8. La Promesse

   Tandis qu'Aidan entourait sa cousine de ses bras protecteurs, Sofia quant à elle vit ses canaux lacrymaux exploser et des larmes ruisselèrent en abondance sur son visage blême. Elle avait du mal à croire qu'il se tenait là, devant elle. Après ces trois mois de séparation interminables.

   -Ai…Aidy…hoqueta-t-elle. Je...Je suis si heureuse de te revoir...Oh, si tu sa...savais comme je suis heureuse de te revoir...Tu m'as tellement manqué...

   -Toi aussi tu m'a manqué So', dit-il d'une émotion plus contenue, ponctuée toutefois d'une pointe de chamboulement.

   Elle leva un regard empli de larmes vers le visage de son cousin.

   Légèrement plus grand que Sofia, Aidan était âgé de vingt-deux ans. Il avait les cheveux brossés sur le côté, arborait une barbe bien taillée et son regard, habituellement rieur, était empreint de tristesse.

   -Je...Je croyais que tu de...devais revenir dans quelques jours…

   -Ca fait des semaines que j’avais prévu d’arriver aujourd’hui sur Londres pour te faire une surprise. Pour que nous puissions nous rendre ensemble à la Collecte de la Générosité. Lorsque je suis arrivé à l’appartement ce matin, tu étais déjà partie. Et c’est là que j’ai vu le télégramme sur la table…Celui que tu as reçu hier…

   Il était donc au courant au sujet de son oncle.

   Même s'il n'exprimait pas ses émotions de manière aussi expansive que sa cousine, Sofia devinait sans peine qu'Aidan devait être tout aussi bouleversé qu'elle par la mort de son père.

   Puis elle se blottit à nouveau contre lui et se cramponna à ses épaules comme un noyé se cramponnerait à une bouée de sauvetage.

   Ils restèrent ainsi pendant un instant, sans prononcer une parole. Chacun d’eux avaient attendu ces retrouvailles avec fébrilité depuis des semaines tout en pensant qu’elles se dérouleraient dans un festival de bonheur et non en se consolant l’un l’autre de la perte de l’un des êtres les plus chers à leur cœur. 

   -Aidy, c’est si terrible…, hoqueta-t-elle.

   -Je comprends So... Si tu savais comme je comprends...

   Aidan ne comprenait que trop la douleur de Sofia. Il était malheureusement familiarisé avec la souffrance dévastatrice qu’engendrait la mort d’un parent. Lorsqu’il était âgé de sept ans, Aidan avait perdu sa mère. Cette disparition, aussi atroce qu’inattendue, l’avait à l’époque plongé dans un océan de douleur traumatisant dont il avait encore des séquelles. Et aujourd’hui, il éprouvait à nouveau cette affliction avec la perte de son oncle qu’il avait aimé comme un père.

   Retrouver son cousin n’était pas l’unique raison de l’émotion qui saisissait Sofia en cet instant. Le décès de son père l’ayant submergé de détresse, elle avait terriblement besoin d’amour, de réconfort. Elle était soulagée de voir qu’elle ne serait plus seule dans cette douloureuse épreuve et elle savait qu’elle pourrait à présent compter sur Aidan pour l’aider à surmonter sa souffrance. Lui, son refuge émotionnel. La plus solide de ses fondations.

   Aidan étant orphelin de mère depuis ses sept ans et son père ne s’étant jamais vraiment occupé de lui -celui-ci faisaient trop souvent des déplacements de longue durée dans le cadre de son travail- c’était tout naturellement qu’il avait fini par venir habiter chez son oncle, le père de Sofia, pour le plus grand bonheur de cette dernière. Sofia et lui avaient donc grandi comme des frères et sœurs. Dans cette maison emplie d’amour, leur enfance avait été rythmé par les rires, les jeux, les aventures qu’ils n’avaient cessé de s’inventer. De plus, ils étaient très complémentaires. Tandis que Sofia apportait un grain de folie à son cousin par son tempérament volcanique, impétueux et aventurier, Aidan, de nature plus posée et rationnelle, parvenait quant à lui à apporter un certain équilibre au caractère explosif de sa cousine. Cela dit, le point commun qui les unissait le plus, outre l’affection indestructible qu’ils se vouaient mutuellement, c’était l’attachement inconditionnel qu’ils portaient pour les animaux. Depuis leur plus jeune âge, ils n’avaient eu de cesse de secourir toutes les petites créatures avoisinant les alentours et s’étaient fait la promesse qu’ils dédieraient leur existence à la cause animale. C’était la raison pour laquelle ils avaient emménagé ensemble à Londres en début d’année. Afin d’ouvrir un cabinet de vétérinaire commun ainsi qu’un refuge animalier. Aidan était d’ailleurs parti en France pendant trois mois à dessein de rencontrer des membres de la SPA, la Société Protectrice d’Animaux française afin de leur demander aide et conseil.

