À présent, la fête battait son plein. L’ambiance chaleureuse de la chaumière contrastait avec le froid hivernal qui régnait dehors. Minuit approchait et une clientèle plus jeune prenait maintenant place parmi les danseurs. Les kirs à la pêche côtoyaient les vodkas Redbull à un rythme presque indécent.
Au bar, Joséphine était occupée à remplir les verres de champagne à l’avance, avec l’aide de Jessica.
– Il y a beaucoup de monde ce soir, je suis agréablement surprise, lança Jessica, la mine réjouie. Si ça pouvait être comme ça tous les week-ends, ce serait parfait !
– Je suis bien d’accord avec toi, Sabrina m’a appelé tout à l’heure au téléphone du bar, elle a dû ressortir en vitesse des portants de la cave car il n’y en avait plus un seul de libre pour les manteaux et les sacs. J’espère qu’ils vont tenir le choc, de mémoire, ils étaient quand même un peu rouillés… grimaça Joséphine, provoquant les éclats de rire de Jessica.
Nicolas s’approcha maladroitement du bar et adressa un timide sourire à Jessica. Ils s’étaient fréquentés il y a maintenant plusieurs années. À l’époque, Jessica était encore au lycée lorsque lui s’apprêtait à partir faire ses études à Lyon. Leur histoire s’était rapidement écourtée face à la distance qui séparait les deux jeunes gens. Nicolas en avait toujours gardé un certain goût d’inachevé mais n’avait jamais osé en reparler avec Jessica.
– Un autre Gin tonic ? s’enquit Jessica, concentrée sur le remplissage de la dernière coupe de champagne, les mains tremblant légèrement autour de la bouteille de Charles Volner.
– Je vais plutôt goûter le Punch de Noël, il paraît qu’il est délicieux, répondit Nicolas, jetant un coup d’œil à Emmanuel, qui buvait son cinquième verre de nectar sucré et dont les quatre premiers boutons de la chemise étaient déjà ouverts.
– Excellent choix, il faut dire qu’on a fait pas mal d’essais avant de valider la recette. Le secret, c’est la cannelle et une macération de deux jours, dit Jessica en faisant un clin d’œil.
Elle servit un grand verre de punch à Nicolas, qui le goûta et fit mine d’embrasser ses doigts, à l'italienne. Jessica ria et rougit légèrement, elle avait oublié à quel point Nicolas était amusant.
– Votre soirée semble être un franc succès, continua Nicolas, il y a l’air d’avoir plus de monde que l’année dernière. Fabien semble mettre tout le monde d’accord avec les chansons qu’il passe, c’est rare de voir danser autant de jeunes et de plus âgés en même temps.
– Oui, il est parti en formation cette année pour se remettre un peu au goût du jour sur les pratiques actuelles des DJ, ça a l’air de bien marcher, répondit Jessica. Le seul point noir de cette soirée, c’est ce vieux con qui traîne dans la boite, ajouta-t-elle d’un ton dédaigneux. Je pense que tu as dû le remarquer, il fourre son nez partout et dérange les clients. Joséphine est allée le voir à plusieurs reprises mais cela ne fonctionne pas vraiment. D’habitude, elle n’hésite pas à recadrer les malotrus mais cette fois-ci, j’ai comme l’impression que quelque chose l’en empêche.
– C’est clair qu’il n’a rien pour lui cet énergumène, ni dans son allure, ni dans son attitude, répondit Nicolas cherchant l’homme du regard. D’ailleurs, ce type me dit quelque chose, j’ai déjà l’impression de l’avoir croisé mais je ne saurais dire où, ajouta-t-il en fixant intensément Henry Pignot en train de bouger une latte du plancher de la piste de danse avec son pied, faisant par la même occasion un croche-patte à un couple de danseurs.
– Il semblerait qu’il veuille ouvrir son établissement au Cap d’Agde et qu’il vienne s’inspirer de notre vieille chaumière croulante, ce serait surprenant que tu l’aies côtoyé auparavant, répondit ironiquement Jessica, organisant à présent les coupes de champagne sur un plateau en plastique rouge délavé.
– Mais oui, ça me revient ! s’exclama soudain Nicolas. J’ai eu affaire à lui dans un dossier juridique que j’ai traité pour la banque dans laquelle je travaille. Il était accusé de détourner les fonds des établissements qu’il rachetait une bouchée de pain. Il y restait à peine six mois et se volatilisait dans la nature avec la caisse, il a été assez difficile à coincer. Je ne comprends pas ce qu’il fiche ici, c’est inquiétant !
– Des établissements qu’il rachetait ? répéta Jessica, une expression incrédule sur le visage. Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
Mais déjà le décompte jusqu’à minuit avait commencé et Fabien lançait « Les Démons de minuit » aux platines, couvrant les cris de joie des danseurs, le cri d’effroi de Jessica.