— Bon sang, Fil, c’était quoi ce carnage ? Tu devais mettre le feu, pas tout faire sauter ! Tous ces pauvres gens que tu dis vouloir libérer de l'oppression, tu les as transformés en torches humaines, réduits en bouillie de viscères ! Qu'est-ce qui t'as pris ? Ils auraient dû avoir le temps de tous sortir de là ! Le Second Sujet également ! Il devait assister au bûcher de ses propres yeux, pas en être un combustible vivant !
Krone ne décolérait pas. La journée touchait à son terme et, depuis une colline extérieure à la cité de Myr, le trio contemplait la butte centrale prise aux flammes. L'incendie s'était résorbé mais un immense panache de fumée noire s'élevait au-dessus des monts de la campagne randaise. Krone ne pouvait exprimer clairement sa frustration que depuis peu. Son sourire figé venait de se dissiper.
Bulle de Savon chevauchait Joyeuse. Regard porté au loin, il se permit de commenter :
— Ils ont tous accompagné Ilysane dans les cieux. Ils regarderont eux aussi le nouveau vent souffler.
Krone le dévisagea, l’aigreur à la bouche :
— Comment peux-tu dire une chose aussi cruelle, Bulle ?
Il haussa les épaules et répondit calmement :
— Certainement parce qu’aucune colère n'alimente mes pensées et n'agite ma langue. Tu le sais bien, ma bulle...
Et il se tut.
Quant à Fil, il mastiquait une carotte crue. Il mordit à nouveau dans la racine et, la bouche pleine, il bredouilla :
— J'savais pas pour la poudrière, Gamin. Quelle idée de stocker ces explosifs aussi près de la cave ! C'est insensé !
— C'est toujours comme ça avec toi, Fil, tu ne savais pas ! Ça ne me dérangeait pas quand les conséquences ne pesaient que sur nos deux têtes brûlées ! La maison Mirabelle, la caserne auscitaine, tes étourderies ne mettaient en danger que ta petite personne et la mienne. Mais là, un véritable massacre ! Ce n'est pas du tout ainsi que ça devait se passer ! Et ton impassibilité m'irrite davantage encore !
— Gamin, je n’suis stoïque qu'en apparence. Ça bouillonne à l'intérieur. Je n’ leur voulais aucun mal. Oui, j’pensais que l'évacuation du palais se ferait sans encombre. Nous étions pressés, un cadavre sur les bras. Je n'pouvais pas faire de repérage. Entrer une fois dans la citadelle relevait déjà de la délicatesse. Deux fois dans la même journée, j’aurais frôlé le miracle. Mais tu as raison, Gamin. J'ai tout fait foirer. Rien ne saurait justifier cet enfer. Je n’devrais pas chercher d'excuse pour me dédouaner. J’suis pleinement fautif et le poids de ces âmes malheureuses me pèsera jusqu’à fin de mes jours. Leurs cris emplis de désespoir me hanteront. J’voulais m'en prendre au Parakoï et à son Second Sujet mais les premières victimes ont été celles que j’voulais protéger. J’suis leur bourreau. J'ai été impulsif. J’serai dorénavant plus réfléchi. Parole de Fil, Gamin. Nous aurions dû inhumer la Petite dans un endroit paisible et s'en prendre aux Puissants sans mettre la vie d’innocents en péril. Mon impair est impardonnable. Ce gamin a qui j'ai confié les quatre pièces d'argent, son regard infusait la joie de vivre. J'y avais distillé une lueur d'espoir, j'ai précipité son martyr. Il m'accompagnera jours et nuits. J'peux te l'assurer. Par-dessus mon épaule, il m'épiera. Il me susurrera mes atrocités. Il me hantera sans relâche. Il sera mon châtiment, ma pénitence. Ces deux soldats que j'ai enfoncés dans les profondeurs glacées des douves supplanteront ma deuxième épaule. Ma haine pour le Parakoï a aveuglé mon discernement. J'aurais pu m'infiltrer de mille autres façons. Ma rage était débordante. Les couleurs qu'ils portaient m'ont égaré. Je les ai anéantis sans pitié.
