Lucie et Edmond suivirent l’homme dans les escaliers très étroits qui montaient jusqu’au premier étage, entre les murs en pierres blanches typiques de la ville de Caen, donnant à l’immeuble un côté très médiéval, et rafraichissant. Ils passèrent un petit couloir bas de plafond et se retrouvèrent devant une vieille porte en bois laqué, petite (pour un homme de taille moyenne), sur laquelle était inscrit en lettre d’or le chiffre 3.
— Voilà, c’est ici ! déclara l’homme avec un enthousiasme communicatif.
Il tourna la grosse clé en fer et ouvrit la porte non sans difficulté ; invitant Lucie et Edmond à rentrer, il les suivit en refermant la porte.
L’entrée de l’appartement était un petit couloir étroit, qui donnait sur la pièce principale ; une salle grande, carrée et très lumineuse ; une large fenêtre sans montant donnait sur la rue ; les murs étaient aussi de pierre, habillés de quelques tableaux et tentures ; le mobilier était simple et classique, mais beau, fait de bois brut, sur lesquels étaient disposés des babioles et des plantes grasses. Lucie s’y sentait déjà comme chez elle ; Edmond était plus réfléchi, bien qu’il soit lui aussi enthousiaste.
Edmond pouvait rendre sa chambre étudiante dans le courant du mois suivant, alors ils s’étaient mit tous les deux à la recherche d’un appartement pour s’y installer. Un liste d’une demi-douzaine en était ressortie, mais celui-ci était le choix préféré de Lucie ; se situant au dessus du Vaugueux, un quartier assez chic où se concentraient une pléthore de restaurant, l’appartement n’était pas très loin du lieu de travail de Lucie et de l’université, ce qui était déjà un gros avantage.
L’homme continua la visite de l’appartement :
— Ici, vous êtes dans le salon ; toute l’électricité et l’isolation ont été refaites ; à gauche, vous avez la chambre et la salle de bain.
L’appartement avait été restauré avec soin. La cuisine était ouverte sur la salle, séparée par l’intermédiaire d’un petit comptoir, faisant office de bar. La chambre était assez spacieuse, et la salle de bain aussi, surtout comparé à celle toute riquiqui de la chambre étudiante. La douche à l’italienne neuve stimulait un tantinet l’esprit de Lucie. S’y sentant déjà comme chez elle, son excitation était remarquable au seul timbre de sa voix plus aigu que d’habitude. Tous les luminaires étaient neufs, dans un style année trente que les deux amoureux aimaient ; sur le rebord de fenêtre, quelques plantes vertes appartenant à la locataire actuelle donnait un avant goût des décorations possibles, de bonnes idées qui subjugueraient le salon. Lucie avait un air béat, épanoui. Edmond aussi était heureux, mais plus par l’énorme sourire qu’affichait Lucie que par l’appartement en lui-même. Lui se sentait tout de même bien dans son placard à balais. Question d’habitude.
Le propriétaire, un homme trapu et enjoué, comprit rapidement au regard de l’engouement de Lucie que le couple allez prendre l’appartement. Après une brève discussion sur les modalités, il partit chercher les documents dans sa voiture, laissant Lucie et Edmond seuls quelques instants.
— Youhou ! C’est génial ! Cet appartement est génial !
Lucie sautillait dans la salle, dansant comme une hurluberlue.
— Là on pourrait mettre des ficus, et puis là une photo de nous deux. Ici on fait le coin télé et…
Edmond n’écoutait pas.
— Là sur le canapé je recevrais mes amants, on fera l’amour toute la journée pendant que tu seras parti. Qu’est ce que tu en penses ?
— Euh… oui, oui, c’est très bien comme ça !
Lucie haussa un sourcil. Il ne l’écoutait pas du tout en fait. Elle fit quelques pas pour savoir ce qui retenait son attention. Edmond était penché sur son smartphone, dont il recevait des notifications constantes.
— Tu ne m’écoutes pas en fait chaton, dit-elle sur un ton de reproche.
