Ròbin eut un réflexe et porta la main à sa ceinture ; il n’y trouva bien sûr aucune arme. Au moins avait-il les chevilles et les poignets détachés.
L’air siffla de nouveau et quelqu’un – le mercenaire identifia un garde impérial – poussa un cri. Au même moment, un groupe d’une douzaine d’hommes sortit des fourrés. Armes au poing, ils portaient tous des capes de toile et des vêtements grossiers bruns et verts qui se fondaient dans le décor forestier. Ils s’élancèrent vers le convoi alors que les chevaux de Mùrielle et d’Àstrid, effrayés par leurs flèches et leurs cris, s’emballaient et fuyaient sur le sentier.
Ròbin attrapa Mùrielle par un bras, se baissa en la tirant à sa suite et ils évitèrent de justesse le coup de l’un des attaquants. Sans se relever, Ròbin passa sous la garde de son adversaire, arma son poing et le frappa dans l’estomac. Se redressant, il visa la gorge avec le tranchant de sa main et atteignit sa cible. L’homme hoqueta et perdit l’équilibre. Ròbin en profita pour lui subtiliser son arme et la lui enfoncer entre deux côtes. Le sang coula sur le fil de l’épée, jusqu’à la garde, et vint recouvrir la main du mercenaire.
Du coin de l’œil, Ròbin vit l’un des gardes impériaux basculer en arrière, touché par une flèche, et ramper sous le chariot pour se mettre à couvert. Se basant sur la fréquence des flèches, il ne devait y avoir qu’un seul archer, mais les membres du convoi pouvaient difficilement s’en charger alors que les hommes au sol les sollicitaient de toutes parts.
— J’ai besoin de Nervà ! cria Àstrid d’une voix étouffée.
Elle avait réussi à se frayer un chemin jusqu’au chariot pour y récupérer sa lance et parvenait à maintenir les assaillants à distance à grands renforts de moulinets. Antoìne s’était réfugié derrière elle.
— Oublie ta wyverne ! lui répondit Ròbin.
Elle était visiblement encore plus stupide qu’elle ne le paraissait. Nervà ne lui apporterait aucune aide dans les fourrés ; les arbres gêneraient son vol et lui rendraient la tâche encore plus difficile. Ròbin craignit un instant que, privée de ses habitudes de combat, elle ne devienne un poids. Elle lui prouva le contraire en éventrant proprement un adversaire d’un revers de lance.
Ròbin fit tournoyer l’épée qu’il avait dérobée – une arme étonnamment bien équilibrée – et repoussa un homme qui s’était approché d’un peu trop près. La lame se coinça dans sa clavicule en faisant jaillir un flot de sang ; Ròbin la dégagea en repoussant le corps d’un coup de pied. C’était si facile de tuer. Le voyage avait été tranquille jusqu’à présent ; il avait presque oublié qu’il savait se battre.
Il n’avait pas lâché Mùrielle, qui avait dégainé son petit poignard et le tenait droit devant elle, les yeux écarquillés par la peur. Ròbin leva les yeux au ciel.
— Tu es une élémancienne, oui ou merde ?
Il lui arracha son poignard des mains et le lança en avant. Il alla se ficher entre les deux yeux d’un attaquant qui s’intéressait d’un peu trop près au chariot et au garde impérial qui s’était réfugié dessous. Mùrielle lui lança un regard terrifié. Les mains et le visage couvert de sang, il devait se révéler bien différent du souvenir qu’elle avait gardé de lui. Il avait enfin l’occasion de se montrer tel que les dix dernières années l’avaient fait – peut-être que, désormais, la tri-élémancienne cesserait de le considérer comme s’il avait gardé son caractère d’enfant.
— Que quelqu’un s’occupe de l’archer ! cria-t-il alors qu’une énième flèche le ratait de justesse.
Mais Àstrid était trop occupée à défendre Antoìne et les deux autres gardes impériaux, de l’autre côté du chariot, étaient hors de vue. Sans lâcher Mùrielle, Ròbin entreprit de se rapprocher de la chevalière-wyverne.
Soudain, il se sentit brusquement projeté en avant et il tomba à genoux. L’archer saisit l’occasion et il fut touché à la cuisse. Il poussa un grognement de douleur et roula au sol – il avait lâché Mùrielle en perdant l’équilibre. À quelques pas de lui, la tri-élémancienne avait érigé une barrière de vent – la même qu’elle avait utilisé pour l’empêcher de s’enfuir. Un homme avait brisé son épée en voulant la toucher et le sort avait repoussé Ròbin comme il avait repoussé l’attaquant.
