusement.
— En tout cas, je trouve très intelligent de tirer le meilleur parti de votre temps libre. Même si cela ne vous permet pas de trouver du travail, au moins cela démontre une certaine discipline et ce n’est pas donné à tout le monde.
— Je vous remercie.
♪ - ♪ - ♪
Environ une heure plus tard, le salon avait retrouvé son visage impersonnel.
Ne me restant plus qu’à ranger ma chambre. Le seul endroit de l’appartement où je pourrais véritablement m’exprimer. Le seul endroit où ma présence se remarquerait.
Dès lors je pourrais enfin me considérer comme officiellement installée.
Contre toutes attentes, cette pensée me serra le cœur. Depuis le temps que j’espérais déménager, je m’étais fait toute une montagne de cet événement. J’avais tourné autour pendant des mois pour déterminer le meilleur angle d’attaque et sur un coup de tête, l’affaire avait été pliée en moins d’une semaine. C’était à n’y rien comprendre.
Voilà pourquoi je devais marquer mon territoire aussi rapidement que possible. Avant que l’euphorie de la réussite ne se dissipe.
— Est-ce que cela vous parait concevable que je personnalise la décoration ? demandai-je à Henry.
— Personnaliser ?
— Oh rien de fou, hein. Le but n’est pas d’encombrer la pièce avec tout un tas de bibelots inutiles, ni de compliquer les choses pour Jérôme. Je pensais juste à quelques tableaux, une lampe sur pieds et peut-être aussi un plafonnier, histoire d’avoir un peu plus de lumière en cas de besoin.
— Pour ma part, tant que cela n’entrave pas les déplacements de Jérôme je n’ai aucune objection à formuler, mais consultez tout de même mon neveu. Ça reste son appartement.
— Évidemment. Je l’aurais fait de toute façon, rien que par politesse, mais étant donné son hostilité latente à mon égard, je préférais avoir votre avis avant de l’embêter avec ça.
— J’admets que cela ne fera pas de mal de ramener un peu de vie et de couleurs dans cet appartement, mais gardez bien à l’esprit de rester parcimonieuse.
— Il va sans dire.
— Quant à Jérôme, il se détendra vite. Vous verrez. Sinon je lui rappellerais moi-même les règles de votre cohabitation.
J’acquiesçai en silence.
Le carillon du buffet sonna 17h, m’arrachant au passage un fameux sursaut.
Fichue tocante ! Elle en fait du raffut !
— Eh bien, le temps file si vite. Je dois vous abandonner un moment. Il est justement temps d’aller le chercher.
Joignant le geste à la parole, Henry passa sa veste.
— Déjà ?
— Eh oui.
— Il termine tous les jours à la même heure ?
— Non. En général, c’est entre 18 et 20 heures, mais c’est assez variable d’un jour à l’autre. Le mieux…
— C’est que je le lui demande directement, le coupai-je, anticipant sa réaction.
Henry rigola.
— Oui. Réclamez-lui son planning. S’il rechigne, prévenez moi.
— Très bien. Donc, vous me le ramenez et après je… m’occupe de lui le reste de la soirée, c’est bien ça ?
— Exactement. Mais si cela pouvait vous tranquilliser l’un et l’autre, je resterai avec vous pour le repas du soir.
— Oui ! Très bonne idée !
Mon empressement élargit encore le sourire d’Henry.
— Bien, dans ce cas, je me mets en route. Je ne serais pas long.
— À tout de suite.
Il récupéra ses clefs de voiture dans la coupelle à l’entrée et sortit.
Pendant son absence, je m’accordai une pause. Mais alors que je me préparai un thé, je réalisai qu’en dépit de l’ergonomie de cette cuisine, il me faudrait encore du temps pour m’approprier ce nouveau territoire. Je furetai encore dans l’appartement quand mon téléphone sonna. C’était Lilie qui venait aux nouvelles.
— Alors ton histoire de coloc’ ça donne quoi ? me demanda-t-elle avec une impatience qu’elle ne tenta même pas de dissimuler.
— Bah j’ai accepté et je suis en plein déménagement.
— Félicitations ma belle !
— Merci.
— Et alors ?
— Alors quoi ?
— Je veux tous les détails croustillants voyons !
— Mais j’ai encore même pas terminé d’emménager !