— Quoi je … non. Oui ? Oui l’appartement est bien, balbutia-t-il.
— Et mes amants ?
— Quoi tes amants ?... Je… désolé.
Elle soupira et se colla à lui.
— Qu’est ce que tu regardes de si important ? demanda-t-elle avec curiosité.
— C’est… les vidéos de nos exploits, finit par dire Edmond. Ça n’arrête pas d’être vu c’est… insensé.
Lucie observa longuement Edmond, puis elle se plaça en face de lui, mit ses mains sur ses hanches et lui dit de manière théâtrale.
— Oh mon Edmond, vous êtes si bon ! Vous êtes un héros ! Demandez-moi ma main ! Faites moi des bébés, vite, je me languis trop de votre amour, vous êtes mon dieu, notre sauveur à tous !
Puis elle fit semblant d’avoir un malaise, et tomba dans ses bras. Il la rattrapa et rigola à sa raillerie.
— Seriez-vous en train de vous moquer de moi ma douce ?
— Non, si peu ! s’exclama Lucie en rigolant.
Il lâcha son téléphone et tenta de l’embrasser. Elle se détourna au dernier instant avec un sourire malicieux.
— Tu vas voir, dit Edmond plein de confiance, si je t’attrape.
— Tu seras épuisé bien avant moi, dit-elle d’un ton taquin.
Il rigola, et pinça une fesse de sa partenaire. Elle se retourna enfin et l’embrassa amoureusement.
— Je n’aurai pas dû me détourner de votre attention. Je vous demande pardon ; je vous aime, ma douce, dit-il en murmurant
— Pas autant que moi, répondit-elle. Alors on le prend ?
— Oui on le prend.
Le propriétaire revint au bout de quelques secondes, et ils signèrent les papiers. D’ici un mois, cet appartement allait devenir leur nouveau chez eux.
Lucie quitta Edmond qui se dirigeait vers l’université, pour aller chercher Samantha au hangar. Aujourd’hui, c’était son jour à elle ; aujourd’hui, elle et les filles l’intégraient définitivement dans le monde moderne. Elle emprunta la voiture de son homme, et s’en alla en direction du port pour y cueillir la femme chevalier.
Quand elle toqua à la porte du hangar, personne ne répondit. La porte s’ouvrit dans son grincement caractéristique.
— Sam ? Samantha ?
Pas de réponse.
Elle fit quelques pas à l’intérieur. Il faisait froid. Pas froid en température, froid en ambiance, l’obligeant à s’entourer les épaules de ses bras, encerclée par l’aspect lugubre des lieux.
— Samantha… ?
Pas de réponse.
A pas feutrés (et avec une petite terreur qui lui montait à la gorge), Lucie se dirigea vers le dortoir. Elle entra dans la pièce vide et triste, dépourvue de photo, de livre, de plante. Samantha sembla remarquer seulement sa présence. Elle était assise sur son lit, ses yeux rubis fixant le mur d’en face, les jambes repliées contre son corps ; pensive, son expression était perdue.
— Bonjour Sam, dit Lucie avec une petite voix.
— Bonjour Lucie, répondit fébrilement Sam, sans retirer ses yeux du mur.
Lucie posa sa veste sur le porte-manteau, et vint s’assoir à côté d’elle sur le lit. Elle paraissait bien petite à coté de Samantha. Elle commença à frotter maternellement le mollet de la jeune femme aux cheveux corbeau.
— Quelque chose te tracasse Sam ?
