💍 6. Promesses 💍

Alors assise devant lui, à la table la plus reculée d’un salon de thé dont elle seule détenait l’adresse, Joséphine se surprit plusieurs fois à lever les yeux de sa tasse afin d’observer avec grande attention l’homme se tenant présentement face à elle. Bien des questions lui traversaient l’esprit quant à ses intentions et motivations.

Ces différents coups d’oeil lancés ici et là en toute discrétion, le Duc les remarque et s’en amuse, se demandant si elle finirait par céder à la tentation. Hélas, Joséphine préfère garder le silence, finissant sa tasse et rassemblant ses affaires empilées sur la chaise d’à côté.

- Vous m’abandonnez déjà ? lui demande son invité.

- Mon père étant absent pour affaire, je ne peux me permettre de délaisser ma famille plus d’une après-midi.

- Ne sont-ils pas suffisamment grands et bien entourés pour réussir à s’en sortir sans vous le temps d’une petite journée ?

- Son Excellence ne connaît malheureusement pas mon frère cadet. S’il n’a personne pour le surveiller, je crains qu’il ne retourne la maison avant que je n’ai eu le temps de rentrer.

- Alors je devrais vous raccompagner, répond-t-il en s’empressant de finir à son tour

- Vous n’êtes pas obligée, insiste-t-elle pour qu’il demeure sur sa chaise

- Mais je suis votre obligé. Après tout, n’est-ce pas moi qui vous ai dévié de votre course principale ?

- De mon point de vue, vous avez suffisamment fait pour moi.

- A vous entendre, je pourrais presque croire que vous souhaitez vous débarrasser de ma personne. Vous aurais-je offensé d’une quelconque manière ?

- Nullement, mais je ne doute pas qu’une personne de votre...importance a également beaucoup à faire, notamment quand vous venez tout juste de rentrer.

- Et il est là le bonheur que d’être une personne organisée ! Je peux ainsi m’offrir le luxe de prendre du bon temps et une compagnie plus qu’agréable, lui fit-il remarquer en souriant.

Sur cette dernière remarque, Joséphine rougit. Elle avait l’habitude des hommes et de leurs jeux de mots, de flatteries ou de charmes, mais avec le Duc, cela avait une connotation différente. Presque sincère. Sincère, mais irréel car pourquoi un homme tel que lui se montrerait aussi bon avec une jeune femme comme elle ? Elle n’avait rien à lui offrir, rien à lui donner, rien à échanger si ce n’est voilà, un petit thé.

- Vous m’excuserez, mais je dois sincèrement y aller, insiste-t-elle

- Permettez-moi au moins de vous raccompagner.

- Ma maison n’est pas loin du salon et j’ai déjà fais ce chemin des dizaine de fois toute seule. Je vous remercie et vous souhaite une agréable journée.

A peine Joséphine a-t-elle finit sa phrase que la voilà s’en allant presque en courant du salon. Cette fuite précipitée eut au moins le mérite de faire rire le Duc qui regarde avec grande attention sans la lâcher du regard, la silhouette s’éloigner en courant dans la rue. A-t-il déjà vue auparavant une jeune femme courir en tenant ses jupons aussi fermement ? Sans doute pas. Malgré sa beauté naturelle et sa grâce, elle avait parfois un côté grossier et amusant qui prenait les devants. Il ne lui tardait déjà de la revoir et de découvrir une nouvelle facette de sa personnalité.

Se précipitant jusque sur le seuil de sa porte d’entrée, Joséphine referme brusquement cette dernière, s’assurant que nul ne l’avait suivi jusqu’ici. Visiblement ce n’était pas le cas.

- Mademoiselle, vous êtes rentrée ! relève Ninon étonnée en la voyant se tenir droite comme un piquet, accrochée à la poignée, Est-ce que tout va bien ? Vous paraissez bien essoufflée.

C’est qu’elle l’est, mais si son cœur s’est à ce point emballé, ce n’est certainement pas dû à la folle course qu’elle vient à l’instant de pratiquer. Elle le savait, elle l’a toujours su même, les hommes étaient un danger et voilà qu’un nouveau, imminent et charmant danger venait une nouvelle fois de croiser sa route, elle qui, jusqu’à présent, avait cherché à l’éviter.

