Acte I - Sang pour sang

Par Beatrix
Notes de l’auteur : Avertissement : violence, mentionnée seulement.
 

Le soir tombe sur les confins envahis de friches d'Ambrosia, la vaste propriété des Berliniac. La nuit est froide pour un mois d'août. En pantalon, bottes hautes et manteau long, Hermine Berliniac parcourt cet espace encore trop discipliné à son gré, sans se troubler de l'obscurité qui envahit les fourrés et les sous-bois. 

La lune darde quelques rayons entre des nuées fragiles, qu'une légère bise effiloche. Parfois, les ombres furtives d'animaux sauvages passent dans son champ de vision. Elle siffle pour rappeler ses deux griffons qui suivent dans les broussailles la piste encore fraîche d'un lapin. 

C'est alors qu'elle sent une présence, non loin d'elle ; respirant à peine, elle se retourne, déjà prête à affronter l'intru venu troubler le moment sacré de sa promenade vespérale.

Une haute silhouette, la chevelure fouettée par le vent, les épaules légèrement voûtées comme sous le poids d'un terrible fardeau, se dresse devant elle. La lune joue sur une chevelure pâle et bouclée, les reliefs d'un visage ciselé. 

Elle s'arrête, hésite... 

« Léo ? » 

Son frère jumeau demeure immobile, silencieux ; des traces luisantes brillent sur ses joues. Lentement, elle s'approche, les effleure du bout des doigts. Les émotions de Léo ont toujours été puissantes, volatiles. Il aime et il hait avec le même emportement. Brusquement, il l'entoure de ses bras, la serre contre lui ; elle sent son corps vigoureux - le seul corps d'homme qu'elle tolère aussi près du sien - trembler contre elle. 

Elle laisse les sanglots muets qui le parcourent mourir avant de le repousser légèrement et de demander avec douceur : 

« Léo, que s'est-il passé ? » 

Sa voix profonde murmure, juste à côté de son oreille : 

« Il y a eu une explosion... Un attentat anarchiste... à la Foire Internationale. » 

Elle n'a pas besoin de demander plus. Un seul d'entre eux est susceptible de se trouver dans ce genre d'endroit, à vivre pleinement les turpitudes de ce siècle : même si elle n'a jamais été proche de lui, il demeure l'un des leurs. Et leur bizarre famille est, en un sens, tout ce qui leur reste. 

Léo a toujours tendance à réagir avec trop d'intensité, mais pour qu'il cherche le réconfort auprès d'elle de cette façon, elle suppose que le situation est grave, même si elle n'ose lui demander à quel point. 

«  Tout ira bien, murmure-t-il, devançant toute question d'une voix rauque que le vent arrache à ses lèvres. Il est plus fort qu'il ne le paraît. L'un des plus forts d'entre nous... 

— Oui, répond-elle d'un ton rassurant, c'est certain... » 

Elle se recule suffisamment pour regarder son visage à la lueur de la lune, un visage dévasté par la crainte, par l'appréhension, par la douleur. Elle ne peut s'empêcher de jalouser le lien qu'il entretien avec le plus jeune de leur fratrie ; elle en vient presque à regretter l'époque où ils devaient tous deux faire face ensemble à l’adversité, à l’hostilité de leur belle-mère. L'époque où le monde n'existait pour l'un qu'à travers l'autre. Et même si elle ressent une indéniable chaleur à l'idée qu'il soit venu vers elle, en ce moment de détresse, elle éprouve également une rage profonde : pas tant pour ce qu'on a fait à l'un de leurs frères, que parce qu'à cause de cette action meurtrière, son jumeau souffre. 

Et cela se paiera. 

Dans le sang. 

Quand elle le regarde à nouveau, ses yeux brillent d'un éclat phosphorescent, comme ceux d'un prédateur dans la nuit.

« Sait-on qui a fait ça ? » 

Il secoua la tête, trop ému, trop déchiré pour répondre de façon cohérente. Au bout d'un long moment, il murmure enfin : 

« Les autorités parlent d'un disciple de Ravachol... On n'en sait pas plus. » 

Elle sourit, terrible de résolution : 

« Je le trouverai, Léo. Et il paiera. Je te le promets. » 

Il se détend enfin entre ses bras, car il sait que pour elle, cet engagement est sacré. 

Dorénavant, Hermine est en chasse.  

 

 

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Fannie
Posté le 11/02/2020
Tu crées une ambiance en quelques lignes, d’une plume poétique. C’est étonnant que le personnage masculin soit le plus émotif et que ce soit le personnage féminin qui ait le réflexe de venger leur frère. Ça change des schémas auxquels on est habitué. Ta manière de décrire ces personnages est vraiment belle. Ils ont l’air proches, ce qui est normal pour des jumeaux, mais elle me semble moins affectueuse que lui et on dirait qu’elle se comporte comme si elle était son aînée.
Coquilles et remarques :
— déjà prête à affronter l'intru venu troubler le moment [l’intrus]
— son corps vigoureux - le seul corps d'homme qu'elle tolère aussi près du sien - trembler [Il faudrait des tirets longs]
— elle suppose que le situation est grave [la]
— le lien qu'il entretien avec le plus jeune de leur fratrie [entretient]
— à l'idée qu'il soit venu vers elle, en ce moment de détresse [Je ne mettrais pas la virgule.]
— Il secoua la tête, trop ému, trop déchiré [secoue]
Beatrix
Posté le 13/02/2020
Si un jour leur nature est dévoilée, je pense que ce sera évident... Cette découverte est très variable selon les lecteurs. C'est un petit jeu...
Merci !
Diogene
Posté le 06/11/2014
Bonsoir Béa,
Il fait nuit et pour l'occasion je lis ce chapitre dans le silence mordant d'une obscurité, qui a pris des teintes morbides, les couleurs du sang et de la vengeance. 
J'adore la façon dont tu nous plonges dans une ambiance de Ténèbres, en quelque mots. J'ai presque la sensation que tes personnages sont derrières moi.
 
Beatrix
Posté le 06/11/2014
Arf, je ne sais pas si c'est une bonne chose... Certains d'entre eux peuvent être... Assez imprévisibles - même pour moi ! ^^
 Merci Dio ! :) 
vefree
Posté le 29/01/2013
Mmh mhh !! Inutile de te dire que j'apprécie toujours autant ton style et l'ambiance que tu sais mettre à tes histoires. Celle-ci, comme L'Héritage, pose tout de suite un univers structuré avec des personnages forts. C'est quelque chose que j'apprécie beaucoup. J'aime être immergée immédiatement dans le vif du sujet.
Là, nous avons visiblement à faire à une fratrie très impliquée socialement, prête à tout pour se soutenir mutuellement et se défendre d'une adversité bien déterminée en politique puisque l'attentat est supposé provoqué par des anarchistes. Les bases sont parfaitement posées. Si d'autant plus la fratrie est composée de jumeaux, il va sans dire que le soutien sera sans faille. Léo et Hermine semblent très proches.
L'ambiance de ce chapitre est excellente. Une promenade dans un parc arboré sous la lumière de la lune. C'est sombre et beau, séduisant même, digne d'intérêt, pour moi en tous cas.
Je continue ma lecture avec plaisir. Léo me plait déjà. Et voyons ce qu'elle a dans le ventre, cette Hermine... 
Beatrix
Posté le 29/01/2013
Merci Vef' !
La relation entre Hermine et Léo est singulière. Très fusionnelle. Donc oui, Hermine fera tout ce qui est en son pouvoir ! 
J'espère que la suite te plaira, la division en "tryptique" est assez particulière et les faits sont un peu... choquants. ^^
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