Sam ne répondit pas tout de suite, elle semblait obnubilée par le mur en face d’elle. Lucie attendait, patiemment, observant cette jeune fille revenue d’un autre temps qui pourtant, avait l’air d’avoir le même âge qu’elle. Edmond lui avait beaucoup appris sur la manière de détendre un angoissé ; elle était le parfait exemple que ça fonctionnait. Le visage porcelaine de Sam semblait triste. Les quelques taches de rousseurs qu’elle avait sur le nez ressortaient comme une constellation blanche. Elle ne s’était pas coiffée, et bien que ses cheveux soient un peu en bataille, ils demeuraient globalement lisses et drus. Lucie l’observa attentivement. Oui, Samantha était grande, mais elle avait un charme certain. Sa bouche était pulpeuse. Ces petites oreilles décollées étaient d’une mignonnerie absolues. Elle l’admira avec un large sourire, qui sembla réveiller Samantha, qui, machinalement, posa sa tête contre son épaule. C’était la première fois qu’elle était aussi proche et Lucie s’en sentit à la fois fière, et à la fois paniquée. Samantha, toujours la tête sur son épaule, lui avoua avec une timidité enfantine :
— Lucie j’ai… J’ai peur de ne pas pouvoir m’adapter à votre monde.
Lucie approcha délicatement sa main de ses cheveux, les frôla, et voyant que la réaction de Samantha semblait positive, commença à les brosser avec ses doigts.
Comment fait-elle pour avoir des cheveux aussi doux ?
— Pourquoi dis-tu cela Sam ? demanda-t-elle maternellement.
Sam déglutit, perdue dans ses pensées, puis reprit :
— Je ne sais pas je… dès que je sors dehors, je me sens mal à l’aise, pas à ma place. Je suis différente. Pas seulement au vu de mon âge. Mais… physiquement.
Oh. Nous en sommes donc déjà là.
Le visage de Sam était déconfit, abattu.
Lucie laissa un peu le temps en suspens, réfléchissant, puis se tourna avec des yeux plein d’amour vers Sam.
— Ma petite Sam, tu connais le livre les ailes noires ?
Samantha la regarda hébétée.
— Bah non je suis bête, bien sur que tu ne connais pas, se reprit Lucie. C’est un livre sur une ange. Une ange aux ailes noires. Elle est à part de sa « tribu », une anomalie, et ne semble pas avoir sa place dans son monde. C’est pourtant elle qui le sauvera, avec d’autres personnes qui sont tout autant en marge qu’elle.
Lucie prit ses aises, étendant ses jambes sur le lit.
— Je lis son histoire depuis que je suis ado. Je lisais un peu en cachette d’ailleurs, pour ne pas que mes « copines » me critiquent. Ce livre… C’est ma madeleine de Proust (Samantha leva un sourcil interrogateur). Parfois, quand j’étais dans la rue, je rentrais dans une librairie et je lisais le livre. Cela me permettait d’oublier ma détresse. C’est la première chose que j’ai acheté avec ma première paie. Je vais te le prêter. Tu aimerais ?
Samantha fit oui de la tête.
Lucie la prit dans ses petits bras, presque trop court pour les épaules du chevalier, et Samantha apprécia cette effusion d’amour fraternel.
— Il va te falloir un temps d’adaptation, c’est sûr, lui dit-elle maternellement. Les quelques semaines après ta sortie de l’armure ont été mouvementées pour tout le monde. Mais maintenant, aujourd’hui, on va pouvoir s’occuper de toi, et t’aider à t’adapter. On a prévu la journée pour cela.
Sam lui sourit d’un sourire sincère, mais ses lèvres se pincèrent tout de même. Quelque chose en elle était bloquée.
— Tu veux me dire autre chose Sam ? demanda alors Lucie.
Sam mit encore un certain temps à répondre. Son regard se posa sur le mur, puis dans les yeux verts de Lucie, et enfin entre ses jambes.
— La dernière sortie, chez le médecin… Cela ne s’est pas bien passé et je…
Rose en avait vaguement parlé à Lucie. D’où les précautions qu’elle prenait.
— Tu as peur du regard des autres, et de ressortir. Samantha, je suis sûrement la mieux placée pour te comprendre. J’ai vécu dans l’enfer de la rue, sous le regard de gens qui te méprise, et c’est un calvaire.
Les yeux de Sam s’illuminèrent drôlement, les faisant ressembler au cratère d’un volcan en ébullition.
