Alaryon

Par Dersou

Nynù fut la première à se réveiller.

Du moins le croyait-elle en devinant, dans la lumière cendrée de l'aube, les formes immobiles et ramassées de ses compagnons. Chacun s'était blotti dans un nid de feuilles mortes, ou enfoui sous des couvertures qui protégeaient à peine de la fraîcheur matinale.

Elle remarqua alors la silhouette de Hurdoy qui était accroupi un peu à l'écart et regardait, pensif, les zébrures argentées illuminant le ciel vers l'est.

Le vieux maître d'armes se sentit observé. Il se tourna vers Nynù et lui fit un petit signe de la main, avant de s'approcher d'elle en prenant bien soin de de ne pas déranger les dormeurs.

Il ne put réprimer un « oh ! » en voyant la jeune femme de plus près. Nynù était à présent assise, sa tête émergeant de la couverture qu'elle serrait autour de ses épaules en frissonnant.

Les herbes avaient produit leur effet urticant durant la nuit, et quel effet !

Le visage de Nynù était gonflé, et ses joues couvertes de plaques sombres et squameuses.

— Est–ce que… est-ce que ça fait mal ? lui chuchota Hurdoy.

— Non, pas vraiment. Je me sens un peu engourdie, et j'ai envie de me gratter mais ce n'est pas atroce.

Hurdoy se détourna, un peu gêné.

— Je vais chercher du bois sec. Nous pourrons allumer un feu quand il fera jour.

*

Un peu plus tard, alors que le soleil rougeoyait juste au–dessus de la ligne brumeuse de l’horizon, Xù et Rem'mat se levèrent à leur tour.

L'érudit fut positivement impressionné par le résultat du stratagème de Nynù.

— Je m'attendais à pire. On dirait que vous êtes tombée dans des orties pleines de guêpes, mais ça ne semble pas exagéré, ni provoqué. Votre visage est toujours naturel, quoique un peu... 

— Grossier ? suggéra Xù, visiblement de très mauvaise humeur. Disgracieux ? Moche comme celui d'une fille du "petit peuple" ? C'était une idée stupide, croyez-moi. Et insultante, en plus !

— O’Nessoï est à peine reconnaissable maintenant, plaida le mage. Je ne vois pas en quoi ce serait insultant pour qui que ce soit...

— Ne vous fatiguez pas, Rem'mat. Xù a de toute évidence une dent contre moi.

La joueuse de tomp jeta un regard mauvais à Nynù qui choisit de l'ignorer. Les réveils sont parfois difficiles.

*

Vopio fut le dernier debout. Il s'attarda à peine sur le visage tourmenté de Nynù, préférant se précipiter sur le gruau d'avoine préparé par Hurdoy. Le maître d'armes avait allumé un petit feu qui ne faisait pas de fumée. Ils ne risquaient plus d’être trahis par la lueur des flammes en plein jour.


 

Quand tout le monde fut rassasié et d'humeur un peu plus loquace, Nynù prit la parole. Les autres s'étaient déjà habitués à voir cette étrange femme à la peau veinée de rouge et couverte de nodosités luisantes. Les grands yeux bruns de la prêtresse brillaient toujours derrière le masque.

— Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Hier nous avons traversé la grande forêt de Selmuyr, en marchant d’une traite toute une nuit et tout un jour depuis la Cité. Nous sommes fourbus, mais ce n’est qu’un début. Nos poursuivants ne s’étaient pas encore organisés, et nous avions une petite longueur d’avance. Bientôt, très bientôt je le crains, nous devrons redoubler d’efforts pour espérer atteindre Val-de-Pierre sains et saufs… ce que je ne peux vous promettre. Voulez-vous toujours me suivre ?

— Évidemment ! s'exclama aussitôt Hurdoy.

— Vous ne pouvez pas parler pour les autres, maître. Je comprendrais si certains d'entre vous changeaient d'avis (elle ne regarda pas Xù mais l'allusion était claire). Vous seriez naïfs de me suivre aveuglément. Je dois donc vous faire part de notre destination finale.

— Êtes-vous sûre de vouloir nous mettre dans le secret ? Et si l'un de nous était capturé ? s'inquiéta Rem'mat.

— Ça ne changerait rien. Je compte en effet me rendre sur le monde-sanctuaire d’Éon, et cette information ne serait d'aucune utilité à mes poursuivants. Mon grand-père paternel était le Prince Arodalg Verenag d’Éon. Il a épousé Fasydnùvirdath Darfnag, fille de Béryl la Grande, scellant de cette manière l'alliance de son monde avec le Dajà. J'ai ainsi hérité de certains titres honorifiques : en Éon je suis reine de deux royaumes, certes disparus, mais par la force des traditions les institutions qui les ont remplacés auront le devoir ou le plaisir de m'accueillir.

— Les dirigeants d’Éon doivent obéissance à l'Empereur, ma Dame. Ils vous livreront sans hésiter !

— Éon est un monde-sanctuaire. S'il le faut je demanderai officiellement asile. Ils ne pourront pas refuser d'aider l'une de leurs reines – même symbolique.

— Ça veut dire quoi sanctuaire ? demanda Vopio.

Rem'mat répondit à la place de la prêtresse.

