8. Le voyage

Nous laissâmes le Dr Fenring derrière nous, mais Lucy et Maddy nous accompagnèrent. Nous commençâmes par nous rendre dans la maison de campagne des Merlette, et j’appris que c’était là que Lady Merlette et son frère, feu Lord Merlette, avaient passé leur enfance. Mais nous ne nous y attardâmes que quelques jours seulement, avant d'embarquer sur une péniche qui voguait vers l’ouest. Lorsque nous débarquâmes, nous nous installâmes dans l’une des grandes auberges d’une ville où Lady Merlette conclut un accord commercial et supervisa le déchargement de ses marchandises. Là encore, nous restâmes peu de temps. Nous partîmes ensuite à pieds, une nuit, toujours vers l’ouest.

Malgré notre insistance, Lady Merlette ne voulut jamais nous dire où nous nous rendions. Je sais maintenant pourquoi : si nous avions été prises, nous n’aurions ainsi pas pu être en mesure de révéler notre destination.

Durant ce voyage, j’appris énormément de choses. Je découvris qui était vraiment Lady Merlette et ma méfiance s’éteignit complètement. Il faut dire qu’une visite dans la pièce interdite et terrible avait achevé de me convaincre de sa bonne foi. Elle allait nous sauver.

Nous voyageâmes, donc, et pendant longtemps. Les jours finirent par se succéder et se ressembler tous, à l’exception près que Maddy et Lucy, sous le regard bienveillant mais un peu triste de Lady Merlette, commencèrent à nous apprendre à voler.

Je sus que nous arrivions à destination lorsque je vis les premières tentes, nichée au cœur d’une forêt de sapins. Elles étaient grossières, mal isolées et sans doute presque inutiles dans le froid mordant du début de l’hiver. Parfois, elles ne consistaient qu’en de simples couvertures tendues entre des piquets de bois. Mais elles étaient là. Et je n’avais encore jamais vu autant de Birdéliens rassemblés en un seul endroit.

Lady Merlette pénétra dans le campement la première. Elle était belle et droite, dans son manteau vert sombre, une canne dans la main, le visage à peine fatigué par le trajet. Sur son passage, les Birdéliens interrompaient leurs activités. Les femmes abandonnaient leur couture, les hommes leur cuisine et les enfants leurs jeux. Pour l’observer avancer avec de grands yeux. Ils devaient être une centaine, peut-être moins. J’en vis certains incliner la tête en signe de respect.

Lorsque nous arrivâmes au centre du campement, nous étions suivis par une petite foule, qui observait Lady Merlette avec un regard d’admiration mêlée de curiosité et de soulagement.

Nate, celui qui allait devenir si important pour nous tous, – et qui l’était déjà bien plus qu’il ne le comprenait – se tenait là. Debout, devant nous, il tournait le dos à un grand feu qui réhaussait les traits creusés de son visage et irisait ses ailes de libellules. Il portait plusieurs couches de vêtements, mais nous pouvions distinguer sa peau pâle et rougie par le froid.

— Nate !

Lucy nous dépassa en courant et se jeta dans les bras du Birdélien. Il la souleva de terre en riant – j’appris plus tard qu’ils étaient frère et sœur. À côté de moi, les épaules de Lady Merlette s’affaissèrent. Lorsque Lucy s’écarta, Nate put avancer vers elle.

Il lui prit une main, caressa sa joue du bout des doigts.

— Tu m’as manqué, murmura Lady Merlette.

Il la serra dans ses bras.

Ils restèrent longtemps ainsi, tous les deux enlacés, retrouvant, après des mois de séparation, la sensation douce et chaleureuse de leurs corps l’un contre l’autre. Je tenais Renée par la main, qui dévorait des yeux le camp et les Birdéliens, émerveillée.

— On est à la maison ? demanda-t-elle.

Son souffle dessina une volute dans l’air glacé. Maddy arriva derrière nous et nous attira contre elle d’un geste affectueux.

— Presque, répondit-elle.

