6- Sur le chemin de l'école

Notes de l’auteur : Bonne lecture

 

Le lendemain matin, Nour se sentait mal, son ventre était si noué qu'elle ne put rien avaler. Sa morosité contrastait franchement avec l'état d'excitation dans lequel se trouvait Oren. Une terrayenne vivait chez lui, ils iraient ensemble au Sanctuaire. Tout en beurrant ses tartines il parlait sans interruption, chantonnait par moment la bouche pleine.

— Cette journée s'annonce exceptionnelle, les autres vont pas en revenir. Une terrayenne à mon bras. Faut pas t'inquiéter Nour, ajouta-t-il en voyant la mine déconfite de la jeune fille, tout le monde va t'aimer c'est certain. Et, finalement mes vêtements te vont plutôt bien, tu es superbe.

C'était vrai, comme le pyjama qu'il lui avait prêté la veille, l'uniforme en lin bleu, veste ample et pantalon large, était à peine trop grand, et terriblement confortable.

 

Nour sortit de la maison des Tannen des noeuds au cerveau, et des crampes affreuses à l'estomac, elle n'avait rien pu avaler. Azénor Hiver les attendait sur le perron. Aussi rousse qu'on pouvait l'être, ses cheveux de feu encerclaient son visage comme l'auréole d'un ange. Ce qui impressionna le plus Nour fut son regard. D'abord, son œil droit était encadré de noir ce qui était assez surprenant mais surtout ses yeux marrons brillaient comme deux billes, c'était hypnotique. On devait l'écouter, peu importe ce qu'elle disait.

– Salutations Azénor, ça fait longtemps que tu es là ? Tu aurais dû frapper à la porte, la gronda gentiment Oren.

– J'aime être dehors. C'est la première fois que je viens chez toi Oren, c'est bizarre.

– Vous êtes dans la même classe ? demanda Nour.

– Non je suis plus âgée, j'ai quartorze ans. Alors c'est vrai tu es terrayenne Nour Apsoum, affirma-t-elle. Grand-père a raison, tu es tout à fait comme nous.

– Le conseiller Hiver a été très acceuillant.

– Tu es aussi très polie, répondit Azénor. Mon grand-père n'est ni acceuillant ni gentil, sauf avec moi. Pour tout dire je trouve ça très étrange qu'il me charge de veiller sur toi, non pas que ça m'ennuie.

– Tu penses qu'il cache quelque chose ? demanda Oren.

– Grand-père cache toujours quelque chose, reste à savoir quoi, fit-elle l'air pénétré. Si tu as la moindre question demande-moi, ne fais pas la timide. Je sens qu'on va bien s'entendre Nour.

Nour était d'accord, Azénor lui faisait une très bonne impression. Elle avait craint d'avoir affaire à une Méroé Mora en miniature. C'est le cœur un peu plus léger que Nour suivit le duo sur le chemin de l'école.

– Tu vas aussi au Sanctuaire ? demanda Nour.

– A mi-temps seulement.

– Azénor est la rebelle de sa famille, rétorqua Oren.

– Je ne suis pas une rebelle, mais il faut savoir se battre pour ses convictions, tu n'es pas d'accord ?

– Oui, j'imagine. Et pourquoi te bas-tu ?

– Pour devenir damona.

– Damo..quoi ?

– Une guérisseuse, répondit Oren. Pour le conseiller Hiver c'était impossible qu'un membre de sa famille suive cette voie.

– Mon grand-père impose ses lois et ses idées rétrogrades. La vérité c'est qu'il a peur.

– De quoi ? demanda Nour qui était rééllement curieuse.

– De tout et de tout le monde.

– Azénor a fait une grève de la faim à douze ans pour avoir le droit d'étudier avec l'Ancienne des damonae.

– Tu l'embrouilles Oren. L'ordre des damonae est le seul que grand-père n'ai pas réussi à interdire, expliqua Azénor. Elles sont puissantes, c'est Myrddin en personne qui a formé l'ordre, et surtout la population a un très grand besoin d'elles. Les damonae possèdent une magie en elles, elles sont sages femmes et veillent aussi les mourants, les préparent au passage dans leur nouvelle vie. Leur rôle est essentiel. Grand-père veut contrôler son monde, il croit pouvoir éduquer la population comme on éduque les enfants, mais chacun doit être libre de son destin. Il faut toujours faire ce qui est juste.