— Ça veut dire que ce monde n'a plus d'armées et qu’il s'engage à ne plus en avoir. En contrepartie, aucune armée impériale n'a le droit d'y pénétrer. C'est surtout un paradis pour les plus grosses fortunes de l'Empire... et des mondes indépendants.

Le mage appuya bien sur indépendants. Officiellement, l'Empereur régnait sur les Trente–Deux mondes, mais une dizaine d'entre eux avaient les coudées franches, et une poignée, comme l'Orbelys, étaient en guerre larvée contre l'Empire.

— Et pourquoi n'êtes-vous pas une Verenag, alors, plutôt qu'une Darfnag ? continua Vopio, décidément volubile.

— Ma grand-mère a exigé de garder son nom pour elle et ses enfants. On disait d'elle qu'elle avait le même caractère fier et inflexible que Béryl. Aroldag n'a guère eu le choix, et il a fini par accepter le mariage à ces conditions.

Xù intervint à son tour. Elle n'avait plus dit un mot depuis sa remarque désobligeante, et semblait à présent désireuse de se rattraper auprès de Nynù.

— Puisque vous parlez de votre nom, je pense que Nessoï est maintenant aussi risqué à porter que Nynùvirdath ou Darfnag.

— J'allais y venir. Dorénavant, vous m’appellerez tous Elaryniù. Je suis une… une fille quelconque, sans talent particulier, et je vous accompagne depuis plusieurs mois car je n'ai plus de famille ni d'attaches. Vous m’apprenez le jeu de tomp, et je vous aide de mon mieux avec mes petits talents domestiques.

Hurdoy hocha la tête, mais Rem'mat n'était pas d'accord.

— Elaryniù…. Ce nom est trop connoté aristocratie ou vieille famille. Certainement pas un nom de… "fille quelconque". Mais si vous en aimez la sonorité, alors pourquoi pas Alaryon ? Avec un tel nom, personne ne vous posera jamais de questions !

Hurdoy leva les yeux, stupéfait. Même Xù fronça les sourcils, et Vopio ricana nerveusement.

Dans les campagnes reculées du Dajà, on donnait souvent ce nom aux très jeunes enfants – filles comme garçons – qui survivaient à certaines maladies infantiles. Pour le restant de leur vie ils étaient ainsi différenciés, et regardés avec un mélange de compassion, de crainte et de mépris.

On leur attribuait des pouvoirs de petite guérison, mais on les soupçonnait aussi de porter malheur et de jeter des sorts de maladie. Beaucoup devenaient équarrisseurs, soigneurs (ou empoisonneurs) de bêtes, ou, s'ils avaient de la chance, marchands ambulants de potions et de philtres. Au pire, ils étaient des intouchables vivant dans les fossés. Au mieux, des marginaux à qui on adressait le moins possible la parole.

Aussi surprise que les autres, Nynù resta silencieuse quelques instants. Puis ses yeux étincelèrent.

— Maître Rem'mat, votre idée est excellente ! Ainsi, je n'aurai pas à expliquer l’état de mon visage ni à justifier ma situation. De plus, la signification de ce nom en vieille langue me plaît vraiment : Ala–ryon, « re–né». Je serai donc Alaryon, renée après la mort de Nessoï. Je vous repose maintenant ma question : êtes-vous prêts à me suivre jusqu'à Val-de-Pierre, et de là jusqu’en Éon ?

*

Le petit groupe soudé par un nouvel objectif quitta le couvert protecteur de la forêt.

Les hautes herbes détrempées par la rosée rendirent la progression difficile dès le début. Pieds et jambes mouillés, les compagnons grelottèrent jusqu'à ce que le soleil s'élève assez haut dans le ciel bleu pour prodiguer enfin sa chaleur.

Ils traversèrent des prairies, des champs cultivés et des bosquets clairsemés où ils firent de courtes haltes à l’abri des regards. De loin en loin, ils voyaient des paysans étaler du fumier sur des parcelles. Aucun ne sembla s'intéresser au petit groupe.

Alors qu'ils marchaient d'un bon pas sur l'herbe courte et drue d'une pâture, Nynù contra et libéra un deuxième Limier. La lutte fut plus brève que la première fois, mais tout aussi impressionnante à observer pour ses compagnons.

Un peu avant midi, ils croisèrent obliquement une route qu'ils longèrent un certain temps sans toutefois l’emprunter, même si elle allait à peu près dans la même direction qu'eux. Hurdoy l'identifia comme la route de Mins et préféra en rester à l'écart. Cependant, après quelques mésaventures dans la boue des fossés d'écoulement qui bordaient les champs, les marcheurs crottés de la tête aux pieds se résignèrent à monter sur la voie carrossée.

La progression fut aussitôt beaucoup plus aisée et rapide. Les pieds séchèrent et le moral remonta en flèche.

— Mins est un petite ville dynamique de la région des Contre-Marais. Elle est au carrefour de la grande chaussée du Dajàdan, et de la route du Sud qui la relie à la Cité – la route que nous foulons, aussi nommée route de Mins. Nous risquons de rencontrer des soldats, je vous préviens. Mais à bien y réfléchir, ce serait suspect si nous étions vus en train de patauger dans les champs alors qu'il y a une belle route juste à côté.