La rancœur de Krone s'apaisa. Jamais Fil n'avait avoué sa négligence. Jamais il n'avait exprimé de sincères regrets. L’accabler davantage était inutile.
Haut dans le ciel, la fumée charbonnée de l'incendie se diluait dans le coton moelleux des nuages. Le silence apaisé de Krone rassura Fil. Il cracha un gros morceau de carotte à terre.
— Le Parakoï ne restera pas sans réaction. Sa riposte sera terrible et sans borne, Gamin. Les exactions aveugles se multiplieront. Sa Justice sera cruelle. Nous savions que de nombreux coquebins paieraient pour l'avènement des démons. Nous y étions préparés. À nous de marcher en compagnie de ces âmes délaissées. Nous en connaissions le prix.
Krone expulsa un profond soupir chargé de l'amertume qui l'étouffait. Il posa une voix calme :
— Au moins, tout le peuple de Myr a été témoin du mensonge qui entoure le Parakoï. Sa supposée aura qui maintiendrait les présences nuisibles éloignées de sa zone d'influence en a pris un sacré coup. Tous les Premier et Second Sujets doivent trembler devant la quête vengeresse qui les cible. Loren et sa conscience bafouée en tête. Laissons la rumeur se répandre. Guettons l'impact du venin que nous venons de distiller dans les veines des Trois pays. S’il le faut, soulevons les foules avec de nouvelles apparitions. Signons nos manifestations funèbres. Qui sait, peut-être que d'autres écloront sans que nous y soyons pour quelque chose. Une trainée de poudre dans une chambre surchauffée.
Krone tourna bride, suivi par son compagnon de toujours. La charrette de Bulle de Savon continuait à disséminer grincements et soubresauts sur son passage.
***
Des flammes bleues et orange dansaient dans les yeux souriants de Bulle. Le trio s'était assis autour d'un feu de camp qui les réunissait dans le noir de la campagne randaise. La pâleur des étoiles éclipsait une lune sibylline. Le crépitement des bûchettes replongeait Krone dans les horreurs du bûcher funéraire d'Ilysane. Des cendres incandescentes, pareilles à des lucioles de feu, se laissaient emporter par un vent léger.
Une flatulence adipeuse résonna du plus profond de la gorge de Fil jusqu'aux oreilles accoutumées des deux autres compères. Krone sortit de ses songes et sourit à son aîné. Fil marmonna une excuse de principe. Malgré les atrocités de la journée, Krone n'arrivait pas à lui en vouloir outre mesure. Tout ce qu'il était, il lui devait.
Bulle de Savon faisait mijoter dans une petite marmite un ragoût de cerf qu'il avait conservé dans un de ses bocaux. Des carottes et des oignons nageaient dans la sauce brune et onctueuse en ébullition. L'odeur réconfortante de cette préparation ouvrait un appétit déjà étreignant. Fil trépignait :
— Alors, Savonnette ! Ce n'est pas encore prêt ? Ma panse gargouille si fort qu'un caverneux l'entendrait jusqu'en Astirac !
— Si, depuis un moment. Te faire mijoter, comme mon plat, est bien plus savoureux que le meilleur des mets.
— Saligaud ! Truant ! Coquebert ! Grippeminaud ! Tu mériterais que je t'assomme avec ta louche !
Bulle lui tendit l'objet en question et répondit malicieusement :
— Essaie toujours, si tu y arrives.
Fil resta muet devant cette invitation inattendue. Il n'eut pour seule réponse qu'un rire à gorge déployée.
Bulle remplit trois écuelles en bois de sa préparation et en tendit une à chacun de ses compagnons. Fil engloutit sa portion puis se resservit lui-même un deuxième bol. Krone savourait sa part. Chacune des cuillerées lui apportait réconfort à mesure que sa satiété était satisfaite. Le jeune homme complimenta les talents culinaires de son acolyte :
— À chaque fois, c'est un régal Bulle ! Depuis que tu es avec nous, nous avons gagné en qualité alimentaire ! Où as-tu appris à cuisiner ?
