« Vous ne pourrez plus rien cacher à vos parents ! »
La phrase du CPE a son petit effet. Il précise : ils peuvent tout connaître en temps réel. Une fille assise au premier rang lève la main pour intervenir.
« Alors, votre truc, c’est comme une émission de télé-réalité ? »
Les adultes se regardent effarés. Le coin de la bouche du CPE bouge nerveusement, comme s’il avait envie de rire et qu’il se retenait.De nouvelles explications s’imposent.Il a prononcé le mot magique : Pronote, un logiciel qui permet de gérer les absences, les notes, les devoirs et sujet sensible les observations. M.Falsard ressemble à un démonstrateur sur une foire.
« Vos parents veulent savoir si vous avez du travail, il leur suffit de consulter : Pronote !
Vos parents se demandent quelle note vous avez eu à votre éval en maths, il leur suffit de consulter... Deux élèves répètent en chœur : Pronote !
Il poursuit imperturbable.
Vos parents désirent savoir si votre journée s’est passée sans retard ou observation, il leur suffit de consulter …Et la moitié de la classe hurle : Pronote ! »
L’occasion est trop belle pour Dimitri qui a décidé d’entrer en scène.
« Votre pronote, c’est raccord avec le respect de notre vie privée ? Perso, je trouve ça, limite. »
La machine est lancée. Melle Clément savait débrancher la prise. Elle avait prédit que le collège calmerait Dimitri. Pas sûre qu’elle ait vu juste sur ce coup là. Mme Sablé a des éclairs dans le regard, je crains que sa pièce montée ne s’effondre. Elle devrait pourtant apprécier l’effort de Dimitri : il a levé la main pour prendre la parole ! Quant à notre CPE, il lui jette un regard aussi vif que celui d’une huître. C’est sûr avec lui comme « shérif » du collège, l’ordre va régner !
Mme Oliveras intervient alors : « Jeune homme, perso, c’est ton comportement que je trouve limite ! »
M.Falsard en profite pour rebondir sur le mot « limites » et choisit diplomatiquement d’ignorer l’incident. Tout paraît glisser sur lui, un peu comme sur un imperméable.
« Alors, les limites de jeu de ballon dans la cour, parlons-en ! »
Mais le débat sur Pronote n’est pas clos.
« Vous êtes sûr que Pronote, c’est pas un réseau social ? interroge Benoit inquiet. Parce que ma mère, elle m’a interdit d’aller sur les réseaux social. »
Nouveaux regards consternés de l’équipe. Mme Oliveras ne peut s’empêcher de corriger : « sociaux ». Pour détendre l’atmosphère, elle annonce : « Il faudra reprendre le pluriel »
« C’est comme un espion, se lamente un garçon, la poisse !
- T’en fais pas, le rassure Dimitri, suffit de bidouiller les codes de connexion de tes vieux. Pas vrai, m’sieur ?
- Je vois que nous avons un futur pirate informatique, commente M.Falsard sur un ton amusé, histoire d’éluder le sujet. »
Les yeux de Mme Sablé brillent comme deux charbons ardents, l’éruption est imminente. Vésuve fois dix ! Je me demande si comme les habitants de Pompéi, nos corps seront exposés. Peut-être trôneront-ils dans le hall du collège histoire de dissuader les futurs perturbateurs ?
« Mais en voilà des questions, vous allez me le convoquer celui-ci M.Falsard ! Quel toupet ! Quelle insolence ! » vocifère la principale dont le regard s’embrase. Chacune de ces exclamations s’accompagne d’un mouvement de tête, qui parait devoir être fatal à sa création capillaire.
Dimitri fait mine de ne pas comprendre où se trouve le problème et la fille très menue du premier rang lève à nouveau la main. Ce n’est pas le moment le plus propice, mais sait-on jamais elle a peut-être une révélation de la première importance à faire, du style : je suis la fille cachée de Mme Sablé. Elle se lance : « Maîtresse, je peux aller aux toilettes ! » La principale en reste sans voix, et nous explosons de rire, d’un rire bien bête, celui qui agace les adultes en général.
« La 6ème 3, vous notez M. Falsard, il faudra les surveiller de près ceux-là ! » Elle se place ensuite devant Sharon, l’élève qui a des envies pressantes pour lui hurler :
« Je suis la principale, la principale de ce collège, c’est compris !
- Oui madame la directrice, répond elle poliment.
- Principale, principale. Quant aux toilettes, on ne s’y rend jamais pendant les cours ! »
Elle pense en avoir terminé pourtant retentit un : « Comment qu’on fait quand on a la colique ? » Cette brillante intervention est encore l’œuvre de Sharon.
Dimitri est inspiré : « C’est vrai ça, comment qu’on fait si on a la colique ? »
M.Falsard prend les devants : « Je le convoque, je le convoque … ». Avant de nous quitter, Mme Sablé nous rappelle que nous avons un périmètre réservé dans la cour. Il est formellement interdit de s’aventurer au-delà sous peine de lourdes sanctions. On croirait qu’elle nous parle d’une zone de baignade autorisée ou du petit bassin. Peut-être y a-t-il aussi un système de drapeaux. Dommage les surveillants que j’ai aperçus n’ont rien à voir avec des maîtres nageurs sauveteurs. Si nous franchissons la limite : attention aux requins, ici les grands troisièmes. « Vous visualisez une ligne qui va jusqu’aux bancs. » Le langage imagé de Mme Sablé pose problème. Tous mes camarades regardent par la fenêtre à la recherche de la fameuse ligne et se lancent des « Tu la vois, toi ? » ou encore « Où qu’elle est ? » Mme Sablé perd patience et s’exclame que c’est à nous de la matérialiser dans notre esprit.
« Oui, mais elle est horizontale ou verticale votre ligne? Interroge Sofia
- Et puis elle est de quelle couleur ? demande encore Benoît.
La principale décide de jeter l’éponge et de battre en retraite, c’est sans compter sur Dimitri : « Eh ! madame, Dimitri, Dimitri Roger, c’est mon nom ! Parce que si vous voulez me convoquer, faudrait peut-être voir à connaître mon nom ! »
Soudain, un surveillant un peu essoufflé pénètre dans la salle, il glisse quelques mots à Mme Sablé, qui quitte la salle très lentement car sa tenue ne lui permet pas d’avancer plus vite. Elle a l’air épuisée et murmure quelque chose comme « cour des miracles ». Je doute que ce soit un compliment à notre égard.
« - Monsieur Roger vous semblez avoir des dons pour faire le pitre, lance Mme Oliveras.
- Faut bien mettre un peu d’ambiance, madame.
- Parfait Dimitri, j’ai une petite idée qui pourrait mettre à profit ton goût d’animateur et faire participer toute la classe. Tu es inscrit à la cantine ?
- C’est quoi le rapport ?
- Tu comprendras bientôt, conclut-elle d’un ton énigmatique. »
Sur la forme, il n'y a a pas de fautes d'orthographe et le style est fluide et agréable à lire.