Le vieil Hurdoy avait parlé. Si le plus méfiant d'entre eux acceptait ce risque, ils pouvaient tous s'en remettre au Destin.

Comme si le Destin, justement, avait entendu les paroles du maître d’armes et décidait de mettre à l'épreuve sa sagesse, le galop d'un – non, d'au moins deux chevaux – retentit bientôt derrière eux. Il était trop tard pour tenter de se cacher. Hurdoy avait raison : ils attireraient inévitablement l'attention s'ils étaient surpris dans des fossés proches de la route, ou s'éparpillant dans les champs comme des oies affolées.

Dans leurs dos, les chevaux ralentirent l'allure.

Hurdoy s'arrêta et se retourna sans se presser. Poursuivre son chemin la tête baissée était la meilleure façon d'éveiller les soupçons.

Son sang se glaça pourtant quand il vit les trois immenses Paladins qui les rattrapaient au trot.

Les autres se retournèrent aussi, l'un après l'autre, et firent tous preuve d'intelligence en adoptant un comportement adéquat. Vopio regarda les cavaliers bouche bée, comme un garçon de son âge le ferait devant la magnificence des armures. Rem'mat et Xù, blasés, se détournèrent mais pas trop vite. Nynù baissa les yeux comme il sied à une vagabonde défigurée qui connaît sa place.

Les paladins arrivèrent à leur hauteur. Leur chef s'adressa à Hurdoy qu'il avait identifié comme le meneur du groupe.

— Salut, l'ami.

— Mes respects, monseigneur.

— D'où venez–vous comme ça ?

— De la Cité éternelle.

— Et vous allez…?

— À Mins. Au tournoi de printemps, précisa-t-il en agitant sa crosse de tomp.

Le Paladin plaça tranquillement sa monture devant les marcheurs pour leur bloquer le passage.

— Vous êtes sales comme des gueux.

— Euh… oui. La faute à Vopio que voilà. Le vaurien nous a fait prendre un « raccourci ». Tu parles d’un gain de temps ! On a perdu une heure, et on failli perdre nos bottes dans la boue ! Nous voilà beaux maintenant, je n’aurais pas dû...

Le cavalier écoutait à peine les explications d’Hurdoy. Du haut de son cheval, un splendide destrier gris, il dévisageait un à un les quatre autres membres du groupe. Son regard passa vite sur Rem’mat, avant de s’attarder dangereusement sur Nynù, mais il fut aussitôt attiré par Xù qui venait d’enlever son fichu pour laisser cascader sa longue chevelure dorée. Hurdoy nota avec amusement que son amie avait subrepticement bombé la poitrine.

Soudain, Vopio éternua bruyamment dans ses mains qu’il leva ensuite pour les étudier avec une sorte de fascination puérile. Le Paladin fronça les sourcils d’un air dégoûté avant d’éperonner sa monture.

— Ho ! Allons-y !

Il s’éloigna au galop sans plus de cérémonie, entraînant ses deux acolytes muets dans son sillage.


 

Ils attendirent que les trois Paladins soient hors de vue pour commenter la rencontre.

— J’ai cru qu’il allait nous demander de jouer devant eux ! s’exclama Rem’mat. Heureusement qu’il y a un tournoi à Mins, sinon… D’ailleurs, de quel tournoi s’agit-il ? Celui du printemps n’est pas avant le mois prochain, non ?

— J’ai improvisé. Pas de tournoi de tomp à Mins, enfin, pas à ma connaissance.

— Que ferons-nous alors quand ils s’en apercevront sur place, gros malin ? intervint Xù.

— Tu crois vraiment qu’ils vont poser la question en arrivant à Mins ? Il y a au moins trente mille habitants dans cette ville. Les Paladins nous auront complètement oubliés ! Enfin, peut-être pas toi, Xù : je crois que tu as tapé dans l’œil du chef.

— Il fallait bien faire quelque chose, ton histoire de tomp et de raccourci boueux était un peu légère. Au fait, tu peux aussi dire merci à la morve de Vopio !

— Bref, fit Rem’mat, agacé. Ils n’ont pas reconnu… Alaryon, et c’est tout ce qui compte.

— Parce qu’ils ne l’ont jamais vue auparavant ! Si jamais…

— Non, Xù, intervint Nynù. Ce Paladin connaissait mon visage. Je lui ai parlé pas plus tard… qu'avant-hier. Oui, c’était avant-hier, ça me paraît si loin. Il m’a même accompagnée jusque devant l’Impératrice.

Sur ces mots, Nynù se gratta machinalement la joue. Ses marques commençaient à brunir au soleil. Rem’mat fouilla dans son sac et en sortit un chapeau poussiéreux qu’il tendit à la jeune femme.

— Tiens, Alaryon. Je crains que les rayons du soleil, combinés à l’effet des plantes, ne soient pas très bons pour ta peau.

Nynù prit le couvre–chef en remerciant le mage. Tous prirent note de la familiarité nouvelle – et voulue – du petit homme chauve quand il s'était adressé à la princesse. Ils allaient devoir s'adapter eux-aussi, et vite, s'ils ne voulaient pas compromettre la nouvelle identité de Nynù.

Hurdoy revint sur le sujet initial.

