J’ai cru que mon cœur allait éclater au moment fatidique de l’appel des classes. Les noms défilaient, et les élèves s’alignaient résignés. Les vacances étaient finies !
6ème 1, 6ème 2, 6ème 3 … Un long compte à rebours...La principale lisait les noms de famille d’un ton militaire, comme pour une revue des troupes. Et puis, elle a prononcé le mien. J’ai lâché la main de maman… et je suis partie me ranger en mode automate crispée. J’ai senti qu’un truc important venait de se passer. Ce truc, c’était mon entrée officielle au collège.
Mme sablé continuait à égrener la liste toujours sur un registre martial, et des visages inconnus rejoignaient mon rang. Enfin, le soulagement. Un mot magique est sorti de ses lèvres : Sauzaie ! Un nom qui a suffi à éclairer ma matinée.
J'ai peut-être un peu noirci le tableau tout à l’heure. D’accord les locaux sont glauques, d’accord la principale ressemble à une extra-terrestre avec un côté Dark vadorien, mais je suis avec ma meilleure amie. Alice ! Et çà, c’est la base pour passer une bonne année. Seul frein à ma joie, Dimitri et Alan sont aussi de la partie. Quand vont-ils enfin cesser de s’incruster dans notre classe ces deux-là ? Pour l’instant, ils ont l’air de se tenir à carreau mais ils sont juste dans leur phase d’observation avant leur première bêtise.
Nous avons parcouru un couloir aussi sombre que poussiéreux avant de nous rendre dans la salle 106 sous l’escorte de notre professeur principal, Melle Oliveras. Ce sera aussi notre professeur de français, ma matière préférée. Ca m’étonnerait qu’elle soit à la hauteur de Melle Clément, mais on verra à l’usage. En tout cas, elle a l’air plutôt agréable. Après nous avoir distribué notre emploi du temps (qui entre parenthèses a tout du casse tête chinois), elle nous annonce la venue imminente de l’équipe pédagogique. Dimitri semble impatient, il pense sans doute qu’une équipe de foot va débarquer. Déception, c’est la principale qui fait irruption dans la pièce flanquée de la fameuse équipe.
A la fois surpris et apeurés, nous nous levons machinalement. Tous à l’exception de Dimitri, qui finit par nous imiter non sans faire tomber sa règle en fer au passage. La principale le dévisage, se pince les lèvres et finalement dit à l’adresse d’un homme placé derrière elle : « Vous me le surveillerez, celui-ci M.Falsard ». Dimitri est en sixième depuis quelques minutes et le voici déjà parvenu à ses fins : se faire remarquer.
Pas de répit, Mme Sablé est venue nous porter la bonne parole. En résumé, le collège c’est du sérieux, et le collège Balzac tout particulièrement. Tout d’abord, elle espère que nous sommes sensibles « au charme désuet des lieux », façon élégante sans doute d’évoquer l’état de décrépitude avancée des locaux. Dimitri croit bon de traduire pour son voisin « les bâtiments sont craignos, et c’est la Zone ! » Pour une fois il n’a pas tort, et je me demande de plus en plus comment je vais survivre à cette année. La principale poursuit avec quelques mises au point, qui ressemblent à des mises au pas « Tolérance zéro !» Il y a des règles à respecter, elle sera notre pire cauchemar en cas d’infraction. Est-ce que je viens de m’engager dans l’armée sans le savoir? En guise de conclusion, elle nous assène un « fermeté et bienveillance, voilà ma devise ». Ma parole, elle se croit revenue au temps des chevaliers ! Il ne lui manque que l’armure ! Mais ce n’est pas encore terminé puisqu’elle ajoute « une fermeté bienveillante ou une bienveillance ferme, telle est ma politique ». Les deux tiers de la classe se regardent éberlués, ne comprenant rien à cette allocution aux allures de conférence présidentielle.
Elle nous présente enfin le staff technique et notamment M.Falsard, le CPE, taillé comme une brindille. Encore un nouveau sigle ! C’est en fait le conseiller principal d’éducation, je compte sur Dimitri pour le rebaptiser sous peu. Principal, est-ce que ça veut dire qu’on doit lui céder le passage dans les couloirs ? Il est décrit comme un des rouages essentiels de l’établissement. En quelque sorte le numéro 2 du collège.
« Il a une drôle de gueule 002, chuchote Dimitri.
- A ton avis 007, c’est le concierge ? lui rétorque Alan. »
En tout cas, il faut admettre que c’est un drôle de couple, comme dirait tonton : « On voit de suite qui porte la culotte ». La principale poursuit : « C’est mon bras droit ! » Benoît très concerné demande aussitôt : « Qui c’est qui fait le gauche ? » Face à une Mme Sablé médusée, le CPE répond d’une voix monocorde qu’il est inutile de dresser tout l’organigramme du collège. Encore un mot barbare pour l’ensemble de la classe.
Benoît visiblement inquiet demande si « l’organigramme » fait partie des « provisions scolaires ». Silence général, tout le monde semble réclamer un décodeur. Regard consterné de la principale. Numéro bis nous rappelle que notre carnet de correspondance, c’est notre passeport pour le collège. « Comme les cahiers de vacances ? » interroge un élève. Pas de doute notre réputation est faite : les 6ème3 sont des flèches ! J’ai envie d’hurler : « Au secours, sortez-moi de là ! » Mon sens de l’adaptation a ses limites.
Merci papa, merci maman d’avoir choisi Balzac pour mes premiers pas chez les grands. Dire que j’ai échappé de justesse à un exposé de mamie sur mon futur développement cognitif et social ! Dire que mes parents ont passé l’été à lire des articles qui avaient l’air aussi barbants que leurs titres, des trucs du style « Comment gérer la transition de l’enfant écolier au préadolescent collégien ? ». Tout ça pour me retrouver LA ! Comme dirait Roxane : « J’hallucine grave ! » Et voilà ça commence, deux heures dans ce trou, et je parle déjà comme une racaille. Virer mauvais genre, c’est peut-être ça la solution pour que je change de collège. Vous avez de la chance que je sois une vraie « petite fille modèle ». Enfin, je suis quand même super remontée, super véner (autant s’entraîner à mal parler tout de suite et garder quand même l’idée dans un coin de ma tête) !
Alan bâille. Dimitri lui lance un regard complice. Et je lis dans ses yeux que la phase d’observation est terminée. Je suis assez près pour l’entendre lui lancer.
« Frère, on va on un peu ambiancer tout ça. A mon tour, de me présenter ! »
J’ai dévoré ce début. Le rythme du récit est entraînant, les images sont hilarantes, bon équilibre entre narration et dialogues, … top ! C’est un plaisir !
Hâte de lire la suite