Sur l’invitation d’Henry, Jérôme se joignit à nous pour le dîner.
Il s’enferma dans un silence crispé, mais son oncle ne s’en offusqua guère. Ce dernier, parfaitement à son aise dans le rôle de tampon, entretenait la conversation à lui seul en dépit de mes réponses laconiques et des remarques amères dont Jérôme ponctuait parfois ses phrases.
Objectivement parlant, Henry se débrouillait plutôt pas mal derrière les fourneaux, mais j’étais trop occupée à scruter les faits et gestes du neveu pour complimenter l’oncle.
Soudain, n’y tenant plus, Jérôme reposa ses couverts et grogna :
— Tu comptes me dévisager comme ça toute la soirée ?
Je sursautai, comprenant immédiatement que ce reproche m’était adressé.
— Je… mais comment tu peux savoir si je te regarde ou pas d’abord ?
Un soupir agacé plus tard, Jérôme quitta la table sans même me répondre. Il débarrassa son assiette et s’enferma dans sa chambre en silence.
Son énervement le rendait maladroit. Lorsqu’il trébucha, Henry tressaillit, pourtant, il ne fit pas un geste en direction de son neveu. Même si cela l’inquiétait, il respectait suffisamment Jérôme pour ne pas l’infantiliser.
Je l’admirai pour cela. Henry se comportait comme un vrai père. Rassurant. Protecteur. Présent. Il voyait tout, notait tout, gérait tout. Mais n’intervenait qu’en cas de nécessité.
Comment avait-il hérité de ce rôle ? Jérôme aurait-il perdu ses parents ?
À priori non puisqu’au cours de leur engueulade le soir de notre rencontre Henry avait parlé d’un accord avec ses parents…
Mais pourquoi délégueraient-ils ainsi la responsabilité de leur fils handicapé à un autre ? Ils n’assumaient pas sa condition ou peut-être qu’ils ne s’entendaient pas ou…
Je n’avais toujours pas l’ombre d’une réponse, mais j’avais compris qu’ils n’étaient pas disposés à en parler. Ne me restait plus qu’à trouver le moyen de me sortir ces questions de la tête. J’avais cette fâcheuse tendance à toujours ressasser les mystères. Mon cerveau avait en permanence besoin de mouliner sur de multiples choses en parallèle. Résultat, certaines questions pouvaient ainsi me harceler pendant des jours.
J’essayais de lâcher prise, mais jusqu’à aujourd’hui, c’était un échec critique.
— N’hésitez surtout pas à le remettre à sa place quand il fait des choses comme ça.
— Hein ? Je… oui… mais… il a… tout seul… et il a compris que…
— Qu’est-ce qui vous surprend à ce point ?
— Comment il pouvait savoir que je le regardais ? Et puis, il a débarrassé tout seul et… et…
Henry rigola.
— Vous l’en supposiez incapable ?
— J’avoue que j’ai du mal à évaluer ce dont il est ou non capable.
— Ça viendra avec le temps.
— Je suppose que oui.
Pour prendre mes marques en douceur, autant que pour me donner une contenance, je commençai la vaisselle. Henry m’assista de bonne grâce. Je lavais, il essuyait. Une mécanique bien huilée.
À nous voir ainsi on aurait presque pu croire que la routine était installée depuis des années. Cette pensée me fit sourire. Peut-être que dans dix ans je repenserais à cette soirée avec nostalgie. Ou peut-être pas.
Pour l’heure, le moment fatidique et redouté de rester seule avec Jérôme approchait et ma nervosité augmentait exponentiellement.
Pour tromper mon anxiété, ou peut-être pour retenir Henry un peu plus longtemps, je lui posai donc la première question qui me passa par la tête :
— Ça fait longtemps que vous vous occupez de Jérôme ?
— Depuis son accident. À quelques semaines près.
Son visage jovial se ferma. Ses yeux se perdirent dans le vague vers des souvenirs apparemment douloureux.
Son accident.
Donc Jérôme n’était pas aveugle de naissance. Il y avait dans son passé un événement douloureux qui le traumatisait probablement encore.
— Que lui est-il arrivé ?
Je me mordis la lèvre, regrettant ma question aussi vite qu’elle était sortie.
En réalité, je ne voulais pas savoir. Je ne voulais pas une raison de le plaindre. Surtout si elle me dissuadait de le reprendre sur son comportement comme tout à l’heure. Et puis, c’était déjà comme ça que mes parents avaient réussi à m’enfermer dans leur cage dorée. J’avais toujours fait mon possible pour ne jamais heurter leurs sentiments. Ne jamais les décevoir. Les blesser avec mes mots. À l’arrivée, je leur cédais parce que je n’osais plus m’imposer de peur de perdre leur affection.
Je ne devais pas laisser une telle chose se reproduire avec mon colocataire. Je devais fixer des limites claires. Marquer mon territoire avant qu’un lien se crée entre nous. D’ailleurs à la réflexion, mieux valait qu’aucun lien ne se crée, hormis une cohabitation pacifique basée sur le respect et la non-ingérence.
Henry se racla la gorge, me ramenant à l’instant présent.
— C’est une longue histoire, éluda-t-il.