- Ambre est-elle rentrée ? demande-t-elle alors pour dévier l’attention inutile de Ninon

- Oui, elle est dans sa chambre et paraît ravie de ses achats.

- Ses achats ? répète-t-elle une nouvelle fois.

Montant les marches d’escalier deux par deux, Joséphine débarque comme une furie dans la chambre de sa soeur tandis que cette dernière chante à tue-tête alors que sur son lit gît une pile de tissus hors de prix.

- Ambre ! s’écrie-t-elle

- Oh Joséphine, tu es rentrée ! Tu avais vu ? Je serais la plus belle du quartier.

- Mais qu’est-ce que...

- Le Monsieur qui est resté avec moi m’a assuré que le Duc de Varsox souhaitait que je me fasse plaisir donc il m’a dit de ne surtout pas me retenir.

- C’est beaucoup trop ! Nous allons ramener tout ceci chez le tailleur. Tu n’as pas besoin de refaire ta garde-robe entièrement. Tu as largement abusé de la bonté de...

- Et toi alors ? la coupe-t-elle brusquement en la fusillant du regard, Quand est-ce que tu vas abuser ? Un homme charmant prends la peine de te défendre devant tous ces gens, m’achète des cadeaux et tu reviens sans lui ? Pourquoi n’en profites-tu pas ?

- Tu sais bien que je ne peux pas, siffle-t-elle en sachant pertinemment où sa cadette voulait l’emmener avec ce genre de discussion.

- Pourquoi pas ? Qu’est-ce qui t’en empêches ?

- J’ai promis de veiller sur vous. Sur chacun d’entre vous et je...

- Mais nous ne sommes plus des enfants, Joséphine. Bartolomé sert dans l’armée, moi je vais bientôt entrer dans la bonne société et Thomas...bon d’accord peut-être que Thomas a encore besoin d’aide. Mais il est temps que tu penses à toi un peu.

Que son père l’a sermonne sur le sujet, c’est une chose à laquelle Joséphine s’est habituée avec le temps, mais que sa sœur cadette, s’y mette, voilà quelque chose de surprenant. Ambre mûrissait et grandissait à une vitesse qui défiait toute concurrence et bien qu’elle la taquinait quelque fois, Joséphine avait parfaitement conscience que quoiqu’il puisse arriver, elle finirait par s’en sortir car c’est ainsi qu’elle a été élevée. Qu’ils ont tous été élevés.

Se rendant alors à l’évidence, elle se laisse tomber sur le lit, regardant sa sœur.

- Es-tu contente de tes achats ? lui demande-t-elle alors en soupirant.

- Très ! lui répondit-elle en lui souriant à pleines dents.

- Alors n’oublie pas d’écrire une lettre au Duc pour le remercier de sa générosité.

- Et comment lui transmettre ? Je connais pas son adresse.

- J’en fais mon affaire. Concentre-toi juste sur les remerciements.

Sortant de la chambre, Joséphine referma la porte et monta dans la sienne, prenant le temps de fermer la porte à double tour avant de se laisser tomber, dos contre cette dernière, prenant son visage entre ses mains. Il y avait quelque chose de bien étrange dans ce récent bonheur qu’elle éprouvait, dans cette satisfaction et cette envie de finalement laisser sa chance à la vie, tout ceci avait quelque chose de féerique. Irréel. Impossible. C’est là une vie à laquelle elle n’a pas été habituée.

Plus tard, un bruit sourd vient la réveiller tandis qu’elle sort de sa chambre, vêtue seulement de sa chemise de nuit, remarquant le bureau de son père éclairé. Est-il rentré dans la nuit ?

- Père ? demande-t-elle d’une voix encore endormie.

- Oh Joséphine, mon enfant, t’ai-je réveillée ?

- Depuis quand êtes-vous rentré ?

Ce dernier ne lui répond guère et reprends ses recherches. Elle ne l’a pas remarqué immédiatement mais le sol est parsemé de divers papiers et dossiers tous à présent mélangés les uns aux autres.

