7. Cette nuit étoilée

Par Dédé

Chez Vic et sa famille

3 mars 2018

 

Je tourne en rond… J’ai dû sortir sur la terrasse de l’appartement pour ne pas réveiller tout le monde…

Un tas de pensées m’envahit et m’empêche de dormir malgré l’heure tardive.

1) La victoire du championnat. Je n’en reviens toujours pas ! J’ai peur de me réveiller (encore faudrait-il dormir) et me rendre compte que j’ai tout inventé… Je ne suis pas habitué aux fins heureuses.

2) Vic. Quand le Festival s’est achevé, Ju a essayé de me convaincre de parler à Vic. Mais, est-ce à moi de le faire ? Est-ce nécessaire d’en passer par là ? Tout se mélange dans ma tête entre ce que je veux, ce que je mérite et ce qui ferait plaisir aux autres…

3) La suite du voyage. Je n’ai aucune idée quant à notre prochaine destination. Je n’ai aucun objectif en tête, aucun vieux rêve pressant. Est-ce l’Univers qui me fait comprendre que je dois rester à Tétrisse pour éclaircir les choses avec Vic ? Ou est-ce le signe que ce voyage ne rime à rien ?

Je ne pense pas que ce voyage soit inutile.

Avec Ju, on s’est pas mal rapprochés. Même si beaucoup de choses nous éloignent encore. On a besoin de continuer à s’apprivoiser. Ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin, dans tous les sens du terme…

4) Soyons réaliste… Toutes ces pensées sont régies par une pensée ultime. Cette incapacité à laisser filer le passé, à le mettre de côté, s’en servir comme d’une force, blablabla... Il a beau être mauvais, traumatisant au possible… Il vient quand même hanter à longueur de journée. Tout serait si simple sans ça… Tout.

J’entends du bruit. Je vais arrêter d’écrire…

 

Mo

 

***

 

Mo referme à peine son carnet quand il entend la porte de la terrasse s’ouvrir.

C’est Vic.

Mo se fige sur place. Il a dû le réveiller. Il n’a aucune idée de ce qu’il va lui dire. Il n’a pas envie de lui parler du carnet. Il veut juste être tranquille.

— Je suis désolé, s’excuse Vic. Je ne voulais pas te faire peur…

— Non, non, t’en fais pas, lui répond Mo. C’est ta terrasse. C’est moi qui n’aurais pas dû venir ici… C’est que… Je n’arrivais pas à dormir et… et j’ai l’habitude de m’isoler quand c’est comme ça et…

Vic tape sur l’épaule de Mo pour le rassurer. Le frère de Ju ressent comme un frisson à ce moment-là. Un frisson plutôt agréable. C’est une sensation qu’il n’a jamais connue auparavant.

— Hé ! Mo ! Il n’y a aucun souci. Tu as le droit de venir ici, si tu en as envie, lui affirme Vic en souriant.

Ils se regardent dans les yeux pendant une bonne minute.

— Plutôt incroyable, ce voyage à Nouillorc, hein ? se félicite Vic.

— Oui, je suis content. C’est le rêve de Ju depuis tout petit, d’y aller. Je suis content de lui offrir au moins ça.

Vic continue de sourire. Comment peut-il faire autrement ? En se levant en pleine nuit, il n’a jamais pensé partager ce moment privilégié avec Mo. Ils sont tous les deux. Ils discutent. Vic ne s’est jamais senti aussi bien.

— Tu sais, Mo… J’envie parfois la relation que tu as avec Ju. J’espère avoir la même chose avec mon frère. On est complices aussi mais… Il reste un ado et peut-être qu’en grandissant, il va vouloir s’éloigner. Alors que Ju et toi, vous avez l’air si proches…

— On a l’air, se contente de reprendre Mo avec une once d’amertume dans la voix.

— Comment ça ? Enfin… Tu n’es pas obligé d’en parler si tu ne le veux pas. La dernière chose que je souhaite, c’est être indiscret…

— Je ne me sens obligé de rien du tout.

Sur ces mots, Mo ne dit plus rien.

Il se contente de regarder le ciel étoilé. Un frisson lui parcourt l’échine. Le froid devient plus vif.

Sans paroles, Vic s’absente de la terrasse pour revenir avec deux plaids :

— Tiens ! Ce sera plus sympa pour supporter ce froid.

— Merci ! répond Mo en s’emparant d’un plaid.

Le silence s’installe à nouveau.