Il s’essuya les mains et rangea le torchon.
— Pour l’heure, je ferais mieux de rentrer.
Je blêmis.
— Je suis désolée si j’ai dit quelque chose qui vous a blessé. Cette histoire ne me concerne pas. Et je… je ne voulais pas paraître trop intrusive, alors ne vous sentez pas obligé de…
— Calmez-vous, me coupa-t-il. Tout va bien se passer avec Jérôme.
— Mais… Il est encore tôt…
L’expression bienveillante avait retrouvé sa place sur le visage d’Henry.
— Je ne pense pas que mon neveu ressorte de sa chambre ce soir, alors détendez-vous et essayez de vous reposer. Pour ma part, je passerais le chercher demain matin à 8h comme tous les jours. Veillez simplement à ce qu’il soit prêt.
— C’est à dire ?
— S’il n’est pas levé, réveillez-le. Et faites le petit déjeuner. Il prend du café et trois toasts grillés. Pour le reste il se débrouille seul, vous n’avez pas à vous en occuper.
Avec une raideur d’automate, j’approuvai d’un petit signe de tête.
Il enfila son manteau et avant de sortir ajouta sur le ton des confidences :
— Je reste joignable sur mon portable, n’hésitez pas à m’appeler au moindre problème. Pareil, si vous avez des questions. Et surtout n’oubliez pas, comme il est clairement précisé dans votre pacte de colocation, il ne peut pas vous mettre à la porte sans mon approbation préalable. Entendu ?
Faute de trouver un autre motif pour le retenir, j’acquiesçai poliment. Je le regardai quitter le couloir jusqu’à ce que les portes de l’ascenseur se referment.
J’avais la boule au ventre.
J’étais désormais seule avec ce colocataire hors norme et contrairement à ce que j’affirmais à corps et à cris quelques heures plus tôt, je n’avais pas la moindre idée de comment gérer ce changement.
Je me laissai aller contre le montant de la porte jusqu’à m’asseoir par terre. J’avais envie de pleurer, mais les larmes refusaient de couler.
J’avais la gorge tellement nouée que j’en suffoquais. Les remarques de Lilie tournaient à nouveau en boucle dans ma tête. Elle doutait de moi… et elle n’avait jamais douté.
Et si elle avait raison ? Si les choses tournent mal ? Si Jérôme ne se calme jamais ? Dans quoi est-ce que je me suis fourrée ?
L’angoisse menaçait de me submerger quand Jérôme apparut dans l’entrée.
— Tu comptes dormir sur le palier ? Ou c’est moi qui te fais peur à ce point ? Parce que si c’est le cas, t’aurais mieux fait de rester chez toi.
— À partir de maintenant c'est ici chez moi, murmurai-je.
Le manque de conviction dans ma voix me consterna. Heureusement, il ne semblait pas avoir remarqué ma respiration sifflante.
— Ça reste encore à voir.
— Mais c'est tout vu garçon.
Je me relevai, ragaillardie par cette confrontation naissante.
Les relations conflictuelles, je savais gérer ! J’en sortais souvent exsangue, mais sur l’instant, je savais comment me défendre.
— Pourquoi tu es redescendu ? lui demandai-je feignant l’indifférence. Tu as besoin de quelque chose ?
— La paix.
Il grimaça et disparut dans le salon. Je l’y suivis.
Dans le silence tendu qui s’installa entre nous, j’observai attentivement chacun de ses gestes. Il se servit une infusion, sans en renverser une goutte.
J’étais toujours aussi perturbée par son attitude. Il agissait avec une telle normalité. Oserai-je avouer que cela me rassurait ? Probablement pas, pourtant, mon cœur comme ma respiration s’apaisaient lentement.
Cela m’incita enfin à sortir de ma réserve pour lui poser l’une des questions qui me brûlait les lèvres :
— Tout à l’heure… comment tu as su que je te regardais ?
— Tu parles toujours autant ?
— Juste quand j’ai des choses à dire. Et au cas où tu en douterais, je suis capable de te reposer mes questions cent fois jusqu’à ce que tu me répondes.
— Alors prépare-toi à des soirées plutôt déplaisantes.
Jérôme se dirigea vers l’escalier.
— Et donc, comment as-tu su que je te regardais tout à l’heure ? insistai-je.
Il soupira et rebroussa chemin.
— C'est ce qu'ils font tous. Et en prime vous vous croyez discrets.
— Ça n'avait rien de mal intentionné.
— Évidemment, ça ne l’est jamais.
Je détournai les yeux, de plus en plus mal à l’aise.
— Je dois bien avouer que je suis impressionnée par ta dextérité. Je serais bien incapable de manger les yeux fermés alors en prime débarrasser mon assiette...
— Quand tu n'as pas le choix, tu fais avec et tu apprends.
— Je suppose que oui, mais pour autant tu ne peux pas reprocher aux gens qui t'entourent de ne rien comprendre aux réalités de ta vie. Personnellement, je n'ai pas la moindre idée de ce qui est ou non à ta portée. C'est pour ça que j'ai besoin de ton aide pour savoir ce que je peux faire ou pas.
Il détourna la tête sans répondre.