   Tandis qu’elle continuait de se répandre en sanglots, un long piaillement strident résonna derrière eux. Sofia en avait oublié le perroquet. 

   -Il est à toi ? demanda-t-elle.

   -Oui. C’est un cadeau d’Aurélien, le garçon qui m’a hébergé dans sa maison d’hôte à Paris. D’anciens pensionnaires y avaient laissé le perroquet. Comme jamais personne n’est revenu le chercher, Aurélien m’a proposé de le garder car il savait que j’adorais les animaux. J’ai hésité car je me doutais que l’instinct omnivore de Fely ne serait pas le meilleur colocataire pour Wallace. Mais tu sais, parfois je me sentais un peu seul là-bas... Et Wallace a été mon compagnon principal pendant des semaines…

   -Je comprends tout à fait Aidy. On trouvera une solution pour que la colocation entre eux se passe bien, ne t’en fais pas.

   -C’est pour ça que je l’ai laissé sur la table, le temps que je rentre mes affaires et voir si Fely n’était pas dans les parages. Il aurait pu sauter sur lui, on ne sait jamais.

   Tandis que Sofia caressa Wallace, Aidan vit que sa cousine tremblait de tous ses membres. Il fallait dire qu’elle était pieds nus et peu couverte. Il retira son manteau pour couvrir les épaules de Sofia et l’entraîna à l’intérieur de la maison. Une fois rentrés, ils s’installèrent dans le living-room et Aidan demanda à Bette si elle pouvait leur préparer deux tasses de thé bien chaudes. Tandis que la domestique se rendit dans la cuisine, Sofia profita de son absence pour parler à son cousin de tout ce qu’il s’était passé avant qu’il n’arrive. Elle évoqua la venue des deux policiers, les brouillons qu’elle avait trouvé sur le bureau de son père ainsi que les révélations de Jaw au sujet de la supposée implication de sa mère quant au Jour de l’Explosion. A son tour, Aidan parut avoir reçu un coup sur la tête.

   -C’est pas croyable…, murmura-t-il.

   -Aidy, même si je n’ai jamais connu Mère, je ne crois pas un seul instant qu’elle puisse être coupable de telles atrocités. Tout le monde dans notre entourage l’a toujours décrite comme quelqu’un de très bien.

   Aidan, qui n’avait que deux ans lorsque sa tante est décédée, n’avait également pas le moindre souvenir de cette dernière. Cela dit, sa mère, elle, avait très bien connue Hayden et lui avait toujours dressé de celle-ci un portrait on ne peut plus élogieux. Pour Aidan, quiconque trouvait grâce aux yeux de sa mère était la preuve ultime que cette personne était digne d’une confiance absolue.

   -Je n’y crois pas non plus, So’.

   Le cœur de Sofia se délesta. Elle était rassurée de constater que son cousin lui aussi croyait en l’innocence de sa mère.

   Puis elle se dressa de toute sa hauteur et planta un regard déterminé dans celui d’Aidan. Dans ce regard, on pouvait y lire toute la détermination que pouvait contenir l’univers.

   -Ecoute, je ne connais pas tous les tenants et aboutissants de cette histoire mais une chose est sûre, Mère a été victime d’un complot et depuis tout ce temps, elle endosse la responsabilité d’un autre ! Et jamais je ne saurais vivre avec ça ! Jamais je ne saurais vivre en sachant que son nom a été injustement sali quand son bourreau, lui, s’en est sorti impunément ! Je découvrirais qui a fait ça ! Je jure sur la tombe de mes deux parents que je le découvrirais et qu’il paiera pour ses actes ! 

   Et Sofia sut. Elle sut qu’à partir de maintenant, chacune de ses respirations, chacun de ses gestes seraient appliqués dans le but de découvrir la vérité. Qu’importe le temps que cela lui prendrait. Des mois, des années, voire sa vie entière. Elle ferait la lumière sur cette affaire et laverait l’honneur de sa mère. Elle en faisait une affaire personnelle. 

