Acte 1. Coupable de naissance. Part 4.

Par Davils

Le bureau du recteur de l'université.

L'effet inverse se produit. Les Ténèbres reculent, s'éclairent.
Une image pixelisée apparait. 
Les pixels réduisent de taille, le Monde prend forme sous nos yeux, jusqu'à devenir net.


Sara, venue clamer son innocence et demander justice, est assise dans le bureau du recteur de l'Université, désormais informé de son affaire.

La pièce est à la fois austère et imposante. Les murs, ornés de diplômes encadrés et de photos d'événements universitaires, imposent une certaine solennité. Une large bibliothèque en bois occupe tout un pan du mur, débordant de livres reliés, de classeurs et autres dossiers entassés.

Sur le bureau lui-même, massif et en bois verni, très peu de choses. Un sous main en simili cuir marron, accompagné du reste du set - pot à crayons, ouvre-lettre, trieur de de courrier - tous recouverts du même "sky" très à la mode dans les années 90. Une lampe de bureau en laiton diffuse une lumière chaude qui éclaire plus par principe que pour être utile. Les rideaux transparents sont tirés, filtrant la lumière éclatante du matin.

Derrière le bureau, le recteur, installé dans son fauteuil en cuir noir, marqué par l'usure, termine de lire les détails de la mésaventure de Sara, sur son imposant ordinateur portable, branché éternellement sur secteur depuis un bon moment - pas aussi vieux que le bureau, certes, mais Sara devait tout juste apprendre à lire le jour où il est sorti de sa boite - posé sur le sous main censé servir de support à une écriture manuscrite.

— Alors, si j'ai bien compris, tout ça c'est à cause de ce policier qui vous a prise pour une prostituée alors que vous étiez en train de patienter pour porter plainte pour harcèlement sexuel... C'est bien ça ?

— Oui, j'étais assise dans le hall du commissariat, et j'attendais pour porter plainte, et... Elle s'interrompt, réfléchissant. Je ne comprends pas comment ça a pu arriver, c'est une vraie erreur judiciaire.

— Ce n'est pas encore une erreur judiciaire Mademoiselle Guerrouj, il n'y a pas encore eu de jugement.

— Mais comment ce policier a-t'il pu me prendre pour une prostituée ? Est-ce qu'il voit toutes les femmes comme des prostituées ?? C'est lui le coupable, il a un vrai problème dans sa tête. C'est lui qu'il faut condamner.

— On ne peut pas condamner tous les hommes qui ne vous plaisent pas mademoiselle. Occupons nous déjà de vous innocenter.

Le recteur détourne le regard de son écran, et retire ses lunettes avant de se tourner vers Sara.

— Vous savez, vous n'avez pas le profil habituel des prostituées.

— C'est parce que je n'en suis pas une, répond-elle sèchement, laissant apparaître un début de nervosité.

— J'ai parlé à certains de vos professeurs, et ils m'ont tous m'ont parlé d'une étudiante sérieuse et discrète. Par contre votre directeur de thèse...

Échanges de regards. Sara se tend, mais ne réagit pas.

— Disons qu'il n'est pas de cet avis, reprend le recteur, et il pense même porter plainte contre vous pour harcèlement et agression.

— Quoi ?! Mais c'est lui qui... D'abord véhémente, Sara s'interrompt, se force à se calmer, à baisser le ton de sa voix. C'est contre lui que je venais porter plainte. Il m'a fait des avances, il m'a coincé contre le tableau et il a tenté de m'embrasser.

— Je lui ai parlé, poursuit-il d'un ton beaucoup trop calme, et il vous accuse de lui avoir fait plusieurs fois des avances sexuelles, en échange d'une amélioration de votre note finale. Et au regard de votre dossier, sans une meilleure note vous n'obtiendrez pas votre validation pour le prochain semestre.

— Mais non, c'est lui qui... Tente de se défendre Sara, aussitôt interrompue.

— Il dit avoir refusé vos avances, tout en vous précisant qu'il était marié.

— Ahaha, oui ça c'est vrai, réagit-elle ironique, il a bien dit qu'il était marié, mais que ça ne l'empêchait pas de penser moi.

— La suite est moins drôle Mademoiselle Guerrouj.

— Je ne trouve pas ça drôle, je trouve ça aberrant que sa parole ait plus de valeur que la mienne.

— Il semblerait que vous restiez souvent après les cours, TRÈS souvent. Il appuie, insiste sur la répétition, puis marque une pose exagérément dramatique.

— D'autres étudiants l'ont d'ailleurs confirmé. Vous vous retrouvez donc souvent seule, le soir, avec votre professeur. Parce que vous l'avez décidé, pas parce qu'il vous l'a demandé ? C'est bien ça ?

Sara est sous le choc. Elle comprend très bien l'insinuation.

