9- Zoey

Par Aylyn

Dans sa robe fuschia, Alix irradiait. Je l’admirai, si radieuse et assurée. La seule chose dont je l’enviai, c’était cette confiance qui la faisait croquer la vie à pleine dent.

— Tu es prête ?

Je la remerciai silencieusement de ne pas faire de remarque sur ma tenue. Je hochais la tête, tout en réajustant ma capuche. Elle me saisit la main et m’entraîna vers le parking. Elle ne me lâcha pas avant d’entrer dans la voiture. Sa mesure de sécurité me fit sourire. Même si l’idée d’aller dans un lieu rempli de personnes me fichait encore la frousse, une promesse était une promesse. Je mettais un point d’honneur à ne pas les trahir. J’accordais une importance aux mots prononcés. J’en connaissais la force, le bonheur qu’ils pouvaient provoquer, tout comme la souffrance. Ils m’avaient meurtri mais aussi sauvé, seule bouée à laquelle me raccrocher à une époque. J’en retrouvais la saveur dans les livres. Lors de mes pauses, où quand le rythme de la journée se ralentissait, je me plongeais entre leurs pages et vibrais de nouveau, pour un temps. Je n’osais plus cependant les manipuler, les faire chanter. Dans un geste machinal, je frottai le bout de mes doigts entre eux, le manque se fit sentir, légère réminiscence. Le corps n’oubliait pas.

Une autre appréhension guidait ma répulsion à assister à ce genre d’évènement. J’avais mis un point d’honneur à éviter tout ce qui se rapprochait de près ou de loin à la musique. A la librairie, la propriétaire mettait une musique d’ambiance en sourdine. J’arrivais à en faire abstraction et ne l’entendait quasiment plus. Au moins n’y avait-il pas de paroles. Alix avait tenté de me sonder sur mes goûts musicaux, j’avais réussi à donner le change en évitant de mentir : je préférai le silence. A une époque, c’était tout le contraire. Sauf que je n’étais plus cette fille-là ; par la force des choses, j’avais dû abandonner ce qui me définissait, me reconstruire passant par faire table rase de ce qui m’animait.

 

La tension monta insidieusement pendant tout le trajet. Une fois sur le parking, le nombre impressionnant de voitures stationnées augmentèrent mon stress. A l’intérieur de ma poche, je tripotai l’assemblage d’élastiques formant une forme vaguement humanoïde.

 

— Si, c’est un bonhomme. Regarde : la tête et là, le corps.

— Il n’a pas de bras, ni de jambes ton bonhomme, lui reprochais-je gentiment.

Je contins mon rire devant son petit visage sérieux.

— Et alors ? c’est un bonhomme quand même. Il veillera sur toi.

L’émotion m’envahit et je serrai son maigre corps contre le mien. Et toi, pensais-je, qui veillera sur toi ?

— Merci, il m’accompagnera partout, je te le promets.

Son expression satisfaite et la fierté dans ses yeux renforça mon envie de l’emmener avec moi, loin de tout ça.

 

— Zoey, on est arrivé.

Je mis quelques secondes à sortir du passé. Penser à lui me faisait mal et me soulageais en même temps. Je ne l’oubliais pas. J’inspirai profondément, rassurai Alix d’un regard puis sortis.

Le bâtiment ne payait pas de mine mais avait le mérite d’être assez grand pour contenir la foule amassée devant ses portes. Mon gris-gris glissait entre mes doigts moites. J’avisai l’échantillon de jeunes gens dans la queue. Comme attendu, j’étais loin de me fondre dans le groupe, à moins d’être un garçon. En y regardant de plus près, oui, je respectai leurs codes : jeans amples et sweat-shirt, même si j’étais l’une des rares à utiliser la capuche intégrée. Les filles rivalisaient d’originalité pour mettre en valeur leurs attributs. J’ignorai tout du groupe que nous allions écouter, de leur apparence à leur style musical. J’avais confiance en ma coloc pour avoir des goûts décents.

Arrivée devant les portes, j’examinai l’affiche. Dark Hopes. Je notais la poésie du nom et l’écho qu’il trouvait en moi.

— Tu ne vas pas être déçue, m’assura Alix.

Son bras m’enlaça et je m’accrochai à sa main. Profiter du moment présent, je pouvais le faire. Je connaissais des techniques imparables pour occulter mon environnement.

 

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