Par le hublot, le lever de soleil, pourtant majestueux, n’arriva pas à percer l’aura sombre dans laquelle je baignais. La musique se déversait dans mes oreilles, seul dérivatif possible à l’angoisse montante. Dans à peine deux heures, Minneapolis nous verrait débarquer, groupe de jeunes rockeurs dont la renommée ne cessait de s’étendre. La suite m’effrayait, autant celle à court terme qu’à moyen terme. Approcher du Dakota rameutait mes démons des profondeurs où je les avais embourbés. Frôler le succès amenait son lot de mauvais côtés, la presse n’en étant pas des moindres. Mon index appuya plusieurs fois sur la touche volume de mon téléphone. Je fermai les yeux, plongeai dans la mélodie, m’y raccrochai. J’en étais encore à essayer de digérer l’onde de choc, celle de la deuxième nouvelle qui nous était tombée dessus dans la foulée. Je revoyais encore Link nous balancer la nouvelle alors que je revenais dans le studio après ma petite crise de panique. Notre concours avait attiré l’attention d’un producteur basé à Minneapolis. Il nous proposait de produire notre prochain album, avec mise à disposition d’un studio d’enregistrement dernier cri et logement sur place pris en charge. Le rêve pour tout groupe. Les choses s’accéléraient, le destin me donnait un grand coup dans les fesses ou un gros fuck, au choix. Là, je penchais sérieusement pour le second.
Je doutais encore de cette décision. Je l’avais bouclé, dans l’intérêt du groupe, alors même que mon esprit s’évertuait à lister toutes les raisons pour lesquelles cela allait être l’enfer. Sauf qu’il n’était plus temps de fuir. A un moment, j’allais devoir faire face et peut-être que ce moment était venu. L’enthousiasme des autres valait au moins le sacrifice. Mike avait passé toute une soirée à me questionner, à peser ma motivation et mon équilibre mental. J’avais dû déployer des trésors de persuasion pour le rassurer. Je m’étonnais moi-même d’avoir si bien su cacher mon mal-être. Former le groupe m’avait empêché de sombrer, les autres n’avaient pas à trinquer pour mes démons.
L’air frais du petit matin nous cueillit à la sortie de l’appareil. Anciens originaires du coin, à part Link, les manteaux que nous avions prévus absorbèrent la différence de température. La caresse glaciale sur mon visage raviva des souvenirs doux-amers. Le bras de Mike m’enserra le cou et me poussa à avancer vers le terminal d’arrivée. J’inspirai une grande goulée d’air et en savourai le goût étrangement familier. Je rassurai mon frère d’une tape sur l’épaule. Je gérais. Pour le moment…
*
Deux appartements nous attendaient dans cet immeuble de Uptown. Par les vitres du taxi, j’avais pu me faire une première impression du quartier. Les environs ne manquaient pas de charme. Entre les murs colorés de street art, les nombreux bars et restaurants le long de l’avenue principale, l’atmosphère artistique était tangible.
En entrant dans celui qui nous était dédié, je ne pus retenir un sifflement admiratif. Le salon s’ouvrait sur une large baie vitrée. Sur le côté, une cuisine entièrement équipée, ouverte sur le reste. Un couloir longeait l’entrée et desservait deux chambres, la salle de bain et les toilettes.
— Ils ne se sont pas moqués de nous.
— Vu d’où on partait, ils avaient une bonne marge de manœuvre, renchérit Mike, aussi impressionné que moi.
Je me calai dans le canapé et soupirai d’aise. J’en appréciai le confort, tout autant que le calme des lieux.
— Ça va nous changer de ne plus être les uns sur les autres.
— Ils sont juste en dessous de nous, s’amusa mon frère. Mais j’avoue que de se retrouver en famille c’est sympa.
Je hochai la tête. Notre famille se résumait à nos deux entités, les indivisibles comme aimait nous appeler Travis, les autres… qu’ils reposent là où ils étaient. Mes doigts enserrèrent l’arête de mon nez. Mes pensées ne cessaient de percuter le mur du passé. Le fauteuil s’affaissa près de moi.
— Tiens.
J’entrouvris un œil et avisai la bouteille de bière tendue par mon frère.
— Ils ont rempli le frigo en plus. On est traité comme des stars.
Mike ne fut pas dupe. Il trinqua avec moi, bus une gorgée puis reposa la bouteille sur la table basse.
— On est ensemble dans le même bateau, ok. Je ne te lâche pas. On affrontera tout ça ensemble, comme d’habitude.
Les yeux fixés sur le mur en face, là où une reproduction abstraite habillait l’espace nu, j’écoutai. Il était conscient de mon manège. La stratégie d’éviter qu’il ne lise dans mon regard à quel point j’étais effrayé de basculer à nouveau.
— Elle n’est pas loin d’ici, murmura Mike, comme pour lui-même.
J’opinai alors qu’une vague de froid remontait le long de mon échine. Je m’étais efforcé de repousser cette évidence autant que possible. Se voiler la face ne durait qu’un temps.
— Elles ne sont pas loin d’ici, le repris-je en insistant sur le pluriel.
Ma gorge nouée donnait à ma voix une tonalité chevrotante. Je terminai ma bouteille cul sec. Qu’attendait-il de moi ? Voulait-il aller la voir ? Je ne m’en sentais pas la force. Pour aucune des deux.
— Désolé, Trev. Cette pensée m’a échappé. N’en parlons plus.
Mes doigts crispés sur le verre, je déglutis avant de me lever.
— Pas de souci. Je vais aller me reposer un peu. Tu me réveilles pour aller manger ?
— On fait comme ça. Je vais passer voir les gars en bas.
Je détestais la retenue dans sa voix, cette façon qu’il avait de marcher sur des œufs en permanence. Je le comprenais tout en lui en voulant pour ça. L’impression d’être un boulet me submergeait alors et mes pulsions de colère affleuraient à la surface. J’abrégeai l’échange pour mieux les réprimer.
Je pris l’une des chambres au hasard et me laissai tomber sur le lit. Mon bras vint couvrir mon visage et je mordis mes lèvres pour étouffer un cri de rage et de frustration. Les démons rôdaient de nouveau autour de moi.
Qui sont "elles" ? "Elle" ?
Pardon, je vais trop vite. Mais ça m'intrigue. Est-ce que j'ai oublié ? Est-ce qu'on le découvrira par après ?
Sinon, ce chapitre fait bien avancer l'histoire, c'est chouette. J'ai toujours rêvé d'avoir un grand frère, et je suis contente que Mike incarne si bien ce personnage protecteur envers Trevor. J'ai vraiment hâte de comprendre pourquoi Mike lui est si loyal, d'ailleurs. Pourquoi était-il prêt à partir ? Et les autres sont-ils au courant de tout ce que traverse Trevor ?
Je sais, je suis trop impatiente de tout savoir. Peut-être est-ce un point faible ? J'entends, qu'il y ait "trop" de mystère ?
Enfin voilà. Désolée, c'était un commentaire très explosif... J'espère que ma tempête de questions ne t'a pas trop déstabilisée ':D
Bien à toi
A.
ça veut dire que mon texte fait réagir. Alors, pour le "elles", l'une des personnes est Morgane, l'identité de l'autre personne sera dévoilée après.
C'est bien de faire remonter ce genre de choses car parfois, je peux oublier de préciser des informations évidentes pour moi. Bonne lecture pour la suite.