Acte II - Exécution

Par Beatrix
Notes de l’auteur : Avertissement : actes de violence et de cruauté - mentionnés seulement.

 

La fin a été rapide. 

Un peu trop rapide peut-être... 

Elle espérait que l'homme allait offrir plus de résistance, que les violentes convictions dont il se réclamait lui donneraient plus de combativité. 

Un être si ordinaire. Petit, mince, les traits fins, plaisants même, malgré la légère grêle d'une ancienne vérole. Une moustache sombre et soignée, une caquette vissée sur la crâne, un costume bon marché mais correctement taillé, un foulard autour du cou...

Un foulard jaune. Même pas rouge comme l'auraient dicté ses inclinations politiques.

Quand une jeune femme en habits masculins, qui ne tentait nullement, cependant, de masquer sa féminité, s'est glissée à côté de lui devant le comptoir en bois du troquet, il n'a nourri aucun soupçon. Même quand la conversation est passée de simples platitudes à un échange d'idées subversives :

« Personne ne devrait être esclave de sa condition ou de son sexe... », a-t-elle lancé, comme on souffle dans un appeau, avant de vider le fond d'eau de vie dans le gobelet d’étain.

Il s'est hâté de lui donner raison, en laissant son regard s'attarder sur les lèvres carmin, les longs cheveux sombres, les yeux mystérieux aux reflets de lune, les courbes de son buste libre de tout corset sous la fine étoffe de sa chemise. A partir de là, tout a été facile, trop facile. 

Le souffle enivrant d'une victoire sans bataille, qui a mené à l'éradication de terrifiants ennemis, femmes, enfants, messieurs en habit et haut de forme, s'attardait sur ses lèvres, dans ses yeux. Il se sentait capable de conquérir le monde, avec des armes de lâche, certes, mais cela n'entrait pas dans les considérations d'un individu comme lui. 

Il ne s'est pas demandé pourquoi une femme telle qu'elle lui prêtait  attention. Puisqu'une bourgeoise prise dans les rets de l'ennui cherchait à s'encanailler auprès d'un anarchiste notoire, autant en profiter... comme d'un butin inattendu dans le sillage de la victoire.

Quand elle lui a parlé de ce relais de chasse, dans la campagne non loin de la capitale, il a accepté, et la fièvre a envahi des joues pâles et creusées d'une rougeur subite, comme si son sang savait avant lui qu'il allait bientôt échapper à la prison de son corps. 

Quand la voiture les a déposés à l'orée d'un vaste parc, il a un peu hésité, mais elle lui a pris la main et lui a sourit. Peut-être a-t-il senti la vigueur de sa poigne, la froideur de son sourire, mais il ne pouvait reculer sans ternir l'image que lui avait donné sa réussite dans l’art de la mort et de la destruction. Mais il était des centaines d'années trop jeune pour se croire maître dans ce domaine. 

Il a été simple de l'abandonner aux détours des sentiers, de le perdre dans la pénombre des sous-bois, dont montaient des effluves humides et glacées. Il l'a appelée, d'un ton enjoué, puis nerveux, inquiet enfin. Mais ce n'est que lorsqu'il a entendu les aboiements des chiens que la panique l'a frappé. 

A présent, elle baisse un regard presque indifférent vers le corps en pièces. Il n'a même pas tenu une heure face à seulement quatre de ses meilleurs chiens courants. Il n’était qu'un méprisable parasite, trop mesquin pour être digne de sa haine, même s'il a blessé ses frères, l'un dans sa chair, l'autre dans son âme. Elle n'a même pas prononcé leur nom – cela n'aurait rien signifié pour lui. Elle s'est contenté d'appliquer sa justice, la seule à laquelle elle se fie.

Hermine efface une trace de sang au coin de sa bouche, siffle ses chiens et prend la direction de la vaste demeure dont les lumières se devinent dans la pénombre. Dès l'aube, elle enverra un domestique balancer le corps dans un fossé. Pour les autorités, le dénommé Lescat sera mort attaqué par des chiens errants. 

Un accident. 

Un tragique accident... 

 

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Fannie
Posté le 11/02/2020
En effet, j’imagine que ce personnage a dû être décevant pour elle. Un anarchiste célèbre qui ne semble pas avoir le feu sacré, qui n’est même pas sur ses gardes, qui suit le mouvement comme un agneau qu’on mène à l’abattoir. Tu arrives très bien à nous faire comprendre les choses sans nous mettre d’horribles images dans la tête et j’apprécie ; je n’aime pas la violence et l’hémoglobine étalées devant mes yeux ou dans mon esprit.
Laisser faire le sale boulot par ses chiens est intelligent dans le sens où même si on la soupçonnait, ce ne serait pas possible de prouver que c’est elle qui les a envoyés l’attaquer. Mais ce n’est pas très noble. Elle semble raisonner et agir comme une psychopathe.
Coquilles et remarques :
— une caquette vissée sur la crâne [casquette / le crâne]
— le fond d'eau de vie dans le gobelet d’étain [d’eau-de-vie]
— A partir de là, tout a été facile [À]
— une femme telle qu'elle lui prêtait attention [Il semble y avoir deux espaces après « prêtait ».]
— mais elle lui a pris la main et lui a sourit [a souri]
— l'image que lui avait donné sa réussite [donnée]
— dont montaient des effluves humides et glacées [glacés ; effluve est masculin]
— A présent, elle baisse un regard [À]
— Elle s'est contenté d'appliquer sa justice [contentée]
Beatrix
Posté le 13/02/2020
Je ne dirais pas psychopathe, mais sauvage, c'est certain, presque animale elle-même, sans doute...
Merci pour ce retour ! :)
vefree
Posté le 29/01/2013
Ah ouais, ça, pour être déterminée, on ne peut pas l'être plus qu'Hermine. Diable !
Ce qui m'intrigue c'est qu'elle ait amené sa victime jusque dans le parc familial. N'est-ce pas imprudent et d'amener les autorités à lorgner du côté des propriétaires ? Quoi qu'il en soit, elle n'hésite devant rien. Elle fout la trouille, même. Et que la chair est faible ! C'était trop facile, en effet. Ça n'en donne que plus de force à la détermination de la jeune femme. 
Un chapitre court, efficace, riche en petits indices et belles tournures. J'aime. 
Beatrix
Posté le 29/01/2013
Disons qu'Hermine préfère chasser sur ses terres... ^^ Et pour tout un tas de raisons, les autorités ne sont pas trop portés à enquiquiner les Berliniac !
Et oui, elle est effrayante. Je dois avouer que même à moi, elle fiche la trouille. Je vais rarement aussi loin dans un texte.
En tout cas, je suis contente que ce passage "épineux" te plaise !
Diogene
Posté le 06/11/2014
Un tragique accident, exécuté avec la finesse exquise d'une vengeance à peine esquissée. On peut ressentir la frustration d'Hermine, face au manque de combativité de cet individu.
Je ne peux qu'admirer la façon dont cisèle le fond pour mieux mettre en exergue les ombres que tu y fait évolué. 
Bravo
 
Beatrix
Posté le 06/11/2014
Oui, c'est sûr qu'elle s'en prend habituellement à un giblier moins passif ! ^^<br />Contente que tu aimes en tout cas ! :D 
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