— Écoute, j'ai bien compris que cette coloc ne te plaisait pas, mais, Henry est décidé. Si ce n’est pas moi maintenant, ce sera un autre bientôt, alors autant faire en sorte que les choses se passent bien. Mon objectif n'est pas de t'ennuyer, j’ai simplement besoin de trouver ma place.
— Ta place ? Parce que tu t’imagines que ta place est ici ? Ma pauvre mais t’as même pas idée de là où tu viens de mettre les pieds. Tu serais certainement bien mieux là d'où tu viens.
Je serrai les dents, blessée par la dureté de sa remarque. Je m’y étais préparée pourtant je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi difficile à encaisser. C’est probablement pour cette raison qu’en dépit de toute ma volonté je ne parvins pas à masquer la déception dans ma voix.
— Tu ne me connais pas.
— À d'autres.
— Mais qui es-tu Jérôme Reeves pour me juger alors que tu ne supportes pas un simple regard en coin de la part des autres ? criai-je, indignée par sa réaction. Regard, que de toute façon tu serais bien incapable de voir !
Jérôme ouvrit la bouche. Je me préparai déjà à une nouvelle réponse incisive, mais il se contenta d’un soupir excédé avant de s’enfermer dans la pièce qu’Henry m’avait décrite comme son bureau. Sur la dernière marche toutefois, il marqua un arrêt, le temps d’ajouter d’une voix bien plus douce et calme que je ne l’aurais imaginé :
— Bonne nuit.
Je restai plantée au milieu du salon, incrédule.
Il m’avait souhaité une bonne nuit après m’avoir ouvertement provoquée… ça n’avait pas de sens.
Pourquoi s’était-il calmé d’un coup ? Et pourquoi était-il redescendu ? Avait-il compris combien j’angoissais à l’idée d’être seule avec lui ? Était-il aussi inquiet que moi ? Ou peut-être était-ce une forme de prévenance bien cachée. Une volonté non assumée de créer un lien. Sa manière de faire un pas dans ma direction. Un pas maladroit certes, mais un pas tout de même.
Je m’avachis sur le canapé. Épuisée tant physiquement que moralement.
Finalement, cette première soirée était moins catastrophique que prévue.
Si Jérôme se comportait comme un ours, j’avais néanmoins l’intuition qu’à travers son handicap, il avait aussi beaucoup de choses à m’apprendre.
♪ - ♪ - ♪
J’avais survécu à ma première nuit de colocation !
Oui d’accord, c’est un peu exagéré.
Mais je m’étais fait une telle montagne de cette histoire, que j’étais soulagée de constater à quel point tout s’était mis en place naturellement.
J’avais fini par m’endormir sur le canapé, rompue par cette journée, intense sur tous les plans.
Les courbatures m’avaient réveillée au beau milieu de la nuit. Je m’étais glissée dans ma chambre le plus discrètement possible, mais je n’avais pas réussi à refermer l’œil. La part consciente de mon esprit prétendait que j’écoutais le silence à l’affût du moindre geste de mon colocataire, mon inconscient corrigerait qu’il y avait trop de pensées qui me tournaient en tête.
Trop de questions. Sur Jérôme. Sur Henry. Sur moi.
Chacun à leur manière, ils me ressemblaient. Assurés à l’extérieur, pudiques et maladroits à l’intérieur. Blessés par un passé lourd à porter.
Je m’interrogeai beaucoup sur la famille de ce grand coton-tige aveugle et sur les raisons de leur absence. Pourtant, j’avais décidé de ne pas lui en parler. Pour l’instant, je préférais limiter nos interactions au minimum plutôt que de nouer des liens avec lui.
En vérité, j’avais surtout peur qu’il me questionne sur ma propre famille en retour. Même si j’avais évoqué le sujet avec Henry, je n’étais pas prête à en parler. Je détestais l’image que cela me renvoyait de moi-même. Celle d’un monstre d’égoïsme et d’intransigeance.
Je chassai rapidement cette pensée avant de me mettre à pleurer. Quand j’étais fatiguée comme ce matin, la moindre broutille me mettait dans tous mes états.
J’avalai une gorgée de café, préparant une dosette pour mon colocataire.
Ressaisis-toi.
Le carillon du buffet sonna 7h15.
Je sursautai manquant de renverser mon café.
Fichue tocante, qu’est-ce qu’elle est bruyante.
Mais Jérôme en avait besoin, alors, je m’y habituerai.
Je m’étirai, étouffant un bâillement d’une élégance discutable.
Henry passerait bientôt chercher son neveu pour l’emmener au travail. Mon rôle était de veiller à ce qu’il soit prêt. Cela impliquait-il de le tirer du lit, l’aider à s’habiller, et que sais-je encore ou devais-je simplement appuyer sur le bouton de la cafetière et attendre qu’il se débrouille ?
D’ailleurs à quelle heure est-ce qu’il se lève ?
Je grimaçai.
Hier soir, j’étais tellement focalisée sur ma peur de rester seule avec lui, que je n’avais pas vraiment écouté les recommandations d’Henry. Heureusement, avant que le stress ait raison de moi, Jérôme descendit l’escalier d’un pas mal assuré.
Il se passa une main sur le visage.