— Pas grave. Je veux tout savoir. Ton coloc il est jeune ? Mignon ? Qu’est-ce qu’il fait dans la vie ? C’est pas un étudiant au moins ? Parce que sinon laisse tomber tu risques d’avoir du monde à la maison tous les soirs. J’ai essayé une fois, ça a été l’horreur, j’ai tenu trois mois avant de me barrer.
Son monologue me tira un sourire. J’adorai Lilie, mais en toute franchise, elle pêchait parfois par excès d’enthousiasme. Pour la ramener à plus de modération, je la coupai dans son élan en avouant :
— Il est aveugle.
— Oui comme tous les mecs, mais ça c’est pas insurmontable. Il suffit de mettre les choses au clair dès le début et bien tout noter quelque part, surtout la répartition des tâches.
— Non, t’as pas compris. Il est réellement aveugle. Handicapé. Il y voit que dalle. C’est pour ça que je suis là.
— T’es sérieuse ! Mais dans quoi tu t’es embarqué ma parole ?
— Eh ! Faut savoir, la dernière fois tu m’encourageais à foncer tête baissée et maintenant c’est une erreur ?
— Non, mais tu te rends compte, c’est une sacrée responsabilité. Ce mec a besoin d’une infirmière pas d’une coloc.
— Ce n’est pas ce que semble penser son oncle. Jérôme non plus d’ailleurs, mais vu l’animal j’suis pas certaine que son avis soit spécialement pertinent. En tout cas, du peu que j’en ai vu, il a l’air de savoir se débrouiller à peu près correctement.
— À peu près correctement ? Rappelle-moi tu l’as vu combien de temps exactement ?
— Déstresse, c’est bon. Je sais ce que je fais.
Enfin j’espère. De toute façon, c’est trop tard pour reculer maintenant.
— Je ne t’aurais jamais imaginé capable d’une folie pareille.
— Arrête, on croirait entendre mes parents.
— Pour une fois, j’avoue que la balance pencherait plutôt de leur côté.
Je soupirai. Oserais-je avouer que sa réaction me décevait ? Cette soudaine frilosité à l’égard de ma décision ne lui ressemblait pas. Alors, oui, j’avais conscience que mon choix avait été rapide et spontané, de là à douter de moi...
D’une manière générale, Lilie me connaissait plutôt comme une personne prudente et réfléchie qui tourne vingt fois sa décision dans sa tête avant de trancher, mais d’un autre côté, moi, je la connaissais comme la personne la plus tolérante et ouverte d’esprit de mon entourage. Si même elle en venait à douter de moi, que devais-je en déduire ?
Je soupirai, blasée.
— Écoute, quelle que soit la tournure des événements nous verrons bien ce que ça donne. Admets qu’il sera difficile de faire pire que ce que je subissais au quotidien jusqu’à maintenant.
— Espérons qu’au moins il sera aimable.
Je me raclai la gorge nerveusement.
— Me dis pas qu’en plus il a un sale caractère…
— Disons que pour l’instant on ne se connaît pas très bien.
— Disons plutôt que t’as pas envie de me répondre.
— Lilie, j’ai tout à fait conscience que j’ai choisi un chemin compliqué, mais il fallait vraiment que je fasse quelque chose. Et je me suis décidée en toute connaissance de cause. J’ai rencontré Jérôme avant d’accepter. Je savais à quoi m’en tenir. Ce que je trouve dommage c’est que tu ne me fasses pas confiance.
— Mais j’ai confiance en toi. Je sais juste que tu es capable de te mettre dans des situations impossibles quand tu veux éviter de faire face à tes problèmes. Fuir un guêpier pour un autre n’est pas une amélioration en soi.
— J’assume mon choix.
— Je n’en doute pas, mais encore faut-il qu’il te rende heureuse.
— L’avenir nous le dira très vite. Mais de toute façon, ça n’a pas la moindre importance. Il fallait que je parte de la maison quoi qu’il en coute, alors même s’il est chiant ou que cette coloc ne me convient pas, ça me laisse le temps de me retourner et trouver autre chose.
— Bien sûr. Et je te souhaite sincèrement que ça marche, mais fais attention à toi quand même.
— T’inquiète, j’suis une battante.
Elle rigola.
— Je sais ma belle.
Un moment plus tard, je raccrochai, dépitée.
Mon déménagement m’avait vidée. Les réserves de Lilie m’avaient achevée.
