Le Grand portail de Doradéa se dressait sur une vaste esplanade en pierre. Près de trois mètres de haut, quatre de large, l'imposante porte était en fait une traverse en pierre gris anthracite. Le passage était sombre, surface visqueuse et lisse comme du mercure, au travers de laquelle les habitants d'autres mondes passaient, pour commercer ou aller à l'école. Devant le portail, des escaliers, et de là plusieurs routes pavées menaient à Epoké, Grand-bourg, Petit-bourg, et Port-la-pêche qui menait chez les Elfes de lune, de l'autre côté de la mère intérieure.
Ce portail ne permettait pas de visiter l'univers entier, mais seulement les mondes que composait la galaxie de la Voie Lactée. Seul Fandari avait la possibilité d'aller plus loin dans l'univers. Fandari était un des sept mondes de cette galaxie. Les autres se nommaient Avandar, où la technologie était une philosophie, Calistan où le respect de la nature primait sur tout autre chose, le froid et hostile Fédor où la plupart des habitants convoitaient une vie plus confortable, où encore Métor et Anotor où vivaient des créatures plus proche de l'animal que de l'homme et qui souhaitaient en rester éloigner de lui.
Oren tentait de tout expliquer à Nour, mais celle-ci restait bloquée au concept de portail dimensionnel. Tout ce qu'elle croyait faux depuis toujours était vrai. Elle commença à échafauder des plans d'évasion. Certes, un garde, registre à la main, était posté devant le portail, mais avec un peu d'imagination... Hors de question de laisser le conseiller Hiver disposer de sa vie. Elle y mettrait le temps, mais elle quitterait ce monde. Même si elle devait bien l'avouer, l'idée d'explorer Doradéa puis les autres mondes commençaient à la titiller.
Quelques personnes traversèrent le portail, dans un sens comme dans l'autre, comme cette femme à la peau aussi blanche que ses cheveux et vêtue de fourrure, ou cet homme aux longs cheveux noirs très raide et à la cape bariolée. Et ce jeune garçon qui se dirigea droit sur Oren en le fixant intensément. Il était un peu plus petit qu'Oren, ses cheveux châtains coupés courts et son visage anguleux lui donnaient l'air guindé, voire pincé.
— Salutations Oren.
– Salutations Timéo.
– Nous ne faisons pas souvent le trajet de l'école ensemble, mais aujourd'hui la curiosité l'emporte, c'est la première fois que je te vois en galante compagnie. Et, n'est-ce pas le lynx qui d'ordinaire accompagne la damona Méroé ?
– Oui, c'est bien lui, répondit fièrement Oren, tout sourire.
– Il est aussi effrayant que fascinant. J'aime autant rester loin de lui. Salutations, ajouta-t-il à l'intention de Nour. Qui es-tu ? Moi je suis Timéo Tam.
— Bonjour Timéo Tam, je suis Nour Apsoum, répondit-elle, non sans un brin d'ironie face à tant de révérence.
— Nour vient de Terra, dit Oren, trépignant d'excitation.
Malgré l'extraordinaire nouvelle, le visage de Timéo resta impassible.
— Terra ? Je dirais bien que c'est impossible, mais enfin, pourquoi mentirais-tu. J'en déduis donc que c'est la vérité. Terra est le monde le plus primitif que l'univers ait connu, affirma-t-il comme si Nour le savait déjà.
Elle s'empressa de jeter un oeil interrogatif à Oren.
— Timéo vient de Fandari, expliqua Oren. C'est un royaume fabuleux, et le plus vieux peuple connu de la Voie lactée.
— Tout à fait exact Oren. Évidemment, mon monde ne souffre d'aucune comparaison. Mais, j'y pense, les Terrayens n'ont plus de portail, alors comment as-tu fais Nour Apsoum ? Aurais-tu trouvé une téléporte secrète ?
Oren et Nour échangèrent un regard contrarié. Ils n'avaient pas du tout anticipé les questions, légitimes, qu'on poserait à Nour.
– Nour va étudier quelques temps au Sanctuaire.
— Vraiment ? C'est étrange que tu aies manqué les premières semaines d'école. J'imagine que si on t'autorise à étudier avec nous c'est que tu dois avoir un potentiel phénoménal, t'avoir dans notre classe va être des plus stimulant. Une terrayenne au Sanctuaire, comme c'est novateur, on dirait que nous entrons dans une nouvelle ère, fit-il pour lui. Oren, ta manœuvre était excellente, mais on ne me la fait pas, il faut absolument que je sache comment tu es arrivée jusqu'ici. Mon père aime les ragots, et celui-ci est de premier ordre.
