9 · Le poisson

Après avoir appuyé sur pas moins de dix boutons, activé plusieurs bras mécaniques, et supporté quelques engrenages rouillés, Bibop posa son cartable par terre et s'installa sur le fauteuil qu'il occupait si souvent que la forme de son fessier s'était imprimée dans la mousse.

Il prit un instant pour observer les portraits accrochés au mur, de travers - comme le reste de sa maison. Ces photographies représentaient sa mère, ou bien son grand-père. 

A l'heure où la technologie avait pris tant de place dans la vie quotidienne des gens, ces derniers avaient fini, pour la plupart, par accepter la dernière invention des scientifiques : l'implantation d'écran directement sur eux. 

Avec nostalgie, Bibop détacha son regard des antennes et des pixels qui déjà cachaient le visage des membres de sa famille dont les photographies ornaient les murs. Il fixa à la place ses yeux sur le pot transparent posé sur la table - bancale - devant le fauteuil. Un bocal, lui avait-on appris. Il était bien vieux, lui avait-on aussi expliqué, il datait d'avant toutes ces machines remplaçant petit à petit la peau des habitants.

Bibop aimait observer le petit animal qui tournait dans ce bocal en verre. Un poisson, d'après sa mère. Il était rouge, avec des reflets orangés, pas plus gros que le pied du petit garçon. Ce dernier se surprenait parfois à rêver de pouvoir lui aussi nager ainsi ; l'installation de tous ces appareils les empêchait tous de pouvoir ne serait-ce que toucher de l'eau. Une grande révolution dans les salles de bains, vous vous en doutez.

Et Bibop restait là, pendant des heures, à observer le rare semblant de vie que pouvait représenter ce petit être, presque jaloux.