Lorsque Gold nous a aperçus, son sourire s’est évanoui. Il s’est immédiatement dirigé vers nous et a d’abord réceptionné Dog avant de le hisser sur ses épaules.
- Bordel, il vous est arrivé quoi ?
Jezebel lui a adressé un sourire qui sentait la fatigue.
- Le Nœud nous a pris en chasse et on a fini dans l’eau.
J’ai rajouté, machinalement :
- On était dans une voiture.
Les yeux de Gold se sont écarquillés, avant qu’il ne laisse échapper un juron. Il a repris contenance avant d'indiquer :
- Ma caisse est parquée plus loin.
On s’est mis à marcher. Il y a eu un silence entrecoupé par nos respirations avant qu’il ne lâche, doucement :
- ... vous avez dû avoir peur.
Je n’ai pas tout de suite vu Jezebel s’immobiliser, j’étais un peu devant. Mais quand j’ai senti que je marchais seule, je me suis retournée pour la voir debout, tête penchée en avant, ses deux mains agrippées à la veste de Gold. J’ai dû me rendre compte qu’elle pleurait en même temps que Gold mais seul l’un de nous deux a réagi, posant une main sur son épaule avant que je me détourne : je n’étais pas de ceux qui réconfortaient, je ne savais déjà pas quoi faire des émotions qui remuaient comme des vagues au fond de mes poumons. Je les ai laissés, m’avançant vers une voiture qui abordait nos couleurs, esseulée à l’entrée de la plage.
Un bruit de portière, quelqu’un est sorti et j’ai mis quelques secondes à reconnaître mon frère. J’ignore si la lumière de la lune y était pour quelque chose, mais il m’a semblé si vulnérable et émacié, à me regarder avec des yeux heureux puis attristés ; c’est vrai que lui ignorait l’enfer par lequel j’étais passée. Puis, d’une démarche animée par un élan étrange, je l’ai vu contourner la caisse et marcher vers moi. Avant même que je n’aie pu dire quelque chose, je me suis retrouvée entraînée dans une étreinte si forte qu’elle m’a presque fait mal.
Ma voix a résonné, lointaine :
- Mes côtes... attention à mes côtes.
Il a articulé un vague ”pardon” sans changer quoi que ce soit. Perdue dans son étreinte, ma vision s’est brouillée, de fatigue ou d’autre chose que je ne pouvais pas identifier. Depuis quand Hakeem était si chaud ? Une vraie bouillotte.
- Je suis désolé.
- Pourquoi ?
Peut-être qu’il pleurait, peut-être que moi aussi. C’est si flou, mais je me souviens d’à quel point le voir m’a fait du bien, à quel point son câlin m’avait aidé à prendre réelle conscience que le cauchemar était terminé. Je n’ai pas identifié ces sentiments tout de suite, il m’a fallu être sur le chemin du retour, affalée dans la banquette arrière juste à côté de lui. J’ai tant lutté pour rester éveillée mais l’épuisement m’a rattrapée ; ma tête s’est appuyé contre l’épaule de Hakeem et j’ai perdu conscience alors qu’il murmurait des mots censés me rassurer.
Quel idiot.
Je me suis réveillée dans une obscurité poussiéreuse, à peine percée par la lumière venant d’une porte entrouverte. Ma main a frôlé des draps avant de se projeter sur le côté, vérifier que j’étais seule allongée. Puis une voix familière a retenti dans la pénombre.
- Raïra ?
J’ai voulu me redresser, mais deux réactions m’ont immédiatement stoppée : de un, une douleur atroce au flanc et de deux, l’impression que le sang de tout mon corps s’était mis à battre sur mon front. J’ai juré et me suis immobilisée avant de me laisser retomber sur l’oreiller, mon regard distinguant les contours de visage de Hakeem dans la pénombre.
- J’ai soif, putain.
Il s’est marré, nerveusement. D’un coup - les évènements d’avant le sommeil me sont revenus.
Vlad. La poursuite. La route.
La voiture, sous la surface. Et l’eau qui monte, qui n’arrête pas de monter, jusqu’à emplir mon nez et ma bouche.
Un violent frisson a agité mes vertèbres, m’arrachant à l’emprise des souvenirs.
- ... Jezebel. Elle va bien ?
Hakeem a hoché la tête.
- Ils ont dû la recoudre. Toi aussi, d’ailleurs.
- Putain...
Un silence. Plus doucement, je me suis redressée et ai réussi à m’appuyer sur mes coudes. Mon frère a poursuivi :
- T’avais l’arcade ouverte et Jezebel... c’était le crâne.
J’ai sifflé, tentant vaguement de maîtriser les battements de mon coeur.
- Elle va s’en sortir ?
- Oui, elle dort.
J’ai grimacé : mes côtes pulsaient. En passant la main sous le t-shirt ample que je ne me souvenais pas avoir enfilé, je me suis heurtée à un bandage épais.
- Ça va ?
- J’ai mal.