– Je ne sais pas comment je suis venue. Le conseiller Hiver pense qu'une faille spatio-temporel est responsable de ce qui s'est passé. Et tout ce que je sais, c'est qu'il veut pas que je reparte.
– Huumm, fit-il traîner. J'imagine mal le Conseil te retenir prisonnière. Si tu veux mon avis, c'est qu'ils n'ont aucun moyen de te renvoyer en Terra. Ils sont l'autorité d'An Domhan, et ne souffriront pas d'être tenu en échec, surtout en ce moment. Dans sa prime jeunesse, mon père est allé en Terra. Il dit que c'est la terre des ignorants, des guerriers sans cause. Il fit partit de la dernière expédiation, à leur retour le roi condamna le portail.
– Ton père a trop de chance, s'enthousiasma Oren. Il doit en savoir des choses.
— Nous sommes tous extrèmement cultivés en Fandari, mon père en premier lieu, et je peux dire sans rougir que je suis son digne héritier.
Oren fit de gros yeux à Nour et secoua la tête en signe d'assentiment.
– Alors, vous aussi, en Fandari, vous pratiquez la télékinésie ?
— Non, c'est pour cela, entre d'autres, que j'étudie au Sanctuaire. Même si mon père dit que je peux apprendre tout ce dont j'ai besoin à la maison, et que venir au Sanctuaire sert principalement à maintenir un bon climat diplomatique. Les Fandarii possédent une culture et une mémoire exceptionnelles, et notre cursus scolaire est très différent. Par exemple, chez moi nous n'apprenons pas à nous battre. Se défendre peut s'avérer utile, certains enfants sont méchants avec moi, j'en ignore la raison. C'est une de mes rares faiblesses je dois dire. J'ai aussi dû mal à me faire des amis, je ne sais pas si c'est lié.
— Oh vraiment ? s'exclama Nour. Je ne l'aurais jamais cru.
— Si je t'assure, dit-il le plus sérieusement du monde.
Cette fois, Oren éclata d'un rire franc.
— Ne lui en veut pas Nour, Timéo ne comprend pas le sarcasme. C'est une caractéristique de son peuple.
Ceci expliquait sans doute beaucoup de choses.
– Est-ce que les terrayens sont doués ? demanda Timéo. J'imagine que oui.
– A vrai dire, se lança timidement Nour, ce savoir s'est perdu il y a très longtemps.
– Comme c'est dommage. Oren, si nous lui faisions une petite démonstration ?
– A quoi tu penses ? demanda Oren, de l'espièglerie, et un brin d'inquiètude dans le regard.
– Nous sommes près des berges, alors …
– Vol de poisson, s'exclamèrent-ils en choeur.
Ils avaient presque atteint la passerelle qui séparait le continent d'Epoké, mais les deux écoliers s'écartèrent du chemin, et se mirent à faire la course jusqu'au bord de l'eau. Nour portait l'incrédulité sur son visage. Mais bientôt elle comprit. Timéo, prit par l'excitation leva les mains devant lui. Un instant plus tard, un petit poisson, de la taille d'une main d'enfant, s'éleva à quelques centimètres au-dessus de l'eau. Comprendait-il ce qui lui arrivait ? Nour s'attarda alors sur Oren.
Qu'est-ce qui fabrique ?
Oren avait fermé les yeux, et respirait bruyamment. Encore une lente et profonde inspiration, encore une lente et profonde expiration. Après cela seulement, les yeux de nouveaux ouverts, il imita Timéo dans ses gestes, chez qui perlait une goutte de sueur sur le front. Un poisson, un peu plus gros, s'envola rapidement hors de l'eau, les éclaboussant au passage. Nour dû lever la tête pour l'observant tellement il était haut dans les airs.
Soudain, elle entendit un premier plop, et le poisson de Timéo reprit sa place dans les eaux salées. Le deuxième fit de même un instant plus tard, et Oren s'affala dans l'herbe grasse, il rayonnait.
– Félicitations Oren, fit Timéo en l'aidant à se relever. Je me suis précipité.
– Tu feras mieux la prochaine fois.
– J'y compte bien.
– C'était super, s'extasia Nour, enfin pas super pour les poissons les pauvres, mais c'était super.
– Ton vocabulaire n'est pas très riche, la piqua Timéo.