Bulle de Savon inclina la tête en signe de remerciement et indiqua d'une voix fine derrière ses lèvres resserrées :
— C'est la Dame qui m'a tout appris. Avant qu'elle ne m'ait recueilli dans l'auberge du Goupil argenté, je ne savais même pas faire cuire un œuf. Tous les matins, pendant de nombreuses années, elle me transmettait sous ses secrets.
Joyeuse s'ébroua, comme si la mention de la Dame lui inspira une joie communicative. Les deux grands étalons, attachés par le licou à un arbre à proximité, broutaient des herbes folles. Leurs grandes queues noires balayaient le sol dans un rythme régulier.
— Puisqu'on en est venu à parler du passé, dis-moi, Krone, que fait un jeune homme comme toi sur les routes, à vadrouiller avec un coquin grossier tel que Fil ?
Ce dernier, en réponse, laissa échapper un nouveau rot disgracieux :
— Qui a dit que j'étais grossier ?
Krone déglutit et s'éclaircit la gorge. Il passa ses longs doigts fins sur la perle nacrée et le cordon qui lui nouait les cheveux et se livra :
— Je te dois quelques éclaircissements. Qui sait, un jour, tout mon passé pourrait resurgir et t'éclabousser par la même occasion. Bulle, contrairement à toi, je ne suis pas sur les routes par choix ou esprit d'aventures. On m'a contraint à cette vie. Vadrouiller est un moyen de me protéger car, depuis mon plus jeune âge, je suis traqué. Tu chemines aux côtés d'un indésirable recherché par la Justice du Parakoï. À la tête de cette battue, mon père, Angust de Clarens.
Bulle de Savon s'amusait à titiller les braises vivaces avec un long bâton de bois.
— Ce nom m'est familier.
Il leva les yeux vers le noir du ciel à la recherche d'une pensée lointaine. Puis, en fixant toujours la pâleur des étoiles, il murmura :
— Ton père ne serait-il pas le Grand Maréchal du Premier Sujet du pays d'Astirac ?
— Angust de Clarens, noble à la cour du Premier Sujet. Il lui est aussi fidèle et dévoué qu'un chien envers son maître quitte à s’en prendre à sa famille.
Fil cracha dans le feu puis ajouta dans un bâillement :
— Allez, Gamin. Un beau conte autour d'un feu de camp. Rien de mieux pour aider à la digestion. Raconte à Savonnette comment Fil le brave est venu arracher à la dent terrible et affilée du méchant loup, une pauvre brebis frêle, chétive et si attachante. C'est mon histoire préférée. Il était une fois, un mioche avec la morve au nez... vas-y, continue, Gamin. J'te couperai pas.
Krone prit un gobelet remplit d'une infusion chaude que Bulle lui tendait. Les vapeurs odorantes le replongèrent dans un passé qui le harcelait toujours, quinze années après.
— Une nébuleuse de souvenirs. Un flou lointain, mais ponctué de quelques détails d'une clarté impitoyable. Je n'avais que quatre ans quand ma vie a basculé.
— Quand j'dis que ce n'était qu'un morveux. Pardon, l'Gamin, continue.
— Bulle, as-tu essayé de te remémorer ton premier souvenir ? Celui au-delà duquel tu n'es confronté qu'à un vide insondable ? Et bien, le mien, est le regard de ma mère, empli d'effroi et de dégoût, comme si je n'étais qu'un monstre répugnant.
— Un monstre répugnant avec de la morve au nez !
— Bulle, tu nous as raconté le rejet que tu as subi de tes parents à ta naissance. J’ai vécu la même chose que toi, mais quelques années après. Comme je viens de le dire, cette époque est très lointaine et floue. Notre demeure était spacieuse, gigantesque. Même si mes souvenirs d'enfance doivent en exagérer les dimensions, elle était réellement immense. Je me souviens qu'il y avait toujours beaucoup de monde. La domesticité de mon père était à la hauteur de son rang. Une foule de petites mains travaillait à son service et à celle de sa famille. Je n'en suis plus certain mais je crois me rappeler d'un précepteur à mes côtés.
— J'te le confirme Savonnette, quand j'ai récupéré l'Gamin, il connaissait déjà toutes ses lettres. Plus qu'une formalité pour lui apprendre la lecture.