– Le vieil homme hier a fait ce qui était juste, gràce à lui le feu ne s'est pas propagé et il y eut peu de blessés, intervint Nour.

– Et cela ne va pas l'empêcher de finir dans les geôles, rétorqua Oren.Tu as de la chance ton grand-père t'adore.

– Ce qui s'est passé hier est infiniment triste, et c'est exactement ce pourquoi je veux me battre. Mais attend, tu essaies de dire que ma grève de la faim n'a servit à rien ?

– Disons que cela a certainement accélérer le processus.

– Oui, tu as propablement raison Oren, soupira-t-elle. Je me vois comme une militante mais tout le monde me voit comme la petite fille capricieuse du conseiller Hiver, c'est rageant.

Azénor était convaincue depuis l'enfance qu'elle avait passé toutes ses anciennes vies à soigner. C'était une guérisseuse, voilà tout. Même si elle n'en avait aucun souvenir elle le ressentait dans ses tripes, dans son cœur. Elle savait détecter le mensonge, faisait la différence entre les gens bienveillants et les névrosés, les sociopathes et les gentils. Est-ce que son destin avait une fois été entravé, elle n'en savait rien. Ce qui était sûr, c'est que dans cette vie elle ne laisserait pas son ordre disparaître.

– Une faille spatio-temporelle s'est sans aucun doute produite au moment où tu passais le médaillon, dit Azénor après un moment. Si ce bijou est originel de Doradéa, cela explique tout.

– C'est un très bon raisonnement, admit Oren.

– Est-ce que les terrayens sont doués ? demanda-t-elle. Vous êtes nos ancêtres alors j'imagine que oui.

– A vrai dire non, se lança timidement Nour. Ce savoir s'est vraissemblablement perdu il y a très longtemps. Pour nous les pouvoirs existent seulement dans l'imagination.

Comme c'est dommage.

 

La route pavée qu'ils empruntèrent était bordée de grosses lanternes noires posées à intervalles réguliers. Des moutons paissaient dans les prairies alentour, entre les larges sapins plantés çà et là. Ils traversèrent la passerelle qui séparait le continent d'Epoké, et bientôt le Sanctuaire se dressa devant elle, au plus haut de la ville.

L'école ressemblait à une église viking, la double porte sculptée donnait de la noblesse à la bâtisse à la frappante sobriété. Des élèves pressaient le pas devant eux ou au contraire traînaient des pieds. Beaucoup saluèrent Oren et Azénor, et chacun d'eux scruta de la tête aux pieds celle qui les accompagnaient. Une nouvelle se fait toujours remarquer, ici ou ailleurs. Son ventre se contracta davantage, une boule se noua dans sa gorge. Elle n'avait jamais été aussi fébrile.

Ils passèrent la large porte, qui n'était pas en bois comme l'avait cru, mais en nacre tellement fine qu'elle laissait filtrer la lumière du soleil, tandis qu'Oren racontait brièvement toute l'histoire à Elijah. On n'entrait dans le hall, tès grand, un ciel étoilé était peint au plafond, où se disputaient dragons, chimères et hommes armés d'épées et d'arcs. Les murs brillaient sous le lambris ciré, et sur certains des murs étaient alignés des dizaines de casiers en bois où les élèves rangeaient leurs affaires. Des extrémités du hall partaient des couloirs menant aux salles de classe, toutes indiquées par des écriteaux en ardoise, et un large escalier en bois menait à l'étage. Nour fut subjuguée.

C'est une école comme les autres, c'est une école comme les autres. Enfin, peut-être pas comme les autres, mais avec des élèves comme les autres. Sauf qu'ils peuvent faire voler leurs cartables, et me mettre une raclée en un claquement de doigt, et sans doute m'empoisonner si le coeur leur en dit. Pense à autre chose, pense à autre chose.

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