De l'entrée de la salle de bain, Julien apercevait cet étranger de dos parce que face à la plaque de cuisson, poêle en main. Le jeune étudiant prit une grande inspiration et jaugea la dangerosité de la situation. En cas d'agression, il pouvait toujours sauter sur son parapluie négligemment jeté un sol près de la table basse. C'est toujours mieux que rien. En revanche, son potentiel adversaire avait le choix d'une multitude d'outils devant lui : couteaux, fourchettes, casserole ou même la poêle chaude !
Respire. Il ne va pas te tuer.
« C'est là le dernier de mes désirs clairement. »
Julien glapit de surprise quand l'autre se retourna, sourire aux lèvres et crêpe fumante. Son visage était légèrement rougi par la cuisine, son expression chaleureuse.
« Ah. »
Il se sentit aussitôt pitoyable, ne sachant que faire en cet instant présent. Proposer de la pâte à tartiner ? Sortir la confiture du frigo ? Un malaise l'étreignit. En se tripotant nerveusement les doigts, sa langue refusait de se délier pour relancer la conversation. Alors Tomas se lança, adoptant un ton joyeux.
« J'ai fait des crêpes, pour le petit déjeuner ! Tu aimes ça n'est ce pas ?
— Alors là non ça ne va pas être possible là. »
Julien tomba plus qu'il ne s'assied sur son pouf, devant un ange hébété. Celui—ci reposa doucement la poêle sur la plaque de cuisson, et se frotta les mains sur sa chemise.
« Tu aimes les crêpes, je le sais c'est…
— STOP ! » hurla alors Julien.
Le jeune homme releva la tête, les yeux embués de larmes prêtes à jaillir. Sa voix bien que forte laissait transparaître toute sa peur, laquelle le fit trembler d'un peu partout. Tout son corps, filiforme et grand, transpirait son angoisse mordante : de la sueur aux tempes et front, un spasme musculaire au niveau du pied gauche ou encore son regard indécis quant à l'endroit où se poser.
« Il… Il ne faut pas entrer dans ma tête et dans ma vie comme ça ! Je je suis que Julien, Julien le petit étudiant en informatique tranquille qui aspire à devenir un développeur. Moi ce que je connais c'est les lignes de codes, les bugs qu'on peut fixer et les anomalies normales qui ont des explications logiques ! Ma vie est tranquille ! J'ai fuis mes parents pour avoir une vie normale ! Je je veux pas de démon ou de Balinda ! Je ne veux pas entendre parler de Malchance où je sais pas quoi ! Je ne suis que Julien ! Et c'est très bien comme ça ! »
Tomas recevait ce flot de paroles, accompagné de son avalanche d'émotions en pleine poire. Chaque mot, chaque fibre émotionnelle le touchait directement. Son visage perdit de son éclat radieux, au même titre que son aile unique. L'aura de Julien, cet halo blanc autour de son visage, se montrait fébrile. À l'image d'un feu vacillant, comme sur le point de s'éteindre par manque d'alimentation. Ce n'était pas uniquement tout le corps de cet être humain qui s'exprimait, mais aussi les tréfonds de son âme. Un débordement sensoriel qui le cloua sur place. Sa joie s'en était définitivement allée, remplacée au pied levé par une incompréhension totale.
En lissant le bas de sa chemise dans un geste mécanique, l'ange aurait pu fermer les yeux et encore sentir l'épouvante de son protégé tant ça ondulait tout autour de lui. Son regard glissait de part et d'autre de la pièce, n'osant pas dans un premier temps se déposer sur Julien.
Un petit appartement composé d'une pièce principale, sans décoration aucune, dans des tons de blancs et de noirs. Un brin austère, quoique représentatif des pensées de son humain. Celui—ci faisait partie de ces gens profondément ancrés dans leur réalité, où s'en détacher pour apercevoir les nuances de gris s'avérait être complexe.
Tomas le regarda enfin. Julien, prostré sur son pouf s'obstinait à garder la tête baissée. Après son discours véhément, il adoptait une posture défensive comme désireux de disparaître dans les poils de son tapis. Cette vision provoqua deux émotions contradictoires en son cœur : une profonde bouffée de tendresse, une profonde vague de culpabilité. Il s'avança d'un demi pas avant de s'arrêter pour reprendre la parole, très doucement.
« Je suis désolée de t'avoir effrayé. Ce n'était point mon attention. Si tu le souhaites, je peux m'en aller. C'est toi qui décides. »
Julien entendit ces propos, mais n'adressa aucune réponse. Il était immobile, comme figé dans sa détresse. Son cœur battait follement, des larmes coulaient encore tout le long de ses joues mal rasées en reliant certaines de ses tâches de rousseurs en une constellation salée. Son cerveau bouillonnait à haute température. Aucun lien logique n'acceptait de se solidifier, pour son plus grand malheur. Chacune de ses réflexions se faisaient briser les unes après les autres par une bien plus forte et impitoyable difficile à assimiler : le surnaturel existe. Impossible ! Impossible à concevoir ! Impossible ! Dans un faible geignement, il s'attrapa la tête entre les mains comme pour essayer de calmer cette tempête neurologique. En vain.
Un bruit le sortit soudainement de cet état passif. Un mouvement. Son regard quitta lentement le lino du sol pour remonter en direction de son petit espace cuisine. Il renifla comme pour retrouver une certaine contenance. Son nez le démangeait par tout le mucus accumulé de son chagrin éventré. L'ange lui tournait le dos, semblant ranger sa gourde dans son sac à dos. Décidément cette aile unique l'intriguait. Elle retombait dans son dos, sombre, ayant perdu de sa belle clarté. Ça faisait plus penser à une vieille peau d'âne qu'à des plumes angéliques soyeuses.
« Non, reste. S'il te plaît. »
Ça fait longtemps mais je me remet à la lecture doucement !
Ton chapitre était, à ton habitude, doux et amer à la fois, je comprend totalement le fait que Julien se soit senti submergé par la présence de Thomas, et effrayé aussi-
Mais le passage des crêpes et le "c'est pas possible" m'a fait beaucoup rire même si c'était pas forcément drôle pour Julien ;;
En tout cas merci pour ton chapitre <3
Un chapitre court, mais efficace, je suis presque contente de voir Julien paniquer comme ça, ça rend les choses plus réel et le calme de Tomas plus profond :)
J'ai remarqué des "je je" dans un des paragraphes, je ne sais pas si c'est volontaire ou si tu voulais écrire "je ne", peut-être qu'un petit trait d'union pourrait mieux relever un béguément ?
J'essaie de rendre ses réactions, à Julien, les plus humaines du style je me pose la question de " mais, si j'étais à sa place, je réagirai comment ? " ahah Et contente de voir que ça paie !
Oh je ne sais pas, je vais voir ça, merci !
J’aime beaucoup le fait que Julien n’accepte pas facilement le monde fantastique qui s’offre à lui ! Ça rend la situation réaliste. Beaucoup plus réaliste que quand les héros acceptent d’un claquement de doigt l’existence de la magie. On sent aussi que Tomas est touché par l’état de Julien, qu’il est aussi un peu dépassé. Dans un sens c’est touchant ! On a hâte de voir évoluer leur lien/relation et de savoir si les crêpes de Tomas sont bonnes !
A très vite !