C’était la première fois qu’elle doutait de moi. Était-ce justifié ? Avais-je été trop vite en besogne ? Trop ambitieuse ? Aveuglée par mon besoin viscéral de fuir la maison familiale ? De fuir tout court.
Car si je prétendais aller de l’avant, la réalité, c’est que j’avais surtout fui mes problèmes sans me retourner au lieu de les affronter.
Non, tu as fait un grand pas en avant, pour ton propre bien. Tu dois croire en toi.
J’inspirai profondément dans l’espoir de me calmer. Je douterai de moi plus tard, pour l’instant, il fallait faire bonne figure.
Henry était de retour. Son neveu aussi.
♪ - ♪ - ♪
Le petit grelot tintinnabula joyeusement à leur entrée.
J’étais fébrile.
Tu vas y arriver. Peu importe comment et pourquoi mais tu vas y arriver. Tu peux le faire. De toute façon, il faudra en passer par là.
Je me recomposai un visage souriant et je les accueillis le plus chaleureusement possible.
Cependant, Jérôme ne se montra guère sensible à mes efforts. Il me salua du bout des lèvres et retira veste et chaussures sans me témoigner davantage d’attention.
De peur de m’engager dans une dispute, je feignis l’indifférence, tout en ressortant le dossier de colocation que m’avait confié Henry le soir de ma rencontre avec Jérôme.
J’avais eu une bonne semaine pour tout décortiquer dans les moindres détails et je n’avais trouvé aucune anomalie. Aucun point obscur. Aucune tournure prêtant à confusion. Tout était clair, net, précis.
— Tenez. Le bail et le pacte de colocation. J’ai complété et signé mais j’avais un doute sur ce que je devais mettre dans la case dépôt de garantie. Comme nous n’avions pas évoqué le sujet ensemble, j’ai préféré attendre pour vous poser la question.
— Vous avez bien fait. Considérant que vous n’aurez pas de loyer à nous verser à proprement parler, il est inutile d’exiger de vous une caution. En revanche, il nous semblerait approprié que vous nous fassiez un chèque correspondant à la moitié d’un loyer en cas de dégradations diverses. Je le garderai dans votre dossier sans l’encaisser et au terme de la période d’essai dont nous avons convenu ensemble, nous vous le restituerons si aucun problème n’est constaté. N’y voyez aucune forme de méfiance de notre part, mais…
— Non. Vous avez tout à fait raison. Je préfère que les choses soient faites précisément et dans les règles de l’art. C’est mieux pour tout le monde. D’autant que j’avais anticipé votre demande, avouai-je sortant le chèque que j’avais préparé durant la semaine passée. J’ignorais simplement quel montant y inscrire.
Pendant que je terminais de le remplir, Henry examina la liasse de feuillets dactylographiés avec une grande attention. Puis, il y glissa ma caution tout en déclarant :
— C’est parfait, je vous remercie.
Il déposa le dossier sur le comptoir de la cuisine et ajouta :
— Jérôme, il faudra que tu signes toi aussi.
— Non, grogna ce dernier montant déjà s’isoler dans son bureau.
Non pas maintenant ou non jamais ?
L’espace d’un instant je crus qu’Henry allait le rappeler à l’ordre mais il n’en fit rien. À la place, il m’encouragea à nouveau à ne pas me formaliser de la froideur apparente de son neveu. Je faisais mon possible pour le croire, mais force était de constater que le comportement de Jérôme ne m’aidait pas à le considérer sous un autre angle. Surtout pas après ma conversation avec Lilie.
Je fixai le contrat à l’abandon sur le comptoir de la cuisine. Que se passerait-il si Jérôme refusait réellement de signer ce contrat ? Cela remettrait-il ma présence en question ?
Loin de moi l’idée de douter de la bonne foi d’Henry, mais j’avais besoin que les choses soient carrées. Non pas que je cherche absolument à couvrir mes arrières en cas de problèmes ou quoi que ce soit de ce genre. Mais c’était la règle. Et on ne dérogeait pas à la règle. C’était elle qui ordonnait le chaos. Un contrat se devait d’être approuvé et signé par les deux partis. Impossible pour moi qu’il en soit autrement.
Je grimaçai, contrariée par ce refus.
Henry se fit donc un devoir de me rassurer aussitôt.