— Alors… toi aussi ils t’ont qualifié de gothique ? demanda Sam.
— De goth… Non ! lui répondit Lucie, qui en voyant les yeux de Sam s’éteindre, s’empressa de rajouter :
— On m’a traité de bien pire que ça. Bien pire. J’en ai bavé, crois moi Sam.
Voyant que Sam était toujours entre deux eaux, Lucie la força à se lever :
— Allez, debout, on va faire de toi une femme moderne aujourd’hui ! Debout !
Et toujours avec son enthousiasme, Lucie tira le bras de Samantha pour l’emmener vers la salle de bain, ce qui fit rire Samantha et améliora son humeur.
Elle enfila son jean et son pull over noir. Lucie remarqua à son tour que son physique tout en courbe était trop engoncé dans ces vêtements. Il était grand temps de lui en trouvé à sa morphologie.
Sur le périphérique, un soleil haut amenait les premières grosses chaleurs du printemps, les obligeant à rouler carreaux ouverts. Rose et Sophie les attendaient sur le parking du centre commercial, Rose toujours en jean et débardeur, Sophie rayonnante d’élégance dans une combinaison à fleurs aux teintes bleu lagon et orange, ses cheveux cuivres s’harmonisant parfaitement avec la tenue. Samantha ne put qu’être impressionnée par la délicatesse de l’ensemble, contrastant avec les grands espaces bétonnés qui l’entourait d’un décor gris. Le monde avait-il changé à ce point ? Même l’air était différent. Il était presque agressif. Où étaient passés les champs et la nature ? Les vergers, les rivières, les chemins boueux ? Elle n’eut pas le temps d’y songer que déjà les filles la poussaient dans la porte la plus proche.
Le premier magasin était une grande enseigne où les vêtements étaient à bas prix, parfait pour débuter une garde robe. Lucie accrocha le bras de Sam, et elles et Sophie commencèrent à aller dans les rayons, accourant dès qu’elles voyaient un article intéressant. Sam les écoutait, commençant à y ressentir un certain plaisir ; la façon dont les vêtements étaient entreposés, la quantité et la différence de tous les vêtements. Et les couleurs ! Il y en avait tant ! D’où provenait ce sentiment d’allégresse, d’accomplissement ?
Rose restait un peu en arrière, et tel un garde fou, calmait les ardeurs des autres, pour une question de budget, mais pas que : les premiers vêtements modernes de Samantha devaient être simples.
Après vingt minutes où Lucie et Sophie cherchèrent le tissu comme des pies cherchant ce qui brille, elles avaient accumulé dans leurs bras trois chemises et trois pulls, quatre t-shirt, deux pantalons, dix paires de chaussettes. Ne manquait plus que des sous vêtements.
Dilemme cornélien.
La cabine qu’elles choisirent était la plus isolée, au fin fond du couloir des cabines d’essayages, où elles se retrouvèrent seules. Lucie encouragea Samantha à essayer ses vêtements et à leurs montrer, jeu auquel elle se prit rapidement. Les pulls étaient bien. Les chemises ? Parfaites. Les t-shirt ? Deux sur quatre, c’était déjà ça.
De plus en plus à l’aise devant ses nouvelles amies, Samantha n’hésitait plus à ouvrir le rideau et à se tourner sur elle-même pour pavaner, sous l’engouement de ses partenaires.
Elle ouvrit une nouvelle fois le rideau après quelques minutes d’hésitation, pétrifiant sur le coup Rose et Sophie qui devinrent écarlates.
— On va… commença Rose.
— On a… dit en même temps Sophie.
— On a … quelque chose à acheter Sophie hein ? dit Rose en essayant de cacher ses rougeurs.
— Oui, oui c’est ça… de la crème hydratante ! répondit Sophie plus rouge que la lave d’un volcan.
Elles s’éclipsèrent à une allure impressionnante, provoquant presque un nuage de poussière sur leur passage, laissant Lucie et Samantha pantoises. Lucie rentra alors dans la cabine avec Sam, et ferma rapidement le rideau derrière elle.
