Adwa – Partie XI

Par Luvi

Cela en est presque poignant. Je suis étendue sur le sol. J’ai froid, je ne bouge pas. Est-ce la fin d’une ère de mensonge et d’abnégation ? Les paroles de mon mentor ne furent qu’illusion et affabulation ? Mais quelles sont les obscures raisons l’ayant poussé à guider mon esprit vers la tromperie ?

Le ciel s’assombrit sur mon existence. Il se drape d’un voile d’obscurantisme, où les étoiles vacillent, hésitantes à briller pour une âme égarée. L’écho de la voix du seigneur Alkan, distordu par le doute se fait plus fort. « Crois-en ce que je t’ai appris » Ce murmure résonne comme un piège tissé d’ombres et de faux espoirs. Cette imposture me blesse, bien plus que je ne voudrais m’en persuader.

Je me laisse emporter par des frissons et un engourdissement progressif de mon corps. L’oppression dans ma poitrine me renvoie encore vers l’inertie de mes sentiments.

Comment suis-je censé comprendre ce qu’il s’est joué ici ? J’essaie de réfléchir, mais aucune réponse ne vient absoudre mon questionnement. L’écho des paroles du grand Seigneur Alkan, lorsque nous abordions le sujet du seigneur Judal me semble si mensonger.

Cette figure romancée de mes ténèbres que mon mentor avait créée n’était donc qu’un simulacre ? L’histoire qui avait façonné son existence, n’était qu’une imposture trop longtemps entretenue. Ce souvenir, ce fragment d’une vérité enterrée, me traverse comme un poignard. J’en arrive à me demander si sa mort est aussi fictive que sa vie a pu l’être.

Un silence écrasant s’installe dans mon esprit. J’attends un murmure, un dernier souffle, une preuve qu’il reste une part de vérité dans cette fabulation. Mais il n’y a rien. Juste ce vide. Une absence qui m’enveloppe comme un linceul.

J’ai si froid. Pas un froid physique, mais d’un froid qui s’insinue dans mon âme, un froid qui ne disparaîtra jamais. Mes doigts effleurent la pierre. J’espère y trouver un vestige de sa présence. Ce lieu n’est qu’une tombe sans épitaphe.

La poussière s’accumule sur mon corps, tandis que les âmes errantes grignotent mes chairs. Je contemple le plafond. Gris, morne, des failles le parcourent, tandis qu’en ses coins, des éboulements l’ont scarifié. Il n’y a aucune lumière à part la mienne et celle des boules surnaturelles qui me tienne compagnie. Seule la pénombre nous englobe dans sa tortueuse noirceur.

L’énergie de l’Isis noir est amorphe. Muette, elle s’est réfugiée au plus profond de mon être, et ne donne guère de signe de vie. Pourtant, un souffle rauque et des gémissements brisés murmurent à mes oreilles et s’accrochant à ma peau comme une malédiction. J’en ressens une certaine colère. Est-ce la mienne ? La sienne ? C’est un murmure interne qui ne trouve sa place dans mon esprit. Une vibration ténue, presque un battement sourd au creux de mon crâne.

Je ne saurai en définir la propriété. J’ai bien trop de sensations complexes en mon esprit pour savoir à qui elle appartient. Ce que je sais, c’est que je ne souhaite pas sortir

de cet endroit. Les tourments qui voguent au travers de la pièce avalent mes propres tourments, les rendent moins douloureux, moins insipides, moins présent.

Je ne comprends pas et ne veux pas comprendre. Dans la sécurité de mon sanctuaire, les ténèbres m’étaient étrangères, Judal m’était étranger. Il était mon autre, mon seul lien avec ces mondes. Nous étions les deux faces d’une même pièce. Des jumeaux par nos pouvoirs, des alter ego, un frère, une sœur de magie. Nous étions l’indivisible. J’étais sa lumière, il était mes ténèbres.

Mais maintenant ce lien s’effrite, cette clarté s’efface.

Il n’était pas seulement mon opposé, il était une force brute, un pouvoir façonné par des actes que je n’aurais jamais imaginés. Son regard n’a pas tremblé. Ses mains n’ont pas frémi. Il a pris cette âme comme si elle n’avait jamais été autre chose qu’une offrande à sa magie.

Cette énergie que j’abrite en mon sein, ce pouvoir, cette essence, serait-elle profondément liée à une force que je ne maîtrise pas complètement ? Se pourrait-il, que je porte en moi une part de cette indifférence sous une illusion de pureté ? Suis-je réellement différente, ou simplement une autre facette du même équilibre destructeur ?

Jusqu’ici, je pensais que le bien et le mal étaient distincts, clairement définis, complémentaire, mais pas égal. Une phrase du seigneur Alkan s’impose à moi

La lumière est aussi destructrice que les ténèbres.

Les ténèbres sont aussi bénéfiques que la lumière.

Si la lumière peut être aussi implacable que l’obscurité, alors comment définir véritablement notre opposition ? Mon rôle est-il aussi pur ? Était-il ce monstre que mes yeux ont contemplé ou le porteur d’une vérité, cruel certes, mais nécessaire ?

Cette vision s’effondre face aux actions du seigneur Judal. Je ne sais même pas si propres choix sont concrètement guidés par une morale absolue. Aurais-je, sous certaines circonstances, été capable de la même impassibilité ? Aurais-je agi différemment à sa place ?

J’en ris. C’est un rire léger, nerveux, qui outrepasse le respect que j’ai pour moi-même. J’en oublie, que je suis tel un enfant innocent et ignorant. Ce que je crois être juste, en tant qu’être magique, ma perception du bien et du mal, je l’ai lu dans les livres ! Mais, mes lectures ne sont pas la réalité. Cette prise de conscience est involontaire. Je me confronte brutalement à une vérité que je n’ai jamais envisagée qu’à travers les livres. Mais la connaissance théorique ne suffit pas ! Je n’ai aucune expérience des mondes.

Et je suis là, à me questionner sur mon propre rôle et la complexité de l’existence. J’ai laissé ma propre innocence face à la vie, renforcé l’impact de cette découverte sur le seigneur Judal. Je laissai ce trouble devenir viscéral. Mais qu’ai-je vu en réalité ?

Est-ce donc encore une leçon qu’essai de m’inculquer le seigneur Alkan ? Savait-il pour ce lieu ? Connaissait-il les raisons qui ont poussé le seigneur Judal à faire cela ?

Je ne connaîtrai la réponse à ces questions que bien plus tard. Lorsque la vérité qui s’imposera sera bien plus cruelle que mes fumeuses hypothèses. Dans l’ombre du passage, une voix s’éleva. Khaor se tenait là, me regardant m’esclaffer devant mon idiotie. Mais son regard ne portait ni amusement, ni colère. D’un pas lent, il s’avança, sa silhouette se fondant parfaitement dans la pénombre. D’un geste brusque, il me saisit, sa poigne se referma sur mon bras avec fermeté. Avant que je ne puisse protester et lui hurler de ne pas toucher mon divin corps, il me gifla. Sèche, cinglante. Le choc résonna dans l’air étouffé de la pièce. La douleur qui pulsa à travers mon visage ne fut rien lorsqu’il parla.

-      Tu n’aurais jamais dû venir ici.

A suivre

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez