Kaëlig surplombait la clairière ivre de rage, non, elle ne laisserait personne lui reprendre Morgan. Elle l’avait laissé endormi, bien à l’abri de son arbre compagnon. Son autre prisonnier enfermé dans sa geôle. Au sol, le lynx feulait et tournait en rond rageur, il pouvait sauter très haut et sur de très longues distances, mais elle était bien trop loin, tout à fait consciente des capacités du fauve. Grâce aux pouvoirs conjugués de Baba et Griselda, ils avaient pu localiser la tanière de la nymphe de feu. Elle leur lançait des lames de feu depuis le ciel pour les faire fuir plus que pour les tuer ou même les blesser. Elle se retenait, méfiante des conséquences si elle allait trop loin. Le courroux de son ennemie Hywel n’était pas à prendre à la légère, sa mère pouvait en témoigner… Elle envoya ses phacochères rougeoyants au sol. Ils foncèrent dans le tas, défenses en avant, dans le même état de fureur que leur maîtresse.
— Écartez-vous ! hurla Griselda.
Elle attrapa sa petite fille par le poignet pour l’attirer hors du sentier.
— Elysandre, fais bien attention, méfie-toi, ce ne sont pas les mêmes animaux que chez nous, il y a un fossé entre ta peluche Pumbaa toute mignonne et rigolo et ces enragés élevés chez les nymphes de feu.
Comme pour ponctuer les dires de la grand-mère, un phacochère grognait et reniflait à trois mètres d’elles, grattant le sol et semblant réfléchir à l’assaut qu’il allait donner. Ses oreilles pivotaient rapidement, à l’affût des mouvements du reste de son troupeau.
— Ces bêtes ont une très bonne vue, ne vous y trompez pas surtout, ajouta Baba qui les avait rejointes.
La sorcière sortit une sarbacane dans sa besace et souffla en direction de l’animal toujours en train de réfléchir, ce qui était pour le moins surprenant quand ses camarades couraient en tous sens à l’attaque des Nergaléens restants. L’aiguille enduite d’un somnifère puissant atteint le poitrail du phacochère. Celui-ci tomba raide dans les feuillages au sol. Pas un soubresaut.
— Waouh ! Génial ! s’écria Ely. Je peux essayer ?
— Chut ! Jeune fille ! Tu vas nous faire repérer par ses compagnons ou par Kaëlig, elle-même, souffla-t-elle un doigt sur la bouche et les sourcils froncés.
Mais déjà, un de ses semblables accourrait vers le bosquet derrière lequel les trois femmes s’étaient réfugiées. Les naseaux écartés au maximum, les yeux bien ouverts, les oreilles au garde-à-vous, il humait l’air à la recherche de ses proies. Tout à coup, il pointa le museau dans leur direction précise, gratta la terre, plia les pattes avant jusqu’à se mettre à genoux le postérieur en l’air et couina très fort. Aussitôt, les autres bêtes s’arrêtèrent de traquer le reste de la troupe et foncèrent vers le lieu de l’appel.
— Oh ? s’étonna Griselda en regardant sa sœur.
— Oui, je crois bien qu’ils en veulent après nous précisément…, soupira-t-elle contrariée. Kaëlig a peut-être dans l’idée de récupérer aussi Ely comme nouveau trophée !
— Mais pourquoi ? s’indigna la jeune fille empourprée.
Les deux sorcières se regardèrent, un dialogue silencieux s’établissant entre elles. Baba donna une sarbacane à Griselda d’un air décidé. Elles n’allaient pas se laisser faire. Baba émit un sifflement particulier et quelques secondes plus tard son lynx arriva de la forêt au maximum de sa vitesse pour se jeter entre l’attaquant porcin et les trois femmes. Ses crocs proéminents bien dégagés, le félin grognait face à la meute des phacochères rougeoyants qui avaient rallié leur chef. Tous positionnés les genoux avant dans la terre et le feuillage. L’ensemble avait un air tragi-comique pour Elysandre qui ne pouvait s’empêcher de penser à l’un de ses Disney fétiches, mais dans une version à la Stephen King. Les hilarants Pumba et cie transformés en bêtes sortant tout droit de Simetierre, les yeux exorbités et injectés de sang, l’écume aux lèvres, ils attendaient un signal.