— Qu’est ce qu’elles ont ? demanda Sam inquiète.
Lucie posa ses yeux sur le buste de Samantha.
— Elles ont... été impressionnées, je pense, lui répondit maternellement Lucie en observant l’étiquette du soutien-gorge que Sam était en train d’essayer.
Elle écarquilla les yeux. Neuf zéro Echo. Mes aïeux !
— Impressionnée ?
— Oui… Tu es… comment dire ? Lucie joua avec l’étiquette.
« Disons que tu ne laisses pas indifférent ceux et celles qui aiment les femmes. Et je crois qu’elles ont eu un petit choc.
Samantha la regarda circonspecte, s’observant elle-même.
— Je ne comprends toujours pas.
Lucie soupira. Bon dieu elle se sentit comme une mère.
— Tu… tu comprends que Rose et Sophie sont ensembles ? Elles s’aiment ?
— Oui, comme des sœurs ?
— Un petit peu plus que ça. Comme… comme moi et Edmond.
L’œil de Samantha étincela, et un sourire de compréhension illumina son visage.
— Oh, c’était donc ça, répondit-elle d’un air candide. Alors… alors je leur plais ?
— Je pense qu’on peut dire ça, Samantha. Tu es très jolie.
Elle se regarda dans le miroir. Elle était bien portante. A son époque, c’était la seule chose qui importait. A son époque.
— Mais pourtant, dit Samantha d’une petite voix, je ne suis pas fluette comme vous.
Lucie observa son corps et le sien dans le reflet du miroir. Elle se projeta nue à côté de Samantha.
— Non ma petite Sam, en effet.
Samantha avait des cuisses puissantes, des bras musclés, des hanches courbées et un fessier callipyge. Son ventre avait une fine couche de tissu adipeux et en haut… eh bien.
— Je pense que c’est tout ce qui fait ta beauté, lui dit Lucie en observant leur reflet à elles deux dans le miroir, tout en contraste. La petite blonde et la grande brune.
« Tu sais, la beauté peut prendre des formes bien différentes.
— Tu es belle toi aussi.
— C’est exactement ce que je viens de dire, lui sourit Lucie.
Elle regarda le buste de Samantha, de façon studieuse, et désormais avec beaucoup moins de gêne. Continuant dans son rôle maternel, elle lui régla les bretelles et l’ajustement de la hauteur.
— Tu les as tous essayé? demanda Lucie en contemplant leurs reflets à elle-deux.
— Oui, et c’est dans celui-ci que j’ai le plus mes aises. C’est ce qui importe non ?
— Oui Sam, c’est ce qui importe, répondit Lucie avec un sourire sincère. Tu te sens comment ?
Samantha s’observa, pour la première fois en se reconnaissant.
— Belle. Et confortable.
— Alors c’est tout bon. On va en prendre d’autre comme celui-là.
— Ce… ce seront mes vêtements ? demanda Sam d’une petite voix fébrile.
— Oui Sam, ce seront tes vêtements.
Sam jubila. Un premier pas vers le monde moderne. Rien que cela fit naitre quelque chose en elle, un espoir. Dehors, Rose et Sophie les attendaient, ayant retrouvé un éclat de peau normal.
— C’est bon ! s’exclama Lucie avec réjouissance en montrant les sacs pleins. Prochaine étape ?
— Il faut des produits pour l’hygiène, et peut-être passer par les produits de beauté ? Pour lui montrer ? demanda Sophie. Et enfin des vêtements de sport adaptés.
— Oui, et on sera déjà pas mal, répondit Rose.
Samantha, elle, souriait toujours. Cette journée s’annonçait belle finalement. Rien que ce soleil rayonnant qui chauffait sa peau blanche…
Elle plana. Un court instant, elle apprécia si soudainement le moment qu’elle en lâcha prise, le nez vers les nuages, les yeux fermés. Ses deux paquets au bout des bras, elle n’en ressentait même pas le poids. Elle était… bien.