— On m'apprenait donc les rudiments de la lecture et tout ce que devait connaitre un futur Grand du pays d'Astirac. L'apprentissage de l'étiquette passait parfois par des coups de baguettes sur le bout des doigts.
— Si tu veux mon avis, il n’en a pas reçu assez l'morveux. Pardon Gamin, continue, j'te coupe plus.
Krone ne s'agaçait pas des prises de paroles intempestives de son aîné. Il trempa délicatement ses lèvres dans le breuvage encore brûlant. Puis, après quelques instants, il reprit :
— Je ne voyais jamais mon père. Ses fonctions le tenaient éloigné de nous. Soit en campagne aux côtés du Premier Sujet Silas, soit à la cour de ce dernier en temps de paix. Le peu de fois où je le côtoyais, une distance respectueuse, imposée par l'étiquette, m'éloignais encore plus de cet homme que j'admirais pourtant. Avait-il pour moi, tout au plus, une main posée sur mon épaule pour seul geste d'affection. Pendant ses nombreuses absences, ma mère m'accordait deux entrevues par jour, une le matin, une avant le coucher. La véritable tendresse qui me réconfortait était celle que me portaient mes nourrices et surtout, ma grande sœur, Vel.
— Les petites gens n'ont peut-être pas grand-chose à offrir à leurs marmots, en tous cas, ils ne manquent pas d'amour. À croire que la richesse de leurs bourses vide celle de leurs cœurs, à ces Grands.
— Vel avait dix ans de plus que moi et, en dehors des leçons qu'elle suivait quotidiennement, elle passait son temps à me courir après, dans les chambres raffinées, les salons feutrés, les cuisines animées et les jardins entretenus. Parfois, le soir, elle venait se glisser dans mon lit et réconfortait les peines qu'un manque de parents provoquait irrémédiablement à un si jeune enfant. Je me souviens de ses longs cheveux noirs de jais et ses yeux d'un bleu étincelant. Elle avait toujours le sourire aux lèvres et constituait pour moi un repère réconfortant.
— Hey, l'Gamin, tu vas ennuyer ton auditoire si tu continues à faire dans le pathos. Viens-en aux faits l'Gamin ! À l'action ! À l'apparition du méchant et enfin à l'intervention du héros de cette histoire, moi !
Krone but une nouvelle gorgée et reprit son récit :
— Ce soir là, ma mère nous recevait, Vel et moi, dans son salon privé. Nous étions calmes, assis sur des fauteuils, récitant docilement les leçons que nous avions apprises durant la journée. Pendant que Vel énonçait l'arbre généalogique du Premier Sujet du pays d'Astirac, je jetais un coup d'œil envieux aux flocons de neige qui tombaient derrière la vitre. Tout à coup, la vie s'arrêta autour de moi. Le temps se figea. Mon monde de marbre m'apparut pour la première fois. À cette époque, je n'avais jamais entendu parler de Don. Je savais encore moins que j'en étais doué. Et que dire de son utilisation, pourquoi s'était-il manifesté à cet instant précis ? Je n'en sais rien. Je ne crois pas avoir eu peur. Je n'en garde qu'un souvenir d'incompréhension amusée. Les mains de ma sœur, la mâchoire sévère de ma mère, le feu crépitant dans la cheminée, les flocons de neige sur le ciel gris, tout était figé, comme dans un tableau réaliste qu'un génie aurait peint d'une main prodigieuse. Je me suis levé de mon fauteuil, à la découverte de ce monde étrange. Je m'approchais d'abord de Vel et lui passais une main devant ses yeux inertes. Puis, j’avançais vers ma mère. Mon visage à hauteur du sien, je la scrutais. Des petites rides, au coin de la bouche, renforçaient les traits durs de sa mâchoire. Je m'aventurais à tendre un doigt inconscient vers un grain de beauté qu'elle avait sur la joue lorsque mon monde de marbre s'effaça. Le temps reprit son cours : le feu dans le foyer, les flocons dans le jardin, la récitation de ma sœur et surtout, ma mère, et ses fameux grands yeux emplis de terreur et qui me guettent encore aujourd'hui. Elle venait de voir son tout jeune fils de quatre ans, assis sur son fauteuil, se retrouver instantanément sous son nez, avec un doigt tendu.