Pendant ce temps, les Nergaléens, avec Zéphyr et Erin en tête, avaient suivi le mouvement des serviteurs de Kaëlig, cherchant un moyen de venir au secours de leurs amies. Zéphyr scrutait les hauteurs à la recherche de la nymphe de feu. Elle n’était plus en vue. Il fronçait les sourcils devant cette disparition inattendue. Griselda faisait de même de son côté.
— Margod, chuchota Zéphyr en direction de la médium, tu n’as pas de vision ? Tu ne vois rien ? Peux-tu te provoquer un flash pour nous indiquer la meilleure tactique ?
La Nergaléenne fit la moue, mais se concentra, les mains sur les tempes, les yeux fermés.
Ergad était positionné à ses côtés, prêt à intervenir à la moindre attaque, des gouttes de sueur lui coulant du front, la température alentour ayant fortement augmenté depuis le début de l’attaque. Tewenn les paumes vers le ciel avait fait s’élever en silence des centaines de pierres de la taille d’une main. Lui aussi attendait le signal, prêt à les lancer contre leurs assaillants dans les airs comme sur la terre ferme. Ils apercevaient Baioun qui maintenait sa position entre ses protégées et la meute rougeoyante.
Un cri perça le silence qui s’était installé, Kaëlig s’écrasa au sol, inerte. Griselda eu un sourire satisfait, elle rechargea sa sarbacane et visa de nouveau la nymphe au cas où la première dose n’aurait pas suffi. Le lynx profita de la surprise pour foncer dans le tas et disperser les phacochères. Il arracha les oreilles de tous les porcins qu’il put. Dans le même temps, Tewenn projetait ses pierres, touchant les bêtes aux pattes et dans les flancs. La meute paniquée s’enfuit en couinant, les plus effarouchés n’hésitèrent pas à piétiner leurs semblables à terre, touchés par les flèches enduites d’Erin et Zéphyr et les terribles aiguilles de Baba.
Margod eut un flash. Elle vit Marla quitter sa forêt à tire-d’aile. Puis plus rien. La Nergaléenne fronça les sourcils, essayant de comprendre cette vision. Quel rapport avec leur situation ? Elle prit son menton dans sa main, sa bouche formant un pli dubitatif.
*****
Kaëlig fulminait, ligotée par des cordelettes imprégnées de magie, elle restait impuissante assise par terre contre un arbre sous la surveillance conjointe de Baba, Elysandre, Ergad et Tewenn. Sa magie à elle semblait l’avoir quittée, mais elle s’inquiétait beaucoup plus de Morgan. Les Nergaléens allaient-ils dénicher son repaire ? Et son autre prisonnier ? Allaient-ils aussi le découvrir et le libérer ? Son esprit se reconcentra sur le jeune homme, ses intestins se tordaient à l’idée d’en être séparée à tout jamais, elle s’y était beaucoup plus attachée qu’elle ne se l’était imaginé. En repensant à leur dernière étreinte, ses joues la brûlèrent, de drôles de sensations dans le ventre.
— Arrête de gigoter, Kaëlig, ma magie est solide et la tienne est en berne, la tança Baba.
La sorcière lui administra une nouvelle dose de calmants, histoire d’avoir la paix en attendant le retour du reste de la troupe.
****
— Par-là, leur indiqua Griselda, je sens la présence de Morgan, et mon pendule le confirme, nous ne sommes plus très loin.
Une vaste clairière se profilait à une centaine de mètres en contrebas de leur position. Des constructions en rondins jouxtaient un immense arbre compagnon, lieu de vie fort apprécié des nymphes des bois, en général. Une légère fumée sortait d’une branche creuse à plusieurs mètres de hauteur. Signe que les lieux étaient toujours habités. Griselda fronça tout de même les sourcils en constatant que de la fumée fusait aussi d’une des annexes.
