Il y avait quelque chose dans l’air.
Pas du vent. Pas du froid. Une tension discrète, une impatience qu’elle n’avait pas invitée et qui, pourtant, vibrait sous sa peau. Nora descendit les marches de son immeuble, son sac serré contre elle, tentative dérisoire pour étouffer ce frémissement ridicule.
Elle n’attendait rien. Elle se le répéta. Elle n’attendait rien. Et pourtant... chaque pas la rapprochant de la porte semblait porter un espoir qu’elle ne voulait pas nommer. Elle inspira profondément, poussa la porte.
Et il était là. Tranquille. Pull de Noël toujours aussi improbable - aujourd’hui, un ours polaire en skate. Deux cafés fumants en main, adossé contre la rambarde. Son regard doux, pénétrant, l’attrapa au vol et lui serra l’estomac plus fort qu’elle ne l’aurait voulu. Bon sang. Elle sentit une étrange chaleur monter en elle, bien plus dangereuse que le froid matinal. Et si elle s’égarait vraiment cette fois ?
— Bonjour, dit-il simplement en lui tendant un gobelet.
Elle le prit, effleura ses doigts au passage sans vraiment le vouloir. Il ne fit pas de commentaire. Ils commencèrent à marcher dans Paris encore engourdi du week-end, les rues désertes lavées par la lumière pâle de décembre. Au coin d'une rue, un panneau clignotait maladroitement : Plus que 17 jours avant Noël. Dix-sept jours avant le grand événement du projet Paillettes. Dix-sept jours aussi avant la date butoir du contrat, posé sur le comptoir de sa cuisine comme une menace muette. Leurs pas résonnaient doucement dans l’air immobile.
Après quelques rues, Nora brisa l’apparente légèreté :
— Tu fais quoi de tes journées à part m’attendre matin et soir ? demanda-t-elle, un brin ironique.
Il sourit. La fossette était bien là, sur sa joue gauche, renfoncement discret qu’elle avait presque envie d’effleurer.
— Je cultive un élevage de rennes miniatures, évidemment.
Elle éclata d’un petit rire malgré elle. Elle ne savait pas quoi penser de cet homme à ses côtés. Il était apparu dans son salon, flanqué de ce sourire à désarmer le pire des mercenaires et l’avait attendu calmement tous les jours. Il s’était ancré dans le paysage de sa vie comme une source d’eau qu’elle ne savait pas manquer.
— Sérieusement, insista-t-elle. T'es quoi, exactement ? Un harceleur au grand cœur ? Ou… quelqu'un que ma mère aurait envoyé ?
Il haussa un sourcil amusé.
— Non pour les rennes, non pour ta mère. Et non, je n’ai pas été mandaté par ta boîte non plus, si c’est ta prochaine question.
— Comment tu sais que j’allais demander ça ? grinça-t-elle, un peu trop vite.
— Intuition.
Elle le dévisagea, méfiante malgré elle.
— Disons que je suis… une sorte d’artiste.
— C’est flou, commenta-t-elle.
— C’est volontaire, répondit-il sans se départir de son calme.
— Et t'as assez de temps libre pour traîner devant un immeuble tous les jours ?
Il tourna vers elle un regard taquin, un demi-sourire en coin.
— Tu préfères que je traîne directement dans ton salon ?
Il ria devant sa mine surprise.
— J’ai du temps pour ce qui compte, ajouta-t-il plus doucement.
Elle baissa brièvement les yeux, désarçonnée. Parce que c'était exactement le genre de phrase qu’elle aurait rêvé pouvoir prononcer sans éclater de rire.
Plus loin, au détour d’une ruelle, un attroupement de vieilles tables, de vinyles et d’objets cabossés les fit ralentir. Une brocante rassemblait tous les lève-tôt du quartier. Nora s’arrêta net devant une machine à écrire ancienne, posée là, entre un réveil en laiton et une lampe Art Déco. Elle la toucha du bout des doigts, respectueusement.
— Mon père en avait une pareille, murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour lui. Je jouais à l’écrivaine en tapant très fort sur les touches, je faisais semblant d’avoir des histoires à raconter.
Solal ne dit rien. Il était juste là, attentif, un éclat un peu plus brillant dans les yeux. Et ce silence, cette écoute tranquille, la déstabilisait plus que toutes les paroles qu’il aurait pu prononcer. Il ne se moquait pas, il ne jouait pas. Elle aurait pu lui dire que son rêve était d’être une astronaute qui plantait des choux sur Mars, il aurait continué à l’écouter avec bienveillance. Son coeur battait un peu plus vite.