Chacun regarde le ciel en jetant des coups d’œil furtifs à l’autre. Mo parce qu’il a peur que Vic le trouve bizarre à ne pas lancer de conversation. Vic parce que regarder Mo emmitouflé dans son plaid est un spectacle qui l’intéresse davantage que celui offert par le ciel. Même s’il reste adepte d’astronomie en temps normal.

— Dans le train où je t’ai rencontré, j’y ai aussi retrouvé mon frère que je n’avais pas revu depuis quatre ans…

Vic sursaute légèrement. Le plaid a l’avantage de masquer ce sursaut.

Il pensait que Mo n’allait lui offrir que du silence. Et, il se met à se confier tout naturellement. Vic en est très touché. Il voit en cela une marque de confiance. Une marque de confiance qu’il ne veut pas trahir.

Mo soupire. Il a l’air bien parti pour parler de lui mais il ignore jusqu’où il va aller dans ses confidences. Cela lui fait un peu peur. Mais, en même temps, il sent qu’il en a besoin, que cela peut lui faire du bien de se confier. Même à Vic. Mo doit admettre que sa compagnie est agréable en cette nuit étoilée.

— Pour te la faire courte, j’ai dû couper les ponts car les relations étaient trop toxiques. J’ai mis du temps à m’apercevoir de tout cela : l’enfance merdique, la violence psychologique, la violence physique, c’était rare mais bien là... Le harcèlement, les traumatismes…

Mo peine à reprendre son souffle tant tout ce qu’il a sur le cœur semble vouloir sortir sans attendre :

— Malgré le fait que je sois désormais loin de tout cela, j’en garde un cruel manque de confiance en moi, une estime de moi-même quasi-inexistante, une peur panique d’affronter le regard des autres, la peur d’être rejeté sans arrêt, de n’être à ma place nulle part, l’impression parfois de ne même pas mériter de vivre, de mériter plutôt qu’on soit cruel et méchant avec moi…

Vic ne sait quoi répondre. Il ne s’attendait vraiment pas à ce que Mo se livre autant.

— Et c’est là que je t’ai fait peur avec tout ça… Je vais te faire fuir, toi aussi, et ceci sera notre dernière conversation…

Les confidences de Mo touchent Vic au plus haut point. Il est dans l’incapacité de parler. Pour autant, il n’a pas peur. Il ne veut pas fuir. Au contraire, il veut être là pour lui.

Vic prend la main de Mo. Il la tient bien fermement :

— Je ne vais pas partir. Je suis là. Tu n’es pas tout seul.

Ce sont les seuls mots que Vic arrive à dire. Lui qui est si bavard d’habitude…

Ces mots semblent suffire à Mo qui plonge sa tête dans ses mains, afin de cacher ses sanglots.

Pendant plusieurs minutes, Mo s’effondre et Vic se contente de le soutenir, de le laisser pleurer.

— Il y a quelques semaines, poursuit Mo, j’avais eu dans l’idée de… de voyager. Pour avoir l’impression de… de... faire quelque chose de ma vie. D’être quelqu’un. De ne pas être quelqu’un d’insignifiant qui reste enfermé dans son coin et qui n’est pas digne d’être connu…

— Je comprends…

— On m’a tellement rabaissé, humilié… que… je vais te paraître fou… mais je m’aperçois qu’en fait, avec le temps, c’est moi qui ai pris le relais. C’est moi qui passe mon temps à me rabaisser sans arrêt, à me dire que je ne mérite pas d’être heureux, que je ne mérite pas de vivre ce que la vie a de bien à offrir…

Les sanglots reprennent. Cette fois, Vic prend Mo dans ses bras. Mo se laisse faire. Il trouve cela si réconfortant…

Mo se sent comme apaisé, en compagnie de Vic. Il l’écoute, il le soutient. Il s’en veut de l’avoir tenu à distance depuis le début…

— Désolé de t’embêter avec toutes mes histoires… Tu dois me prendre pour un fou…

— Je dois répondre honnêtement ? demande Vic.

— Oui.

— Alors, laisse-moi te dire que pas du tout ! Tu es loin d’être fou… Je dirai plutôt que je suis sincèrement désolé que tu aies dû subir tout ça. Tu parles beaucoup de mérite mais justement… de ce que je connais de toi, tu ne mérites pas autant de haine, autant d’acharnement. Tu es la personne la plus touchante que j’ai rencontrée… Et, la plus forte aussi. Il en faut de la force pour surmonter tout ce que tu as traversé.