– Je suis bien contente que t'es perdu, lâcha-t-elle tout bas.
Oren éclata d'un rire communicatif, et ils reprirent le chemin de l'école. Ils traversèrent la passerelle, et bientôt le Sanctuaire se dressa devant elle, au plus haut de la ville. Nour plongea dans ses pensées, tout l'univers semblait détester Terra. Elle se rappela les avertissements de Méroé. Comment serait-elle accueillit ?
L'école ressemblait à une église viking, la double porte sculptée donnait de la noblesse à la bâtisse à la frappante sobriété. Des élèves pressaient le pas devant eux ou au contraire traînaient des pieds. Certains saluèrent Oren, d'autres pas, mais chacun scruta celle qui l'accompagnait de la tête aux pieds, une seconde ou deux. Une nouvelle se fait toujours remarquer, ici ou ailleurs. Son ventre se contracta davantage, une boule se noua dans sa gorge. Elle n'avait jamais été aussi fébrile. Malakel, sentant son angoisse, vint se presser contre elle. Elle passa sa main dans son épaisse fourrure.
C'est une école comme les autres, c'est une école comme les autres. Enfin, peut-être pas comme les autres, mais avec des élèves comme les autres. Sauf qu'ils peuvent faire voler leurs cartables, et me mettre une raclée en un claquement de doigt, et sans doute m'empoisonner si le coeur leur en dit. Pense à autre chose, pense à autre chose !
Un joli chapitre ! J'aime beaucoup le développement sur le portail, les mondes dans la galaxie, c'est passionnant et poétique. On est partagés vis-à-vis de Timéo, il est à la fois attachant dans sa naïveté solennelle, et énervant par son orgueil. Un personnage toujours aussi réussi.
Coquillettes :
- de l'autre côté de la mère intérieure. => mer ?
- je suis bien contente que t'es perdu => tu aies, t'aies ?
- comment serait-elle accueillit ? => llie
A très vite
Contente de voir que ce chapitre fonctionne. Je rame un peu en ce moment pour la suite, alors ça motive.
Alors alors, ces examens ??
J'ai trouvé ce chapitre très chouette, car en dehors des dragons et de Malakel, on n’avait pas encore vu beaucoup de magie/technologie. Or, le portail et la description des mondes en sont un bon début ! La notion de galaxie m'a un peu surpris (c'est plutôt rare en fantasy), mais cela donne un côté "stargate" que j'aime bien, surtout qu'avec Fandari on ne sait pas si on ne va pas retrouver à rencontrer des Vulcains ^^ Cela étonne par contre encore plus sur le world building, je suis vraiment curieux de le voir s'étoffer.
Le personnage de Timéo est pas mal, même si on sent que ses dialogues manquent un peu de naturel, le potentiel est bien présent et il donne envie de plus le connaître (bon on voit tout de même pourquoi il n'a pas d'amis, et l'humour de Nour pour le rappeler est bienvenu).
Je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi Nour a peur d'être empoisonnée, d'accord ils sont l'air arrogant, mais de là à la tuer c'est un peu énervé.
L'école a l'air imposante, on se demande bien que Nour va y apprendre !
À bientôt.
J'ai enlevé l'étiquette fantasy, c'est beaucoup plus fantastique.
C'est voulu que Timéo soit un cliché, je vais peut-être même en ajouter.
Méroé lui a fait peur en disant qu'elle serait peut-être mal accueillit, mais elle dramatise un peu c'est sûr. Je vais relire ça.
A bientôt :)
Tu crées effectivement un univers dense et complexe ! Comme Nour, je ne suis plus très sûr de vouloir qu'elle retrouve un passage vers la terre mais plutôt qu'elle aie l'occasion d'explorer les autres univers !
J'aime bien les personnages un peu gentiment détestable comme Timéo ! Et j'aurais voulu savoir s'il a des supers pouvoirs (tu parles à la fin de faire voler des cartables ou d'empoisonnement : et si Timéo où d'autres condisciples te donnaient l'occasion de montrer ce genre de don en action ?)
Puis petit détail : il y a à mon avis un point d'interrogation en trop dans la réplique suivante :
"– Nour va étudier quelques temps au Sanctuaire ?"
J'ai cru que c'était Timéo qui posait la question.
A bientôt pour la suite !
Oren et Timéo sont en première année où ils apprennent la télékinésie. Tu as raison, je devrais le montrer. Je vais voir ce que je peux faire.
Merci, à bientôt :)