Accord scellé entre parties, en ce jour sans faste.
Qu’il soit su de tous, et surtout des muets :
Le sieur Cléandre, ayant recouvré sa fillette dite Miranda, accepte de clore toute querelle et de tenir langue close sur les circonstances de sa disparition,
Contre remise entre ses mains d’une bourse pleine d’or véritable,
Et de quelques habits neufs et jolis, propres à vêtir l’enfant selon sa taille et son âge.
En cela, le présent acte vaut paix conclue, silence dû et poursuites éteintes, à jamais.
Le silence était devenu bien plus qu’un accord : une offrande scellée. Car dans ce monde, un contrat signé ne relevait ni de la dignité ni de l’honneur.
Il les surpassait.
Il liait les vivants plus sûrement qu’un serment de sang et les morts eux-mêmes s’y plieraient, s’ils avaient encore des doigts.
Tandis que les deux parties apposaient leur signature en bas de la page, derrière les cloisons du cabinet privé, meuglait Madame Clarisse, prise d’un accès de contrariété caprine. Nul ne s’en émut. L’heure était au silence acheté, aux compensations feutrées et aux contrats plus solides que les serments.
Cléandre esquissa un sourire discret, l’œil mi-clos. Il avait son or, la petite, les robes promises et leur silence. Quatre victoires pour une seule signature. Il appelait ça une entourloupe réussie. Eux l’appelaient un accord ; c’était mieux encore.
Cléandre goûtait une satisfaction cocasse à l’idée d’avoir floué ces Grands, ces hommes raides engoncés dans leur certitude de dominer les règles. Il leur avait vendu leur propre peur, emballée dans une clause. Certes, il avait pris des risques. Trois jours sans veiller sur Miranda ; trois jours où le monstre aurait pu surgir, dévorer, témoigner malgré lui. Mais la bourse tintait, les robes sentaient le propre et l’affaire était close. La récompense, généreuse et sonnante, suffisait à faire taire les frayeurs rétrospectives.
Satisfait, Cléandre croisa les yeux de la fillette et lui tendit son sourire le plus complice. Pour toute réaction, le petit ange éternua.
Et voilà que le monstre s’éveilla.
En un souffle, son visage se déforma, ses yeux prirent une lueur de prédateur affamé. Cléandre, pour réflexe de survie, brandit son talisman de charcuterie.
Le petit oiseau aux appétits voraces se transforma en un monstre aussi rapide qu’un charognard affamé. Dans un bond féroce, il se jeta sur Monsieur, père de trois jours, le déchirant en un clin d’œil et engloutissant ses entrailles avec l’efficacité d’un diner de fête. Les cris déchirants résonnèrent dans la pièce et attirèrent la suite du festin : Madame Clarisse, mère de trois nuits, entra en trombe, attirée par le vacarme. Elle n’eut pas le temps de comprendre : en un éclair, elle subit le même sort, son cri se muant en un gargouillis étouffé sous le poids de la petite dévoreuse.
Cléandre n'était pas du genre à se laisser surprendre, mais là, il fallait bien l'admettre : même pour lui, c'était un peu trop. Décidément, être parent n'était pas de tout repos. Surtout quand votre enfant semblait avoir un appétit aussi... dévorant.
Le cabinet privé, jadis un havre de calme et de papier blanc, était maintenant un cirque macabre, où les entrailles de Monsieur et Madame Clarisse dansaient sous les crocs de la petite dévoreuse, qui semblait aussi ravie qu’un enfant devant un pot de confiture. Les entrailles de Monsieur et Madame Clarisse jonchaient le sol, éclaboussant le parquet d’un rouge vif. Miranda, sous sa forme de charognard, engloutissait les restes avec une gloutonnerie inouïe, les aspirant comme des nouilles dans une soupe trop chaude.
Cléandre, spectateur involontaire, n’eut même pas le temps de protester.