— Si cet homme ne vous… ne t’a pas reconnue, Alaryon, alors on a une bonne chance de passer les barrages qu’on va forcément rencontrer.

— Espérons-le. Je ne pense pas que je pourrais tromper ma mère, ou un parent proche.

— Je serais surprise qu’une grande dame de la Cour participe à vot… à ta recherche sur le terrain, fit observer Xù.

— Elle est une Grande Prêtresse avant toute chose, et la mère d’une criminelle qu’elle n’aura de cesse de faire arrêter pour regagner la confiance de la Cour. Elle est…. Tenez, voici d’autres voyageurs.

D'un seul mouvement, ils suivirent le regard de Nynù. Une dizaine de chariots et des silhouettes montant des petits chevaux ou des mules arrivaient droit sur eux.

— On va en croiser beaucoup d’autres ce matin, commenta Hurdoy. Cette route est plutôt fréquentée, si je me souviens bien. Prenons-le comme un avantage, et arrangeons-nous pour arriver en ville en même temps que ce convoi, ainsi nous passerons inaperçus. Allons ! Il reste quelques lieues, tout au plus.

*

Il restait un peu plus que quelques lieues.

Lentement mais sûrement, le convoi rattrapa les marcheurs. Il finit par les dépasser alors que la petite ville était tout juste en vue, plus bas dans la large vallée qui s'ouvrait devant eux. Au delà de Mins commençaient les marais d’Esmijen qui bordaient la côte sur des dizaines de lieues jusqu'au Pays Salé.

Un homme assez massif, au visage rieur et aux cheveux hirsutes couleur de paille, descendit de sa mule pour les saluer et faire un bout de chemin en leur compagnie.

Après les questions habituelles – d'où venez vous, où allez vous et ainsi de suite – auxquelles Hurdoy répondit vaguement mais avec aplomb, l'homme se présenta. Il se nommait Led Strojord, du clan nomade des Muroen. Le reste du convoi était composé d'autres membres de son clan.

Les Muroen étaient des marchands, colporteurs et montreurs, « surtout pas des saltimbanques » précisa Led en crachant par terre.

— Un montreur de quoi, demanda Vopio, toujours aussi curieux.

— Allons ! Un montreur de tout, mon ami ! Nous montrons les Mondes au Dajà, et le Dajà aux Mondes !

Les yeux de Vopio s'agrandirent d'admiration.

— Alors vous franchissez souvent les Portails ??

— Souvent est un grand mot. Disons que certains d'entre nous le font régulièrement, les autres se contentent de sillonner les trois continents, à commencer par le Palatério. Dis-moi, fiston, connais-tu au moins ton pays, le Palatério ? Il est assez vaste pour y passer ta vie à le parcourir à pied. Après ça, si tu t'en lasses, tu peux toujours prendre un bateau pour te rendre au Karing, et y user tes bottes sur des milliers de lieues. Enfin, si tu en as l'envie et les moyens, tu pourras aller visiter d'autres Mondes, avec leurs continents, leurs océans, leurs forêts, leurs cités exotiques… leurs femmes…

Le dénommé Led parlait beaucoup, jugea Hurdoy qui n'appréciait guère les fanfarons. Vopio buvait ses paroles, et Xù semblait aussi tomber sous le charme du bonimenteur à la tignasse de feu. Rem'mat et Alaryon – puisqu'il fallait se forcer à penser à Nessoï sous ce nom – traînaient un peu en arrière et se taisaient.

Led se tourna vers eux, justement, et leur demanda si eux aussi étaient des joueurs de tomp. Il faut dire que Rem'mat, avec sa légère bedaine et son allure de vieux professeur, n'en avait pas vraiment le profil, et que Nynù ne respirait pas davantage la santé avec ses habits difformes et ses squames luisants sur tout le visage.

Le mage fut piqué au vif.

— Et ça, c'est quoi ? fit-il en brandissant sa crosse.

— Mille excuses, maître tompeur. Comme on dit en Karing, l’habit ne fait pas le prêtre. Je préfère toujours vérifier ce que je vois.

Led n'adressa pas une seule fois la parole à Nynù qui en fut ravie. Elle profita de cette tranquillité pour laisser remonter certains souvenirs dans sa mémoire.

La princesse connaissait bien Mins, pour y être venue une fois en compagnie de sa mère et de ses frères, à l’occasion de la joute annuelle organisée par le vieux Prince du Pays de Cormins. Sa visite avait duré un mois, et lui avait fait une forte impression. Éloignée de la Cour et du faste artificiel de la Cité, elle s’était senti revivre. Elle avait alors commencé à nourrir le projet de quitter un jour le Palais, autrement que par mariage ou par devoir protocolaire, et de vivre une vie simple. À l’époque, "simple" signifiait pour elle "sans pressions ni intrigues courtisanes". Elle tenait encore à son confort, et aux commodités que lui procurait son rang élevé.

Le château du Prince dominait la ville fortifiée. Nynù avait dormi dans l'un des hauts donjons qu’on pouvait maintenant distinguer au-dessus de la masse de maisons et de remparts. Elle se rappelait avoir admiré, depuis la tour, la ville et la campagne alentours, et remarqué le tracé de la route qui reliait Mins à la Cité éternelle. La même route qu’elle était en train de fouler.