Zéphyr descendit de son zèbre et rejoignit, le premier, le logis principal. Il tourna autour sans en trouver l’entrée. Margod observait la végétation alentour, elle était admirative du foisonnement de plantes médicinales et magiques, un vrai paradis pour elle qui devait passer beaucoup de temps dans les bois et les prairies pour dégotter de telles herbes.
Griselda se dirigea vers l’arbre compagnon, scruta son écorce à chaque point cardinal puis se posta au Sud et traça dans les airs quelques volutes invisibles à l’œil nu. Rien ne se passa. La sorcière soupira bruyamment et recommença en faisant quelques variations tout en marmonnant une incantation dans la langue des nymphes, qu’elle avait apprise lors de son initiation aux magies dès sa plus tendre enfance. Après plusieurs minutes, une porte se dessina sur la surface du tronc, ainsi que deux fenêtres rondes aux rideaux fermés.
Zéphyr tenta d’actionner la poignée, sans succès.
— Attends, mon petit, il y a encore une protection à désactiver avant de pouvoir entrer, Kaëlig est précautionneuse, surtout si elle garde en otage un humain. Il ne peut pas non plus ouvrir de l’intérieur, si jamais il en éprouvait le besoin, ce qui m’étonnerait fort.
La sorcière fouilla dans sa besace, elle en retira un flacon rouge orangé, contenant un liquide épais et fluide à la fois. Elle versa quelques gouttes du liquide olivâtre sur la poignée, redessina quelques arabesques aériennes, puis tenta de l’ouvrir à son tour. Celle-ci s’abaissa sans difficulté cette fois. La porte dégagée, ils découvrirent un Morgan alangui sur un lit jonché de coussins aux couleurs de l’automne.
Le jeune homme se redressa à la hâte devant cette intrusion.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? Qui êtes-vous ? s’enquit-il un brin effrayé.
— Morgan, mon petit, tu ne me reconnais pas ? Comment te sens-tu ? Kaëlig t’a drogué !
Le jeune homme fronça les sourcils, se frotta les yeux et les tempes en soupirant.
— Je ne comprends pas… Oui, je reconnais que je me sens bizarre, mais c’est toujours le cas depuis… Je ne sais pas… Je n’arrive pas à me souvenir plus loin que quelques jours. Mais je me rends bien compte que vous m’êtes familière, madame, bredouilla-t-il avec une expression désolée.
La grand-mère serrait les poings en écoutant son petit-fils embrouillé et confus à cause de la perfidie de sa ravisseuse. Elle lui ferait payer cher cet affront si elle en avait l’occasion, mais elle savait que quelqu’un d’autre la punirait encore plus sévèrement.
— Essaye de te rappeler, est-ce que le prénom Elysandre te dit quelque chose ? C’est ta sœur, ta sœur jumelle et moi je suis Griselda, ta grand-mère, celle qui t’a élevé toi et ta sœur depuis votre plus jeune âge.
— J’ai beau me triturer le cerveau, ça ne me revient pas, même si une part de moi vous croit sur parole, sans que je puisse m’y opposer, soupira-t-il.
Griselda farfouillait dans son sac pendant qu’il parlait.
— Kaëlig est sortie depuis au moins deux ou trois heures, je ne sais pas où elle est ni quand elle va revenir. Elle ne part jamais si longtemps, gémit-il. J’ai comme un manque qui me taraude les tempes et le ventre.
— Tu es probablement en manque de la drogue qu’elle te fait avaler depuis qu’elle t’a enlevé… Et tu dois avoir faim ! Tiens voilà quelques biscuits que tu adores depuis que je vous en avais préparé pour un goûter en grande section… J’en avais emporté avec moi au cas où, sourit-elle en lui tendant le sachet dans lequel ils étaient contenus.
— Oh ! Merci !
— Attends, bois ceci avant de manger, c’est l'antidote que ma sœur avait préparé au cas où, j’espère qu’il va fonctionner ! L’effet n’est pas toujours immédiat, mais les gâteaux t’aideront sûrement à retrouver un début de mémoire.
— Ta soeur?
— Je t'expliquerai, prends-le vite, on a peu de temps!