Furieux, le mercenaire se releva tant bien que mal en retirant la flèche, qui heureusement n’avait touché ni os ni artère. Il empoigna Mùrielle par le coude et la poussa brutalement vers Àstrid. Il avait besoin d’avoir les mains libres.
— Occupe-toi de ça ! aboya-t-il.
— Fais un peu attention ! répliqua la chevalière.
Elle releva la tri-élémancienne et entreprit de la protéger comme elle protégeait Antoìne.
Ròbin se frayait un chemin vers le chariot bâché, malgré sa douleur à la jambe, un adversaire à la fois. L’épée qu’il avait subtilisée faisait des merveilles dans ses mains. Il distribuait les coups avec facilité et repoussait les brigands plus violemment encore qu’Àstrid. La chevalière se défendait et ses bottes étaient nettes et précises, mais Ròbin ne se privait pas de faire couler le sang. Il avait l’impression de renaître ; il se replongeait dans son quotidien et renouait avec son identité de Renard du Marais.
Bientôt, il n’y eut plus personne pour se tenir devant lui et même les flèches s’arrêtèrent de tomber. Un silence lourd se déposa sur le convoi alors que ses membres reprenaient leurs esprits parmi les corps des attaquants.
Aussi rapidement que le lui permettait sa jambe blessée, Ròbin alla fouiller le chariot en boitant. Il trouva rapidement ce qu’il y cherchait – une arbalète chargée – et se retourna pour se retrouver nez-à-nez avec Antoìne, Àstrid et Mùrielle. Le stratège le considérait d’un air fermé et Àstrid avait simplement l’air dégouté.
— Où croyez-vous aller comme ça e
— Il faut s’occuper de l’archer avant qu’il ne s’enfuie répondit Ròbin entre ses dents.
— Quelqu’un d’autre peut s’en charger. Vous êtes blessé.
Ròbin baissa les yeux vers sa jambe, où son sang se mêlait à celui des hommes qu’il avait abattus. En relevant la tête, ses yeux tombèrent sur les mains d’Àstrid. En garde, elle tenait sa lance si fort que ses jointures avaient blanchi.
— Allez donc vous asseoir, poursuivit le stratège. Et laissez-moi vous débarrasser de ça.
Son ton aimable ne trompait pas Ròbin. Il aurait pu agir, tout de suite, et profiter du feu que la bataille avait allumé en lui. Mais il était plus sage de se laisser soigner, bien sûr. Il remit donc son arbalète entre les mains du stratège et alla se laisser tomber dans l’herbe, au bord du sentier. Àstrid se détendit et relâcha sa prise sur son arme. Le garde impérial blessé ne tarda pas à rejoindre Ròbin – les deux autres furent envoyés en avant à la poursuite de l’archer.
Par un hasard étrange, Ròbin se retrouvait non loin du brigand qu’il avait abattu en utilisant le poignard de Mùrielle. L’arme était toujours fichée dans son crâne, entre ses deux yeux qui louchaient sur la garde. Ròbin se pencha et le récupéra d’un geste sec. Il se leva lorsque la tri-élémancienne passa devant lui.
— C’est à toi, je crois.
Mùrielle déglutit.
— Je crois qu’il te sera plus utile qu’à moi.
Ni l’un ni l’autre n’osaient se regarder dans les yeux.
***
Màrc ne s’était pas étonné lorsque le convoi avait tardé à sortir du couvert des arbres. Ce n’était pas la première fois qu’il devait l’attendre à la sortie d’une zone à couvert – les wyvernes volaient plus vite que le chariot n’avançait. Comme d’habitude, il avait patienté, décrivant de longs cercles au-dessus du sol, suivi par tout son troupeau. Les wyvernes orphelines s’étaient toutes habituées à lui et lui obéissaient au doigt et à l’œil. Elles ne le lâchaient pas d’une semelle alors qu’il traçait de larges courbes dans le ciel. Seule Nervà restait en retrait, agacée par ces figures stylisées ou refusant de s’y prêter sans sa cavalière.
La région était peu fréquentée et Màrc ne vit personne pour s’étonner de sa présence. Lorsque le chariot émergea finalement dans la forêt, il comprit tout de suite que quelque chose clochait. Ròbin boîtait, un garde impérial était soutenu par ses deux collègues et tout le monde était à pied, tirant les chevaux par les rênes. Màrc siffla les wyvernes et descendit vers la terre.