Strojord ne semblait pas pressé de rejoindre les chariots qui prenaient de la distance devant eux. « Je les retrouverai en ville », déclara-t-il comme en réponse à une question que personne ne lui avait posée.

Tirant sa mule par la bride, il marchait avec les joueurs de tomp et continuait à les saouler de détails sur son clan, sa famille, ses voyages…  À un moment, il se tourna vers Xù qui boitillait à cause des courbatures provoquées par la marche forcée de la veille. Il lui offrit de monter la mule.

« Une dame comme vous ne devrait pas user ses jolis pieds sur des routes de campagne ».

Avec un grand sourire (quoique forcé aux yeux de ceux qui la connaissaient bien), Xù le remercia mais, au lieu de se hisser elle-même sur la bête avec l'aide de Strojord qui n'attendait que ça, elle se tourna vers Nynù.

« Alaryon, tu es encore plus fatiguée que moi. Je te cède ma place »

La jeune femme ouvrit la bouche pour protester mais le regard de Rem’mat l'en dissuada. Moins elle parlerait, mieux ce serait. Ses inflexions aristocratiques n’avaient pas disparu malgré trois années passées à la campagne. Hurdoy lui offrit son assistance pour grimper sur la mule car Led Strojord, visiblement dépité et dégoûté, avait aussitôt reculé d'un pas et regardait ailleurs.

 C’est ainsi que la princesse entra pour la deuxième fois de sa vie dans Mins, cette fois sur le dos d’une mule, et dans les habits d’une roturière de basse condition. Nulle trompette ne vint retentir depuis les remparts pour annoncer son arrivée, nul dignitaire ne l’attendait pour la saluer et la guider jusqu’au château.

— Où serez–vous logés ? demanda le marchand tandis qu’ils passaient l’énorme pont-levis menant en ville.

— Eh bien, hésita Rem’mat, nous comptions nous rendre à la grande auberge à l’ouest de la Place d’Armes. « Le Bœuf », ou « le Buffle »…

— L’auberge « du Bouvier ». Je la connais. Plutôt confortable, et pas à la portée de toutes les bourses, insinua Strojord en les reconsidérant d’un nouvel œil.

La veille, Rem’mat avait annoncé qu’il prendrait en charge tous les frais à venir. Les autres n’avaient pas encore soulevé la question du couvert et du gîte, et sur ce dernier point ils s’étaient résignés à ne plus dormir sous un toit avant très longtemps. Encore moins dans un lit.

Les yeux embués, le petit homme chauve avait sorti de ses poches une bourse bien garnie. Les économies de Poliphée. Il avait coupé court devant les protestations immédiates de ses compagnons : « Poliphée était effondrée de ne pas pouvoir nous accompagner. Cet argent est sa contribution. Je l’ai accepté pour la soulager, je veux que vous l’acceptiez aussi pour honorer son geste ».

Ils remontèrent l’avenue principale de Mins puis, après quelques rues transversales, Led Strojord leur annonça que leurs chemins se séparaient là. Il allait retrouver ceux de son clan au sud de la ville, « installés dans une vieille grange ouverte aux courants d’air » se crut-il obligé de préciser. « Et peut-être nous reverrons-nous, mais pas avant très longtemps, car dès demain je pars pour Val-de-Pierre ».

— Val-de-Pierre ? répéta Hurdoy, enfin intéressé par quelque chose qui sortait de la bouche du marchand. Avec ceux de votre clan, et vos chariots ?

— Non, tout seul, et un seul chariot. Une affaire à régler. Les autres vont séjourner à Mins jusqu’à mon retour, dans un mois ou deux. Vous connaissez Val-de-Pierre ? demanda Strojord avec un début de soupçon dans la voix.

Brusquement, ils le virent changer d’attitude. Sous sa face bonhomme perça une expression beaucoup moins chaleureuse, ses yeux bleus s’animèrent, comme si des calculs s’étaient mis en branle sous son crâne.

— Et pourquoi cette question sur les chariots ? Vous aussi, vous allez à Val-de-Pierre, n’est-ce pas ? reprit-il d’une voix lente.

Son débit était très différent de celui avec lequel le Montreur avait abreuvé ses interlocuteurs de paroles. Pour "montrer", comme il s’en était vanté auprès de Vopio, il fallait d’abord trouver, et Strojord venait de prouver qu’il était très bon dans ce domaine. Un seul faux-pas du maître d’arme lui avait suffit pour percer à jour la véritable destination des cinq "joueurs de tomp".

Hurdoy regarda Rem’mat, qui regarda Xù. Aucun n’osa interroger du regard Nynù qui venait de descendre de la mule.

— Admettons, répondit enfin Rem’mat. Il y a des tournois qui payent bien, dans cette région.

— Des tournois de tomp, à Val-de-Pierre ? Pas vraiment. Les gens du coin préfèrent la lutte, ou les courses de chevaux. On voit bien que vous n'y êtes jamais allés. Quelles que soient vos raisons d’aller là-bas – en admettant que ce soit votre destination –, ce n’est pas un petit voyage. Au moins deux semaines avec une mule, un peu moins avec un cheval, un peu plus si vous êtes d’excellents marcheurs et que vous n’êtes pas trop chargés. Je connais parfaitement les routes qui traversent les grands marais d’Esmijen et le Pays Salé. Je dis bien "les routes" car il n’y en a pas qu’une, contrairement à ce qu’on croit. Certaines de ces routes sont "gardées" par des amis à moi… et peu fréquentées par les autorités. Je pars demain vers midi, si ça vous intéresse. Vous pourrez me trouver à la ferme des trois moulins, juste après la porte sud de la ville.

