7. Les balistes

L’air fut rempli de la clameur poussée par les soldats royaux alors qu’ils avançaient leurs énormes balistes sur le champ de bataille, contournant à grande peine les dolines, les éboulements et la terre soulevée et retournée par le dragon. Une seule attaque avait suffi à faire des ravages, dans les rangs de l’armée royale comme de l’armée impériale. Mais le dragon ne semblait pas vouloir cesser de contribuer au carnage.

Les dragons de feu étaient bien connus du royaume de Cardiban, tout comme les dragons de foudre et même les dragons aquatiques. Mais cette génération-là de soldats n’avait jamais vu – ou entendu parler – de dragon de terre. Qu’à cela ne tienne. Ils l’abattraient tout de même.

Les balistes positionnées, il restait encore un capitaine debout pour coordonner l’attaque. Un anonyme, dont l’histoire ne retiendrait pas l’identité – seulement les actes.

Les lames ordinaires ne pouvaient rien faire contre la cuirasse formée par les écailles épaisses et brunes de la bête. Plusieurs soldats avaient tenté d’y envoyer leur lance, mais elle ricochait et ils se retrouvaient piétinés par de lourdes pattes, balayés par un puissant coup d’aile ou engloutis par le sol. Pour tuer un dragon – quelle que soit son espèce – il fallait les balistes.

Quatre hommes étaient nécessaires pour en manœuvrer une et elles étaient six au total. Il était étonnant que le royaume de Cardbian, après le revers qu’il avait subi, puisse encore trouver assez d’hommes debout. Mais il dut réussir, car les six balistes furent mises en place et chargées. On tira sur l’ordre du capitaine : la coordination était essentielle dans ce genre d’attaque.

Ce capitaine-là était un vétéran et en avait la patience. Ses hommes auraient bien voulu tirer dès que possible, mais attendre le bon moment était primordial. Le dragon ne pouvait pas être abattu lorsqu’il était au sol : l’angle de tir des balistes était trop pauvre dans cette configuration. Ses flèches étaient même susceptibles d’être freinées ou arrêtées par des obstacles. Non, il fallait que le dragon soit en vol.

L’orage s’était tu ; la visibilité était devenue meilleure et cela réjouissait le capitaine. Il avait également remarqué que les mouvements du dragon étaient cycliques : il s’élevait et retombait plusieurs fois au même endroit avant de changer de place. Le capitaine le laissa attaquer une fois pour faire ajuster l’angle de visée des balistes. Lorsque le dragon retomba, ses hommes serrèrent les dents. La terre se déroba sous l’une des balistes qui se mit à pencher furieusement. Les soldats s’empressèrent de rajuster la visée ; le dragon s’élevait déjà de nouveau dans le ciel.

Le capitaine ne pouvait plus attendre, les autres balistes risquaient d’être elles aussi déséquilibrées et ils n’auraient pas le loisir de profiter d’une seconde occasion. Alors il donna l’ordre.

Six flèches épaisses et lourdes fusèrent et seule l’une d’entre elles – celle de la baliste déséquilibrée – rata sa cible. Les autres se fichèrent dans la chair du dragon, pénétrant son armure d’écailles selon cinq angles différents. La bête hoqueta avant de tomber lourdement. Cette fois, sa chute fit simplement trembler le sol mais ne le retourna pas.

Partout autour de lui, le capitaine entendit des cris de victoire. Les soldats du royaume de Cardiban se relevèrent et se rassemblèrent, rejoints par les Nomades encore debout. Les chevaliers-griffon qui avaient survécu aux archers, aux flammes et aux wyvernes vinrent voler au-dessus de leur tête, prêts pour une dernière charge. Les rangs de Vestrià, eux aussi dispersés par les attaques du dragon, eurent plus de mal à se rassembler pour faire face à cette vague furieuse. Les restes des deux armées se jetèrent l’un vers l’autre et s’entrechoquèrent avec une énergie diminuée et désespérée.

Il y eut soudain un hurlement de douleur. Mais ce n’était ni un hurlement humain, ni même un hurlement de wyverne. Le capitaine sentit son cœur s’arrêter et écarquilla les yeux vers l’endroit où le dragon brun était tombé, mais il ne bougeait plus.

Le moral des troupes de Vestrià remonta soudain en flèche et elles se firent plus dures face aux forces combinées des Nomades et des soldats royaux. Une nouvelle ombre était venue recouvrir le champ de bataille. Le capitaine était trop occupé à repousser l’assaut pour prêter attention au ciel. Lorsque la mort vint le trouver, sous la forme d’un immense jet de flammes, il fut avalé avec ses hommes par le feu.

Bien sûr, Aldric Fleurville ne vit rien de tout cela : ni la chute du dragon brun, ni la dernière charge royale, ni l’arrivée du dragon de feu. Il était déjà mort aux pieds de la doline.

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Deslunes
Posté le 01/02/2022
Oh zut ! bon après la guerre, c'est la guerre mais surpris de cette fin tragique. c'est bien, je sentais le drame mais pas celui-là, no comme ça donc belle imagination. Le lecteur que je suis est captivé. Merci.
Thérèse
Posté le 03/02/2022
Merci à toi pour tes retours !
Edouard PArle
Posté le 09/11/2021
Coucou !
La chute ne m'a pas surpris, je le sentais mal pour lui xD Par contre les péripéties de la bataille avec les balistes qui visent le dragon et l'arrivée d'un dragon de feu m'ont bien captivé (= C'est intéressant cette distinction entre différentes espèces de dragon.
J'ai du mal à deviner le futur vainqueur même si les impériaux semblent mieux parties^^
Mes remarques :
"Mais le dragon ne semblait pas vouloir cesser de contribuer au carnage." contribuer me paraît un verbe un peu faible pour un tel monstre de destruction
"L’orage s’était tut" -> tu
Un plaisir,
A très vite !
Thérèse
Posté le 12/11/2021
Contente que ça t'ait plu et merci pour les remarques ^^
Joren
Posté le 28/10/2021
Naaaaaan... Quelle horreur... J'étais à fond depuis le début. Tout ça pour que ça finisse comme ça ?! Atroce. Horribles les deux dernières phrases du chapitre.
Encore une fois tout est bien fait. Même ce retournement macabre car la guerre est injuste.
Thérèse
Posté le 30/10/2021
Eh oui, la guerre est injuste. C'est l'effet que je cherchais :)
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