— Et de la morve au nez ! Tu m'étonnes qu'elle ait pris peur ! Tout le monde aurait été effrayé devant un gamin avec une cascade de morve qui lui dégouline de la narine !
Bulle de Savon sortit des biscuits secs d'une de ses besaces et les distribua. En s'asseyant, il commenta :
— J'imagine sans mal ces yeux. J'en ai tellement croisés que ceux qui m’ont regardé sans animosité restent les plus marquants.
Krone hocha la tête. Il croqua dans la friandise au goût de cannelle puis continua :
— La suite des événements est trouble. S'est-il passé une journée, une semaine ou des mois jusqu'à mon départ précipité, je ne saurais l'assurer. Aussi aberrant que cela puisse paraître, un enfant de quatre ans peut s'enfuir. Évidemment je n'ai pas été seul. Une personne m'a aidé, la seule qui m'aimait réellement, Vel.
— Attends, attends, Gamin. Tu vas trop vite en besogne. Tu annonces ta drôle d'escampette comme un cheveu sur la soupe. Demandons à Savonnette la raison d'une telle résolution, si nécessaire fut-elle ! Alors Savonnette, une idée ? Petit indice : c'est l'évidence même ! Raconte la suite de la Légende de Krone ! Tu as le droit de broder à ta guise, tant que l'essentiel est dit, je n'te couperai pas, parole de Fil !
Le petit homme pinça sa moustache fine et en entortilla le bout autour de son index. Tapotant sa joue gonflée par son sourire, il se lança :
— Les parents de Krone ont compris qu'il avait un Don, synonyme de malédiction pour eux. Étant fidèles, pire, fanatiques du Premier Sujet et du Parakoï qui traque tout ce qui peut contredire son pouvoir, ils ont préféré livrer leur propre fils à la Justice plutôt que de le protéger. La Justice débarque. Krone s'enfuit. Un gros bedonnant, peut-être avec deux trois cheveux sur le caillou à l'époque, doit intervenir à un moment ou à un autre pour prendre le petit sous son aile. Fin.
Fil tapa sur ses genoux. Il pointa un doigt inquisiteur vers Bulle.
— C'est ça que tu appelles broder, Savonnette ? Tu oses nasarder le roi des goguenards ! C'est quoi cette manière de raconter une épopée épique, une fresque fantasmagorique, une légende grandiloquente !? Tu as encore beaucoup à apprendre du mandarin des contes qui se présente devant toi ! Permets-tu, Gamin ?
Krone leva des yeux désappointés. D’un geste de la main, il autorisa Fil à travestir la suite de son histoire. Son aîné prit son air le plus sérieux, mystérieux et confidentiel :
— Bon Savonnette, tu as eu raison sur toute la ligne. Cependant, laisse-moi te conter la véritable histoire de la Journée des longues dents, ou plus communément connue sous l’appellation de Comment un petit morveux fut sauvé des griffes acérées du vilain paternel bâfreur de mioches par le héros de tous les temps, Fil, votre dévoué serviteur, ici présent.
— Je ne doute pas de l'authenticité d'un tel titre, en revanche, je suppose que le « communément connu » est quelque peu exagéré.
— Ne coupe pas la parole Savonnette, c'est le summum de l'impolitesse ! J’disais donc... C'était la nuit, les loups criaient sous la pleine lune.
— Il faisait jour, Fil. Et il n'y a pas de loup en Astirac.
— Gamin, c'est très mystique les loups sous une pleine lune. Laisse-moi faire, j'te préviens, même ta morve sera une rivière de diamants dans la Légende de Krone. Ce qui est valable pour le p'tit Savon, l'est pour toi aussi Gamin. On ne coupe jamais la parole à Fil l'Orateur. J'disais donc :
Sous une lune livrée aux loups,
À la seule heure où sortent goupils et hiboux,
Dans un bois isolé du pays d'Astirac,
Où se perdaient les plaintes élégiaques,
Du roi des canidés nocturnes,
Un homme, un héros taciturne
Débitait de son éblouissante hache,
Troncs et souches sans relâche.