— Je reste le soir parce que je travaille dur pour réussir mes études... Le recteur ne réagit pas. Sarah insiste. Donc ça y'est, parce que c'est ma parole contre celle de mon agresseur, je suis coupable. Parce que quand un pervers voit une femme il ne voit qu'une prostituée, je suis coupable. En fait je suis juste coupable d'être une femme, conclue-t-elle, ironique.

Toujours aussi calmement, toujours aussi posé et réfléchi, le recteur se lève, et se dirige vers un meuble sur lequel sont posés une bouteille d'eau et deux verres, tout en prenant un ton plus rassurant.

— Je n'ai pas dit que c'était perdu. Mais au moins vous vous rendez compte de l'ampleur de la tâche qui m'attend.

Il remplit un verre d'eau.

— Je peux faire en sorte que tout ça n'ait jamais eu lieu, j'en ai le pouvoir. J'ai le pouvoir de vous innocenter.

Il dépose le verre d'eau sur le bureau, devant Sara.

— Je SUIS innocente.

— Bien sûr, mais moi j'ai le pouvoir de le prouver. Je peux vous innocenter aux yeux des autres, je peux vous innocenter réellement, dans la seule réalité qui compte.

Sara prend le verre d'eau et le porte à ses lèvres.

Le juge est derrière elle. Il pose doucement ses mains sur ses épaules, commence à la masser légèrement, délicatement.

Sara se fige. Ses lèvres touchent le verre, froid comme le piège dans lequel elle vient de tomber, mais elle ne boit pas.

— Je suis le seul qui vous croit, mais heureusement je suis également le seul qui puisse vous aider.

Sous le choc, Sara reste littéralement pétrifiée. Mais sa gorgone à elle se tient dans son dos, les deux mains la caressant, l'une d'elle passant sous le tissus de son tee-shirt, en contact direct avec sa peau. Elle frémit.
Pour la première fois depuis le début du jeu, la voix "divine" retentit sans que le Monde autour de Sara ne soit figé.

— Deux choix s'offrent à vous:
1, Vous le laissez faire, vous serez innocentée. 
2, Vous réagissez.


Pendant que sa main droite glisse lentement vers le décolleté de Sara, sa main gauche lui enserre doucement la gorge, remonte jusqu'au menton, et incline légèrement sa tête en arrière. C'est au tour de sa voix de se glisser dans son l'oreille.

— Ne t'inquiète pas ça va bien se passer... Et tu obtiendras la validation de ton semestre haut la main, je te le promets.

Sarah reste là, silencieuse, immobile. Elle se laisse faire. Des larmes s'écoulent lentement sur ses joues.

La main droite du recteur a atteint sa cible, son sein gauche. Quelque chose en elle se brise. D'un mouvement vif, elle repousse ces mains ventouses, se lève tout en se retournant, faisant enfin face au recteur.

Sans une hésitation, elle vide le contenu de son verre d'eau en plein visage du tripoteur, avec toute la force de sa colère contenue jusque là.

Le recteur s'essuie le visage, un sourire en coin.

— Intéressant, murmure-t-il. Je préfère toujours quand il y a un peu de répondant.

Il écarte lentement la chaise qui les sépare, puis fait un pas, réduisant la distance entre eux. Sara recule jusqu'à se retrouver bloquée contre le bureau.

Avides de la suite, les mains grandes ouvertes du recteur se posent à nouveau sur leur proie. Sara se débat, repousse les doigts-tentacules dont chaque contact lui donnent la nausée.

Agacé, le recteur la gifle avec une violence sèche, brutale. Sara est surprise par l'intensité du coup qu'elle n'a ni anticipé, ni même tenté d'esquiver.

Légèrement groggy, elle perd pied l'espace d'un instant; le recteur profite de ces quelques secondes pour la pousser en arrière, pour la basculer, et la forcer à s'allonger sur le bureau.
Ses jambes pendantes, ne touchent plus le sol.

— Tu peux te débattre, dit-il presque amusé, et continuer à me répéter que tu ne veux pas, si ça t'aide à te sentir mieux.

Sara tâtonne sur le bureau tout autour d'elle. Elle repousse l'ordinateur portable d'une main, bascule le pot à crayon de l'autre, avant de tenter de se redresser et de repousser le recteur.

Ce dernier maintient Sara d'une main autour de sa gorge, serrant un peu plus fort à chaque saillie de sa victime. Puis, il défait sa ceinture de l'autre, d'un geste lent, presque mécanique.

— Je t'avoue que je m'ennuie avec celles qui ne bougent pas, souffle-t-il, tout en déboutonnant son pantalon. Tu sais, je ne suis pas un monstre, je préfère quand même quand on fait ça à deux.

Il tente de l'embrasser.
Sara détourne vivement la tête, repousse son visage de ses deux mains, une paume contre un oeil, l'autre contre sa bouche.