Sur ces mots, Led Strojord fit un petit geste de la tête et s'enfonça avec sa brave mule dans la foule des badauds et des voyageurs .

Hurdoy attendit un peu avant de s’abandonner à la colère.

— Quel imbécile je fais ! jura-t-il entre ses dents. Quelle triple buse !! Ma Dam… Alaryon, si tu veux me renvoyer, je partirai sur le champ sans broncher.

— Ne dis pas n'importe quoi, Hurdoy. J’ai besoin de toi. Tu as tout de suite vu l’opportunité de nous joindre à un convoi, et le gain de temps et de sécurité qui en résulterait. Si ce Strojord part tout seul à Val-de-Pierre, nous pourrions profiter de sa connaissance du terrain, et de son chariot.

— Je ne voulais pas lui lâcher l’information comme ça, pesta Hurdoy. Ce colporteur m’a tout l’air d’un fourbe. Peut-être est-il actuellement en route vers la garnison la plus proche pour nous dénoncer, qui sait ?

— Je ne crois pas, intervint Xù. Pour ma part, je dirais que cet homme est plus un trafiquant qu’un honnête marchand. Il n’a aucune idée de notre… Je n’en dirai pas plus ici, dans la rue, mais je suis certaine qu’il nous prend maintenant pour des contrebandiers… comme lui. Ou de simples voleurs dont il pourra tirer un peu d’argent en les faisant passer à Val-de-Pierre.

Nynù mit fin à la conversation. Elle n'avait qu'une envie, se reposer au sec et au chaud.

— Xù a raison. Je pense qu’on ne risque rien dans l’immédiat. Je propose que nous continuions cette discussion à l’auberge, quand nous serons propres et rassasiés. Nous déciderons alors de ce que nous ferons demain.

Ils bifurquèrent vers l’ouest et trouvèrent facilement l’auberge, un magnifique bâtiment en bois sombre, sur trois étages, avec plusieurs salles à manger et des bains au sous-sol.

L’aubergiste toisa les nouveaux arrivants, crottés, mal coiffés et visiblement pauvres. Il ne cacha pas son dédain envers Nynù, en particulier. Il s’apprêtait de toute évidence à leur annoncer qu’il n’y avait plus de chambres libres, quand Rem’mat sortit de sa poche quelques grosses pièces d’argent qu’il posa sur le comptoir en cuir avec un bruit mat.

Un sourire se dessina sur le visage fermé de l'homme.

— J’ai deux chambres dans la petite aile du rez-de-chaussée. Pas très grandes, mais chaudes et pourvues de lits moelleux.

*

Quelques heures plus tard, propres, peignés et dans des habits brossés, ils prirent ensemble leur repas dans la grande salle à manger du premier étage.

L’auberge était très fréquentée, essentiellement par des marchands et des notables de la ville, ou par des pèlerins de bonne condition sociale. Xù fit remarquer à Rem'mat qu'avec ce genre d'établissement il allait dilapider le pécule de Poliphée en quelques jours, ce à quoi le mage répondit que c'était son affaire.

Un jeune couple très élégamment vêtu demanda la permission de se joindre à eux, les autres tables étant toutes prises.

Lui était de taille moyenne, roux et barbu, des yeux verts ronds comme des billes. Sa compagne était aussi brune que Nynù, très jolie mais avec un air pincé voire hautain. Sa légère ressemblance avec la princesse en était d’ailleurs troublante. Ils étaient en route pour le Temple des Eaux de Vorajinn, célèbre lieu de pèlerinage en bord de mer, prisé par les couples qui désiraient augmenter leurs chances de procréer. Ils avaient quitté la Cité Éternelle le matin-même.

— Ce matin ? Belle chevauchée, commenta Rem’mat par politesse.

— En effet, répondit l’homme. Nous serions toutefois arrivée plus tôt à Mins s’il n’y avait eu tous ces contrôles sur le chemin. Sacré histoire !

— Quelle histoire ? demande Xù avec son air innocent.

— Vous n’êtes pas au courant pour la Princesse félonne ?

L’homme se tourna vers son épouse qui se fit un plaisir de leur raconter le tremblement de terre sur la Colline, la mort du Prince-Héritier et la fuite des renégats d’Orbelys, à la tête desquels se trouvait Nynùvirdath Darfnag « la fille de Viyinh, pouvez–vous le croire? ». Elle parla aussi du retour de Prényo IV de sa partie de chasse, et termina par le branle-bas de combat dans toute la Cité.

— L’Empereur a ordonné la levée d’une Armée pour en finir avec ce Monde de prêtres-guerriers barbares et cruels, conclut-elle. Il était temps !

— Pourquoi ? Ce sera une nouvelle guerre interminable qui va décimer la fine fleur de la jeunesse du Dajà !