— Je n’ai rien surmonté du tout, tu sais…

— Mais, tu es debout ! Tu vis. Tu essaies. Elle est là, ta force.

Vic souhaite que leur étreinte dure toujours. Il adore avoir Mo dans ses bras. Il sent en lui cette force intérieure dont il vient de parler. Mais, il a quand même envie de le protéger. Il se sent prêt à tout pour le défendre.

— Je ne sais pas comment te dire… C’est toi qui vas me prendre pour un fou, prévient Vic.

— Dis toujours.

— Je me sens super bien, là, avec toi. Je sais que c’est étrange… Tu m’as confié toutes ces choses et moi je te dis que je me sens bien… Mais… Je ne sais pas… C’est peut-être parce qu’on vit un moment fort en émotion mais… je suis bien.

— Aussi paradoxal que cela puisse paraître, moi aussi. Moi aussi, je suis bien…

Mo relève la tête. Leurs visages se rapprochent. Leurs lèvres s’apprêtent à se rencontrer quand Mo effectue un mouvement de recul :

— Non, désolé… Je ne peux pas… Je suis désolé…

— Mo, tu n’as pas à t’excuser.

— C’est que… je n’ai jamais… fait ça… avant, avoue-t-il en baissant les yeux.

— Ça, quoi ? Embrasser ?

Mo confirme en hochant la tête.

— Pour être franc, moi non plus, je n’ai jamais embrassé personne…

Mo reste pantois. Il ne pensait pas rencontrer un jour quelqu’un qui avait ce point en commun avec lui.

— Avec toi, Mo, j’en ai eu envie. J’en ai envie, même, depuis la première fois où je t’ai vu. Tu m’as plu. Tu as bouleversé toutes mes certitudes. Je ne me l’explique pas. Je n’ai pas envie d’explications. J’ai juste envie de profiter du moment, avec toi.

Le teint de Mo vire au rouge cramoisi. Cela ne se voit pas vraiment sous la lumière des étoiles.

— Pour tout te dire, Vic, j’avais remarqué quelque chose… J’ignorais que c’était à ce point-là… J’ai tout fait pour éviter qu’on en arrive là parce que… je sais que je ne mérite pas de vivre ça… Je serai incapable d’apporter du positif à quelqu’un, de rendre quelqu’un heureux… Je ne mérite pas d’être embrassé sous les étoiles comme dans les films romantiques… Non, je ne sais pas pourquoi mais ce n’est pas pour moi…

— Est-ce que je peux te demander quelque chose ?

— Bien sûr.

— Ce n’est pas obligé que ce soit maintenant, mais si tu es d’accord, j’aimerais te montrer que tu mérites d’être heureux. Tu mérites de faire des expériences positives dans ta vie. D’ailleurs, pour ton information, tu mérites aussi d’être embrassé sous les étoiles comme dans les films romantiques.

Mo déglutit :

— Tu veux qu’on s’embrasse, là, maintenant ?

— Seulement si tu en as envie. Mets de côté la question de mérite. Pense juste à l’instant présent, à toi, à moi, à nous. En as-tu envie ?

Mo réfléchit sérieusement à la question.

Il y a peu, il aurait rejeté l’idée par réflexe. Il ne s’explique pas son hésitation du moment.

— Permets-moi juste de rajouter que nous aurions ainsi un super souvenir de notre premier baiser. La nuit étoilé, les plaids, nous deux dans les bras l’un de l’autre… Un souvenir que rien ne pourra gâcher.

Le frère de Ju est séduit par l’idée d’avoir un bon souvenir en tête.

Il passe un agréable moment avec Vic. Il se sent proche de lui. Rares sont les fois où Mo se sent proche de quelqu’un.

— D’accord.

Les yeux de Vic s’écarquillent.

Il a espéré vivre ce moment depuis leur rencontre dans le train mais il n’en croit tout de même pas ses oreilles. Il panique tout à coup. Il craint de décevoir Mo. Il se demande si Mo ne va pas le regretter ensuite. Les pensées s’enchaînent et viennent embrumer son esprit.

Vic déconnecte son cerveau. Mo en fait de même. Ni l’un ni l’autre ne réfléchit. Il ne leur reste plus qu’à se laisser aller, en toute liberté, en toute sécurité.

Leurs visages se rapprochent une nouvelle fois. Leurs lèvres s’apprêtent à se rencontrer.

Et, elles se rencontrent.

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