- Que cherchez-vous ? Je peux peut-être vous aider ?

- Non, ne t’en fais, cela sera rapide. Va te recoucher.

- Mais vous semblez...

- Joséphine, la coupe-t-il.

Jamais encore Joséphine n’avait vu son père dans un tel état. Il semblait avoir une drôle de fièvre pour recherchait aussi frénétiquement dans les tiroirs des différents meubles décorant la pièce. Et malgré son intonation, Joséphine n’a pas bougée. Elle reste figée, à la regarder s’agiter, marmonner des paroles incompréhensibles dans sa barbe, jurer même parfois, puis au bout d’un certain temps, ce dernier s’arrête, soupire et se retourne face à son enfant.

- Approche, lui dit-il alors

Elle s’exécute et il la tire jusque dans un fauteuil, prenant ses mains dans les siennes, la regardant avec un grand sourire bienveillant et des yeux à présent fatigués et larmoyants.

- Joséphine, peux-tu me promettre quelque chose ?

- Bien entendu. Qu’est-ce qu’il y a ?

- Quoiqu’il arrive, je veux que tu veilles sur tes cadets. Je sais que je t’ai toujours beaucoup demandé. Que tu as fait de grands sacrifices afin de faire passer leur bonheur avant le tien et que tu as toujours été ma brillante Joséphine, mais promets-moi...promets-moi que cela ne va pas changer.

- Je vous le promets père, mais puis-je...

- Le vieil homme que je suis aujourd’hui est rassuré. Tu sais, je suis fatigué de beaucoup de choses et je n’ai pas accompli grand chose dans ma vie, mais vous quatre est ma plus belle réussite. Votre mère serait si fière...Comme moi je suis fier de vous. Peu importe ce que vous choisissez, je sais que ça va aller car vous serez ensemble.

Cet étrange discours, cet étrange comportement, Joséphine le garda ancré en elle. Jusqu’au moment du coucher. Elle repensa à cette promesse et aux mots de son père pendant une bonne partie de la nuit jusqu’au petit matin. Un matin pluvieux. Nuageux. Orageux. Un matin gris.

Un matin où on vient frapper à la petite porte de la maisonnée pour leur dire que le Baron Conquérant a été retrouvé, tôt dans la matinée, mort noyé.

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DB18
Posté le 10/04/2021
Quelle ironie dramatique! Sa soeur et le duc qui lui laissent entrevoir un moment de liberté qu'elle refuse d s'accorder, et c'est quand cette perspective s'ouvre à elle que son père lui demande de rester coûte que coûte avec ses cadets.
Pourquoi meurt-il?! C'est si triste, je l'aimais bien moi... ^^
ManonSeguin
Posté le 11/04/2021
Tu auras la réponse bientôt.... :D Je ne peux malheureusement rien dire, vous allez tout découvrir à travers les yeux de Joséphine ^^
Alison CXC
Posté le 31/01/2021
PLOT TWIST :O

Je n'avais pas vu cette fin venir ! J'avais compris que la famille de Joséphine allait avoir certaines difficultés financières mais là... je n'avais absolument pas envisagé le décès du Baron Conquérant :'(

Ca me rend assez triste pour Joséphine parce qu'elle commençait à s'autoriser à rêver et à lâcher la bride sur sa sœur notamment... pour finalement se retrouver avec un poids encore plus lourd sur les épaules. Joie, bonheur...

La question est donc: que va-t-il arriver à cette famille désormais ? Cela m'intéresse vraiment au regard des derniers évènements :(
ManonSeguin
Posté le 31/01/2021
Surprise ! :D
Quant à ce qui va arriver avec la famille, c'est un secret ! :D (Ou pas)
HarleyAWarren
Posté le 20/01/2021
Ah... Je n'avais pas du tout vu venir cette fin de chapitre. Bon, quand le baron a débarqué en panique, je me suis dit que ça ne sentait pas très très bon, mais de là à ce qu'il lui arrive malheur aussi vite...
Sacré changement de situation pour Josephine, en tout cas. Bon, elle avait déjà l'habitude de s'occuper de sa famille, mais quand même...
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