Je souris. Ce gars-là n’avait rien à voir avec le jeune homme soigné que j’avais vu la veille. La barbe naissante, les cheveux en désordre, en caleçon, un tee-shirt gris ample froissé, et son bandeau tout de guingois sur les yeux. S’il n’avait pas eu ce profil si maigrelet et osseux, il aurait vraiment pu ressembler à un ours.
Le mâle au saut du lit.
Intérieurement je rigolai, extérieurement, j’étais infiniment soulagée par cette nouvelle preuve d’autonomie.
Machinalement, je lui souris. Certes il n’y voyait rien, mais une croyance populaire voulait que les intentions transparaissent dans le son de la voix, alors si je voulais faire bonne impression, c’était maintenant ou jamais.
— Bonjour ! lançai-je avec enthousiasme.
Il se figea l’espace d’une seconde.
— T’es encore là toi ?
— Correction, je suis toujours là.
Et ça risque de durer un moment.
Il me dédaigna et appuya sur le bouton de machine à dosettes pour faire couler son café. Une nouvelle fois, face à sa dextérité j’en oubliai de le reprendre sur sa grossièreté. Il commença à boire, sans même s’installer à table.
— Tu devrais manger un peu.
— Pas faim.
Je grimaçai.
— Il faudrait qu’on discute de deux ou trois petites choses.
— Pas envie.
Je levai les yeux au ciel, exaspérée par ses réponses lapidaires.
— Tu pourrais faire un effort s’il te plait, grommelai-je.
— Plus tard.
— Alors, je vais t’apprendre un truc tout simple… ça s’appelle... une phrase. C’est pas sorcier, y a un sujet, un verbe et un complément. Non seulement, ça dit tout ce t’as à dire mais en prime, ça t’évite de passer pour un ours tout juste bon à grogner.
— Tu me saoules. Ça te parait suffisamment construit comme phrase.
— Ah c’est déjà mieux en effet. Maintenant, il va falloir intégrer le concept de politesse. Tu penses que tu en es capable ou c’est au-dessus de tes forces ?
Il vida sa tasse d’un trait et la posa dans l’évier avant de monter.
— N’espère pas t’en tirer comme ça.
Il ricana. Je l’attrapai par le bras pour le retenir. Il se retourna pour me faire face, les traits tirés par la contrariété. Malgré sa cécité, il avait un comportement tellement normal que c’en était troublant.
Il se dégagea d’un geste sec et remonta, m’ignorant ostensiblement.
Pour moi, c’était la douche froide.
Toute la sollicitude que j’avais cru distinguer la veille n’était-elle finalement qu’une illusion ? Une histoire que je m’étais racontée à moi-même pour me rassurer.
Si c’était le cas, je devais m’imposer dès maintenant. Tant pour obtenir mes réponses que pour ne pas me laisser écraser par sa personnalité hors norme.
Mais il avait déjà disparu dans sa chambre.
Pas grave, je le chopperai avant qu’il parte.
À peine quelques minutes plus tard, le grelot de la porte annonça l’arrivée d’Henry.
Il me salua chaleureusement et tandis qu’il déposait son porte-documents sur le comptoir de la cuisine, il me demanda :
— Alors cette première nuit ? Tout s’est bien passé ?
— Un peu compliquée. Nouvel environnement, nouvelles habitudes… faut que je trouve mes marques. Et cette pendule… je fais des bonds à chaque fois.
Henry rigola.
— Dans quelques jours vous ne l’entendrez même plus.
Je souris.
— Ceci mis à part, Jérôme ne vous a pas causé de difficultés ?
— Non. Il est redescendu juste après votre départ.
— Vraiment ? Pour vous suggérer de renoncer je suppose.
— Ça y ressemblait...
— Mais…
— J’ai surtout eu l’impression qu’il était aussi anxieux que moi.
— Ah oui ?
— Non. Oubliez ça. En fait, je crois juste que c’est moi qui ait vu ce que je voulais voir.
— Comment cela ?
— Après votre départ, j’ai un peu paniqué et curieusement, j’ai eu le sentiment que Jérôme aussi. Bien sûr, il est venu me provoquer comme le soir de notre rencontre, mais sa voix manquait de conviction et son attitude… je sais pas, il m’a semblé plus maladroit qu’hostile. Et dès que j’ai commencé à lui répondre, il s’est calmé et s’est isolé.
J’avalai une gorgé de café.
— Mais ce matin, il m’a carrément envoyée sur les roses.
— C’est-à-dire ?
— Je l’ai questionné sur l’organisation des tâches ménagères, les produits d’entretien ou… bref toutes ces petites choses, mais il ne m’a même pas laissé engager la conversation. Il a avalé son café d’un trait, sans même s’asseoir et il est monté s’enfermer aussi vite.
Henry soupira.
— Ne vous formalisez pas. D’une manière générale, il a besoin d’un peu de temps pour émerger le matin. Vous ne tirerez pas grand-chose de lui avant qu’il ait bu son café.
— Oh, c’est donc ça. L’ours n’est pas un animal si matinal après tout, plaisantai-je.
