8 • Douloureux

Le sommeil était beau. L'éveil est fantastique, Ynes.

La crypte semble vivante et les parois ne cessent de se mouvoir, comme si un cœur chaud et vivace était dissimulé derrière la pierre. Les reflets ondoyants s'imprègnent des braises incandescentes qui émergent des murs. Tandis que ma détresse demeure, des pas placides ravivent quelque peu mes rêves les plus obscurs. Étendue sur le sol, couvert d'un linceul vermeil, tu soupires paisiblement. Je fixe alors tes paupières, encore closes, recroquevillée, comme lorsque nous vivions dans la forêt de fer, encore endormie, dans un berceau de roses. C'est alors qu'elle apparaît. La bête, fabuleuse, dans toute sa splendeur. Traits forts et fins, allure séraphine et aura guerrière. Un drap dessinant sa musculature veloutée, sa longue chevelure opaline tel un rideau de lumière. Des iris d'un carmin éblouissant, une bouche onctueuse dont les lèvres d'argent scintillent au milieu des flammes. Elle tend alors sa main aux griffes acérées. J'entends soudainement tes gémissements inquiets. Pleine de tendresse, tu attrapes mon bras inerte, me demandant où nous sommes. Impossible de te répondre. Figée, je peine à te regarder tant je suis envoûtée.

Le sommeil était laid. L'éveil est sinistre, Zafyra.

Tes yeux ne se détachent plus de la chimère blafarde. Comment puis-je attirer ton attention, grande sœur ? Je me redresse laborieusement, renaissant enfin de ces illusions florales. Son visage se tourne vers moi, et son sourire disparaît. Ta figure se libère de cette contemplation ensorceleuse. Sa cape caresse le sol, prenant place en ces lieux funestes. Sa langue fourchue se délie enfin.

« Un sacrifice pour un vœu. Lorsque vous aurez bu cette coupe, plus jamais vous ne connaitrez la faim, la soif, le sommeil et la vieillesse. Ma force et ma longévité seront vôtres. Je vous dote en ce jour de dons qu'aucun être humain ne pourra jamais recevoir. Un présent extraordinaire que je vous offre en échange de votre obéissance et de votre loyauté sans faille. Votre éternité m'appartiendra pour toujours et vous ne savourerez jamais les délices du Paradis. Si vous refusez, je vous laisserai alors dans votre longue agonie. Si vous acceptez, il vous sera possible de découvrir une tout autre vie. À vous de choisir ».

Une gigantesque coupe flotte délicatement face à nous, débordant d'un liquide épais et poisseux, digne d'un vin marécageux. Une fumée inquiétante s'évapore lorsque quelques gouttes glissent lentement sur les racines putrides d'un noir charbonneux, entourant alors le pied qui ressemble à une patte de vautour. Je déglutis de dégoût, inhalant l'odeur répugnante contre mon gré. J'observe, car il m'est impossible de me déplacer.

Je la saisis, sans aucune hésitation. Avant de savourer la somptueuse boisson, dont les ondulations balayent un ciel étoilé sur sa surface lactée. La bête y ajoute un scorpion belliqueux, dont l'armure embrasée était décorée de lames d'ivoire chatoyantes. « Ta férocité protègera tout ce qui t'est cher et précieux ».

Je bois quatre grandes gorgées, me délectant de cette saveur à la fois sucrée et acide. Puis j'entrevois ton air épouvanté… Le regret me domine dans l'instant. Qu'ai-je fait... Seulement, s'il s'agit du prix à payer pour te sauver, alors j'affronterai tous les mauvais sorts. Ai-je tort de le désirer ? Ai-je raison d'en rêver au point d'écarter toute appréhension ? Je ne veux plus être effrayée, désormais. Pardonne ma témérité, petite sœur.

Un sacrifice, un vœu... Pas une seconde une once de doute n'a traversé ton esprit déterminé. J'imagine à peine tout ce que tu as pu endurer auparavant. La peur de mourir de faim, toutes les deux, à petit feu. Tu as toujours tout sacrifié pour moi. J'ignore ce que tu vois. Pour ma part, l'horreur a envahi ma vision, l'écœurement est roi. Les mots ne sortent pas, même s'ils sont nombreux. Je n'ai pas de doute sur la malice de cet être vicieux qui a fait taire nos voix. Si, pour moi, tu t'engouffres dans les ténèbres, alors je sombrerai à tes côtés. Avant de goûter à cette abomination, la chimère glisse un papillon, dont les ailes d'un bleu cadavéreux étaient ornées de rosée gelée. « Ton amour te permettra de surmonter tous les obstacles ».

J'avale une première fois cet immonde breuvage... Puis deux. Puis trois. Tout à coup, un froid terrible s'empare de toute ma dépouille. Ma peau devient si pâle. Je tremble, en ce moment douloureux, durant lequel je sens mon dos se déchirer en lambeaux. Mon sang coule à flot et mes épaules ne résistent plus à cette torture. Je hurle à m'en arracher les poumons. Des spasmes effroyables saisissent mes membres déformés, mes tissus déchiquetés, ma tête percée par la marque du démon, versant des larmes pourpres, crachant la chair que mes crocs ont écorchée. Désespérée, j'ai renoncé à toute mon humanité... Et toi, Zafyra, souffres-tu encore pour me sauver ?

 

5

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Nightbringer
Posté le 22/06/2024
Coucou !^^
Waaa c'est trop beau !!! Haha, plus posément, j'adore, l'écriture est imprégnante, et si proche de nous...
L'opposition entre les deux sœurs est frappante - dans le sens positif du terme :) - et la contradiction entre leurs deux perceptions de la scène rendent le récit d'autant plus énigmatique... Et dramatique.
Les changements de narrateur sont très clairs, on comprend facilement qui s'exprime, et cela rend la lecture fluide.

Enfin voilà, encore une fois, c'est très touchant, ton écriture est vraiment très belle !^^

Je m'en vais lire la suite hihi
lukyaspyndell
Posté le 23/06/2024
Bonjour !
Merci beaucoup pour ton commentaire, c'est un texte que j'ai écrit avec énormément de plaisir bien que ce soit assez sombre dans le fond. Je suis très contente qu'il t'ait plu !
Vous lisez

Nous utilisons des cookies pour vous assurer la meilleure expérience possible sur Plume d'Argent.
En acceptant, vous autorisez les cookies sur votre appareil,
en accord avec les termes définis dans nos Conditions générales d'utilisation.