Drôle de Chien
La nuit était tombée sur Ossenoir, étouffant la ville d’une brume lourde et immobile. Au loin, les bois du domaine de Malebrume se fondaient dans l’obscurité comme une mer de spectres. C’est dans ce décor lugubre que l’on frappa à la porte de la clinique vétérinaire du Docteur Faunier.
Il était tard. Trop tard pour des urgences ordinaires. Le vieil homme qui se tenait sur le seuil avait les mains souillées de boue et de sang. Derrière lui, sur une couverture imbibée, une masse gémissait.
— J'ai trouvé ça dans le fossé, Docteur, dit-il d’une voix tremblante. Près des bois de Malebrume. Je crois que je l’ai percuté en voiture. C'est peut-être le chien du comte...
Faunier fronça les sourcils, fit entrer l’homme, et découvrit la créature. Cela ressemblait à un chien, oui. Grand, noir, à la fourrure épaisse et humide. Mais il y avait quelque chose de faux dans ses proportions. Ses pattes étaient longues, étroites. Sous les coussinets, Faunier sentit des … doigts. Des doigts articulés, griffus. Et les coussinets eux-mêmes semblaient faits d’une peau rugueuse et fripée, presque humaine.
— Ce n'est pas un chien, murmura-t-il.
Il ausculta la bête. Elle avait un torse étrangement humain, une cage thoracique trop fine, un museau trop court. Et surtout, ces yeux. Jaunes, humides, posés sur lui avec une intensité insupportable. Des larmes coulaient, épaisses, visqueuses, noires comme de l’encre.
Faunier prit une photo. L'image était floue. Comme si l’appareil avait refusé d’enregistrer ce qu’il avait vu. À la place du corps, une silhouette déformée, comme brûlée à même la pellicule.
Il garda la créature sous sédation, isolée. Aucun des assistants ne devait s’en approcher. La nuit, il l'entendait gémir. Parfois même... parler. Une langue étrangère. Ou était-ce du latin ? Ou... du français, mais ancien, déformé comme l’était la bête ?
Le troisième soir, à minuit précis, alors qu'il vérifiait les perfusions, la créature ouvrit les yeux.
Et dit :
— Faunier.
Une voix gutturale. Humide. Comme si elle venait de l'intérieur d'une caverne.
Le docteur recula, renversa un plateau d’acier. Les scalpels tintèrent sur le sol.
— Ce n'est pas possible... Ce n'est pas possible !
La créature le fixait encore. Puis elle ferma les yeux. Comme pour se reposer. Mais un rictus déforma brièvement ses babines.
Le lendemain, le docteur fit préparer une dose élevée de barbituriques. Il ne voulait plus de cette chose. Trop de questions. Trop de peur. Trop de présence. Il entra seul dans la salle, serra la seringue dans sa main, s'approcha.
Mais la cage était vide.
La vitre était brisée, de l'intérieur. Comme si... la chose avait poussé de toutes ses forces. Des griffures maculaient les murs. Certaines lettres s'y devinaient, tracées dans le plâtre à l'ongle. "Enfer", "Père".
Un mélange de terre, de poils, et de sang était tout ce qu'il restait. Et une odeur, irrespirable, de chair rance et de cendre froide.
Depuis ce jour, le docteur Faunier ne fut plus jamais le même.
Il devint fuyant, tremblant, insomniaque. Ses assistants le retrouvaient souvent figé, les yeux perdus vers la forêt de Malebrume. Il parlait dans son sommeil. Il hurlait, parfois. D’autres fois, il se grattait jusqu’au sang, murmurant :
— Elle est encore là, je la sens...
Et les cauchemars commencèrent.
Dans ses rêves, la bête marchait sur deux jambes. Son museau s'étirait en un rictus grotesque. Son ventre était cousu de cicatrices. Elle l'appelait. Elle lui murmurait qu'ils étaient liés à jamais.
Il rêvait de la clinique en flammes, et du monstre qui marchait lentement dans les couloirs, les yeux incandescents, l'air bruissant de murmures infernaux. Les bocaux d’organes explosaient. Les crocs de la bête claquaient derrière les portes closes. Et toujours, cette odeur de feu, de soufre et de pourriture.
Un soir, il se réveilla en sursaut.
La porte de la clinique était entrouverte.
Et des traces de pattes, légèrement fumantes, montaient les marches vers son bureau. Certaines traces semblaient... humaines.
La nuit suivante, il prit un fusil et s'enfonça dans la forêt de Malebrume.
Il n'en revint jamais.
Mais parfois, les soirs d’orage, on entend un hurlement trop proche de la voix humaine, venant du sous-bois. Et le vieux portail du domaine claque sans raison.
Merci pour la comparaison, c'est très flatteur ! ^^ C'est exactement le genre de ressenti que je voulais créer avec cette histoire, des "épisodes" indépendants dans un style horreur fantastique ;-)
Il s'agit bien de la même bête, ce sera une créature assez récurrente ;-)
Je ne connais que de nom mais je n'ai jamais regardé !
Merci beaucoup pour ton commentaire ^^
Mais qu'est donc cette espèce de chien. On dirait un chien garoup.
En espérant que personne n'entre dans cette forêt de Malebrume.
"Elle l'appelait. Elle lui murmurait qu'ils étaient liés à jamais.A" Le petit "A" qui s'incruste :)
Allez la suite :)
Hé oui, ce chien garou aura son importance pour la suite😏