7 - Les perturbations temporelles

Les perturbations temporelles

— Ariette, je pourrais peut-être leur demander qu’ils te donnent l’autorisation. Et comme ça, on pourrait descendre ensemble au 156e sous-sol et ça serait bien et…

— Non.

— Pourquoi non ? Tu ne veux pas savoir ce qui s’y cache ? Tu sais que personne n’y est plus descendu depuis… Bah, depuis un sacré moment. Tu n’es pas un peu curieuse ?

— Arsène, écoute… J’ai vraiment beaucoup de travail à faire. Donc il va falloir que tu te débrouilles tout seul avec ce 156e sous-sol. Ils ne t’auraient pas envoyé avec une mission là-bas s’ils ne t’en pensaient pas capable.

— Tu crois ça ?

— Mais oui. T’es peut-être pas très doué pour plein de choses. T’as peut-être tendance à détruire tout ce qui t’entoure par accident. Mais je suis sûre qu’il y a quelque chose pour quoi t’es bon. Quelque chose pour quoi t’étais destiné, tu vois ?

— Oh, tu le crois vraiment, Ariette ?

— Vraiment, oui. Et là-haut, ils sont au courant de ces choses. Je ne sais pas vraiment comment ils font, mais ils sont au courant. Donc vas-y.

— D… d’accord. Je vais y aller. Je peux le faire. C’est eux qui l’ont dit.

— Tu vois, tu commences à comprendre.

— Mais en fait…

— Quoi ?

— Ce n’est même pas tellement que j’avais peur d’y aller tout seul ni rien.

— C’est pourtant ce que tu m’as dit.

— Oui, mais je n’allais pas te dire que je voulais juste que tu viennes avec moi parce que j’aime bien quand tu es là. Tu vois, ce ne sont pas des choses qui se disent.

— Arsène, ce ne sont pas du tout des choses qui se disent.

— Oui, je sais bien. C’est pour ça que je ne les ai pas dites. Tu le prends mal.

— Écoute, on va dire que tu n’en as jamais parlé et que je ne l’ai jamais entendu. Ce n’est pas correct. Tu comprends ?

— Mouais.

— Tu sais bien que nous autres, on ne peut pas ressentir d’attachement. Il faut une âme pour ça. Et jusqu’à nouvel ordre, on n’en a pas.

— Pourtant, tu l’as dit toi-même. Tu ressens parfois de l’agacement quand je suis là et…

— Ca n’a rien à voir !

— Non, peut-être pas. Mais tu ressens quand même quelque chose. Je veux dire… enfin… Ce n’est pas comparable, c’est sûr, mais c’est quand même un sentiment.

— Je… je ne sais pas. Je ne me suis jamais posé la question.

— Et si on ressent des choses, c’est peut-être qu’on n’a pas besoin d’âme pour le faire. Tu ne crois pas ?

— Je n’en sais rien ! Ce que je sais, en revanche, c’est que c’est dit très clairement qu’on ne doit pas parler de ça, qu’on ne doit pas s’interroger dessus. La curiosité, ce n’est pas une très bonne chose, Arsène. Regarde les formes de vie, en bas. Quand elles deviennent curieuses, elles partent explorer. Et quand elles partent explorer leur monde, ça finit en général en carnages. Ils cognent sur les autochtones pour prendre leurs terres ou les trucs qui leur appartiennent. Et en général, les formes de vie finissent par s’entretuer. Tout ça à cause de la curiosité. Tu vois que c’est mauvais.

— Pas toutes les formes de vie se cognent dessus. J’ai entendu dire que sur Zugwon, les formes de vie cohabitent bien. C’est peut-être à cause de choses étranges que fait leur planète, remarque. Tu savais qu’ils avaient de sérieuses perturbations dans le continuum temporel et que du coup, ils n’ont jamais réussi à calculer correctement une année ? Eh bien, en plus de ça, certaines des actions qu’ils font se retrouvent finalement dans le désordre à cause de ces perturbations. Par exemple, ils se disent qu’ils doivent aller acheter du pain, ils se retrouvent à la boulangerie et seulement après, ils sortent de chez eux pour aller chercher le pain. J’ai entendu dire que c’est à cause de ça qu’ils n’ont pas de conflits. Ils savent à l’avance que ça va causer des pertes, donc ils ont décidé de vivre en paix.

— C’est passionnant, tout ça, Arsène. Mais vraiment, j’ai beaucoup de travail. Tiens, je t’appelle l’ascenseur, tu vas pouvoir descendre au 156e sous-sol. Allez, courage !

— T’es sûre que tu ne viens pas ?