— Il les signera d’ici demain soir. Je m’en assurerai.
— Merci.
— Il n’y a pas de quoi. Vous avez raison, mieux vaut éviter toutes ambiguïtés.
Il récupéra le dossier de colocation et le posa dans un endroit plus approprié avant de lancer d’un ton jovial :
— Et si nous nous occupions du dîner ? Cela sera l’occasion de vous montrer un peu où ranger les ustensiles et toutes les autres petites choses du quotidien.
J’approuvai d’un hochement de tête. Il fallait bien reconnaître qu’avec tout ça, j’en avais presque oublié mon estomac et le moins que l’on puisse dire, c’était que toute cette agitation, ça creusait.
Henry prit naturellement les choses en main. Je le laissai faire, observant attentivement chacun de ses faits et gestes. Son aisance dans cette cuisine révélait une grande habitude.
Je souris. Décidément, y avait-il une chose que cet homme-là ne savait pas faire ?
Sa femme devait être comblée. Ou frustrée de le savoir si souvent chez son neveu. Quoi qu’à la réflexion, le jour de notre rencontre, Jérôme avait mentionné le fait qu’il vivait avec Henry jusqu’à récemment… Serait-il séparé ?
Dans ce cas pourquoi il garde son alliance ?
— Vous faites souvent la cuisine ? lui demandai-je innocemment.
— Essentiellement pour Jérôme.
— Et il ne rentre jamais manger entre midi ?
— Non. Il déjeune avec son collègue la plupart du temps.
— Et vous venez le chercher tous les jours.
— En effet.
— Ça doit être assez contraignant.
— Pas le moins du monde.
— Pourtant, s’il tient tant que cela à son autonomie, il lui suffirait de prendre les transports en commun ?
Henry me sourit, mais derrière cette expression amicale, il tentait de cacher sa légère crispation.
— Je crois bien que c’est moi qui ne le supporterais pas.
— Pourquoi ? Vous l’avez dit, il sait se débrouiller tout seul et il y a un arrêt de bus juste en face. Ça doit être tout à fait faisable pour lui. Non ?
— Certainement. Mais nous ne souhaitons ni l’un ni l’autre qu’il s’y essaie.
— Pourquoi cela ? Ça vous ferait gagner du temps.
— Je n’ai jamais vu le fait de véhiculer Jérôme comme une obligation. Encore moins comme une corvée. Il n’y a pas de raison que cela change.
Cette fois, c’est lui que je sentais gêné. Il s’essuya les mains et sortit de nouveaux ingrédients du frigo. Et alors que je pensais cette conversation terminée, il ajouta :
— J’ai besoin de garder ce contact avec lui, vous comprenez ?
J’acquiesçai d’un hochement de tête.
Plus je découvrais Henry, plus je réalisais son attachement profond à son neveu. Un attachement que l’on attendrait davantage d’un père. Pourquoi couvait-il Jérôme ainsi ? J’avais le sentiment que ces deux-là cachaient un lourd secret de famille. Et même si ce n’était pas mes affaires, je ne pus m’empêcher de le questionner.
— Sans vouloir m’immiscer dans des affaires qui ne me concernent pas, hasardai-je reprenant les termes qu’il avait lui-même utilisés plus tôt dans la journée, cela ne dérange pas votre femme que vous passiez autant de temps avec votre neveu ?
— Ma… femme ?
La crispation qu’Henry essaya de me dissimuler me refroidit immédiatement.
— Ben, vous portez une alliance, j’en déduis que vous êtes marié.
Le visage d’Henry se ferma complètement, devenant aussi livide que s’il avait vu un fantôme.
— C’est assez…
Il me tourna le dos vivement. Dans son empressement, il renversa la préparation contenue dans son saladier.
Il observa un moment sa mixture grossièrement étalée au sol sans faire montre de la moindre émotion. Puis, tandis que je commençais à nettoyer, il se recomposa une attitude neutre et une expression souriante.
— Quel maladroit je fais.
Il se débarrassa de son tablier et ajouta :
— Il va falloir que j’aille faire quelques courses.
Immédiatement, je me redressai comme un diable hors de sa boite.
— Je… je vous accompagne.
— Ce n’est pas nécessaire. Je n’ai besoin que de quelques bricoles. En attendant, n’hésitez pas à aller voir Jérôme. Essayez de faire plus ample connaissance en douceur.