Nynù n’avait pas pu s’empêcher d’intervenir. Le couple regarda avec surprise cette jeune femme de piètre apparence qu’ils avaient prise pour une simple d’esprit. La femme, maquillée à la manière des bourgeois de la Cité, sourit avec condescendance en lui répondant.

— Que savez-vous de ces choses, enfant ? L’Empire ne peut rester sans réagir à cet acte… abominable.

— La princesse a invoqué ce démon, avez-vous dit. C’est donc elle qui devrait payer, pas les peuples de l’Orbelys ! insista Nynù.

— Ils ont corrompu la fille de Viyinh, un être touché par la grâce des Dieux ! Cela ne signifie peut-être rien pour vous, ma pauvre, mais ce crime à lui seul mérite un châtiment sévère. D’ailleurs, l’Empereur veut la retrouver saine et sauve, car il estime qu’elle doit être jugée par ses pairs. Elle sera peut-être pardonnée.

— Si tu veux mon avis, déclara le mari, l’Empereur fait une erreur. Cette petite garce est maintenant pourrie jusqu'à la moelle. Elle devrait être pendue sans jugement au premier arbre par les soldats qui la retrouveront. Ou mieux encore : broyée sous une pile de rochers, un membre après l’autre, pour rappeler la manière dont elle a tué le jeune Prényo, et son cadavre jeté aux porcs...

— Eh bien, quel programme ! s’interposa Hurdoy pour couper court à cette litanie morbide. Espérons pour cette pauvre princesse qu’elle ne vous croisera pas de sitôt !

— Mon mari ne ferait pas de mal à une mouche, ni à un esclave, mais quand il s’agit de défendre Sa Majesté et sa noble famille il est plus fanatique qu’un Paladin ! De toute façon, cette traîtresse doit être loin d’ici à l'heure qu'il est. Selon les soldats, elle a été repérée dans la région de Mins ce matin, mais elle et ses acolytes ont très certainement ouvert un Portail et rejoint leur monde maudit.

Un Limier choisit cet instant précis pour apparaître près de Nynù.

Bien sûr, personne dans l’auberge ne le vit ni n’en sentit la présence, sauf la jeune prêtresse qui était en permanence sur le qui-vive. Lors des deux premières rencontres, sur la route, elle avait perçu le furetage des élémentaux quelques secondes avant qu’ils ne l'identifient. Des vibrations dans le Mana avaient précédé leur arrivée. Nynù avait ainsi pu se préparer à temps. Cette fois, l’être magique était arrivé sans préavis, et il allait repartir presque aussitôt pour rapporter sa découverte à ses maîtres.

Il s’en fallut d’un cheveu pour que Nynù le laisse s’échapper pour toujours. D’un sort aussi rapide que brutal, la prêtresse bloqua l'élémental assez longtemps pour qu’elle puisse procéder à sa libération. Le Limier s’en fut sans demander son reste, comme ses deux prédécesseurs.

Du point de vue de ses compagnons de table, la scène ressembla à ceci : la jeune femme se cambra brusquement avec un râle bref mais sonore, puis, les yeux révulsés, elle trembla violemment pendant quelques secondes avant de s’immobiliser et d’ouvrir les yeux.

— Alaryon ! Alaryon ! Est-ce que ça va ?

En entendant ce prénom très significatif, l'homme et la femme élégants se regardèrent brièvement puis se levèrent de concert.

— Nous allons regagner notre chambre. Le voyage fut fatigant. Bonne nuit à vous.

*

Un peu avant l'aube, Nynù sortit du lit qu'elle partageait avec Xù. Elle ne dormait plus depuis longtemps, si tant est qu'elle se soit endormie cette nuit-là. Elle sentait beaucoup d'émanations désagréables autour d'elle.

Une lumière blafarde baignait la chambre. Nynù regarda pendant quelque temps sa voisine qui dormait paisiblement. Xù était plutôt belle quand son visage était détendu. La prêtresse réalisa qu'elle ne connaissait rien ou presque de cette jeune femme blonde, plus âgée qu'elle de cinq ou dix ans, au franc-parler et aux yeux clairs qui laissaient souvent percer tristesse, amertume, colère...

« Je ne suis pas la seule à avoir une vie cachée, ni la seule à traverser des épreuves », songea Nynù. « Mes malheurs sont peut-être dérisoires par rapport à ceux des autres, et pourtant ce sont les autres qui m’aident, pas le contraire. »

Xù se retourna alors dans le lit et ouvrit les yeux. Elle vit Nynù assise dans la pénombre.

— Vous ne dormez pas, Princesse ? fit-elle d’une voix pâteuse.

— Chut ! Mon nom est Alaryon. On pourrait...

— Nous sommes toutes seules dans cette piaule, alors s’il te plaît, laisse-moi savourer ce moment ! Moi, petite Xùmeï-Han qui ai grandi dans une étable parmi les vaches et les chèvres, je partage mon plumard avec une vraie princesse que Beryl la Grande a fait sauter sur ses genoux.

— Comment sais-tu que… C’est Rem’mat, n’est-ce pas ?

— Bien sûr ! Ce sont ses propres termes. Ne vas pas croire que je connais ton pedigree par cœur ! J’ai d’autres priorités dans la vie.

— J’espère bien pour toi.

Xù se frotta les yeux et se redressa complètement dans le lit.