Antoìne avait décidé de sortir du couvert des arbres pour plus de sécurité et ordonné qu’on arrête le chariot à quelques mètres de la lisière du bois. Les deux gardes impériaux envoyés à la recherche de l’archer étaient vite revenus bredouilles, mais avaient ramenés avec eux les chevaux du convoi qui s’étaient éloignés. Le stratège et Mùrielle étaient les deux seuls à avoir l’air d’être complètement indemnes. L’un des gardes impériaux avait été touché par une flèche au niveau de la poitrine ; ses deux compagnons, couverts de sang comme Àstrid, l’examinaient avec une attention poussée.
— Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? souffla Màrc.
— On a été attaqués, ça se voit pas ? répondit Ròbin dans un grognement.
Il s’était tant bien que mal assis à terre, les deux mains pressées sur une plaie bandée à la va-vite qu’il avait à la cuisse. Antoìne avait pris les choses en mains : il laissa l’un des gardes impériaux valides s’occuper des blessés – les premiers secours faisaient partie de leur formation – et renvoya le second sur leurs pas. Màrc et Àstrid l’accompagnèrent et l’aidèrent à rassembler les corps.
Màrc fut étonné de découvrir des armes d’assez bonne facture entre les mains des assaillants ; elles contrastaient avec leurs vêtements grossiers. Pris d’un mauvais pressentiment, il se pencha pour fouiller le col de l’un des attaquants en serrant les dents. Il en retira une chaîne poissée de sang et nettoya la plaque en pendentif d’un geste du pouce. Àstrid se pencha par-dessus son épaule pour lire l’inscription.
— Des soldats de Maràvie ! Je n’arrive pas à y croire… Ils ont prêté serment à l’empire !
Màrc eut un demi-sourire et vérifia que le garde impérial qui les accompagnait se trouvait assez loin.
— Justement, murmura-t-il, ils ont prêté allégeance à l’empire… tu serais étonné du nombre de personnes qui pense que l’impératrice n’est pas la meilleure chose qui soit arrivée à Vestrià.
Àstrid fronça les sourcils.
— Comment est-ce qu’ils ont pu être au courant ? Comment est-ce qu’ils nous ont trouvés ?
Màrc haussa les épaules.
— Les nouvelles vont vite. Ça fait déjà douze jours qu’on a quitté la capitale. Si l’impératrice a annoncé son plan en Conseil des Ministres, on peut tout à fait imaginer qu’un message soit prévenu le duc de Maràvie.
— C’est sans doute ce qu’il s’est passé.
Le garde impérial qui les avait accompagnés arrivait en traînant le dernier attaquant par les jambes et vint l’amener près des autres.
— Il faudra que nous soyons plus prudents, conclut-il.
Màrc s’en voulait un peu de ne pas avoir pu prêter main forte à ses compagnons de voyage. Passer ses journées en vol l’isolait du reste du groupe. Lorsqu’il venait rejoindre le campement, le soir, il comprenait bien qu’il ratait des choses ; des liens entre les voyageurs se nouaient et se dénouaient sans lui.
Il s’était excusé de son absence lors de l’attaque, mais Antoìne avait posé sa main sur son épaule en lui adressant un sourire tout paternel.
— Ne vous en faites pas, avait-il dit. Vous n’auriez jamais pu nous rejoindre sous les arbres avec toutes vos wyvernes. Et puis, qu’auriez-vous fait ? Vous savez vous battre ?
Màrc avait secoué la tête. Son statut de dresseur de wyvernes le destinait à accompagner les armées impériales, mais pas à mettre le pied sur le champ de bataille. Il pouvait se défendre face à des wyvernes agressives – le stylet qui pendait à sa taille pouvait se nicher dans l’interstice entre leurs écailles – mais pas face à des hommes.
***
Les jours suivants, il plut sans discontinuer. C’était une pluie d’automne, fine et pénétrante, qui les laissa gelés jusqu’aux os. Le ciel resta blanc et bas et la brume envahissait les champs qu’ils traversaient au pas. Màrc et les wyvernes avaient renoncé à voler et les reptiles se dandinaient à terre à côté du chariot. Ils progressaient lentement, l’allure imposée par le cheval de trait du chariot qui se faisait léthargique sous l’humidité.
Par chance, ils avaient repris la Grande Voie et n’évoluaient plus sur des pistes mal balisées qui les auraient perdus. Ils avaient besoin de rentrer à Maràvie et non pas de la contourner comme ils avait contourné Cràte. Il leur fallait refaire leurs provisions et tenter d’estimer la position du dragon, qu’ils n’avaient toujours pas croisé – de près ou de loin.