Ce démiurge, fougueux et subtil,
Vous le connaissez tous, sous le nom de Fil.
Bulle interrompit la prose :
— Tu nous racontes La légende de Krone ou celle de Fil ?
— Du pareil au même, Savonnette. Que serait la Lune sans le Soleil ? Le miel sans les abeilles ? Krone sans Fil c'est le vin sans l'ivresse. J'disais donc :
Sous ses coups raffinés et effilés,
La lame tranchait écorces et brumes,
Ses bottes écachaient neige et filoplumes,
Chaque retour redoublant d'intensité.
Seuls le froid et la solitude
Pour amis et sollicitude
Le grand, le fort, l'irrésistible
De sa magnificence incoercible,
Préférait encore sa vie solitaire
Loin de tout, ses proches et sa terre.
— Des plumes en hiver ? Je pense que...
— Savonnette ! J'continue :
L'ouïe aussi fine qu'une fausse teigne,
Percevant la chute à cent toises d'une châtaigne,
Notre brave, notre Héros se retourna,
Lorsqu'à vingt pas la neige craquela,
Juchés sur un très bel alezan,
Avachis par la fatigue, transis par le froid,
Voilà que surviennent deux jeunes enfants,
Le fils prodigue, et la sœur en plein désarroi.
La bambine aux longs cheveux d'ébène,
Blottissait son trésor contre son abdomen,
Un p'tit gamin, merveilleux et scintillant,
Car de sa narine droite coulait une rivière de diamants !
— Merci Fil.
— De rien Gamin, chose promise, chose due. J'reprends :
Dans une supplique déchirante,
Émouvant notre héros et son cœur débonnaire,
La sœur protectrice et aimante,
Appelait à l'aide un courage exemplaire.
Deux dragons terribles sur leurs traces,
Menaçaient leurs vies et leurs carcasses.
Non loin de là en effet,
Deux ombres terrifiantes,
Deux gueules enflammées,
Déployaient quatre ailes braisillantes,
Prêtes à fondre sans pitié,
Sur les marmots désemparés.
Mais le divin et tout aussi fatal,
Héros téméraire et sans faille,
Opposa distinctement sa grande taille,
Et en vint à bout avec un fil mental.
— Grande taille ? Est-ce toujours la Légende de Fil ?
— Savonnette, tu es incorrigible ! Tu as eu ta chance, tu as eu ton tour. Tu n'as pas su t'en saisir, ne sois pas jaloux.
Krone tournait le fond de sa boisson tiédie avec son index fin. Plongé dans ce passé douloureux, il murmura :
— Ce fut la dernière fois que je vis Vel. Elle m'a confié à Fil, qu'elle n'avait jamais croisé auparavant. C'était ça ou la Justice du Parakoï. Elle m'a offert la perle nacrée que je porte depuis. Elle a fait demi-tour et, malgré les quinze années qui se sont écoulées, je n'ai plus jamais eu de ses nouvelles.
Bulle de Savon garda un silence respectueux quelques instants puis posa une ultime question :
— Comment t'appelles-tu Krone ?
Krone sentit une amertume ancienne remonter dans sa gorge. Il ne s'était pas rappelé sa véritable identité depuis un temps infini. Dans un souffle dépité, il répondit :
— Augustin de Clarens.
Chapitre du matin !
Enfin l'histoire de Krone ! Ça correspond a peu près à ce que j'avais imaginé donc je suis contente XD.
Ici j'entrevois un début de peut-être intrigue !
C'est toujours aussi bien ecrit. Si je fouille un peu, j'aurais apprécié un peu plus d'émotions au début, c'est un peu parasité par la grandiloquence de Fil (qui aurait pu, par exemple, perdre un peu de gouaille sous le coup des émotions). Et sur téléphone j'ai survolé un bon paquet du recit par Fil de comment il récupère Krone. Le gamin lui-même trouve que cette partie la n'est que du "remplissage", pas intéressante a raconter, et du coup mon attention est tombée...