Griselda tendit le flacon à Morgan qui le but d’une traite. Il se jeta ensuite sur les biscuits avec avidité.
****
Il avait entendu des intrus du côté de l’arbre compagnon de sa geôlière et il savait qu’elle n’était pas là. C’était le moment de tenter une évasion. Kaëlig n’était pas rentrée à temps et l’effet sédatif des élixirs qu’elle lui administrait plusieurs fois par jour s’étiolait. Il sentait ses forces revenir, la voix de la vieille femme lui rappelait quelque chose, c’était très furtif, mais chaleureux comme sensation. Il commença à tirer sur la chaîne attachée au rocher plat qui lui servait de lit depuis tant d’années qu’il en avait perdu le compte. Il réfléchit à ce qui pourrait bien l’aider à briser un des anneaux. Il fouilla du regard son environnement, ses outils étaient rangés dans le coffre fermé à double tour dont Kaëlig conservait les clefs en permanence. Elle n’ouvrait la malle qu’une fois ses élixirs avalés et actifs, alors seulement il pouvait accéder aux instruments pour s’acquitter de ses tâches quotidiennes, fendre des bûches, tailler des objets et autres ustensiles en pierres ou en bois. Ce matin, elle ne lui avait rien donné comme consigne et ne l’avait pas ouvert. Il grogna de rage, c’était bien sa veine !
Il s’assit sur le rocher et se frotta les tempes. Il ne pouvait pas les appeler, le sort de mutisme l’en empêchait, sinon il n’aurait pas hésité…
****
La fin de l’après-midi tombait lentement sur les corps perclus de fatigue. Les journées harassantes qu’ils venaient de subir lestaient leurs jambes lourdes comme du plomb. Elysandre s’était endormie sur sa monture contre le dos de Zéphyr. Elle était enfin rassurée, son frère à ses côtés sur le zèbre voisin, elle pouvait se laisser aller au repos. Elle avait hâte de retrouver sa grand-mère et d’enfin pouvoir rentrer chez eux, même si ces lieux emplis de magie allaient lui manquer… Et surtout celui contre lequel elle s’était assoupie. Peut-être que Griselda les autoriserait à revenir de temps en temps chez leurs nouveaux amis à la peau bleutée.
Les antidotes avaient fait leur effet, Morgan était revenu à lui, mais il restait troublé par ce qu’il avait vécu avec la nymphe de feu, lui qui n’avait jamais eu d’expérience aussi profonde avec une fille jusqu’à présent. Dans ses bras, il était devenu un homme. Des frissons lui parcourent l’échine au souvenir de leur dernière étreinte, il n’était pas amoureux, ça il en était certain, mais la rouquine lui avait laissé une empreinte flamboyante dans tout son être. La chaleur l’envahissait dès qu’il pensait à elle ou que quelqu’un l’évoquait. Il n’avait pas mal vécu ces quelques jours loin de sa famille, drogué et envoûté, il les avait oubliées, Ely et Griselda, sauf dans ses songes. Songes qu’il ne s’expliquait pas une fois éveillé, bien vite remisé dans les tréfonds de son cerveau, alangui dans les bras passionnés de Kaëlig. Il s’interrogeait sur le pourquoi de son enlèvement. Qu’avait la nymphe en tête ? Pourquoi lui ? Le trouvait-elle exotique ? À son goût ? Les derniers jours, il avait vraiment eu la sensation d’être aimé, réellement, alors que lui ne ressentait rien, sinon une attirance physique irrépressible. Il savait pourquoi à présent… Mais il n’en voulait pas à la nymphe, elle l’avait bien traité, comme un prince. Il fut sorti de ses pensées par Griselda.
— Je sens la présence de ma sœur, déclara-t-elle, satisfaite. Nous allons pouvoir prendre un bon repas et nous reposer. Zéphyr, je pense que l’on pourrait utiliser les dômes cette nuit. On organisera des tours de garde avec Baba et son lynx pour surveiller Kaëlig.