Le recteur la mord jusqu'au sang avant de reprendre le dessus. Il attrape ses mains, les tend au- dessus de la tête de Sara, et les maintient d'une main enserrant ses poignets, pendant que l'autre redescend jusqu'à leurs entrejambes, collés l'un contre l'autre.

— Assez plaisanté jeune fille, j'ai une autre rendez-vous dans 15 minutes.

Il tente encore de l'embrasser. Elle détourne encore plus la tête, l'étire au plus loin, tentant d'échapper à son souffle de plus en plus présent. Une expression de son excitation animale.
Dans son raidissement, Sara libère sa main droite.

Le recteur est trop occupé par le troussage de jupe pour s'en apercevoir, trop avide de faire disparaître sa main à l'intérieur, ce qu'il fait. Sara sursaute, se raidit.

— Vous avez le droit de travailler, vous avez le droit de vous habiller comme vous voulez, vous demandez l'égalité...

La main de Sara vient de se poser sur le manche en cuir de l'ouvre-lettre, tombé du pot à crayon assorti.

— Soit ! Ponctue-t-il d'un arrachage de culotte qu'il brandit fièrement avant de reprendre. Mais il y'a une chose qui ne changera jamais, vous vous ferez toujours bais...Ééééé...

Le recteur s'interrompt brusquement, avant de couiner, le souffle coupé.
Sara vient de lui planter l'ouvre-lettre dans la gorge. Pour une fois que cet élément de décoration d'un autre temps ouvre quelque chose.

Il se redresse instinctivement, portant ses mains à sa blessure, le regard exprimant à la fois surprise, horreur, et ce questionnement ultime: Doit-il retirer l'objet dépassant de son coup d'où s'échappe déjà un filet de sang ?

Il tente de parler, mais n'émet que des gargouillements étouffés, accompagnés de sang s'écoulant du coin de ses lèvres. Ses yeux s'écarquillent, incrédules, alors qu'il lutte pour respirer.
Il tangue légèrement, le regard dans celui de Sara qui l'observe, sans oser bouger, attendant la suite.

La respiration de plus en plus chaotique, il se décide à agir. D'une main, il retire lentement la lame de son coup, dans un long râle de douleur le faisant vaciller. Il recule, tentant de retrouver l'équilibre, et se prend les pieds dans son pantalon tombé à ses chevilles. Son corps s'effondre lourdement en arrière, dans un fracas sourd.

Sara avance lentement, le dominant de toute sa hauteur.

Il lève vers elle un regard hagard, l'arme ensanglantée dans une main, le sang jaillissant au rythme de ses dernières pulsations cardiaques de la plaie béante. Plaie qu'il tente ironiquement de comprimer à l'aide de la culotte déchirée de Sara qu'il brandissait tel un trophée, quelques secondes plus tôt.

Sara reste là, immobile, le fixant en silence, son visage froid et fermé.

Le Monde autour de Sara se pixelise - des pixels de plus en plus gros, puis de plus en plus sombres - jusqu'à devenir entièrement noir. 
Un logo apparaît: "Réalité-ЯR-Réelle"

Sous le logo une barre de téléchargement qui progresse jusqu'à atteindre 100%.
Le logo disparait. Le Monde n'est plus que Ténèbres.

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Le toit.

L'effet inverse se produit. Les Ténèbres reculent, s'éclairent.
Une image pixelisée apparait. 
Les pixels réduisent de taille, le Monde prend forme sous nos yeux, jusqu'à devenir net.


Sara se tient debout sur le rebord d'un muret, sur le toit du bâtiment principal de l'université.
Elle surplombe directement les marches, frontière symbolique entre ce sanctuaire de la transmission du savoir Humain, et l'extérieur bruyant, chaotique - et donc barbare, selon la définition en vigueur, ce qui peut sembler légèrement ironique quand on y réfléchit. Marches donnant dans la majestueuse allée s'éloignant en direction de l'entrée principale de l'université.

Au loin, l'océan forme la ligne d'horizon. Le vent souffle doucement, agitant ses cheveux autour de son visage. Sara ferme les yeux, appréciant la sensation de cette caresse de fraîcheur, et de liberté retrouvée.

Une phrase lui revient en mémoire - probablement entendue dans un film, mais lequel ? - "Vivre au bord de la mer, c'est comme vivre dans un perpétuel au revoir".

Elle se dit qu'il est même grand temps de dire adieu à toute cette folie.

Telle l'oeuvre décalée d'un créateur haute couture d'aujourd'hui, du sang macule son chemisier sur tout son côté droit, le côté du bras qui a poignardé le recteur, le reste de son chemisier, intact, témoignant du fait que le corps de son agresseur était beaucoup trop collé au sien.