   Aidan comprit qu’il ne s’agissait pas là d’une de ces nombreuses paroles découlant de l’impulsivité de sa cousine, qui, une fois l’émotion retombée et le recul pris, se disperseraient aux quatre vents comme si elles n’avaient jamais été prononcées. Ces paroles-là, elles venaient d’être inscrite dans le marbre avec la pointe d’un couteau. Il savait aussi qu’il aurait pu lui présenter tous les arguments possibles pour tenter de la raisonner en disant que toute cette affaire serait extrêmement complexe à démêler, elle ne serait pas revenue sur ses paroles. Elle avait pris sa décision. Et par conséquent, lui aussi.

   Il lui tendit alors un index recourbé. 

   Un grand sourire empreint d’émotion fleurit alors sur les traits de Sofia. 

   Seul Aidan et elle savaient ce que ce geste signifiait. Un geste qui était à leur yeux plus éloquent que n’importe quelle parole. C’était leur signe secret depuis qu’ils étaient petit. Lorsque l’un d’eux avait décidé de faire quelque chose de risqué ou d’important, c’était leur manière tacite de demander à l’autre s’il le suivait. Et inévitablement, l’autre tendait à son tour son index recourbé pour l’entrelacer à celui présenté et chacun tirait de toutes leur force. Comme pour démontrer la solidité de leur lien. Une manière de se dire « Quoique tu aies décidé de faire, tu sais bien que je te suis. » ou alors « Fais-moi confiance ».

   Sofia entrelaça son index recourbé à celui de son cousin. Ils tirèrent dessus, accrochant dans le regard de l’autre une niaque déterminée. 

   Oui. Ils allaient le faire.

   Ensemble, ils allaient tout faire pour découvrir ce qui était arrivé à sa mère et la réhabiliter. Ils allaient se donner corps et âme pour réparer cette ignoble injustice et démasquer le véritable coupable. A cette pensée, Sofia avait la sensation qu'un poids colossal délestait quelque peu son âme et qu'une pointe de soulagement venait purifier les vagues d'émotions qui l'avait submergé depuis que Jaw lui avait fait toutes ces bouleversantes révélations.

   -Tu sais, il y a quelque chose de louche, dit Sofia en repensant aux lettres qu'elle avait découverte. Pourquoi Père a-t-il subitement craint que je ne découvre cette histoire au sujet du Jour de l’Explosion à l’approche de la Collecte de la Générosité ? Je veux dire, nous nous y sommes rendus tous les ans depuis toujours. Pourquoi n’est-ce que depuis maintenant qu’il a craint quelque chose ? 

   Aidan fronça les sourcils, plongé dans la réflexion. 

   -Peut-être a-t-il appris que quelqu’un en particulier aller se rendre à la Collecte cette année ? répondit-il. Une personne qu’il a connu durant cette période où ta mère a été accusée de ces horreurs et qui aurait pu tout te révéler ?

   -Possible…Mais rien n’est sûr.

   -Dans ces cas-là, il ne nous reste plus qu’une seule solution pour découvrir ce que redoutait ton père à la Collecte de cette année. C’est de nous y rendre demain. Ce sera la première piste de notre enquête.

   Puis Bette arriva dans le salon, portant un plateau sur lequel trônait deux tasses de thé.
 

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Cléooo
Posté le 11/08/2024
Hello Lybellya.
Voilà un chapitre intéressant, qui présente le personnage d'Aidan et relance l'histoire avec un but clair : laver le nom de la mère de Sofia.
Tu décris bien la complicité des deux cousins, mais certaines sont un peu longuées. Les émotions ressenties sont un peu répétitive, redondante par rapport aux chapitres précédents. Bien sûr, sa tristesse se comprend, mais les formulations sont répétitives.
Une petite note à part : la SPA, c'est la Société Protectrice des Animaux, et pas "de protection".
À bientôt !
Cléooo
Posté le 11/08/2024
certaines scènes* sont un peu longuées
Libellya
Posté le 11/08/2024
Coucou Cléooo,

Merci beaucoup pour tes critiques constructives !

Je vais voir ce que je peux faire afin d'éviter cette sensation de répétition dans les émotions de Sofia.

Et merci pour la correction de la SPA !
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