Pauline et Henry
Pauline se réveille chaque matin face à la mer. Un bleu infini, scintillant sous le soleil. Depuis le haut de la colline, elle imagine qu’elle plonge, qu’elle sent la douceur, la fraîcheur, l’étreinte apaisante de cet océan.
Elle adore regarder la mer. C’est son moment à elle. Le monde s’efface, le silence l’enveloppe. Une connexion instantanée se crée, un échange intime avec la nature. À cet instant, tout disparaît. Plus rien n’existe que ce bleu profond. Plus de bruit, plus de pensée. Une paix s’installe en elle, un apaisement qui lui donne la force d’avancer. De continuer.
Aujourd’hui, Pauline se sent chanceuse. Elle mène une vie aisée. Un mari gentil avec qui elle a eu deux enfants, Henry et Justine. Elle a fait ce qu’on attendait d’elle : être une maman présente, attentive, soucieuse d’élever ses enfants avec amour et rigueur.
Elle n’attend personne aujourd’hui. Elle prépare son café, profitant de la tranquillité de la matinée. Mais soudain, une visite inattendue. Henry est là, devant le portail de la maison. Il a l’air abattu, fatigué. Ses yeux sont rougis. En le voyant, Pauline sent un frisson parcourir son corps. Une angoisse sourde monte en elle. Pourquoi est-il ici ? Pourquoi aujourd’hui ?
Henry reste silencieux, comme s’il cherchait ses mots. Finalement, il se décide à parler.
« Maman, il faut que je comprenne pourquoi… pourquoi ma vie s’écroule. »
Sa voix est brisée, presque inaudible. Il dépose tout devant elle. Sa vie avec Alix. Sa violence. Sa thérapie. L’inévitable divorce qui approche. Pauline sent le sol vaciller sous ses pieds.
Henry est perdu. Il ne comprend pas. Pourquoi cette anxiété qui l’envahit depuis la grossesse d’Alix ? Pourquoi cette rage qui le dévore à l’intérieur, qui détruit tout sur son passage ? Qu’est-ce qu’il n’a pas vu, qu’est-ce qu’il n’a pas compris ?
« Il faut que tu m’aides », murmure-t-il. « La psychologue m’a dit… que la clé se trouve peut-être dans ma famille, dans mes aïeux. »
Pauline sent une lourdeur l’envahir. Le poids des secrets. Henry ne sait rien. Depuis toujours, elle a évité le sujet. Elle n’a jamais parlé de ses parents, jamais évoqué cette enfance enterrée dans les méandres du passé. Il n’y a pas de photos sur les murs, pas de souvenirs exposés. Juste un album rangé au fond d’un tiroir, que Henry avait découvert à 12 ans. Mais à 12 ans, on ne comprend pas ces silences, ces non-dits.
« Toutes les familles sont les mêmes », s'était-il dit alors. Leur vie paraissait si normale. Les conversations à table se limitaient au football, à l’actualité, aux prochaines vacances. Rien de plus. Parce qu'il n'y avait rien à dire. Du moins, c'est ce qu'il croyait.
Aujourd’hui, à 35 ans, Henry a enfin compris que ces silences cachaient quelque chose. Il redoute le pire. Des idées terribles le traversent. Avait-il été violenté enfant, sans s’en souvenir ? Son père avait-il été violent envers sa mère, à son insu ? Ou bien était-ce sa mère qui dissimulait une autre vérité ?
D’où venait cette violence en lui ? Cette rage incontrôlable qui le dévorait et détruisait sa vie ?
« Il faut que tu m’aides, maman… », murmure-t-il à nouveau, suppliant.
Pauline est tétanisée. C’est le moment. Le moment de tout dire. De tout vomir. Elle sent ses forces l’abandonner. Elle voudrait fuir, se réfugier dans ce silence qu’elle a si longtemps protégé. Mais pas aujourd’hui. Pas comme ça.
« Chez la psy, alors, maman ? Elle me l’a proposé. »
Pauline ferme les yeux un instant. L’idée la terrifie, mais elle sait qu’elle ne peut plus fuir. Il faut que la vérité éclate.
« Oui, chez la psy. Mais tout le monde doit être là. »
Henry la regarde, confus. « Qui, tout le monde ? »
Elle inspire profondément avant de répondre.
« Toi, Alix, Justine, Nina… et Jules. Jules sait tout. »