Ils reprirent leur marche. Elle avait envie de continuer à lui parler. Elle pinça les lèvres, cherchant ses mots. Puis, sans prévenir :
— Et le contrat, là... celui sorti de nulle part… C’est toi qui me l’as envoyé ?
Il secoua doucement la tête.
— Non. Je n’ai pas ce pouvoir.
— Alors c’est quoi ? Une initiation bizarre à une secte du bonheur sans antidépresseur ?
Il rit doucement.
— Non plus.
— Tu m’aides pas beaucoup, Solal. Alors, pourquoi moi ?
Elle marqua une pause. Son regard s’accrocha au sien, plus dur, plus direct.
— Sérieusement. Pourquoi moi ? Je coche toutes les cases d’une vie normale, chiante, stressée et inutile. Y’a plein d’autres victimes potentielles, non ?
Il sembla hésiter une fraction de seconde, puis répondit :
— Peut-être parce que toi… tu peux encore choisir.
Le temps suspendit son souffle. Un éclat infime pulsa quelque part en elle, sous les couches d’armure et de sarcasme. Elle ouvrit la bouche, prête à répliquer, mais aucun mot ne vint. Alors, dans un demi-sourire nerveux :
— La magie de Noël, hein ? Manquait plus que ça.
Il haussa les épaules, faussement grave :
— Fais attention. Certaines magies sont plus sérieuses qu’il n’y paraît.
Elle leva les yeux au ciel pour masquer le frisson qui lui remontait l’échine.
— Si je vois débarquer un lutin ou une fée clochette, je te préviens, je me rends moi-même à l’asile le plus proche.
— Promis. Pas de fée clochette. Juste toi. Et ce que tu décideras de faire.
Il avait dit ça sans emphase, sans appuyer. Simple vérité laissée là, suspendue entre eux. Petit à petit, sans s’en rendre compte, Nora laissait tomber les armes. Juste marcher. Juste parler. Juste respirer autrement.
Bon, j'abandonne : j'arrête de jouer les avertissseur auprès de Nora à propos de Solal. Visiblement, l’amour tout neuf transforme les gens en taupes sourdes et en flans cognitifs.
Sérieusement… ce n’est PAS normal que ce type campe tous les jours devant chez elle, café à la main, regard de cocker sous caféine. Elle appelle ça du romantisme, moi j’appelle ça du stalking en douceur.
Enfin ! Elle commence enfin à lui poser les bonnes questions : genre, que fait-il de ses journées à part squatter son trottoir tel un pigeon affectif ? Bon, elle a juste deux chapitres de retard, mais on progresse.
Et leur balade « romantico-vintage » chez les disquaires… pourquoi pas. Sauf que leur disque à eux, il saute déjà à la première piste, et pas qu’un peu.
Je le sens pas, ce type. Il a le profil du gars qui tombe amoureux d’une pub pour du dentifrice. Il n' y a pas anguille sous roche, il y a carrément un banc de murènes, de thons et de baleines sous un caillou !
A très vite !
Lache cette bière et ce T9 tout de suite 😆 Oui, il y a de la magie et de l’inattendu à attraper ici. Le genre qu’on ne questionne pas trop sous peine de la voir s’évanouir. Faut se fondre dans son plaid et se laisser porter.
C’est pour tous ceux qui se sont déjà levés un matin en espérant, sans trop y croire, trouver sur leur palier une réponse à leurs questions, à leurs tourments… ou au moins un mec mignon avec un café chaud.
La solution aux problèmes de Nora ne tombera pas du ciel (même si elle semble venir par l’imprimante), mais elle reçoit un sacré coup de pouce du destin, avec fossette, pull moche, et regard à tomber en bonus.
Et puis c’est bien connu : l’amour transforme. Même une taupe sourde peut réapprendre à voir clair… surtout avec assez de café non sponsorisé.
Alors oui : adhérons au dentifrice, explorons la mare aux baleines, écoutons les disques rayés… et voyons où tout ça mène notre campeur préféré et cette Nora en pleine transformation.
A bientot, lecteur pragmatique à l’âme romantique refoulée ✨
Très chouette ! C'est bien que le dialogue tourne autour du contrat - c'est vrai que c'était un élément important, et Marino Poppino avait fini par me le faire sortir de la tête, celui-là !
Globalement, c'est un chapitre sur la même lignée que les précédents, mais qui manque peut-être d'un petit truc... A la fois, car à la fin, j'ai eu l'impression qu'il coupait alors même que l'action s'amorce : elle passe enfin un peu de temps avec lui, ils parlent de quelque chose d'important qui ne va pas avoir sa résolution tout de suite (et c'est très bien, qu'on ne l'ait pas tout de suite) et pof, le chapitre prend fin.