Les blessures du garde impérial et de Ròbin s’étaient révélées peu graves. Antoìne avait protesté lorsque le mercenaire s’était approprié les armes qu’il avait subtilisées pendant l’attaque. Ròbin avait été contraint de lui restituer l’épée mais avait pu garder le petit couteau donné par Mùrielle. Le stratège impérial avait soumis la lame à un examen minutieux : elle était courte, peu tranchante et sans danger. Sur la garde dorée frappée des armoiries de Nistrèd étaient incrusté un minuscule rubis ; c’était une arme d’apparat qui tenait plus de l’ouvre-lettre que du poignard.
Ròbin et Mùrielle n’avaient pas échangé un mot depuis l’affrontement, même pas lorsqu’elle lui avait tendu sans le regarder le fourreau de la petite arme. La tri-élémancienne s’était murée dans le silence et la pluie rendait tous les autres d’humeur massacrante. Il ne s’écoulait pas deux heures sans que Ròbin ne provoque Àstrid ou inversement. Mais leurs piques avaient perdu en intensité pour devenir plus automatique ; Màrc soupçonnait que se battre côte à côte avait légèrement changé leur relation.
Les contours de Maràvie se dessinèrent dans la brume deux jours après l’attaque du convoi. La cité fortifiée était le dernier rempart avant le fleuve Erì et les champs du Rònan, qui délimitaient une grande partie de la frontière avec les Terres Sauvages. Les voyageurs aperçurent la silhouette des fortifications et de leurs nombreuses tours de garde plusieurs heures avant d’atteindre les portes de la ville. Le duché de Maràvie était un duché frontalier et la campagne environnante en portait les marques. Les fermes étaient entourées de petites murailles et les cultures poussaient toutes entre des clôtures de pierre soigneusement entretenues.
À cause de l’attaque encore récente, le convoi envisagea un instant de contourner la cité comme il avait contourné Cràte, mais il avait réellement besoin de se ravitailler. Il n’y resterait qu’une nuit et Antoìne s’était empressé de rassurer les membres de son équipe : s’il comptait faire profil bas lors de leur séjour, il n’hésiterait pas à user de son statut si jamais ils avaient des ennuis. Même un duc ambitieux ne se risquerait pas à attaquer le stratège de l’impératrice – surtout lorsque celui-ci était un lointain cousin.
Le convoi prit toutes les précautions nécessaires à un passage des portes sans encombre. Les wyvernes furent toutes attachées les unes aux autres – y compris Nervà qui se plia à l’exercice avec toute la mauvaise volonté du monde. Les gardes impériaux cachèrent leurs armes au fond du chariot, Màrc sortit son fouet et ils firent de leur mieux pour ressembler à un convoi de marchandises. Antoìne exhiba un médaillon frappé du sceau de la Ligue des Éleveurs de wyvernes et les soldats stationnés aux portes de la ville les laissèrent passer sans poser de questions.
Ils se firent indiquer la plus grande auberge de la ville. Une fois sur place, ils vidèrent la moitié de leurs bourses pour laisser leurs bêtes – chevaux et wyvernes – aux écuries et pour louer des chambres. La pluie n’avait pas cessé de tomber, la soirée avançait et ils décidèrent de remettre leurs tâches au lendemain. Dans la salle commune de l’auberge, ils se firent servir un repas copieux qui acheva de les réchauffer, puis ils se séparèrent et allèrent se coucher.
C'est intéressant d'avoir un peu d'action (=
L'attaque du convoi semble sans surprise avoir été orchestrée par un des ennemis de la tant décrié impératrice. Je suis étonné que le sans doute riche commanditaire de l'attaque n'ait pas mis encore plus de moyen, pour s'assurer de réussir son coup. C'est quand même une attaque risquée.
L'évolution des liens entre la troupe sont intéressants à suivre, notamment ceux entre Mùrielle et Robin. J'ai hâte de les voir se rapprocher encore pour devenir un véritable groupe de choc xD
Quelques remarques :
"ses jointures avaient blanchi." -> les jointures de ses doigts ?
"et alla se laisser tomber" -> et se laissa tomber ?
Un plaisir,
A bientôt !
Heureux de voir que ça a rapproché les membres de la Suicide Squad. En tout cas j'ai vécu la scène de l'attaque comme si j'y étais (comme la scène de vol que j'avais pas commenté dans un précédent chapitre).
Mille bravos Thérèse :)
Robin et Murielle vont-ils "passer" la nuit ensemble ?