Les quelques jours que nous passâmes au camp furent à la fois durs et doux. Durs parce que la vie n’y était pas facile : nous mangions peu et nous avions froid. Et doux parce que Lady Merlette nous avait ainsi donné quelque chose d’inestimable : nous avions retrouvé notre peuple. Nous passions du temps à perfectionner notre technique de vol auprès des adultes et à jouer avec les autres enfants. Nous n’avions plus de problème.

En tous cas, je ne voulais pas les voir – et les adultes prenaient un soin particulier à les tenir loin des enfants. J’ignorais les patrouilles qui quittaient le camp et revenaient avec un pli soucieux en travers du front. J’ignorais également les disputes que nous entendions parfois entre Nate et Lady Merlette, disputes désespérées et entrecoupées de sanglots. Elles n’étaient pas causées par la colère, mais par la situation désespérée où j’appris plus tard que nous nous trouvions. Nate et Lady Merlette ne se fâchaient pas l’un contre l’autre mais contre les décisions qu’ils allaient devoir prendre.

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Tac
Posté le 23/10/2022
Yo !
Ah que ce chapitre m'a paru court ! Trop court !
J'aime beaucoup l'aspect "fenêtre dans la vie de quelqu'un" ; je sens qu'il y a un avant et un après, qui auraient pu être dans cette histoire, mais tu as fait le choix de ne pas le raconter là, et je trouve ça intéressant. Je trouve que ça change des histoires où justement, on raconte ce qui semble être le plus intéressant, le plus trépidant, dans la vie des personnages, et le reste c'est du train-train dont on s'en fiche. Donc j'apprécie ce contrepied.
D'un autre côté, je trouve que l'histoire va beaucoup trop vite. J'ai conscience qu'il s'agit d'un format court, si j'ai bien compris et si je me souviens bien il s'agit un peu d'une histoire annexe à ton histoire qui se déroule dans le meme monde, voire avec les mêmes personnages, néanmoins j'ai un peu l'impression de lire un scénario plutôt qu'une véritable histoire. C'est aussi lié à mes goûts personnels, cela dit ; pourtant je trouve que cette histoire manque un peu de densité "émotionnelle", dans le sens où tout reste très factuel et je regrette que, par exemple, apprendre à voler, qui semble être un noeud fort de l'organisation sociale de ton univers, soit évacué en deux phrases. Le passage au campement, pour moi, c'est une révolution pour les deux enfants ; finalement ici on n'en apprend rien. Sans que cela prenne dix chapitres de plus, j'aurais apprécié que l'histoire prenne plus l temps de se dérouler.
Plein de bisous !
Thérèse
Posté le 01/11/2022
Je comprend ton ressenti. Le parti que j'ai choisi (outre le format court) c'est de me concentrer sur lady Merlette à travers les yeux de Marily la narratrice... donc effectivement, les ressentis des enfants sont assez peu évoqués.

Cette histoire ne fait pas du tout partie de l'univers dans lequel s'inscrivent les autres textes que j'ai postés par ici, c'est complètement autre chose ^^ le worldbuilding est léger et je n'avais pas envie de réfléchir aux enjeux plus larges que peut avoir le conflit entre les deux peuples, mais peut-être que j'y reviendrai un jour, qui sait ?

En tous cas, merci beaucoup pour tes remarques ^^
Edouard PArle
Posté le 29/08/2022
Coucou !
On apprend qui est Nate, c'est top ! Le personnage me plaît bien même si ce chapitre est un peu court pour qu'on puisse en apprendre beaucoup sur lui. On commence à mieux comprendre le rôle de Lady Merlette même si tout n'est pas encore clair.
C'est bête de dire ça mais j'oublie tout le temps que les personnages ont des ailes, à chaque fois que tu l'évoques je suis surpris (en bien) xD
J'aime le fait qu'on change de cadre, d'ambiance. C'est rafraîchissant.
Je continue...
Thérèse
Posté le 01/09/2022
En effet, c'est un changement d'ambiance ! Peu d'informations sur Nate, mais ça arrive :)
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