A l'école de la chute I

Mon crâne est un cachot mon visage une prison

Dont personne ne devine l’existence et la vie

Dehors il n’y a rien qu’une face hermétique

Un regard enfoncé dans l’épaisseur du vide

Comme une flèche dont l’office aurait été rempli

Dedans se livre une guerre sans armées sans ennemis

Une mêlée sans fin de lames effilées

Traçant dans les chairs blanches de profondes arabesques

Qui font à tous mes rêves un délicat patron

 

Il se surimpressionne aux silhouettes aperçues

Dont chaque mouvement semble étirer les plaies

Et tout ce que je vois gémit de sourdes plaintes

Comme une lèvre fendue qu'un baiser vient ouvrir

 

Ce n'est pas une image que mes yeux peignent au monde

Mais la vision physique d'un peuple d'écorchés

Dont les bonheurs fugaces sont des garrots suintants

Que la terre a salis que le sang fait glisser

Sur les plaies assaillies des germes du chagrin

 

On voudrait retrouver l’impeccable lumière

Que les yeux des enfants boivent dans le matin

Lors que les taches sombres d’un sang perdu la veille

En grumelant franchissent les portes du passé

Et cette pâte épaisse coule de ma mémoire

Sur la pente escarpée d’un regard éperdu

Dégorgeant mes souvenirs visqueux dans le présent

 

Ni verrous ni barreaux qui puissent les freiner

Ils tombent sur nos faces comme la nuit nous les prend

Inconsolables veufs de nos heures passées

Qui sont les vanités de celles qu’on attend

Nous endeuillons le monde à la moindre tristesse

 

Nos vies seront semblables à la porte qui s’ouvre

Dans le noir cabinet de l’homme aux sept épouses

Car la huitième femme vit ses antécesseurs

A travers le miroir d’une flaque de sang

 

Nous tenons dans nos mains des livres ruisselants

Dont les lignes retracent les mêmes destins fatals

Qu’agitèrent des dépouilles crochées aux murs du temps

Et la clef dont la pourpre ne peut s’effacer

Ouvre un réduit caché dans nos esprits vengeurs

Où l’agonie des siècles pousse ses hurlements

 

On oublie le passé comme on ferme une armoire

Et le relent des morts passe à travers les portes

Qu’on ouvre le matin pour prendre sa chemise

Pour y cacher parfois de nouveaux souvenirs

 

Chaque année les déchets qu’on stocke en profondeur

Font sous nos pas boueux des tas un peu plus grands

Dont l’éternelle brûlure traverse les rochers

Ainsi nous descellons chaque soir nos tombeaux

Y versant tout entières des vies à peine éteintes

Et nous les refermons dans un matin radieux

Les yeux aussi striés que ceux qu’on a fermés

Sans voir à nos semelles sourdre une eau rougissante

 

L’arsenal du supplice est un grand buffet d’orgue

Dont les hommes aux sept vents disputent la console

 

Des doigts qu’on ronge au sang comme un objet qu’on sculpte

Au crâne qu’on veut ouvrir en lacérant ses joues

Des corps qui à eux-mêmes sont de grouillantes croix

Au hasard dont le cours rejoint celui du sang

Du visage émacié par le souffle du monde

A celui dont le vide semble garder les traits

Des paroles qu’on reçoit comme on reçoit les gifles

Aux manches que l’été n’a pas fait remonter

De la pierre qu’on jette en riant sur un nid

D’où les plumes rougies tombent comme un bâillon

Jusqu’au fer qui fleurit dans le crâne d’un homme

Incrustant nos visages des éclats de ses os

 

Ce qui fait de nos yeux soudain des puits sans fond

Où la dévastation se lit comme un poème

Ce couteau qui tranche net les centaines de fils

Attachés à nos faces comme à des marionnettes

Et que la vie tirait de sa main de bourrelle

Cet amour qui soudain perd un unique objet

Et laisse un cri sans fin répondre à ses échos

 