— Hey madame.
Samantha ouvrit les yeux, et se retrouva nez à nez avec un garçon qui avait vraiment une drôle d’allure ; il portait une sorte de chapeau avec une visière, et on aurait dit que son pantalon était en train de tomber.
— Je vous ai trouvé charmante, et je me disais que vous pourriez me donner votre numéro ?
Samantha resta stoïque.
Que me veut cet homme ? Que dit-il ?
Elle ouvrit la bouche mais aucun mot ne sortit.
— J’t’assure avec votre élégance et votre prestance naturelle, je me disais que vous iriez bien avec un beau-gosse comme moi, et j’aimerai bien boire un verre avec vous.
Cet homme parlait-il un dialecte d’une ethnie inconnue ? Que fallait-il lui répondre ?
Le silence devint malaisant, et l’homme qui attendait toujours une réponse, commença à s’énerver.
— Tu peux répondre au moins là l’émo ! T’es mongole où quoi ? C’est pas la peine de mettre des vêtements moulant si tu veux pas qu’on vienne te parler !
Rose remarqua rapidement l’absence de Samantha, la retrouvant quelques mètres en arrière en face du beau-gosse à la casquette.
Oh non ça recommence.
Ni une ni deux, elle courra la rejoindre, s’immisçant entre les deux. Elle se tourna vers l’homme et déclara d’un ton sec :
— Elle n’est pas intéressée désolée.
— Qu’est ce que tu viens parler à sa place toi ? Elle est grande elle peut répondre toute seule.
Samantha ne disait rien, toujours ébahie.
— Parce qu’elle n’est pas intéressée par les garçons dans ton genre.
— Alors pourquoi elle s’habille comme une…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Rose, qui n’avait pas envie d’argumenter, lui fit une clé de bras, mettant l’homme à genoux. Il poussa un cri de douleur qui interpella les gens autours. Rose se pencha à son oreille et lui murmura.
— Elle n’est pas intéressée alors casse toi. Sinon je te fais la même chose avec tes testicules.
Rose relâcha le bras de l’homme et le repoussa avec son pied ; l’homme ne demanda pas son reste et partit en courant et en pleurnichant. Lucie et Sophie les rejoignirent à ce moment là. Samantha ne bougeait toujours pas. Rose se retourna alors vers elle et posa sa main sur son bras :
— Il ne faut pas que tu ais peur de ce genre de type, et surtout, ne te laisse pas faire, lui expliqua Rose sur un ton professorale. Les garçons se permettent tout, comme à ton époque. Ne te laisse pas marcher dessus.
Samantha ne semblait pas tomber dans la panique, mais avait tout de même un regard interrogateur.
— Rose à raison, continua Lucie. Ne te laisse pas marcher sur les pieds. Si quelqu’un te gêne, montre-le clairement.
— D’acc… d’accord, répondit Samantha.
— Il ne t’a pas trop fait peur ? Ça va ? demanda Rose.
— Ça va, je crois… Je ne comprenais pas ce qu’il voulait, avoua Samantha.
— Bon, alors, continuons.
Samantha hocha la tête. Elles se dirigèrent vers la galerie marchande, et Rose se stoppa avant de passer la porte coulissante, regardant son portable.
— Mince ! François est malade et je dois le remplacer pour son cours ! Bon, bah je dois filer ! Chaton tu me prêtes ta voiture ?
Sophie lui lança les clés.
— Pas de folie avec mon pot de yaourt !
Rose baissa la tête en un geste qui signifiait « oui maitresse ».
Le groupe restant de trois filles se dirigea directement dans un magasin de cosmétique : celui où Sophie avait ses habitudes. D’ailleurs, lorsqu’elles firent un pas dans le magasin, Sophie se fit tout de suite alpaguer par une jolie vendeuse blonde à l’air ingénue :
— Bonjour Sophie ! Tu as besoin de quelque chose ?