Une autre remarque que j'ajouterais, c'est le début : j'aime beaucoup le running gag des Christmas jumpers ! Toutefois, l'entrée en matière du chapitre était très similaire aux précédents : il l'attend avec un café. Ce n'est qu'une suggestion, mais y aurait-il un moyen de faire de cette fois-là quelque chose d'un peu différent ?
Et pourquoi accepte-t-elle cette fois-ci de lui consacrer quelques minutes, et pas les précédentes ?
Du reste, comme d'habitude, j'aime beaucoup :)
Merci encore pour ton retour toujours aussi fin !
Tu as totalement raison sur deux points :
– Le début du chapitre : je voulais mettre en place une routine rassurante pour Nora, le pull kitsch, les cafés... mais je vais réfléchir à une variation pour ce chapitre pour éviter le côté trop répétitif. Et cela peut aller avec ta remarque du pourquoi elle veut passer du temps avec lui ce matin là. Peut-être que je devrais rappeler le moment suspendu de la veille ou plus accentuer son envie de le voir, le fait qu'elle n'ait même pas son numéro pour le contacter, et de sa crainte qu'il disparaisse... J'y réfléchis :)
- Le manque de tension / la fin un peu abrupte : c'est vrai que je voyais ce passage comme une parenthèse, un moment où ils peuvent enfin échanger mais ça manque sans doute de tension ou d'une accroche plus forte. Je me note ça !
Merci encore, ça va énormément m'aider :)
Nora prend le temps de se poser les bonnes questions dans ton ambiance de téléfilm de Noël. Tes indices dans tes dialogues laissent penser que ce cher Solal n'est pas de notre monde. Ce thérapeuthe onirique semble même se réjouir que Nora n'est une patiente pour laquelle la question du choix interviendrait trop tard.
J'aime beaucoup le contraste entre l'ami des rennes qui dispose d'un temps infini et Nora qui daigne accorder des secondes précieuses de sa vie à autre chose que mettre des paillettes dans les yeux de Kevin de la compta.
Pour l'heure, j'ai surtout envie de voir quels changements auront ce week-end quand elle recroisera le Mael. C'est lui la clé du contrat, pas le sommelier des cafés introspectifs !
Au plaisir.
Oui oui oui, j'adore tout de ce commentaire. Exactement, tu as bien perçu ce contraste entre Solal qui semble irréel et pourtant est le seul des deux vraiment ancré dans le présent et Nora, agitée, dans le doute, qui doit commencer par réapprendre à respirer.
Mael va revenir très rapidement :p
PS: le sommelier des cafés introspectifs: pépite 😆
Merci pour ce commentaire. Je voulais que ce moment soit vraiment particulier entre Nora et Solal, et que tu le trouves onirique, ça me touche beaucoup !
Encore un régal pour les yeux, merci beaucoup.
Ce chapitre consacré à Nora et Solal est vraiment apaisant, loin du tumulte du travail.
Et cette phrase : "Une tension discrète, une impatience qu’elle n’avait pas invitée et qui, pourtant, vibrait sous sa peau." Je ne sais pas où tu vas les chercher sérieusement, c'est tellement puissant... Je l'ai relue plusieurs fois :)
Et le fait qu'elle se répète qu'elle n’attendait rien, alors qu'au fond elle attendait de voir Solal plus que tout... D'ailleurs j'imagine même pas sa déception s'il n'avait pas été présent.
J'aime beaucoup son évolution, elle se rend à moitié compte que ce qu'il fait n'est pas "normal", donc elle questionne, mais elle se suffit de ces réponses floues (par peur de ne plus avoir sa présence à ses côtés, ou parce qu'au final elle s'en satisfait, ou pour rejoindre "l'initiation bizarre à une secte du bonheur sans antidépresseurs" XD )
Et cette fin, furtive, comme cette larme échappée, conclut ce chapitre magistralement.
Merci encore de nous proposer un tel contenu :)
Bon courage pour la suite.
À très vite !
Merci encore pour tes messages toujours aussi bienveillants 🫶
Je suis vraiment contente que tu aies apprécié ce moment suspendu entre Nora et Solal. C’était l’idée : une parenthèse un peu magique, hors du temps, dans son quotidien trop agité.
Et tu as tout à fait raison : elle évite de trop le questionner, comme si elle sentait que gratter un peu trop fort pourrait tout faire disparaître. Elle s’est déjà attachée, sans même s’en rendre compte… :p
La suite arrive très vite !