— Vous ne croyez pas si bien dire. Mais ce n’est pas tant le caractère matinal du lever qui lui rend le réveil difficile. C’est plus une question de repères.
Henry se servit un café.
— Il lui faut le temps de retrouver précisément ses marques.
— Comment cela ?
— Vous avez déjà pu constater sans doute qu’il est parfois difficile d’avoir les idées claires directement au saut du lit.
J’approuvai d’un hochement de tête.
— Eh bien pour Jérôme, avec son handicap, c’est pire.
— Je vois. Mais il aurait pu me le dire lui-même au lieu de grogner dans son coin.
Je me servis un jus d’orange pour cacher ma mine boudeuse à Henry.
— Après tout, je n’y suis pour rien, ajoutai-je finalement.
— C’est vrai. N’hésitez donc pas à le lui rappeler.
Il consulta sa montre.
— En attendant, j’ai quelques petites choses à régler avec Marilou. Je descends la voir. Envoyez-moi Jérôme quand il sera prêt.
Je fronçai les sourcils mais avant même que je puisse protester, Henry sortait déjà.
Je repensais aux reproches de Jérôme la veille quand il soupçonnait un piège de son oncle. Maintenant je comprenais ce qu’il voulait dire. J’avais certes l’intention de mettre les choses au clair avec mon colocataire, pour autant, je ne m’attendais pas à ce qu’Henry me fournisse si directement et naturellement le prétexte.
Environ une demi-heure plus tard, Jérôme ressortit de sa chambre soigneusement habillé et rasé, comme la veille.
En le voyant si dépenaillé au saut du lit, je n’aurais pas parié une cacahuète sur sa capacité à se préparer convenablement. Henry avait raison. Il se débrouillait parfaitement tout seul.
Cela me soulageait presque autant que cela m’impressionnait. Mais je n’étais pas encore au bout de mes surprises.
Il descendit et s’arrêta sans la moindre hésitation à quelques pas à peine de moi.
— Encore là ? T’as pas quelqu’un d’autre à aller ennuyer ?
Je levai les yeux au ciel, blasée.
Pour autant, sa capacité incroyable à me localiser dans l’appartement m’impressionnait toujours. Je mourrais d’envie de le questionner à ce sujet, mais vu son humeur, c’était peine perdue. Je remballai donc ma curiosité dans un coin de ma tête pour plus tard. J’avalai une gorgée de café tiède, le temps de rendre à ma voix sa tonalité la plus neutre pour lui répondre :
— Non. Pas de chance pour toi, il va falloir supporter mes questions jusqu’à ce que tu me donnes des réponses concrètes.
— Ou bien je pourrais simplement te virer.
— Perdu. Essaie encore. Il faudrait notre accord à tous les trois pour rompre le contrat. C’est écrit noir sur blanc. Tu le saurais si tu l’avais lu.
— Tu te fous de moi ?
— Absolument pas. Si tu ne peux pas lire par toi-même, tu pouvais toujours demander l’aide d’Henry.
— Qu’est-ce qui te dis que je ne l’ai pas fait ?
— Si c’est le cas, ça veut dire que tu sais parfaitement qui peut renvoyer qui, auquel cas, c’est toi qui te paie ma tête en croyant m’intimider.
— Tu m’énerves.
— J’avais cru comprendre, mais va falloir t’y faire si tu n’y mets pas plus de bonne volonté.
Il se décala pour m’éviter et attrapa le trousseau de clefs sur le comptoir de la cuisine.
— Où est Henry ? grommela-t-il.
— Il t’attend en bas. Il avait quelque chose à demander à la concierge.
— Évidemment.
Quelques secondes plus tard, la porte d’entrée claqua. Je relâchai un soupir de soulagement que je n’avais pas conscience d’avoir retenu.
Mon cœur battait à tout rompre. Face à lui, j’avais su me défendre, mais, je réalisai seulement maintenant à quel point j’avais pris sur moi pour ne rien lui céder.
J’espère qu’il va se calmer parce que pour l’instant la tanière de l’ours n’est pas plus confortable que le nid des vipères.
Encore que la tanière de l’ours avait au moins le mérite d’être vide dans la journée.
♪ - ♪ - ♪
Le reste de la journée se passa presque aussi vite que la veille.
Noyée jusqu’au cou dans les formalités administratives, c’est à peine si j’avais levé le nez de mon ordinateur. Je m’octroyai tout de même une pause à midi, le temps d’avaler les restes du dîner préparé par Henry. Je me payai même le luxe d’une petite sieste avant de reprendre l’homérique quête du formulaire introuvable.
Dans les méandres de l’administration française, tapi dans la grotte obscure d’un site gouvernemental carrément pas secret, sommeille une horde de formulaires cerfa aux noms barbares. Ignorant les risques de déconnexion intempestive et les écueils de la saturation du réseau, une aventurière une peu cinglée brave le danger pour déclarer un changement d’adresse de dure lutte opéré. Armée de son esprit acéré, de son clavier azerty et de sa souris antique, elle se fraye un chemin entre les rubriques du menu déroulant, jusqu’à l’antre tant convoité du formulaire !
À tâtons, elle s’approche…
Oui, bon, j’admets, c’est n’importe quoi.
