Adwa – Partie X

Par Luvi

Dans ces parages de morts violentes, je sens des odeurs de braise, de sang et de larmes. Je vois l’empreinte magique se déverser. Elle imbibe le sol et les âmes. L’énergie de l’Isis noir me saisit le bras et me force à la suivre. Son énergie embrasée serpente sur ma peau. Elle s’accroche à mon bras comme une main désespérée. Elle m’entraîne malgré moi, malgré l’effroi qui sature l’air. Ses feulements s’entrechoquent avec le grondement sourd qui émane du sol. Sa consistance se désagrège sur le rythme de sa folle course.

Je me débats de son étreinte, je vacille et cherche à comprendre ce qui la terrifie. Je ne l’avais jamais vu aussi apeuré, décomposé, affolé, fragile. Elle n’est plus que l’écho brisé d’une force qui me paraissait indomptable. Et alors, au détour d’un battement de mon cœur, je le sens. Ce qui la traque. Ce qui l’anéantit. Une présence indistincte, plus lourde que la nuit elle-même.

Autour de moi, le monde bascule dans une danse absurde. Des cendres flottent dans l’air. Elles sont suspendues comme des souvenirs calcinés. Ce que je croyais être sa force, n’est plus qu’une chimère. Je serre les poings, mais rien ne répond. Je viens de libérer mon pouvoir de prémonition. S’avise dans mon esprit, le souvenir d’une nuit.

La pièce se pare de mille flambeaux. Ils projettent une lumière vacillante qui danse sur les murs fatigués par le poids du passé. Les ombres s’animent, étirées et déformées, sur le sol recouvert d’épais tapis aux couleurs bariolés. Les murs sont imprégnés des échos d’incantations oubliées. Ils suintent d’une néfaste magie. Je vois chaque pierre être un témoin silencieux de serments brisés, de cris étouffés et d’âmes arrachées. Le temps est figé, il ne s’écoule plus. Il s’accroche aux vestiges d’un rituel profane, de ceux qui vous laissent un frisson glacé parcourir votre échine dorsale.

L’énergie de l’Isis noir, tremble entre mes doigts. Son essence est faible, déséquilibrée. Elle sait ce qui s’est joué ici, ce qui continue de hanter cet espace. Elle ne souhaitait pas que j’en découvre la teneur. Alors pourquoi m’avoir conduit en ce lieu ? Pour me tourmenter ? Ou bien découvrir une affable vérité qu’elle sait traumatisante pour l’être que je suis ?

Mon cœur rate un battement. Il est ici.

Ma respiration reste en suspens, comme si l’air autour de nous, refusait de troubler cet instant fragile. Je ne comprends pas. Je le regarde, incapable de détourner mon regard de sa présence. Pourtant, il n’est qu’un murmure du passé.

Je ressens son énergie divine flottée autour de moi. C’est une caresse invisible, douce et étrangement familière que je ne puis en saisir la nature. Cette chaleur qui ne devrait exister. Cette force qui s’entremêle à la mienne dans une étreinte silencieuse. Et mon cœur qui ne cesse de battre à tout rompre.

Judal. Mes ténèbres. L’Isis noir.

Son regard est flamboyant. Son port est altier. La mesure de son charisme est d’une telle intensité, que mon pouvoir divin en frémit. Tout en lui, dégage la divine conception d’un être façonné par les étoiles elles-mêmes. L’éclat de son pouvoir est d’une insondable puissance. Sa substance transcende la matière et transforme mon pouvoir en brise indomptable.

Il est mon autre.

Je tends ma main vers lui, hésitante. Pas pour le toucher, non. Je ne sais même pas ce qui me pousse à faire ce geste. L’illusion vacille. Elle tremble sur le fil d’un instant fugace. Il n’est qu’un fragment d’éternité avant que tout ne s’efface. Et mon cœur ne cesse de battre à tout rompre.

Puis tout se brise.

Ce que j’ai vu dans ce souvenir, me hante encore aujourd’hui. Rien ne m’avait préparée à sa violence. À la profondeur insondable de sa noirceur.

Il dégage une énergie viciée. Sa présence corrompt l’air, m’obligeant à respirer lentement. Un poids invisible comprime ma poitrine. Son aura, dense et accablante, s’accroche à lui comme un linceul. Les stigmates d’un artefact oublié s’emparent de son bras. Il scelle un pacte de son sang.

Son avant-bras se pare de vaguelette de lumière, entourant son membre de fin filigrane doré. Puis, elles se transforment en tige de métal platiné. Dans sa paume, un halo lumineux apparaît, laissant place à une étrange pierre opaline, sertie d’un quadrillage de matière dont la lueur rappelle les vagues de lave en fusion d’une éruption volcanique.

Malgré l’effroi que provoque sa présence malfaisante, je suis subjuguée par tant de beauté. L’objet pulse entre ses doigts. Sa lumière vacille, douce et insaisissable. Elle se mêle aux ombres de la pièce telle une entité vivante.

Je suis hypnotisée par cette perfection qui se meut en toute grâce. Un frisson parcourt mon échine, lorsque la pierre opaline s’illumine davantage. Sa surface cristalline ondule sous l’effet de sa force. C’est l’union parfaite de l’être et l’objet. La symbiose ultime d’un artefact divin et son porteur.

Une onde traverse l’espace. Dans un geste lent, Judal vient placer l’étrange bracelet sur la tête d’un homme. Perdu dans cette contemplation, je n’avais remarqué les créatures humanoïdes enchaînées tout autour de nous. Figées par la peur, détournant le regard, seul le murmure d’une quelconque prière, accompagne leur destin.

Puis l’artefact fait son œuvre. Telle une brume immaculée, un halo fantomatique s’échappe du corps du prisonnier. Le vortex de lumière qui s’ouvre, projeté par la pierre, aspire les relents blanchâtres de sa théurgie. Je m’attarde sur l’expression de douleur qu’il dégage, puis sur le regard rougeâtre de Judal.

Mon esprit se fige sur ce, j'aperçois. La vérité sur l’Isis noir. Cru, implacable et douloureuse. Avant même que je ne puisse l’assimiler, son énergie me saisit et m’arrache violemment du souvenir.

Je hurle. Une douleur incommensurable lacère mon être. Il était mes ténèbres, j’étais sa lumière. Je m’effondre. Mon souffle est saccadé, tandis que je tente d’ancrer mon esprit dans la réalité. Quelque chose en moi vient de se briser. La vérité est brutale.

Cette pièce fut jadis le terreau maudit d’une ancienne gloire au Seigneur Judal. Un lieu de sacrifice pour alimenter sa noirceur. Je comprends maintenant que l’on m’a menti durant des années sur la véritable nature de l’Isis noir.

À suivre.

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