La place, une grande esplanade pavée aux pierres usées par le temps, s'était métamorphosée sous la lueur de la lune. Les lanternes, accrochées à des perches disposées autour de la scène, vacillaient légèrement dans la brise, projetant des ombres dansantes sur les murs des maisons environnantes. La foule, dense et bruissante, se pressait autour de l'estrade, murmurant d'excitation à l'approche du spectacle. Certains s'étaient installés sur les bancs de bois éparpillés ça et là, les visages éclairés par la lueur des flammes. D'autres, plus curieux, se tenaient en retrait, à l'ombre des bâtiments, épiaillant les préparatifs du duel avec une attention frémissante.
L'estrade, un simple socle de planches usées, était prête à accueillir la confrontation. Des cordes décorées de fanions multicolores encadraient le petit espace, donnant à la scène un air de fête carnavalesque. De chaque côté, deux grandes torches enflammées, suspendues dans des supports de fer forgé, illuminaient le centre de la scène d'une lumière orangée. Marcelin, déjà sur place, s'affairait à ajuster quelques détails, sa silhouette flottant dans l'obscurité, à la fois insaisissable et brillante sous la lueur tremblotante des flammes.
A côté de l'estrade, en bas des marches. la silhouette de Cléandre se dessinait, son regard perçant scrutant l'assemblée et la scène qui allait bientôt devenir l'arène de son esprit. Le vent, complice de l'instant, soufflait doucement, apportant avec lui des bribes de rires et de chuchotements.
Le public s'agglutinait autour de l'estrade, des visages curieux, des regards avides. La promesse de ce duel avait déjà fait naître une rumeur, un frémissement dans les rues, et ce soir, sous la clarté fragile de la lune, les mots s’affronteraient. L'estrade devenait le champ de bataille où l'esprit et l'art de la parole se mesuraient.
Les spectateurs, tendus et impatients, attendaient l'éclat du début, suspendus aux lèvres du saltimbanque. D’un geste théâtral, Marcelin s’avança, un sourire espiègle aux coins des lèvres. Il leva les bras pour capter l'attention de la foule, puis, d’une voix claire et enjouée, il annonça :
— Mesdames et messieurs, vous voici invités à un duel des plus singuliers, un combat d’esprits affûtés où l’improvisation et la rime seront nos seules armes ! Le principe est simple : chacun de nous, tour à tour, devra continuer l’histoire en ajoutant des vers en rime. Celui qui s’aventure à quitter le chemin de l’improvisation ou qui manque d’inspiration devra subir la sanction de la foule ! Soyez rassurés, la seule loi ici, c’est celle de l’humour, de la créativité et de l’esprit ! Aucun d’entre nous ne saura où cette histoire nous mènera. A vous, spectateurs, reviendra le privilège de juger l’art de l’histoire et des mots, grâce à vos applaudissements ! Que les meilleurs rimeurs et inventeurs d’histoires l’emportent !
Un éclat de rire traversa la foule, et les regards excités s'échangèrent, impatients de voir ce duel prometteur commencer.