Ceci dit, j’exagère à peine. Si cette petite digression lyrique pourrait en faire sourire certains, les autres savent. Ils connaissent ce sentiment de découragement et de satisfaction mêlé que l’on éprouve en sortant d’une journée de démarches administratives.
Comme beaucoup, cette expérience me laissa vidée de mes forces. Intellectuellement parlant s’entend.
Je décidai donc d’errer au gré du web en attendant mon colocataire. Qui sait, peut-être qu’au détour d’une vidéo à l’humour douteux, je retrouverai un ou deux de mes neurones bien cachés sous des pixels.
Mais, comme il était difficile de se refaire, mon errance se transforma vite en véritable recherche. Une recherche d’emploi.
J’aurais pu lâcher prise et m’accorder quelques jours de répit.
J’aurais même dû lâcher prise, mais j’en étais incapable. Même ici, débarrassée de l’inquisition parentale, je sentais leur pression invisible peser sur mes épaules. J’espérais secrètement qu’avec le temps et l’éloignement, cela s’arrangerait, mais pour l’instant, j’y croyais moyennement.
Alors que je réfléchissais à une énième lettre de motivation, mon regard se perdit dans la contemplation de cette fine pluie d’automne qui tombait au dehors.
Dans la vraie vie.
Là où les vrais gens construisaient des choses invisibles.
Je souris faiblement réalisant enfin qu’au prix de quelques déconvenues, j’avais moi aussi posé la première brique d’une véritable construction de l’invisible celle que l’on nomme sobrement ma vie d’adulte.
Une portière claqua dans la rue. Depuis la fenêtre, j’aperçus la voiture d’Henry.
— Nous y voilà, soupirai-je. Deuxième round.
Pour ne pas qu’ils s’aperçoivent que je les avais guetté depuis la fenêtre, je repris la rédaction de ma lettre de motivation.
Comme la veille, la clochette tintinnabula à leur entrée.
Comme la veille, Henry me salua chaleureusement.
Comme la veille, Jérôme me snoba ouvertement.
En revanche, cette fois, Henry s’éclipsa aussitôt prétendant nous aider à nous familiariser Jérôme et moi.
Et aucune de nos protestations ne l’atteignis.
Je me retrouvai à nouveau seule avec ce grand coton-tige aveugle et hostile.
Un silence tendu s’étira entre nous, jusqu’à ce que, n’y tenant plus, je lui demande timidement :
— Tu as passé une bonne journée ?
Il m’ignora et se servit un verre d’eau. Je le regardai faire en silence, étouffant un commentaire sarcastique quand il s’en renversa la moitié sur les doigts.
J’avais déjà remarqué que l’énervement le rendait maladroit. Pour ma part, c’était son attitude qui m’énervais prodigieusement, mais je ne connaissais pas encore suffisamment son langage corporel pour comprendre s’il me tenait toujours rigueur de notre altercation matinale ou si autre chose le tracassait.
Dans le doute, je repris mes occupations, l’ignorant à mon tour. Il avala son verre d’eau et s’approcha humant l’air avec un froncement de sourcils perplexe :
— Du chocolat chaud ? grommela-t-il.
Je levai le nez de mon écran avec circonspection.
— Pardon ?
— Tu bois encore du chocolat chaud à ton âge ?
— Parfois. Ça m’arrive. Et parfois même, je mange des céréales le matin… et je goûte l’après-midi, comme les enfants.
— Sérieux ?
— Tu devrais essayer. Ça te rendrait peut-être un peu moins ronchon.
Il soupira.
Un long moment il resta planté là à me dévisager. Encore que la formulation soit légèrement inexacte dans la mesure où il ne me voyait pas, mais passons, il attendait clairement quelque chose.
— Et sinon t’avais un truc précis à me dire ou c’était juste pour le plaisir de critiquer mes habitudes ?
— Tu m’énerves.
Oui garçon, c’est l’idée !
Il monta s’enfermer dans sa chambre. Encore. Pourquoi fuyait-il ainsi le conflit ?
Là où Henry était passé maître dans l’art d’éluder les questions qui le dérangeaient, Jérôme s’enfermait dans une forme de fuite plus directe. Au final, le résultat était le même. Je restais avec mes questions.
Bon, pour cette fois, il me fallait bien reconnaître que je l’avais cherché. Mais qu’à cela ne tienne, il apprendrait à me connaître s’il ne voulait pas lui aussi passer de longues soirées à s’engueuler.
Une dizaine de minutes plus tard, il redescendit.
Il s’était changé, adoptant une tenue plus confortable.
Il se planta à nouveau devant moi. Cette fois cependant, il n’attendit pas que je l’asticote pour me livrer le fond de sa pensée.
— Ce matin, tu voulais dire un truc alors va-y déballe, mais dépêche-toi, j’ai pas que ça à faire.
Mes doigts se figèrent au dessus de mon clavier. Je relevai la tête, manquant de le tacler sur sa capacité à voir que j’étais occupée.
Encore qu’à défaut de me voir travailler, il m’avait entendue sans l’ombre d’un doute.
Je soupirai, retirant mes lunettes pour m’inciter à la patience. À quoi bon lui reprocher sa puérilité, si je me comportais de manière aussi immature. Alors j’allais faire un effort.
