Aisille 4

Par Eska

Les vignes d'Ysaelle cédèrent dans une volée de bois et d'échardes. Quelle force ! Avec l'agilité d'un chat, je me propulsais vers Orbec, sans interrompre mon envol, je pivotais et percutais son épaule faible de plein fouet. Sa tête heurta le mur et il s'affaissa, toujours conscient, il trouva le courage de m'attraper le mollet tandis que je reprenais mes appuis. J'aurais dû fuir, mais l'occasion était trop belle, je devais dépecer ces pourceaux. De l'autre côté, Grisoeil s'agitait dans un entrelacs vaporeux de runes convoquées. J'écrasais le visage d'Orbec du pied, et brisais un peu plus son nez. J'allais enfoncer mon talon dans sa gorge quand une onde fusa dans ma direction. Une flexion, puis un saut, rien ne m'arrêterait cette fois, en une fraction de seconde j'étais sur la Tellurimancienne, j'attrapais son cou. Le gamin s'était relevé le casse-tête à la main, j'accentuais la pression. Ysaelle me griffait le visage avec vigueur, incapable de penser à autre chose que l'asphyxie qui allait l'éteindre. Orbec fit alors une chose si stupide qu'elle fonctionna presque. Son arme traversa la salle à toute vitesse heurtant mes omoplates avec une puissance suffisante pour me faire vaciller et permettre à Ysaelle de se dégager, et s'évanouir. En bas, l'auberge s'agitait, le raffut devait avoir alerté quelqu'un. Je pivotais. Deux pas. J'attrapais le bras d'Orbec. Une torsion. Un hurlement. Un coup dans la gorge. L'exultation ! Des hommes dans l'escalier. Désolé ma belle, j'allais devoir te consumer.

Les trois hommes qui venaient d'entrer faisaient partie de la garde. Masses dégainées, ils se ruèrent vers moi. Imbéciles. Dal se mit à chanter, prise d'une frénésie grisante. Le premier coup de masse porta à l'estomac, de l'écume rouge se mit à bouillonner sur les lèvres de la tisseuse. Le second heurta des jambes qui ne fléchirent pas. L'une d'elles s'envola à la verticale, heurtant le gorgerin du soldat si puissamment qu'elle l'enfonça, broyant la trachée de l'homme qui chuta dans un concert de borborygmes sanglants. Tenant la première masse d'une main, Dal attira son porteur à elle d'une traction sèche avant de l'envoyer heurter violemment le mur de la chambre. C'était assez de temps pour se jeter sur le troisième. Le précipitant au sol sous le poids de son armure, je l'énucléais de mes pouces en criant ma joie d'être enfin libre. Le dernier survivant fut réduit à l'état de pulpe par sa propre arme tandis que je plongeais mon regard dans celui d'Orbec. Tu serais le suivant. Tu allais les rejoindre, quitter ce monde sans un ongle sur tes doigts, privé du droit de crier et de celui de pleurer, tu allais disparaitre en pièces. Dans un geste de désespoir, il me saisit, m'ouvrant de force. Il tenta sans succès d'arracher mes pages.

-Imbécile, tu ne peux plus rien contre moi ! criais-je à travers Dal. Je n'ai plus besoin de toi !

Il rampa devant moi.

-Nous y voilà Orbec. Enfin ! Je te l'avais dit n'est-ce pas?

-Non, je t'en supplie !

-Oh, économise ta salive, tu n'as pas fini de geindre, cafard.

Ce corps ne pouvait plus contenir mon sourire, les joues de Dal se fendirent dans un chuintement léger pour l'accueillir de façon plus seyante. Jusqu'aux oreilles. Ma proie sombra plus profondément encore dans l'horreur. J'arrachais ses vêtements un par un, sa bague et son amulette roulèrent sur le sol. Nu comme un ver, il était plus pitoyable encore.

Sans que rien d'autre ne se passe, son attitude changea. L'animal résigné n'était plus. Une infinité d'imperceptibles changements s'étaient emparés de lui. Comme si, sans prévenir, quelqu'un d'autre était venu l'habiter. Ses yeux prirent soudain la froideur de l'acier. Il me perça de ce regard et se releva si vite que mon corps ne put réagir.