Tout cela fait sur l’œil une étrange impression

Comme un tableau flamand d’où la vie disparaît

Estompée par cinq siècles de fêtes inchangées

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Fannie
Posté le 20/06/2020
Comme AudreyLys, au début je me suis dit que ça manquait un peu de ponctuation, puis je me suis habituée à ce style. Le rythme et la beauté des vers, les images qui défilent me font oublier ou plutôt dépasser ce détail.
« On oublie le passé comme on ferme une armoire » ; ça me parle parce qu’en effet, l’armoire, on la rouvre régulièrement et on y remise d’autres souvenirs qui ne demandent qu’à réapparaître à la prochaine occasion.
— Lors que les taches sombres d’un sang perdu la veille [As-tu volontairement écrit « Lors que » en deux mots ?]
Paul Genêt
Posté le 20/06/2020
Merci pour ton commentaire Fannie. Oui, "Lors que" est écrit en deux mots comme un équivalent de l'expression "alors que". C'est un néologisme, je ne suis pas sûr de l'avoir inventé, il est possible que je l'aie lu sous la plume de quelqu'un d'autre.
Fy_
Posté le 02/06/2020
Je n'ai pas tout compris mais je trouve les images et les vers très beaux.
C'est fluide et ça nous entraîne comme sur un fil de pensées infinies qui se déroulent à la suite.
Y aura-t’il un "à l'école de la chute II" ?
J'ai beaucoup aimé en tout cas,
Merci pour cette belle lecture :)
Fy
Paul Genêt
Posté le 02/06/2020
Bonsoir Fy, en réalité, A L'Ecole de la Chute était à l'origine une nouvelle rédigée en vers, un texte conçu pour être écrit en trois chapitres. Je n'ai écrit qu'un chapitre entier et des morceaux des deux autres. Celui-ci constituait l'ouverture du deuxième chapitre. Le numéro que j'ai donné à cet extrait n'a pas de signification du point de vue de l'oeuvre elle-même. C'est disons le premier fragment que j'ai retenu de ce travail. Je ne veux ni ne peux plus travailler dessus maintenant. L'état d'esprit dans lequel je l'ai écrit était très douloureux et, avec les années, tout cela a, plus ou moins bien, cicatrisé. Je comprends ce que j'ai écrit mais je ne suis plus la même personne. Par conséquent, il se peut que je publie d'autres extraits mais je ne pourrai pas raconter l'histoire que je voulais raconter à l'origine.
Paul Genêt
Posté le 02/06/2020
Quoi qu'il en soit merci pour ton commentaire qui me fait très plaisir.
AudreyLys
Posté le 13/01/2020
Coucou ! J'ai vu passer le lien et du coup me voilà !
J'aime beaucoup ce poème, les images sont très belles et percutantes. Je trouve le texte très bien travaillé, en tout cas je te félicite parce que l'exercice n'est pas facile ! Je n'ai pas vérifié pour tout le texte mais j'ai vu que tu avais mis des alexandrins, ça donne un petite côté baudelairien pas désagréable (oui je sais c'est pas du tout le seul à écrire en alexandrins mais en lisant les Fleurs du Mal j'ai bouffé plus de ses poèmes que tous les autres poètes que j'ai lu réunis).
Seul point que j'aurais à soulever : l'absence totale de ponctuation. Faire des vers n'exclue pas de faire des phrases. Ça peut-être un choix que je comprends mais dans le cas de ce texte j'ai trouvé qu'il manquait une ou deux virgules à certains endroits. Ce n'est qu'un avis personnel, bien sûr.
C'est tout pour moi *^^*
Paul Genêt
Posté le 13/01/2020
Bonsoir AudreyLys, merci pour ta lecture et ton commentaire qui me fait très plaisir. Effectivement, le texte est écrit en alexandrins mais ce ne sont pas des alexandrins classiques dans la mesure où j'ai choisi de privilégier la prononciation naturelle au détriment du strict décompte des syllabes. J'ai également supprimé la rime au profit d'autres effets sonores et pour accentuer mon travail sur le rythme. Concernant l'absence de ponctuation, là encore, comme tu le suggères, c'est un choix. Dans ma perspective, il s'agissait également de laisser s'exprimer le rythme interne du texte et de ne pas l'imposer brutalement au lecteur par la ponctuation. Pour être complet, en faisant ce choix, je n'invente rien mais je suis d'autres auteurs qui ont inventé cette forme d'écriture, y compris pour des poèmes présentant une structure syntaxique complexe. Cela dit, je conçois que cela puisse être gênant car lorsque j'ai découvert les auteurs qui pratiquaient cela, comme Aragon par exemple, cela m'a perturbé. Mais j'ai fini par apprécier, puis par le pratiquer ! J'entends néanmoins la remarque et je réfléchirai à l'idée de réintroduire de la ponctuation faible comme tu le proposes. Merci encore de ton passage par ici et à bientôt sur PA !
AudreyLys
Posté le 14/01/2020
Ah tu t’es inspiré d’Aragon, d’accord ! Je l’aime bien même si je n’ai pas lu beaucoup de ses poèmes.
Tu restes maître de ton texte ;-)
De rien^^
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