C’était sans compter sur l’impatience de mon colocataire, qui interpréta mon silence comme une marque d’hostilité.
— Quoi ? Je t’emmerde mais tu n’oses plus dire ce que tu penses au pauvre petit aveugle ? Ça n’avait pas l’air de te déranger pourtant il y a dix minutes.
— Crois-moi garçon, là tout de suite, ça vaut bien mieux que je garde le fond de ma pensée.
— Comme ça tu pourras encore aller te plaindre auprès d’Henry que je ne fais aucun effort de communication !
— Ah oui ? Parce que te comporter comme un crétin arrogant c’est ta conception d’un effort de communication ? J’comprends mieux que t’aies besoin de ton oncle pour t’expliquer ce qu’on doit dire aux autres.
Je me mordis la lèvre.
Je me préparais déjà à une belle explosion de colère, mais comme la veille, il me prit totalement à contre-pied.
Il s’assit sur le canapé et marmonna d’une voix pleine de lassitude :
— Tu peux pas comprendre.
Voilà bien un point sur lequel on est d’accord.
Outre la relation très étroite entre Henry et son neveu, j’avais pu constaté qu’en dépit de ses protestations et de leurs désaccords, Jérôme se rangeait toujours à l’avis de son oncle. Pourquoi se reposait-il à ce point sur lui alors qu'il refusait catégoriquement l'aide des autres ?
J’allais relancer les hostilités quand son expression me frappa. C’était la mine renfrognée d’un homme harassé par sa journée.
Je m’assis du bout des fesses à côté de lui.
— Henry t’as fait la morale à cause de ce que je lui ai dit ce matin ?
Jérôme se passa une main dans les cheveux en soupirant.
— Ouais. Ça ressemblait pas mal à un savon.
— Et toi, adulte majeur et vacciné qui prétends haut et fort n’avoir besoin de personne tu te laisses dicter ta conduite par ton oncle ? Pourquoi ?
— C’est compliqué.
— Les histoires de famille le sont toujours.
— Et toi alors, ta famille, on en parle ?
— Je croyais que tu n’avais pas envie de me connaître davantage. Tu as conscience que te répondre serait une façon de commencer à créer du lien entre nous.
— C’est inévitable il semblerait.
J’ouvris des yeux ronds comme des soucoupes.
Non, mais je rêve. Juste comme ça… ce matin tu ne voulais rien savoir et maintenant tu veux qu’on s’échange nos petites misères comme des copines de la vie ?
J’inspirai longuement pour débarrasser ma voix de toute trace d’ironie avant d’oser lui répondre.
— Disons que mes histoires de famille sont aussi compliquées.
Je retournai à la cuisine et j’ajoutai dans un murmure.
— Et je ne suis pas prête à en parler à un inconnu.
Il fit mine de ne rien entendre.
Mais je savais bien que c’était un mensonge.
Il entendait tout. Il eut cependant la délicatesse de ne pas insister. Un bon point pour lui.
À la place, il soupira, laissant lourdement retomber sa tête contre sa main. Un geste trahissant sa lassitude. Sa fatigue aussi.
— Et donc, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu me voulais ce matin avec tant d’insistance, me rappela-t-il.
Je souris.
Il a de la suite dans les idées, c’est bien.
Même s’il m’énervait beaucoup, j’appréciai qu’il ose me parler franchement plutôt que de s’enfermer dans l’hypocrisie sociale dont le reste du monde me gratifiait.
Rien que pour cela, je décidai d’arrondir les angles avec lui.
— Je ne cherche pas à me montrer trop curieuse ou intrusive, mais j’ai besoin que tu répondes à mes questions. Celles qui concernent la vie courante du moins.
— C’est-à-dire ?
— Qu’est-ce que tu attends exactement de moi au quotidien ?
Un long silence suivi durant lequel j’hésitai à savoir s’il choisissait soigneusement ses mots pour relancer la guerre, ou s’il prenait le temps de se calmer pour être plus sociable.
— Ne laisse rien traîner dans l’appart, maugréa-t-il finalement. Vêtements, clefs, ustensiles, tout doit être rangé et surtout ce que je ne connais pas. Tes affaires en somme. Ne les range jamais ailleurs qu’à leur place attitrée.
— C’est noté.
— Pour la lessive, tout doit toujours être rangé scrupuleusement au même endroit et plié à l’identique pour que je puisse m’y repérer.
— Dans le même sens, d’accord.
— Pour le ménage, je m’en fiche. Tant que ça reste propre, organise-toi comme tu veux. Par contre, veille à bien respecter l’usage de chaque produit et évite de changer de marque de nettoyant ou préviens-moi si tu n’as pas le choix.
Je le dévisageai, déjà prête à attribuer cette curieuse exigence à une psychorigidité exacerbée quand il ajouta comme s’il devinait ma pensée :
— J’ai mes repères dans les produits d’entretien et certaines odeurs m’incommodent et me filent la migraine, surtout celles des détergents chimiques à la javel. J’apprécierai de m’épargner ça.
