60. Alités

Par Elore

Je suis restée un moment au QG, assez longtemps pour réussir à visiter Jezebel. Dès que j’ai pu marcher sans tomber dans les pommes, je suis allée la voir.

Ils l’avaient mise dans la chambre voisine de la mienne. Elle était assise sur un lit, en train d’écrire un truc dans vieux carnet que j’avais déjà vu dans ses mains. La vision aurait pu paraître ordinaire, à l’exception d’un détail : sa tête était recouverte de bandages. Je me suis arrêtée sur le seuil, sans trop savoir quoi faire.

Jezebel a levé la tête et m’a avisée. Refermant son cahier, elle m’a fait signe d’approcher. J’ai essayé d’être nonchalante, ignorant le fait que mon cœur battait à nouveau sous mon crâne.

- Ça va ?

Elle a hoché la tête. J’ai essayé de feindre une certaine force, mais m’asseoir sur le bord de son lit a été un soulagement. Il y a eu un silence inconfortable, durant lequel elle m’a fixée en silence. J’ai fini par reprendre :

- T’as l’air d’une momie.

Elle a répondu d’un rire sans joie.

- Et encore, tu verrais la plaie...

J’ai hoché la tête. Même si la vie au sein de la Meute m’avait désensibilisée, je me souvenais d’à quel point Jezebel avait saigné dans la voiture. Mon regard a scruté les bandages, ignorant ce que j'y cherchais exactement. Jezebel a soupiré :

- Tu veux voir mes cheveux ? Te fatigue pas, il m’en reste plus.

C’était logique, pourtant je n’y avais pas pensé. Mon regard s’est accroché aux draps, incapable de soutenir sa gravité. Je savais que Jezebel prenait un soin particulier de sa tignasse, c’était même l’un des sujets que je la voyais aborder régulièrement avec Hope et Gold alors que, d’habitude, elle ne parlait pas trop aux hommes.

- ... ah.

Je l’ai sentie bouger.

- C’est pas grave. Je mettais des perruques avant, parfois. Je vais continuer.

Son ton s’est adouci.

- Et toi ? Comment tu vas ?

J’ai haussé les épaules. Je ne me sentais pas de me plaindre : mon flanc me faisait super mal, mais au moins j’avais encore mes cheveux.

- J’ai des côtes fêlées et, apparemment, le tableau de bord m’a explosé l’arcade.

Elle a sifflé, avant de répliquer :

- Quand je serai sur pied, je vais harceler Face jusqu’à ce qu’il foute des airbags dans toutes nos caisses.

Ça m’a fait marrer. Elle a ri aussi, comme si elle me concédait ce moment de complicité. Dans la pièce d’à côté, une porte a claqué et j’ai reconnu les inflexions de Hope s’entremêler à la voix d’un homme que je ne connaissais pas. Jezebel a levé les yeux au ciel.

- Tu le crois, ça ? On essaie de se reposer, ici.

Légèrement mal à l’aise d’aborder ce sujet avec l’une des filles, j’ai haussé les épaules.

- On peut changer de chambre, si tu veux.

Une exclamation, mi-rire mi-moquerie, lui a échappé :

- Si je veux ? Comme si toi, tu étais à l’aise avec ce genre de trucs... je te rappelle que c’est notre quotidien, pas le tien.

- Pas besoin de me le rappeler.

Sa main s’est posée sur mon épaule et son regard a croché le mien. Avec une chaleur que je ne lui connaissais pas, elle a lancé :

- C’est de bonne guerre, Rain. Tu me dois bien ça.

 

Je suis partie peu après et j’ai sans doute bien fait : entretenir une conversation me prenait une énergie inquiétante, j’ai à peine eu le temps de retourner dans ”ma chambre” avant de m’endormir. Un temps indéfini plus tard, quelqu’un a fait irruption dans mon sommeil chaotique, peuplé de vagues.

- Debout, Rain.