— Oh ! Bonjour Eponine ! répondit Sophie avec un geste distingué de la main. Moi non, mais mon amie que voici (Sophie désigna Samantha du doigt, dont les joues s’empourprèrent délicatement), aurait besoin de conseils pour le maquillage et le soin.
Eponine s’approcha de très près et la scruta, se mettant sur la pointe des pieds pour atteindre le visage de Samantha ; elle regarda sa peau blanche et fine, ses cheveux noirs et lisses, puis ses yeux, sur lesquels elle s’arrêta plus longuement.
— Vos yeux sont… magnifiques. Je n’en avais jamais vu des comme cela. Ce sont des lentilles ?
— Merci… balbutia Samantha. J’ai le… syndrome d’Andrinople.
La vendeuse resta plongée au fond de ses yeux, puis secoua la tête et pria Samantha de s’assoir près d’un comptoir à maquillage. Eponine fouilla dans un des tiroirs du meuble, en ressortit un rouge à lèvre et de l’eyeliner. Elle regarda droit dans les yeux Samantha.
— Ta peau blanche est trop parfaite pour qu’on la cache sous une couche de poudre. Peut-être que cela se voit quand tu rougis, mais pour moi, cacher cette peau de porcelaine serait un délit !
Cela fit encore plus rougir Samantha, confirmant les dires d’Eponine.
— Par contre… continua cette dernière.
Elle attrapa le rouge à lèvre et l’ouvrit. La couleur était intense, proche du rubis des yeux de Samantha, aussi chaude qu’un feu. Le nom de la couleur était équivoque : rouge feu.
— Je suis simplement curieuse, reprit Eponine en levant le rouge à lèvre. Je peux ?
Samantha se retourna vers Lucie, demandant de ses yeux ce qu’elle devait faire. Lucie chuchota à son oreille et alors Samantha tendit ses lèvres en avant. La jeune femme blonde effleura délicatement sa bouche avec le rouge, provoquant quelques chatouillis sur son faciès. Eponine prit du recul pour observer le résultat et en parut pleinement satisfaite. Elle ne s’arrêta pas là et se saisit de l’eyeliner, appliquant de fins traits autour des yeux de Samantha. Elle se recula une nouvelle fois, haussa des sourcils satisfaits et tendit un large sourire aux lèvres roses.
— Là, je peux difficilement faire mieux.
Elle tendit un miroir à Samantha, qui découvrit son reflet en même temps que Lucie et Sophie, qui en firent tomber leurs mâchoires.
— Tu es… époustouflante, Samantha, s’exclama Sophie.
Ce compliment lui alla droit au cœur.
— Merci, répondit-elle avec dévotion.
— Je voudrais juste… Je peux ? demanda la jolie rousse qui approcha ses doigts délicats de sa tignasse noire.
Samantha l’observa à travers le miroir et fit un oui gêné de la tête.
Sophie sortit un crayon de son sac à main, et sous l’œil admiratif de Lucie et d’Eponine, coiffa avec professionnalisme Samantha, lui appliquant un chignon serré et haut et laissant dépasser une mince mèche de cheveux qui tombait drue sur la droite de son visage.
Lucie écarquilla les yeux en se plaçant en face de Samantha.
— Sam, si j’aimais les filles, je te demanderais de m’épouser sur le champ.
— J’y songe, continua Sophie qui l’observait dans le reflet.
Cette fois, le visage de Samantha adopta la couleur de ses propres yeux.
Elles remercièrent Eponine, achetèrent le nécessaire et repartirent dans la galerie.
Les galeries étaient immenses et Samantha estimait qu’elle se serait perdue si elle avait été seule. C’était un endroit vraiment étrange. Etrange, mais attirant. Lumineux, très coloré ; des vitrines pleines de robes, de sacs, d’étranges boites à roulettes ; il y avait aussi des vendeurs ambulants de nourriture, dont les effluves firent gronder le ventre de Samantha. Les gens courraient, rigolaient, des familles entières s’y promenaient. Le… le nouveau monde avec du bon.