Il s’est approché et a tendu les mains. Voyant qu’il hésitait entre m’aider à me lever et me recoucher, j’ai balancé mes jambes de côté et me suis tournée, m’asseyant sur le lit sans son aide. Mon corps a immédiatement réagi en m’envoyant des éclairs de douleurs qui ont fait danser des points dans ma vision. Perdue, je me suis accrochée à Hakeem.
- Putain...
- Raïra, tu fous quoi ? Al a dit qu’il fallait que tu te reposes.
Ignorant ma vision brouillée, j’ai marmonné :
- J’ai soif et j’ai envie de pisser. Tu vas pas pouvoir le faire à ma place, non ?
Pas besoin de voir clairement pour savoir qu'il avait grimacé.
- Je peux déjà t’amener à boire. Pour le reste on verra, ok ? Mais reste tranquille s’il te plaît.
- Ramène-moi un soda. On une bière.
Il a soupiré, s’est levé en faisant attention à ne pas me déséquilibrer.
- On va commencer par de l’eau.
J’ai voulu me foutre de lui, mais les forces m’ont manqué. Reprenant doucement le contrôle de ma respiration, je l’ai vu se détacher doucement de moi et disparaître par la porte, laissant la lumière blafarde du couloir éclairer la pièce.
Je suis restée immobile un moment, sans oser bouger. Peu à peu, j’ai mieux distingué l’intérieur de la pièce : le cadran de lit kitsch récupéré dans dieu sait quelle déchetterie, le matelas miteux et quelques sacs d’affaires qui débordaient d’un placard.
On avait dû me foutre dans une chambre libre, et j’espérais vraiment qu’elle soit propre.
Une inspiration, deux. Quand la douleur s’est calmée, j’ai perçu quelques bruits, au QG. Des conversations lointaines venant du salon puis, plus proche, le son de l'eau qui coulait.
Une fois familière, de l’autre côté du mur. Qui parlait du ton de celui qui se voulait posé alors qu’il s’agitait.
- ... hors ... question.
Je n’ai pas réfléchi quand je suis levée, mais le sang m’est immédiatement monté à la tête. Vacillant, j’ai posé mes mains et mon front contre le mur. C’était con, de faire comme si j’étais pas blessée : je tenais à peine debout.
De l’autre côté de la paroi, une voix a répondu à la première. Alors que je fermais les yeux, elle m’est apparue plus proche, se mêlant aux battements sourds de mon cœur.
- Il faut que j’y retourne.
- Je ne te laisserai pas.
C’était Tamiko. Je reconnaissais ses inflexions. Il m’a fallu bien plus de temps pour identifier celles de Face, car je ne l’avais jamais entendu aussi agité. Aussi émotionnel.
C’était dérangeant.
Avant que j'aie le temps de décoder son discours, Tamiko a répliqué :
- Que tu le veuilles ou non, j’irai. T’as vu ce qu’ils leur ont fait, ils sont prêts à tout et on a plus aucun moyen de savoir leurs plans.
Il y a eu un silence, puis du mouvement. Sous le pansement qui recouvrait l’arcade de mon front, j’ai senti le sang couler.
La voix de Face a répliqué, étouffée et fébrile :
- Tu t’es pas encore remise. Tu dois rester.
Cette fois, Tamiko a presque crié :
- Tu sais très bien que plus je m’absente et plus ils vont se douter de quelque chose, on a déjà trop abusé. On peut pas les laisser sans surveillance après ce qu’ils ont fait à Rain, Jezebel et Dog, putain ! Face, c’est pas le moment de craquer !!
J’hallucinais, incapable de croire mes oreilles. L’idée que Tamiko puisse être en train de remonter les bretelles de Face allait à l’encontre de la hiérarchie de la Meute et du principe même qui dictait que notre chef était inébranlable.
Si lui craquait, qu’est-ce qui nous resterait ?
Le silence s’est prolongé, et la voix du boss a résonné trop faiblement pour que je puisse distinguer les syllabes. Un rai de lumière a illuminé la pièce et j’ai entendu mon frère jurer.
- Raïra ? Tu fous quoi ?
Alors que je me redressais et glissait vers l’arrière, son bras m’a soutenue et m’a aidée à m’asseoir.
- Quelle tête de mule, bordel, tu pouvais pas rester tranquille ?
J’ai laissé échapper un ricanement pathétique :
- Si je savais rester tranquille, on aurait jamais fini par bosser ensemble.
Il a capitulé avant de m’aider à boire puis me rallonger. Alors que je sentais ma conscience foutre le camp, mon regard s’est heurté à l’expression soucieuse de mon frère. Au bout de quelques secondes dans le coton, j’ai réussi à articuler quelque chose :
- Hakeem... ça te va pas bien, d'être sympa.
Je n’ai pas eu le temps de voir sa réaction avant de sombrer.
Mmmh... Est-ce que ça ne serait pas Tamiko, la "taupe" ? En plus, Tamiko/taupe... Ca se ressemble 😋😂
En tout cas elle a un lien avec le Noeud 🤔
J'aime beaucoup ces passages où Hakeem prend soin de sa soeur, c'est mignon 🥺 Et si, Raira, ça lui va bien d'être sympa 🙄