8: Effleuré

Je lui tends toujours l’écharpe. Une rafale. Le vent s’enfile dans mes manches. Vieux voleur. Mais repart bredouille, tourbillonne, vexé. Plus rien à voler chez moi, mon vieux. Rien que de la peau remuée. Et de la douleur.

Noé. Lui, il aurait beaucoup à protéger. Il pourrait se défendre, se recroqueviller contre les assauts du vieux grigou. Il reste ouvert, pourtant. Il ose. Et il me tend la main, me demande l’écharpe des yeux. Je la lâche. Elle flotte, un instant. Atterrit, câline, dans sa main abricot. Il l’enserre, la caresse du bout des doigts, tendrement. Se la pose autour du cou, l’enroule. Il a l’air fier, un jeune lynx. Un goéland qui volerait pour la première fois…

Ma joue me laisse tranquille. C’est pas bon. La prochaine salve n’en sera que plus tendue. Et diffuse à la fois.  
— Pourquoi est-elle si importante pour toi, cette écharpe, finalement ?

Il se rembrunit, lâche sa fierté à ses pieds, comme une pomme pourrie de l’intérieur. Réfléchit. Lâche, enfin :  
— Un souvenir d’un très vieil enfant, que je n’ai pas assez connu.

Il est marrant.

— Peut-être que je me sens obligé de prendre sa suite, de quitter mon cocon de paille encore toute chaude. Il me l’a demandé sans me le dire, au fond.

Je m’assieds contre le tronc ridé de l’Ancien. Dos à dos.  
Il me regarde de biais, comme tous ceux qui doutent. Visent toujours juste à côté du cœur. Il triture sa tige de pissenlit. Nue, désormais… Il la tord entre ses doigts, longtemps. Se lance, finalement :  
— Tu penses qu’on peut continuer une histoire dont on ne connaît que la fin ?

M’en pose, des questions. Sais pas, gamin. Personne sait, m’est avis. Bon, faut quand même une réponse.  
— On peut essayer au moins.

Pas si mal. L’a l’air de s’en satisfaire, le petit philosophe.  
— P’t’être aussi qu’il suffit d’aimer. Sincèrement. Et tant pis si c’est maladroit.