Le Nergaléen approuva d’un signe du menton et flatta l’encolure de son zèbre pour accélérer l’allure, le crépuscule n’était plus très loin de faire son entrée. Quelques minutes plus tard, ils retrouvèrent le reste de la troupe. Baioun les accueillit d’un grognement amical et les précéda d’un pas chaloupé et fier.
Le fumet du repas qui cuisait sur les braises réveilla totalement Elysandre, son estomac hurlait famine, mais elle courut d’abord se cacher derrière un bosquet épais pour soulager sa vessie pleine à craquer. Un soupir de plaisir bruyant s’échappa de sa gorge malgré elle. Elle rejoignit ensuite sa grand-mère et son frère, déjà installés pour le repas.
****
Le temps était compté pour les Nergaléens, ils ne devaient pas oublier leur mission première pour Hywel. Ils n’avaient pas encore déniché les porteurs du signe ni les fleurs de Maël… Ils allaient rentrer bredouilles, ce qui provoquerait au minimum une grande déception pour leur nymphe et surtout leur bannissement de la forêt des Saules bleus. Zéphyr échafaudait des hypothèses, des plans, pour réussir leur mission. Devaient-ils interroger Groënleenne ? Leur dernière entrevue ne laissait pas de doutes, elle ne les aiderait pas. Klaus les avait soutenus à plusieurs reprises, mais ne pouvait leur donner de réponses à propos de la demande d’Hywel, par méconnaissance, par obligation ou par choix ? Zéphyr ne le savait pas. Il ne fallait pas compter sur Sellina qui les avait éjectés de ses terres sans plus d’explications.
Quant à Urielle, ses indications nébuleuses ne les aidaient pas vraiment. Qu’avait-elle voulu dire par « le signe infini est composé de deux spirales allongées et jumelées par la pointe. Quant aux fleurs, cherchez-les en hauteur, elles s’élancent vers le ciel en taches multicolores, avec à leurs pieds de larges feuilles. »
Peut-être devrait-il en parler aux deux sorcières qui les accompagnaient, Baba n’avait pas semblé pouvoir leur donner d’indications, mais il pouvait toujours interroger sa sœur, sait-on jamais ?
Zéphyr en était là de ses réflexions quand il entendit de l’agitation. Il revint vers les dômes au pas de course. Il n’eut que le temps d’apercevoir Kaëlig emportée au loin dans les cieux rougis du crépuscule par la princesse Marla et ses lieutenants.
Baioun le lynx réagit au quart de tour, il fonça à leur poursuite. Vu la direction qu’elles avaient prise, leur point de chute serait soit le Val sans retour, soit plus loin, le domaine de Marla. L’animal était intelligent et connaissait les lieux avec une excellente précision. S’il avait décidé de les rattraper, il les traquerait jusqu’aux confins de ce monde. Baba ne se faisait aucun souci à ce propos, mais la colère l’envahit tel un ouragan. Elle lança ses mains vers le ciel, récitant des incantations que seule sa sœur put comprendre. Après de longues minutes, elle s’affaissa, épuisée. Elle avait énormément puisé dans ses réserves ces derniers jours, elle en payait le prix au moment le moins importun.
— Baba ! s’écria Griselda en se jetant auprès de son aînée.
Sliman, qui était un peu plus loin à réfléchir, se releva en trombe pour secourir, celle qu’il avait découvert être sa propre mère et dont il peinait encore à accepter la réalité.
Ergad souleva sans difficulté la sorcière et l’emporta sous un des dômes pour l’allonger plus confortablement.
— Je vais préparer une décoction pour l’aider à reprendre des forces, proposa Erin en entrant à son tour sous le dôme.
— Oui, c’est une bonne idée, valida Margod, j’ai ramassé des plantes fortifiantes en chemin, elles devraient se marier avec efficacité à ton élixir fortifiant.
Sliman suivit du regard les deux Nergaléennes qui ressortaient puis se tourna vers sa mère. Il avait encore du mal à la nommer maman dans sa tête.
— Baba ? Maaammman ? bafouilla-t-il le visage empreint d’un sérieux encore inhabituel chez lui luttant avec l’angoisse de la voir si mal en point.