— D’accord. Par contre, si jamais vous utilisez des produits spécifiques ou qu’on ne trouve pas dans n’importe quelle grande surface, il faudra me prévenir que je m’en inquiète pas quand le flacon est vide.
— Pour ça, il vaut mieux que tu demandes directement à Henry. Je ne suis pas certain de l’endroit il fait les courses d’ordinaire.
— Bien. Et pour ta chambre et ton bureau ?
— Pour l’instant, ce n’est pas ton problème. C’est Henry qui s’en occupera.
— Pourquoi ? Tu ne me fais pas confiance ? le taquinai-je.
— Non.
Je ricanai nerveusement.
— Au moins, ça a le mérite d’être clair. C’est pour ça que tu fermes ton bureau à clef ?
— T’as tout compris.
— Pas grave. Je trouverai bien une autre manière d’occuper ce temps que je ne passerai pas à astiquer tes bibelots.
Il secoua la tête avec un rictus que j’interprétais comme un sourire timide.
— D’ailleurs, à ce propos, est-ce que tu verrais une objection à ce que je rajoute quelques tableaux aux murs, et un peu de lumières. Genre des plafonniers tout ça… Je me doute que ça ne te serviras pas à grand-chose, mais…
— Fais comme tu veux, tant que tu me préviens du moindre petit changement que tu opères.
— Parfait. Dans ce cas, je listerai tout soigneusement et on verra ensemble ce week-end.
Tandis que j’entreprenais de préparer le dîner dans un semblant d’indifférence, il s’avachit plus profondément dans le canapé.
— Oh encore une chose, ajouta-t-il sans même se tourner vers moi. Évite de me bombarder avec tes questions dès le réveil.
Je souris.
— Oh, tu n’es pas du matin, j’avais pas remarqué.
— Je compense mon handicap par le biais de mes quatre autres sens. Ça te sembles peut-être facile, mais ça demande beaucoup de concentration. Alors imagine-toi un peu le matin, si on te demandait d’être complètement concentré et opérationnel directement au saut du lit, avant même que tes neurones se soient réveillés.
— J’imagine bien ! Y a certains jours où même en plein milieu de la journée, mes neurones refusent de sortir du lit, alors au réveil… ce serait foutrement compliqué.
— Eh ben pour moi c’est comme ça tous les matins, alors tes questions…
— C’est bon, j’ai compris. Dans ce cas, j’accepte de te foutre la paix le matin, mais à une condition.
Il tourna son visage vers moi, une expression contrariée sur les traits.
— Quand j’ai des questions, tu me réponds sans faire de manières.
— N’espère pas que je vais satisfaire toute l’étendue de ta curiosité personnelle sous prétexte de ne pas t’entendre le matin.
— Je ne te parle pas de curiosité mal placée, bourrique. Je te parle de l’intendance au quotidien.
— Je croyais t’avoir déjà répondu sur le sujet.
— Pour l’instant, mais il est inévitable que d’autres questions surviennent au fur et à mesure des jours.
— Soit. On dîne à quelle heure ?
— 20h30 si ça va pour toi.
— Aucune objection.
— Tant mieux. Un souhait particulier pour le repas ?
— Peu importe. Je suis pas difficile.
Il se redressa et ajouta :
— Sur ce, j’ai encore du travail. Je redescendrai tout à l’heure.
— Très bien.
Je le regardai monter avec un petit sourire.
Ce soupçon de prévenance que j’avais entraperçu hier était revenu.
Décidément, quel garçon maladroit.
Dans ses propos bien plus que dans ses gestes.
Ce matin, je l’avais soupçonné de ne pas faire d’efforts, ce soir, je comprenais qu’il n’exagérait rien.
Les odeurs, les objets, les bruits, ma présence, je bouleversais absolument tous ses repères et sans mesurer combien c’était déstabilisant et anxiogène pour lui.
Finalement, ce que j’appelais mauvaise volonté, n’était que du stress.
Dans ces conditions, il était inévitable que nos relations s’améliorent.
Surtout si Henry lui fait la leçon tous les matins.
Encore un super chapitre ! J'ai été vraiment émue par certains échanges.
Et cette petite phrase, là : "Je me relevai, ragaillardie par cette confrontation naissante." ; à la fois, c'est ce qui permet à ta narratrice de se rapprocher de son coloc, mais c'est aussi la preuve qu'elle ne sait pas échanger autrement. J'ai trouvé ça subtil, triste, juste. Heureusement, le rapprochement entre tes deux persos m'ont ramené le sourire ! Beaucoup de répliques m'ont bien fait rire. Et puis je les trouve mignons, à s'envoyer des piques auxquelles ils croient qu'à moitié, à les rendre plus douces avec des petits mots sympas...
Bref, très plaisant. Ton texte est un petit bonbon !
Contente de voir que tu es toujours fidèle au poste.
Et mwhooooo, je sais pas trop quoi dire de plus constructif. Je crois que tu as trouvé le mot juste un petit bonbon arlequin, parfois acide mais aussi tout doux. C'est vraiment comme ça que j'ai écrit l'histoire et les dialogues entre Sacha et Jérôme... je me suis vraiment éclatée à les imaginer. Du coup, c'est d'autant plus cool s'ils font mouche.
A peluche