Je grimaçai.
C’était quoi ça ?
Il s’était renfermé comme une huître encore plus vite et plus étroitement que quand je lui parlais de son neveu. Et si en vérité il ne l’était pas vraiment ? Et s’il était genre un fils adultère ou quelque chose dans ce goût-là ? Ça expliquerait le tabou sur son mariage… ou alors...
Stop ! Ce ne sont pas tes affaires. Tu as déjà bien assez de tes problèmes.
Je soupirai.
Maintenant à cause de cela, je me retrouvais seule avec ce grand coton-tige aveugle plus tôt que prévu.
Mon regard balaya la pièce. Soudain, tout me paraissait hostile. Tout. À commencer par Jérôme.
Assaillie par mes doutes, je décidai de suivre le conseil de mon père et appeler ma mère. Certes, depuis ce matin mon père devait certainement lui avoir déjà fait un rapport complet de la situation, mais j’allais essayer de faire un effort, même si elle ne me donnait pas l’impression de le mériter.
L’appel fut succinct.
Hormis quelques reproches, c’est à peine si elle me parla.
En raccrochant, je me sentais tout à coup vidée. Comme si elle avait aspiré toute mon énergie. En revanche, comme je l’espérais, ma motivation était remontée en flèche.
Hors de question de retourner chez eux. Il faut que ça marche. Même si pour ça tu dois te forcer un peu.
Comme s’il avait perçu mes pensées, mon colocataire pointa son nez en haut de l’escalier.
— Henry est déjà reparti ? me demanda-t-il en descendant avec raideur.
L’inquiétude que je décelai dans sa voix me rassura. Après tout, il n’en menait pas plus large que moi.
— Je croyais qu’il avait prévu de rester toute la soirée.
Quoi ? T’as peur de te retrouver tout seul avec moi ?
— Il a été faire quelques courses, lui répondis-je à la place.
— Des courses ?
— Oui, pour le repas de ce soir.
— Il est sérieux ?
— Tu n’as pas entendu le gros bruit y a quelques minutes ? lui demandai-je sobrement.
— Non.
— Eh ben, c’était ça. Je ne sais pas ce qu’il préparait exactement, mais il en a renversé une grande partie sur le carrelage. Du coup, il est sorti racheter ce qui lui manquait.
— J’en étais sûr.
Sûr de quoi ? Qu’il renverserait la moitié des ingrédients pour sa recette ?
Il grimpa les premières marches sans me prêter la moindre attention. Il préférait continuer à grommeler.
— Il adore faire des trucs horripilants comme ça.
Comme quoi ? Les courses ? Je ne vois pas ce qu’il y a d’horripilant là-dedans.
— Il l’a fait exprès.
Oh,.. tu veux dire de nous laisser tout seuls…
En toute franchise, si je n’avais pas vu la mine décomposée d’Henry juste avant son départ, j’aurais réagi comme Jérôme. Mais cette expression quand j’avais mentionné sa femme, cette maladresse soudaine… ça n’avait rien de prémédité. J’hésitai à l’avouer à son neveu, mais avant même que je me décide, il arrivait déjà en haut de l’escalier.
— Attends !
— Quoi ?
— Je…
Allez va-y Sasha. Tu peux le faire. Demande lui ce qu’il fait dans la vie…
Je pris une grande inspiration et je me lançai. Mais les mots qui sortirent de ma bouche furent bien différents de ma pensée :
— Je sais que toute cette histoire ne te plaît pas trop, mais je vais faire mon possible pour être discrète. Je ne veux pas être trop envahissante.
— Parce que tu t'en crois capable ?
— Ça ne devrait pas être trop compliqué. D'une manière générale, je passe plutôt inaperçue.
— Tu m'en diras tant.
Il s’arrêta sur le seuil de sa chambre et ajouta :
— T'es loin d’être aussi discrète que tu l’imagines. Ton odeur est partout, ta lessive, ton parfum, tes grands gestes énervés dans mon dos… c’est pas parce que je suis aveugle que je ne te perçois pas.
Je le dévisageai stupéfaite.
— J’ai quatre autres sens et je sais parfaitement m’en servir. Alors arrête de t’imaginer que tu peux passer inaperçue.
Je pâlis.
Il disparut dans sa chambre et je n’eus pas le courage de le retenir une nouvelle fois.