La sorcière esquissa un sourire doux, les yeux fermés, trop faible pour faire plus. Elle tendit avec lenteur une main vers celles de son fils, qu’elle serra dans la sienne.
— Oui…, expira-t-elle difficilement.
— Laisse-la se reposer, mon petit, lui dit Griselda. Si tu as des questions, je peux y répondre en grande partie. Mais, elle n’est pas en état de le faire pour l’instant, elle a beaucoup trop puisé dans ses réserves ces derniers jours.
Le jeune Nergaléen avait tellement de questions en lui, il se rappelait ce que son oncle et sa tante lui avaient raconté. Tout était-il un tissu de mensonges ? Y avait-il une part de vérité ? Tout son monde et ses repères s’étaient écroulés quand il avait compris. D’orphelin de père et de mère recueilli dans sa famille, il devenait le fils d’une sorcière illustre dont il avait entendu parler comme tous ceux de son village sans jamais se douter qu’elle était sa propre mère… Il avait bien noté qu’elle l’avait regardé et traité avec bienveillance dès la seconde où ils s’étaient rencontrés, mais il n’aurait jamais imaginé… Et de la voir ainsi, lui crevait le cœur alors qu’il la connaissait à peine.
— Vous êtes sa sœur et donc ma.... tante ? tenta-t-il maladroitement.
— Oui, mon petit Sliman, et jusqu’à ce que je revienne ici, je connaissais ton existence, mais pas même ton prénom. Je suis ravie de faire enfin ta connaissance.
Le jeune Nergaléen réfléchissait, il n’était pas doué pour les liens familiaux, il ne connaissait que son oncle et sa tante, qui n’avaient pas eu d’enfants.
— Morgan et Elysandre sont les enfants de mon fils Maël, ton cousin donc. Eux sont tes petits-cousins. Baba est plus âgée que moi d’une dizaine d’années.
— Maël ? s’exclama Sliman incrédule.
— Oui, pourquoi cette réaction ?
— Mais parce que notre nymphe Hywel nous a demandé entre autres de rapporter un bouquet des fleurs de Maël ! Ce ne peut pas être une simple coïncidence ! fit celui-ci en courant hors du dôme pour aller chercher Zéphyr qui discutait avec Erin et Margod pendant qu’elles préparaient l’élixir pour Baba.
La sorcière le regarda partir les yeux grands ouverts et la bouche béante. Qu’avait-elle dit de si étonnant ? Elle allait bien vite être fixée, le jeune Nergaléen revenant toujours aussi agité accompagné de Zéphyr qui affichait un air interrogatif, les sourcils en accent circonflexe. Sliman sautillait sur place, un large sourire en travers du visage.
— Griselda ? Pouv… Peux-tu redire à Zéphyr ce que tu viens de me révéler ? À propos du père des jumeaux ? demanda-t-il en butant sur les premiers mots.
— Oui, bien sûr, le père des jumeaux, mon fils et ton cousin, se prénomme Maël.
Zéphyr sursauta à l’annonce de la sorcière. Il fronça les sourcils et sa bouche s’ouvrit béante vers le bas. Il se massa le menton tout en observant Griselda et Sliman tour à tour, puis il prit la parole avec plusieurs dizaines de secondes.
— Je ne peux pas croire que ce soit un hasard…, souffla-t-il avec le plus grand sérieux. Hywel nous demande de lui rapporter les porteurs du signe infini et un bouquet des fleurs de Maël. Vous devez donc savoir de quelle espèce florale il s’agit?
La sorcière esquissa un sourire doux empli de bienveillance.
— Oui, je sais de quelle plante il s’agit, ce sont des roses trémières comme les appellent les humains et qu’ici l’on nomme encore althéa rosa. Elles symbolisent la fertilité, la continuité de la vie tout comme le signe infini, déclara-t-elle avec un air entendu et ravi.
— Et auriez-vous une idée pour l’identité des porteurs du signe ? l’interrogea Zéphyr fébrile.
— Je pense que oui, répondit-elle sibylline, mais allons voir comment va ma sœur. Où sont les jumeaux ? ajouta-t-elle. J’aimerais qu’ils nous rejoignent pour la suite de la discussion.