— Fait pas tout à fait jour. Pourquoi es-tu réveillée ?

— Mmm. J’ai de mauvaises sensations… des vibrations dans le Mana…

— Ah, la magie ! Je n’y comprends rien.

— Tout le monde est sensible au Mana, mais ce sens délicat se travaille dès l'enfance, comme toute chose.

— Mouais. Disons que moi je travaillais un autre sens, avec des gens pas très délicats, pendant que toi tu révisais tes tours de magie avec tes cousines en robes de soie.

— Les choses ne sont pas si simples...

Xù se leva d'un bond et saisit sa crosse en bois qui était posée contre le mur.

— Tu as entendu ?

— Non, mais j'ai ressenti quelque chose. Une détresse intense. Qu'est-ce…

— C'était un cri de femme.

Elles attendirent de longues secondes en silence. Puis un bruit sourd, et encore un autre.

La joueuse passa sa tête blonde dans le couloir désert, aussitôt imitée par Nynù.

Elles n'eurent pas à chercher longtemps. Tout au bout, près de la sortie, une porte était entrouverte et laissait voir les deux pieds d'une personne allongée au sol. Soudain, la porte s'ouvrit complètement. Une silhouette vêtue de sombre jaillit de la pièce et se dirigea à pas feutrés vers la sortie, sans remarquer les deux femmes qui observaient le manège bouche bée.

Elles se précipitèrent alors vers l'autre chambre, non pas pour arrêter l'individu qui avait déjà quitté le bâtiment, mais pour porter secours à la personne au sol.

En entrant dans la pièce, elle tombèrent sur le barbu roux qui gisait sur le dos, le visage convulsé et la peau grise, comme prématurément ridée. Et sur le lit reposait le corps dénudée d'une femme… sans tête. L'épouse du barbu. Nynù reconnut le vernis turquoise sur ses mains pâles et inertes. Elle comprit immédiatement ce qui venait de se passer.

Elle attrapa par le coude Xù qui était subjuguée par le spectacle atroce.

— Xù ! chuchota la prêtresse. Xù !! Nous devons prévenir les autres ! Nous ne pouvons pas rester là, c’est le travail d’un Assassin qui me cherchait !

Elle traîna son amie choquée par le bras jusqu’à la chambre des hommes.

Elle avait à peine frappé doucement à la porte que celle-ci s’ouvrit en grand. Hurdoy (évidemment) se tenait devant elles, un poignard à la main.

Dès qu’il vit leurs mines décomposées, il les fit entrer en silence et referma derrière elles la porte qu’il verrouilla.

— Que se passe-t-il ? Il y a eu des bruits, un peu plus tôt, c’était vous ?

*

Tout le monde était en ébullition dans la chambre trop petite pour contenir cinq personnes agitées.

— Il faut partir ! Nous ne devons surtout pas être mêlés à ça !! répétait Hurdoy.

— Nous serons immédiatement suspectés si nous fuyons, réfléchis un peu ! rétorquait Rem’mat, complètement chamboulé.

— Et si nous restons, que crois-tu qu'il va nous arriver ? Il y a des officiers partout, et sûrement des Inquisiteurs ! Ils vont interroger tous les clients de l’auberge. Tu n’as aucune idée de...

— Arrêtez de vous prendre la tête ! Si Alaryon ne se trompe pas, le tueur risque de revenir quand il se rendra compte de son erreur.

Xù avait repris ses esprits. Les hommes étaient debout, même Vopio pâle comme un linge depuis qu’il avait vu (de loin) le corps décapité de la femme. Pas plus de dix minutes s’étaient écoulées depuis que Nynù et Xù avait fait la macabre découverte.

— De quelle erreur parles-tu ? Tu n’en sais rien, Xù ! insista Rem’mat. Tout ça parce que cette pauvre femme ressemblait vaguement à Nessoï ? Allons donc ! C’est une coïncidence !

— Toi-même tu as reconnu le travail d’un Assassin, Rem’. La peau grise, le Sort de Mort Flamboyante...

— Mort Foudroyante. Mais je n’en connais que les descriptions, et même si...

— Un Assassin, nom d'un rat ! Ici, dans cette auberge, et cette nuit ! Ne me parle pas de coïncidence !


 

Adossée au mur, les mains sur ses tempes, Nynù n'écoutait plus les chuchotements animés des autres. « Des Mentiques » murmura-t-elle.

Sous le regard interrogatif de ses compagnons qui interrompirent aussitôt leur conciliabule, elle se dirigea vers la fenêtre donnant sur la cour intérieure.

Se profilant sur le blanc du ciel matinal, trois barges noires glissaient lentement au-dessus de la ville.

— Des sorciers mentiques, répéta-t-elle un peu plus fort. Ils savent que je suis ici.


 

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DraikoPinpix
Posté le 25/04/2020
Bon chapitre, j'aime suivre Nynù et la bande. Et j'aime les auteurs/autrices qui n'ont pas peur de défigurer leur protagoniste, en tout cas ^^
Mes remarques sont les mêmes que les fois précédents, mis à part que ton style est plus fluide que les précédents chapitres (même s'il restait agréable à lire, tout de même).
Sur ce, je te souhaite bon courage pour écrire la suite et à bientôt :)
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