Et qu'en était-il du contrat ? Eh bien, devant le visage angélique retrouvé de Miranda, c’était le cadet de ses soucis. Il n'y avait plus qu’une chose à faire : s’éclipser rapidement, emporter la mise, et courir loin, très loin de l’hôtel particulier, de la rue, de la ville. Quand la maisonnée finirait par comprendre ce qui s’était passé et avertirait la Justice, il valait mieux être aussi loin que possible, même si cela signifiait se retrouver dans un petit village perdu, où la seule forme de civilisation serait un vieillard - un autre - qui parlerait aux poules.
Cléandre s’éclipsa sans un mot, Miranda sur ses talons, les pieds pressés contre le sol, fuyant un mauvais rêve. La petite le suivait, pas un bruit, ses petites jambes trottant derrière lui, imperturbable. Elle ne remarquait même pas le sang sur ses mains, ni les éclaboussures sombres qui maculaient les murs. À ses yeux, tout était parfaitement normal, un simple détail dans un monde où les règles étaient aussi changeantes que la course des nuages.
Le bruit des entrailles dévorées résonnait encore dans la tête de l'escroc, il n’avait ni l’envie ni le temps d’y réfléchir. Le seul objectif, à cet instant, était de disparaître dans la nuit, avant que le poids de l’horreur n'écrasât sa propre conscience.
Peut-être est-ce dû à ma lecture entrecoupée : je n'avais pas clairement en tête que la scène se passait encore chez Madame Clarisse (dont le funeste sort me fait peine) avant qu'ils se fasse sauvagement dévorer.
Mes remarques :
- "Qu’il soit su de tous, et surtout des muets" -> pourquoi "surtout des muets"? ^^
- "Cléandre, pour réflexe de survie, brandit son talisman de charcuterie." -> j'avais hâte que ça se produise ! J'espérais que Miranda y réagisse.
- "Et qu'en était-il du contrat (...) c’était le cadet de ses soucis." -> aura-t-il signé sous son vrai nom, quand les contrats sont si importants ?
- "Cléandre s’éclipsa sans un mot, Miranda sur ses talons" -> s'est-elle retransformée ?
Je reviens très vite lire la suite ! À bientôt ^^
Si si, l'acte III se passe toujours dans la demeure des deux bourgeois. Cléandre fait signer son contrat dans le cabinet de Monsieur...
La référence aux muets n'a aucun sens ! C'est justement ça que je trouvais rigolo. Rien n'est bien sérieux dans cet univers et faire un contrat "loufoque" avait pour but de faire sourire le lecteur. Je privilégie ces petits sourires (du moins je l'espère) aux petites incohérences qui vont avec !
Effectivement, je n'ai pas fait réagir Miranda au collier de saucisson et ça mériterait en effet deux trois phrases, surtout lors du premier usage de ce talisman charcutier... disons que le monstre était plus tenté par le corps de deux inconnus et reconnaît en Cléandre un "ami?". OK ça tient pas ahah.
Je pense qu'il a signé avec un faux nom. Avec les bourses obtenues et les robes pour Miranda, il est parti avec ce qu'il était venu chercher. Le contrat n'avait pas grande importance pour lui, seulement pour Monsieur le bourgeois, Cleandre n'a jamais prévu de réclamer quoique ce soit de plus auprès de cette famille — si elle avait survécut.
Quand Miranda repart, oui elle est redevenue elle-même, je précise qu'elle ne semble pas se rendre compte du chaos qu'elle a créé, sous-entendu que sa part démoniaque a été rassasiée.
J'espère te voir très vite oui ! Et rencontrer les bouquetins ! Bêêêh
Une signature contre 4 récompenses et 1 dénouement éternué ? Bonjour Miranda ! Est-ce que ton or écarlate a pu contenter ta part de cette jolie entourloupe ?
Ah non, tu ne savais pas ? On t'offrait ces parents adoptifs pour que tu acceptes de suivre celui qui te loge à l'oeil, te nourrit de nobles et qui a surtout bien eu raison de prévoir des habits de rechange !
Baisser de rideau, fuyez. Une prochaine aventure or et sang vous attend prochainement !
Cléandre ? Ne cours pas par là ! L'horizon lointain est de l'autre côté ! Ne me dis pas que tu fuis pour ta vie !
Cleandre va changer aussi à l'avenir... enfin... doucement. Lentement. Très lentement !