En passant devant un nouveau magasin de vêtement, Lucie flasha sur un manteau vert d’eau dont le prix était plus que raisonnable. Fermé sur le pull noir de Samantha, il finissait en apothéose sa mise en beauté : Samantha était devenue une véritable femme moderne, fondue dans la masse, bien qu’au charme toujours un peu à part. Le regard des gens en changea, lui redonnant un peu d’invisibilité bienvenue ; le but était atteint. Cette journée était vraiment bonne, et ce shopping (elle avait retenu le nom) était une expérience qu’elle était prête à renouveler au plus tôt.
Quelques emplettes supplémentaire au supermarché (Samantha avait choisit elle-même son gel douche ; fruit rouge, forcément), dont ce qui allait constituer le repas du soir, et la journée bien chargée fut terminée.
Les bras pendants sous le poids des paquets, les filles retournèrent brinquebalantes en direction du parking. Un mauvais pas et Samantha manqua de trébucher sur son lacet défait.
Zut !
Elle posa ses sacs, se pencha en avant pour les refaire et…
« SLAP ! »
Samantha se releva de surprise, une légère douleur à son postérieur qu’elle frotta. Elle tourna la tête pour en connaitre la cause, blanche de stupeur ; un jeune homme, dont le style ressemblait fortement au type abscond qui l’avait abordé, la dévisageait en montrant sa main. Deux amis à lui semblaient s’esclaffer à pleine dents devant la fierté que l’homme affichait.
— Ça c’est un joli petit cul, dit-il éhonté.
La colère monta aux joues de Samantha. Comment osait-il lui toucher ainsi son séant ?
Ne te laisses surtout pas faire, répéta en écho la voix de Rose.
En un geste éclair, Sam attrapa le poignet de l’homme et le tordit. Un craquement hideux indiqua que quelque chose s’était cassé au niveau de son coude. L’homme s’abaissa de douleur sous les yeux horrifiés de ses amis, et Samantha, imitant Rose, le poussa d’un puissant coup de pied. L’homme recula en titubant et cogna un poteau, tombant à terre, conscient, mais sonné. Autour d’elle, les deux amis du type s’énervèrent ; des gens la dévisageaient, stupéfaits. Certain s’exclamèrent de joie, lançant des « bien fait ! » et des « bravo ! », quand d’autres prirent la défense du type. Dans tous les cas, cela n’avait laissé personne indifférent. Samantha était en train de reprendre ses sacs quand elle fut attrapée par la petite poigne de Lucie qui l’éloigna rapidement de la scène. Derrière, elle entendit des gens l’invectiver.
— J’ai… j’ai refait quelque chose de mal ? s’enquit-elle en pleine course, observant le regard tendu de Lucie.
— Non, tenta de la rassurer Sophie qui courrait à côté, mais c’était un peu… on t’expliquera dans la voiture.
La vieille 205 était garrée plus loin, et elles s’engouffrèrent à l’intérieur, sans que personne ne les ait suivi. Lucie et Sophie se retournèrent vers elle et lui dirent le plus maternellement possible :
— Tu dois te défendre Sam, mais…
— Il faut éviter d’être trop violent.
— Ça pourrait se retourner contre toi.
— Mais il m’a fessé le postérieur ! s’indigna Samantha.
— Et tu lui as donné une bonne leçon ! Il a eu ce qu’il méritait, répondit Lucie. C’était… c’était cool.
— C’était tordant tu veux dire ! rigola Sophie. Même en rigolant, elle gardait son élégance.
Elles échangèrent un regard hésitant.
— Le fait est… ne casse pas de membres au gens, temporisa Lucie. Il y a d’autres manières de se protéger de nos jours.
Samantha baissa la tête. Quelle confusion ! Il faut se défendre, mais pas trop ? Quelle était la morale ? Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait plus rien.
La journée qui était pour l’instant si belle en fut gâchée. Décidément, il lui faudrait du temps pour s’habituer à ce monde.