Saltimbanques

Sous un ciel de couleurs changeantes, la roulotte avançait, se faufilant entre les collines et les champs. Le vent soufflait léger, portant avec lui des bribes de rires lointains. La jument Patience, bien que lasse, avançait toujours, tandis que Cléandre, le regard perdu dans les nuages, tenait fermement les rênes. Miranda tapotait joyeusement sur les planches, un air de défi dans ses yeux. Ginette, elle, notait des noms et des visages dans son carnet, ses doigts effleurant les pages, elle traçait le destin de chaque passant.

Le silence ne dura pas longtemps. Alors qu’ils approchaient d’un petit village, une musique légère, emplie de vivacité et de folie, parvint à leurs oreilles. Cléandre haussait un sourcil.

— C’est quoi ce bruit ? demanda-t-il, intrigué.

— Ça vient de là-bas, répondit Ginette en désignant une place au loin, où se dressait une cariole bariolée, ses roues dansant au rythme du vent.

Ils se rapprochèrent, et à mesure qu’ils s’approchaient, une silhouette étrange se dessina sur le fond du ciel en dégradé. Un homme vêtu de haillons éclatants, son chapeau orné de plumes multicolores, jonglait avec des balles et des torches. Son rire perça l’air, vibrant et clair, et son sourire reflétait l’éclat du soleil qui se couchait derrière lui.

— Voici un homme qui ne manque pas d’éclat, dit Cléandre, un peu amusé, un brin de curiosité dans la voix.

La cariole, avec ses guirlandes et lanternes, brillait, petit soleil miniature. Marcelin, le saltimbanque, fit sauter une torche dans les airs et la rattrapa d’un geste habile, avant de se tourner vers eux. Son regard scintilla d’une lueur malicieuse.

— Ah, des voyageurs ! Bienvenus, bienvenus ! s’écria-t-il. Entrez, entrez dans le spectacle ! Vous ne savez pas encore ce que vous manquez !

Il fit un geste, invitant Cléandre et les autres à s’approcher.

Cléandre, un peu perplexe et amusé, guida Patience vers l’endroit où Marcelin s’installait, à moitié jongleur, à moitié poète. Miranda observa tout cela, les yeux pétillants, tandis que Ginette, toujours pragmatique, gardait son carnet près d’elle.

— Je suis Marcelin, le saltimbanque du monde, le poète des rues et des rêves ! annonça-t-il avec un éclat de rire. Et vous ? Vous êtes des âmes errantes ou des curieux en quête de vérité ?

— Des curieux, répondit Cléandre avec un sourire, je doute que tu aies des vérités à partager, saltimbanque.

Marcelin s’approcha de lui, l’examinant de haut en bas.

— Ah, un homme de peu de foi ! répliqua-t-il, son regard brillait. Peut-être que je pourrais te faire changer d’avis. La vérité, mon ami, est une danse. Parfois folle, parfois douce. Et toi, tu marches or, tu ne danses pas.

Ginette se pencha un instant vers Cléandre, murmurant :

— Tu penses qu’il est sérieux ?

Cléandre haussait les épaules, son sourire trahissait une légère admiration pour l’audace de Marcelin.

— Il a l’air de croire à ses propres paroles, répondit-il. Et c’est déjà un début.

Marcelin, sans se laisser démonter, fit un tour complet sur lui-même, jetant des regards espiègles à chacun des membres du groupe.

— Et toi, petite, lança-t-il en se tournant vers Miranda, qui observait tout en silence, quels secrets cachent tes yeux ?

Miranda, un peu déconcertée, haussait les épaules.

— Je vois des choses, répondit-elle simplement.

— Très bien, très bien, une visionnaire ! s’exclama Marcelin en riant. Nous allons bien nous entendre.

À cet instant, Marcelin posa un pied sur une petite estrade, attrapant un tambourin qu’il secoua avec énergie.

— Venez, mes amis ! Venez entendre la chanson des mystères et des folies ! Venez, laissez-vous emporter !

Il commença à chanter, une chanson joyeuse et rythmée, pleine de verve et d’humour, qui parlait de démons et de héros, de fous et de sages. Les paroles se mêlaient de rires et de rebondissements absurdes, dépeignant les exploits de créatures légendaires d’une manière si légère qu’elles en devenaient ridicules.

Cléandre écoutait, un sourire narquois aux lèvres. Au fond, une étincelle d’intérêt brillait dans ses yeux. Ginette, elle, observait les alentours, notant ce qui pourrait un jour faire un bon sujet pour ses cartes. Miranda, de son côté, emportée par la musique, frappait dans ses mains en rythme avec le chant.

La chanson achevée, le saltimbanque salua ses invités d'une courbette élégante avant de se remettre à l'installation de son estrade, ajustant les lampions et les décorations, préparant minutieusement le décor pour son spectacle nocturne. Miranda tapa des mains avec enthousiasme pour applaudir la prestation.

Cléandre observait Marcelin avec un mélange d'amusement et de fascination. Ce saltimbanque, ce jongleur de mots et d’illusions, lui semblait un étrange reflet de lui-même, un miroir déformant où il se reconnaissait dans toute sa vanité et sa subtilité. Le défi qui naissait en lui n’était pas simplement l’envie de triompher, il désirait se confronter à ce qu’il était au plus profond de lui : un maître du verbe, un artisan des paroles futiles, de ces mots lancés dans l’air pour prendre forme et s’enrouler autour des rêves et des mensonges. Marcelin jouait avec l’image qu’il renvoyait au monde, tout comme lui. Il se sentait à la fois supérieur et égal à cet homme. Peut-être était-ce le plaisir de voir un semblable dans sa propre danse, une danse où la victoire ne se mesurait pas à l’acier d’une épée, seulement à la subtilité d’un mot bien placé.

Cléandre, les yeux pétillants d'une lueur espiègle, s'approcha de Marcelin qui ajustait une corde ici, un drap là. La place était déserte pour l’instant, les spectateurs n'étant pas encore arrivés.

— Eh bien, dit-il, avec une moue amusée, il semble que l’on ait un peu de temps avant que la foule ne s’agglutine. Pourquoi ne pas jouer un peu avant de charmer la masse ? Un duel des mots, ça te tente ? À ce qu’il paraît, la langue vaut les épées.

Marcelin lâcha une cordelette de fanions et esquissa un sourire malicieux, ses yeux pétillant d'une lueur espiègle, puis il prit une grande inspiration, pour se préparer à un grand spectacle.

— Ton défi, mon ami, je l'accepte avec plaisir. A une condition : qu’il prenne place ici, sur cette estrade, sous la lueur vacillante des lanternes, lorsque la nuit étendra son manteau d'ombre et que la place se remplira des regards avides des spectateurs. Là, entre les étoiles et les murmures du vent, nous ferons danser nos mots, et les échos de notre joute se perdront dans l’immensité de la nuit.

 

 

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