Je me suis arrachée au sommeil d’un sursaut et ai distingué le visage d’Al, penché sur moi.

- Ah, doc. Salut.

La voix d’Hakeem a retenti et je me suis rendue compte - sans réelle surprise - qu’il était revenu aussi.

- Tu peux te lever ?

Sans que je puisse répondre, mon frère m’a aidée à me redresser. J’ai grogné, sans le repousser : depuis qu’il m’avait récupérée, sur la plage, il avait passé une grande partie du temps dans ”ma chambre”. Al nous a regardé faire avant de me tendre un gobelet plein de médicaments et un verre d’eau. J’ai tout avalé sans broncher, presque avidement : quand leur effet se dissipait, je recommençais à avoir mal à en crever. Le doc m’a scrutée :

- On va changer tes bandages. Enlève ton haut, s’il te plaît.

Je me suis exécutée directement : ce n’était de loin pas la première fois qu’il m’auscultait. Hakeem s’est éloigné et s’est rapproché de l’encadrement de la porte. Avec surprise, j’ai vu qu’il n’était pas seul. J’ai râlé :

- C’est possible d’avoir un peu de vie privée, ici ?

Face a répondu du tac-au-tac :

- Je ne suis pas un chien, Raïra. Je viens juste voir si tu es transportable.

- Transportable ?

J’ai cherché le regard de Hakeem. Ce dernier a précisé :

- Faut que tu reviennes à la maison, les parents vont rentrer pour la semaine.

J’ai juré : c’était vrai qu’avec leurs problèmes, ils étaient plus présents. Al a resserré le bandage autour de mon thorax et j’ai grimacé.

- Tu vas leur dire quoi ?

Il m’a adressé un sourire.

- J’ai payé un prof de sport pour leur raconter des conneries. Officiellement, tu t’es blessée pendant un cours.

Ça a été plus fort que moi, je me suis mise à ricaner. Face a pris la parole, s’adressant à Al.

- Préviens-moi quand elle sera prête, et on partira.

On ?

J’ai fixé Hakeem, dont le regard était aussi surpris que le mien. Mais on n’a rien dit, pas tout de suite. Quand le boss est parti, mon frère a commencé à faire mon sac. Alors qu’il partait récupérer des affaires dans une salle de bain, me laissant seule avec Al, j’ai demandé :

- Dog a survécu ?

Le doc m’a adressé un sourire étrange, avant de me répondre, à voix basse :

- J’ignorais que tu t’inquiétais pour lui.

J’ai levé les yeux au ciel : de quoi il se mêlait ?

- Je bosse avec lui, c’est important de savoir s’il est en état de reprendre.

Le médecin a hoché la tête :

- De vous trois, c’est celui qui s’est le mieux remis. Pas de fractures, pas de sutures.

Il a repris, baissant la voix :

- Par contre, rien n’explique l’empoisonnement.

Mon sang s’est figé. J’ai cherché son regard en vain, Al se concentrait sur mon front recousu.

- Quoi ?

Il m’a ignorée et s’est redressé.

- Je vais prévenir Face que tu peux te déplacer. Je te conseille de rester tranquille une bonne semaine au moins.

Avant que je ne puisse répondre, il s’est tourné et a quitté la pièce, me laissant seule. Avec, dans la tête, l’image de Dog sur la plage, crachant un liquide visqueux et sombre que j’avais alors pris pour de l’eau de mer.

La noyade, ça faisait saigner de l’intérieur ?

Si tu veux tuer Dog, je ne t’en empêcherais pas.

 

Il se passait de plus en plus de choses que je ne contrôlais pas au sein de la Meute, et la pensée ne me plaisait pas.

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_HP_
Posté le 29/06/2021
Coucouuu !

Un empoisonnement ? :o Par qui ?
C'est vrai qu'il y a de moins en moins de choses qu'elle contrôle, et que la tension monte petit à petit, et j'ai "hâte" de voir où tout ça va finir... 😳😬
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