J'ai aussi nommé un petit heros Augustin, bon choix 🤣
Merci pour ton retour,
C'est vrai que j'ai eu la fâcheuse tendance de mettre Fil un peu trop en avant en ce début d'histoire... Ca m'embête du coup que ça fasse survoler la lecture de certains passages. L'écriture de son "poème" m'a pris quelques temps quand même ^^... faudra peut-être que je racourcisse grandement les premiers monologue de Fil pour éviter ce genre de situation dès qu'il sera question de lui, ça pourrait être embêtant ^^
Merci pour ton retour ! A très vite
Tente peut-être une impression format A5 ? ça te donnerait une bonne idée de ce que ferait sur un livre, et ensuite tu peux regarder dans les oeuvres connues de fantasy combien de poésie / chants il y a et combien de mots ça représente ?
Je sais que, à titre personnel, j'ai une chanson dans ma saga, je l'ai écrite pour la travailler mais dans le corps du texte je n'ai jamais que quelques lignes ici ou là.
Je suis là ! En plus sur un chapitre sur Krone, cerise sur le gateau ! Un gateau bien consistant dévoré par Fil. De plus en plus insuportable au passage... C'est vraiment l'effet voulu ?
Dans le chapitre précédent, j'avais donc l'image d'un terroriste qui sortait d'un hôpital en feu à la manière d'un Joker (Oopsie !). Là, tu donnes des éléments qui changent radicalement la donne. Tu aurais pu glisser des indices avant pour transformer la sensation de "Trop facile, cette mission, explosion !" en "Oulà, que s'est-il passé ? Ne me dites pas que...".
Toujours sur Fil, je retiens le "Hey, l'Gamin, tu vas ennuyer ton auditoire si tu continues à faire dans le pathos." On retrouve l'image de l'hôpital... en duel avec la charité. Plus d'une fois, il dit ne pas couper, ne pas intervenir et au final, ses interruptions intempestives font comprendre au lecteur que sa "Parole de Fil" ne vaut strictement rien. Il n'en fait qu'à sa tête et ne supporte pas qu'on ose parler de quelqu'un d'autre que lui. Tu le caractérisais toi-même de "maître de la parole" précédemment. Là, on a un Fil bien trop lourd...
J'ai énormément apprécié la partie où Krone se confie. Mais la narration proposée empêche de bien cerner son ressenti, l'évolution de ses états d'esprits. Pourquoi ne pouvait-il pas raconter de son point de vue, le tout ponctué par des questions ou des réactions proposées par Bulle aka le lecteur qui découvre tout ça ? Là, c'est saccadé, on a même l'impression que Fil se fout allégrement de son histoire.
Dans le très positif, le passé de Krone, traqué et issu d'une famille noble m'intéresse beaucoup. On s'imagine mieux cet être marginal obligé à vivre comme un vagabond. J'espère qu'il aura l'occasion de se construire et de suivre sa propre voie dans ces pérégrinations. On attend de lui une revanche sur la vie, une mise en scène qui lui soit propre. Son moment. À lui !
Par pitié qu'il retrouve sa soeur sans Fil... Je kifferai tellement !
Au plaisir de te lire avec beaucoup d'envie :)
Hey !
Oui, le côté lourd de Fil, agaçant est voulu.
Clairement, l'effet recherché (depuis le début du chapitre 1) est que le lecteur sache que la Parole de Fil ne vaut rien. Il parle, il parle, mais la moitié du temps, ça vire au fiasco...
" Tu aurais pu glisser des indices avant pour transformer la sensation de "Trop facile, cette mission, explosion !" en "Oulà, que s'est-il passé ? Ne me dites pas que...". > Dans mon esprit, quand Fil disait "Oups, tu as été un peu fort" c'était dans ce sens que tu dis.
"Pourquoi ne pouvait-il pas raconter de son point de vue, le tout ponctué par des questions ou des réactions proposées par Bulle aka le lecteur qui découvre tout ça ?" > Je pensais que cette construction "classique" allait être un peu ennuyante. Je m'en servirai dans d'autres chapitres pour revenir sur le passé de Krone, mais ici, après deux chapitres "dramatiques", je voulais un ton plus léger, d'où ces interruptions, les remarques sur la morve etc...
