Qu’il est aisé, pour l’être que je suis, de faire danser ma magie dans ce capharnaüm horrifique que je crée. De mes mains, l’espoir de lendemain meilleures pour ces hommes se transforme en supplice. Leur espoir devient un désespoir si intense, que j’en frémis à son contact.
Et ce frisson… Il ne me quitte plus. Il s’insinue dans mes veines comme une caresse. Glaciale et sensuelle, elle est un murmure qui frôle mon oreille. Tout ceci est juste. Leur souffrance est pour moi une offrande.
À ce moment précis, Khaor n’est plus une cible, il est un prétexte. Il est le fil rouge sur lequel je ne devais pas tirer. Mais j’en dévide la pelote avec extase.
Sans m’en rendre compte, mes pas me mènent dans ce que je pense être la bibliothèque. Les âmes se cachent, prient pour que je me détourne de leur présence.
Leur regard, leur haine, leur peur… Tout tourbillonne. C’est une spirale infernale, une transe dont je me délecte. La punition divine que redoutent les humanoïdes s’abat, impitoyable.
Leur visage se crispe et leurs cris deviennent une mélodie qui accompagne ma folie. Je les immerge dans l’effroi, leur offrant le terreau fertile d’un songe cauchemardesque.
Sachez, cher lecteur, que je ne tue point les innocents. Non par compassion, mais parce que préfère leur infliger la terreur. Et cette peur, intacte m’est plus précieuse que leur sang. Car le sang ne se verse pas, il se mérite. Et lui, malgré sa fuite, m’offre ce mérite sur un plateau d’argent.
Je contourne une table dont les bols encore fumants, imprègnent la salle d’un fumet âcre. Du vin renversé goutte sur les dalles de pierre, dessinant des entrelacs sanglants. Le vin comme sang, les arabesques comme présage et cette pulsation qui rythme le silence.
Mon monde s’effrite. Sans le vouloir, je laisse la magie noire affluer dans mes veines. Elle s’ancre en moi, embrume mes pensées et s’insinue dans les replis de mon esprit. Elle se joue de ma volonté et guide mes gestes comme un fil obscur, entremêlé à mes membres pantelants.
Alors je la vois. L’énergie de Khaor vacille, oui…Mais elle ne se brise pas. Elle se tapit. Comme si elle attendait. Comme si elle savait. Elle m’attend, insipide et sournoise.
Pourtant son propriétaire a fui. Son absence est tangible, presque brutale. Quelque chose dans ce flot continue de m’appeler. Une résonance, un murmure sans voix, une empreinte aérienne dans les ombres. Vais-je lui offrir ce qu’elle désire ? D’ailleurs, que pourrait désirer du divin, cette âme qui ne se confond qu’en esquives et faux semblants ? Son invitation est muette, insidieuse. Et moi… Je marche. Non vers lui, mais vers la vérité, sa vérité.
Il est temps de reprendre ma route. Les quelques courageux qui sont restés pour me faire face, vogue désormais entre rêve et réalité. Je les dépasse, ne prenant guère la peine de les écarter de mon passage. Au détour d’un couloir plongé dans l’esseulement, l’ouverture d’un balcon attire mon attention.
Le soleil ne réchauffe plus ma peau. Ses bienfaits sur ma chair sont aussi froids que les effluves gelés d’un volcan de glace. Je contemple la ville. Les rayons solaires glissent sur la cité de sable, non comme une caresse, mais comme un linceul. Les rues et les bâtiments sont figés dans une moiteur silencieuse. Les oiseaux se sont tus, les marchés sont muets. Les étals abandonnés gisent sous un léger vent et les habitants ne sont plus. La vie, dans ses formes les plus fragiles, semble suspendue. Où se trouve donc l’effervescence des derniers jours ? Ont-ils fui sous la menace divine ? Tout cela est bien étrange. Que dois-je faire maintenant ?
L’idée germe : retourner dans les entrailles de cette pyramide. Que cache-t-elle, sous ses pierres millénaires ? J’entame donc un nouvel aller sans retour. Les cachots, le couloir et cette pièce offerte aux réminiscences d’un passé que je n’aurai jamais dû connaître.
A suivre.