-Merde. souffla-t-il pour lui-même.

Peu importe, c'en était fini de lui.

-Meurs !

De son seul bras valide, le gamin para mon premier coup avec la précision d'un démon, ripostant d'une frappe féroce au plexus. Dal faillit la ou mon pouvoir avait arrêté une masse. Profitant de ma stupeur, il se glissa alors derrière moi sans que je puisse le saisir, reprit sa bague et, tandis que j'amorçais une nouvelle attaque, s'éclipsa prestement. Que venait-il de se passer ? Je contins ma rage autant que possible. Ce qui venait de m'échapper n'était pas Orbec. Toutefois, si belle fût-elle, Dal restait humaine, et ma force la dévorait. Je me délectais d'elle sans retenue aucune, elle ne pourrait me contenir longtemps. Impossible d'aller fouiller l'ennemi, d'essayer de comprendre. Mon temps en Dal était compté. Je préférais fuir, trouver un nouveau corps, mes forces revenaient, mais ce n'était pas assez. Ouvrant la lucarne, je m'élançais sur les toits d'Aisille en direction de la toile. Tant pis pour Orbec, ma destinée m'attendait, et elle allait commencer là-haut.

 

 

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!Brune!
Posté le 07/03/2023
Bonsoir Eska,
Un chapitre étonnamment court et plutôt intense. Je ne suis pas spécialement fan de gore, mais j'avoue que cette scène de grande violence fait son petit effet ! On a l'impression que le combat se déroule sous nos yeux ; c'est très visuel. Tu joues intelligemment sur le rythme, alternant les phrases brèves et celles plus détaillées ; cela permet au lecteur d'entrer tout de suite dans l'action - extrême, féroce, déchaînée - tout en continuant d'observer les manoeuvres diaboliques du livre. Le vocabulaire que tu emploies est âpre, brutal, sans équivoque. Et le changement d'attitude d'Orbec à la fin du chapitre est des plus mystérieux. Bref ! Comme le précédent, j'ai beaucoup aimé ce chapitre, mais pas pour les mêmes raisons ;-)
Eska
Posté le 14/03/2023
Décidément tu as l'oeil ! Effectivement, le changement qui s'est brièvement opéré chez Orbec ici est le symptome de quelque chose, mais je ne pourrais dire de quoi ;)

Un grand merci aussi pour l'ensemble des points positifs que tu relèves, j'ai eu beaucoup de mal à essayer de saisir le côté "brutal" de cette scène. Le livre exprime ici de façon vraiment livre ses pulsions et je ne voulais surtout pas en atténuer la violence !

Encore merci pour le temps que tu prends à me lire et à relever toutes les petites choses, bonnes ou mauvaises, qui me permettent de progresser !
Baladine
Posté le 09/02/2023
Et encore re !

Ah, ça y est j'ai compris ce qu'il s'était passé ! Le livre s'est emparé du corps de Dal ! Le combat (ou le massacre...) c'est intéressant, c'est brutal à l'extrême, au point de presque désamorcer l'horreur de la scène. Ca m'a fait penser aux massacres de Frère Jean dans Gargantua (du sang, des organes partout, avec plein de vocabulaire médical...) Ou les récits de guerre dans Mélusine, aussi. Ce qui est dit, c'est horrible, mais exprimé sur un ton un peu blasé, comme si c'était normal, juste pour informer le lecteur. Ça donne une couleur ancienne, assez médiévale au passage, qui va bien avec l'ensemble, l'ambiance, le ton, l'humour du livre.
Enfin c'est comme ça que ça m'est apparu en tout cas.

Alors, la suite ?
A très vite
Eska
Posté le 10/02/2023
Et re encore donc :D

Je n'avais pas perçu les choses ainsi, mais ton regard sur ce chapitre me plait beaucoup ! Ça colle en partie avec le côté froid que peut avoir le livre dans sa façon de perpétrer la violence à travers ses corps d'emprunt. De déshumanisé.
Promis, la suite arrive ce soir !

Je l'ai déjà dit dans mon précédent message, mais quand même. Mille mercis, encore !
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