Je me retrouvai seule et déconcertée dans le salon. Avec en prime une nouvelle strate de questions. Comment Jérôme avait-il pu noter tant de détails sur moi en si peu de temps ? Non seulement, je n’avais même pas encore terminé de déballer mes affaires, mais en prime, il s’était enfermé dans sa chambre aussitôt rentré sans même essayer de me connaître.
Décidément, je n’étais pas au bout de mes surprises avec lui.
Je soupirai.
Si seulement il pouvait se montrer un peu plus sociable...
J’avais bien conscience que l’agressivité de Jérôme était un mécanisme de défense, pourtant cela me mettait dans tous mes états.
En désespoir de cause, j’entrepris de ranger ma chambre. J’avais besoin de marquer mon territoire.
Je procédai avec méthode.
Les vêtements, dans le dressing de l’alcôve. Les draps sur le lit. Mes petites guirlandes lumineuses. Quelques livres et bandes dessinées sur les étagères au-dessus de la commode. Mon ordinateur portable sur le bureau.
Et voilà ! Le tour est joué !
En empaquetant mes affaires, j'avais l'impression d'avoir déjà amassé bien trop de choses dans ma vie. En observant le résultat de mon rangement méticuleux, je ressentais presque l'inverse.
Le vide.
La solitude.
Je chassai immédiatement cette pensée, dans quelques jours la vie aurait repris ses droits et des piles diverses et variées envahiraient peu à peu l’espace.
Satisfaite, j’empilai dans le fond de la mezzanine, les dernières affaires que je devrais ranger avec Jérôme le week-end prochain. L’idée de prétexter apprendre à mieux le connaître pour le faire cela maintenant me traversa l’esprit, mais je me ravisai presque aussi vite au souvenir de notre premier échange tendu.
D’un autre côté, si un inconnu envahissait mon espace, je n’aurais pas non plus envie de me rapprocher de lui. Pas avant de m’être habituée à sa présence du moins. Voilà pourquoi j’avais décidé de lui accorder un peu de temps. Ou peut-être n’avais-je fait que me cacher derrière ce prétexte pour différer une prise de contact qui m’effrayait toujours.
En redescendant au salon, je constatai qu’Henry était revenu et s’affairait à nouveau en cuisine.
Je m’installai sur le canapé soupirant d’aise.
— Vous avez terminé votre rangement ? me demanda-t-il.
— La plus grosse partie oui. Le reste attendra. Je n’ai vraiment plus le courage de m’en occuper ce soir.
Malgré tout, je puisai dans ce qui me restait de vaillance et lui proposai mon aide, évitant soigneusement de remettre le sujet tabou sur le tapis.
Il accepta volontiers et environ un quart d’heure plus tard, le dîner fumait sur la table.
C'est toujours un plaisir de lire ton histoire. Il y a toujours quelques dialogues que je trouve un peu trop "séance chez le psy" mais malgré tout il s'en dégage un vrai truc ; tes personnages n'en sont que plus subtils, plus vivants. Henry est très étrange, et il a l'air tout particulièrement manipulateur. On en apprend un peu plus sur Jérôme, même si, pour le moment, on découvre surtout ses défauts. Cela dit, son côté râleur me semble assez cohérent quand on voit combien l'autre veille sur lui. Dans une situation comme la sienne, avec un entourage comme le sien, il doit y avoir quelque chose de rassurant, mais aussi d'étouffant.
Ta narratrice, quant à elle, continue à beaucoup me plaire. Je la trouve vraiment bien écrite, et la voir évoluer dans des milieux différents, chez ses parents, en territoire inconnu, près de Jérôme, ça nous permet de voir des facettes différentes de sa personnalité.
J'ai hâte de découvrir la suite !
A bientôt, donc !
Ah le psy... XD on se refait pas.
Pour te répondre, Henry est quelqu'un de manipulateur en effet, mais pas méchant. C'est juste un gars qui a eu des coups durs qui l'ont complètement refermé, mais normalement la suite devrait t'aider à mieux comprendre le perso.
Quant à Jérôme... bah j'ai essayé de me mettre à sa place et perso je serai en PLS si on s'incrustait comme ça chez moi, d'où le côté râleur qui ressort XD
En tout cas, je suis contente que tu accroches toujours autant et j'ai hâte aussi de voir si la suite saura continuer à te captiver.
A peluche^^