Le vent souffle doucement, agitant ses cheveux autour de son visage. Sara ferme les yeux, appréciant la sensation de cette caresse de fraîcheur, et de liberté retrouvée.

Derrière elle, des policiers avancent lentement, l'un derrière l'autre, pas à pas, prenant soin de faire le moins de bruit possible. Une image mentale s'impose au second, celle d'un Lion prêt à bondir sur sa proie au point d'eau.
Mauvais exemple. Image suivante, celle d'un chasseur et de la mère de Bambi.
Encore mauvais exemple. Image suivante, celle de policiers dans le grand ouest Américain, poursuivant une voiture décapotable rose, dans laquelle se trouvent Thelma et Louise, voiture plongeant directement au fond du Grand Canyon.
Exemple de merde, décidément quand ça veut pas, ça veut pas.

Son talkie crépite, le sortant de ses pensées, et figeant la progression des deux policiers comme un seul homme - bon bah, là ça marche mieux. Sous le regard empli de reproches de son supérieur, il s'empresse de le couper. Trop tard.

Sara se retourne brusquement pour leur faire face, son pied glissant légèrement sur le rebord. Elle vacille dangereusement, tangue en direction du vide, avant de retrouver son équilibre, et de leur faire face.

Les policiers, qui retenaient littéralement leur souffle, respirent à nouveau, sincèrement rassurés.

— Mademoiselle, commence l'officier supérieur d'une voix douce. Ne faites pas ça. On peut trouver une solution.

Sara le fixe, puis détourne les yeux vers le ciel, un éclat fiévreux dans le regard.

— Quels sont mes choix ? Hurle-t-elle, la tête levée. QUELS SONT MES CHOIX ?!!!

Les deux policiers échangent un regard perplexe, incapables de comprendre.

— Vous... Vous avez le choix de ne pas sauter, mademoiselle, balbutie le second, qui semble avoir l'âge de Sara, tout en faisant deux pas de plus dans sa direction.

Mais Sara ne l'écoute pas.

— Quels sont mes choix ?! hurle-t-elle à nouveau, le regard rivé sur l'immensité de l'univers, comme si la réponse pouvait descendre des cieux.

La voix "divine" retentit à nouveau sans que le Monde autour de Sara ne soit figé.

— Deux choix s'offrent à vous:
1, Faire un pas en avant.
2, Faire un pas en arrière.


Sara fixe le policier, un sourire enfin serein éclairant son visage. 
Puis elle lève son pied droit, faisant mine de faire un pas en avant...

La pointe de son pied se lève alors vers le ciel, pendant que le reste de son corps bascule anormalement en arrière.
Sara se laisse tomber dans le vide, écartant les bras, comme embrassant la conclusion de ce cauchemar sans fin.

Un logo apparaît, "Réalité-ЯR-Réelle", avant de disparaître au bout de quelques secondes.

Le Monde n'est plus que Ténèbres.

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Salle de Réalité-ЯR-Réelle.

Ce n'est pas une jeune femme, mais un jeune homme qui retire le casque de Réalité-Réelle. On reconnait Ilias, bientôt 30 ans, en faisant à peine 25, l'ex-futur mari de Sara dans le jeu.

À ses côtés, Sara, sa véritable future épouse dans le Monde réel, qui l'observe avec un sourire amusé. À l'instar d'Ilias, elle est le portrait "copié-collé" de son avatar, la Sara dont on vient de suivre les aventures virtuelles, plus vraies que nature.

Le couple se trouve dans une salle à l'allure clinique, mélange étrange entre une salle d'arcade futuriste et un laboratoire médical. L'éclairage bleu pale - bleu banquise préciserait le designer - donne presque des frissons, mais surtout renforce cette impression d'asepsie: qui désigne une atmosphère ou un environnement qui semble cliniquement propre, froid et dépourvu de toute trace de vie ou de contamination - définition validée par ChatGPT.

Le Logo ЯR, aux imposantes lettres en miroir, trône sur le mur faisant face à Ilias, lui rappelant qu'il est de retour dans son Monde, et surtout dans son corps.

Encore sonné par l'expérience qu'il vient de vivre, Ilias cherche autant à rassembler ses pensées qu'à repousser la nuée de celles qui l'assaillent.

— Alors, pas facile d'être une femme, hein ? lance Sara, un sourire en coin.

Ilias se tourne vers Sara, lentement, les sourcils froncés.

— Mais qu'est-ce qu'il faut faire pour gagner dans ce jeu ?

— La vraie question, c'est: comment gagner une partie quand les règles de la vie, ou du jeu, font de toi une perdante, quoi que tu fasses ?

Ilias la fixe, troublé.

— Et alors ? Comment vous faites ?

— On ne peut pas, répond Sara en haussant les épaules. Il faut changer les règles.


Fin Acte 1.

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