Alors THE moment de Krone, j'espère que tu ne seras pas déçu. (Après tout, j'ai un tome 2 et un tome 3 à écrire :p) Mais, il va se rebeller un peu contre ce Fil excessif... Ce n'est que le début de l'histoire !
Ah, va-t-il retrouver sa soeur? Mystère et "Bulle" de gomme !
Effectivement, on finit par avoir des explications sur ce qui s'est passé ave l'incendie, qui n'était pas du tout prévu à ce point. En étant retourné lire le chapitre précédent, je trouve quand même dommage de ne pas au moins évoquer l'idée qu'effectivement, c'était pas prévu. Quand il y a l'explosion, on a une longue description du cataclysme et ensuite, juste Fil qui fait "Oups". J'aurai aimé avoir là des indices qui me laissent penser que Fil avait merdé et qu'il s'en voulait, en l'état, je trouve ça assez léger. Pareil pendant le meurtre des gardes, ya aucune émotion, du coup, ça laisse penser que c'est juste froidement réfléchi et exécuté, et c'est après coup, dans son discours, qu'on apprend qu'il a agit sur le coup de la colère. Pourquoi ne pas nous faire ressentir la colère à ce moment alors ?
En fait, c'est une remarque plus général qui concerne aussi ce chapitre. Pour faire comprendre aux lecteurs les émotions des personnages, tu passes de plus en plus par le dialogue, tes personnages disent ce que eux ou les autres ressentent, mais tu ne le décris pas. De mémoire, dans la scène avec la Dame et Bulle, Bulle prend les doigts de la Dame qui se libère, le sourire est crispé, ya du soupir... Bref, ce qu'il y a autour du texte nous fait comprendre ce que les persos ressentent. Là, c'est directement les persos qui le disent, et je trouve ça dommage.
Pareil là pour les révélation de Krone, Fil interromps tout le temps Krone, et ça donne l'impression que c'est pour découper le monologue, pour une pas faire une tirade trop longue, sauf que, pour moi, ça devenait surtout agaçant et j'en avais marre de Fil. Je me doute que c'est en partie l'effet recherché, mais j'aurai aimé aussi avoir plus de descriptions pour décrire tout ça, une hésitation dans la voix, un regard qui fuit, un oeil un peu brillant, un point qui se crispe... Bref, pas forcément faire des pâtés de descriptions, mais que les émotions passent plus en sous texte que juste dans le dialogue.
J'apprécie toujours le texte et je vais continuer ma lecture, mais c'est vrai que, à mon avis (que tu n'es donc pas obligé de suivre), tu pourrais vraiment améliorer la qualité du texte en faisant attention à ça.
Sinon pour les révélations sur Krone, je me doutais qu'il venait d'une famille aisée, mais compliqué quand c'est une famille aussi "proche" de Parakoï x) J'espère que la soeur est toujours en vie et qu'elle n'est pas morte suite à ça en guise de punition.
"et j'en avais marre de Fil". C'était un peu le but recherché. Après, je ne veux pas non plus développer un sentiment désagréable à mon lecteur. Je veux avant tout qu'il passe un bon moment ! Cet échange autour du feu, j'ai voulu la construire sur un ton léger, un peu comique, pour ne pas faire trop lourd avec les chapitres précédents qui étaient un peu pesants... J'aime bien alterner les chapitres sombres/légers.
En ce qui concerne les sentiments non évoqués, je suis désolé que ça t'ait autant dérangé. Là encore, j'avais à l'esprit de ne rien dire dans les chapitres précédents pour avoir une "excuse" pour tout faire ressortir d'un coup et créer un début de dispute. Un côté Fil, un peu trop nonchalant, qui ne semble pas réaliser le mal qu'il fait, et un Krone beaucoup plus dur. Là, ce n'était qu'un prémisse à un désaccord qui va de plus en plus grandir entre eux.
J'espère que la suite te plaira tout de même et que tu aimeras suivre les pérégrinations de l'agaçant Fil...
Petit spoil : Tu auras bientôt des nouvelle de la soeur.
Au plaisir de te lire
Fil et Krone se disputent : Krone lui reproche d'avoir orchestré un massacre la veille puis plus et leur raconte sa vie en chantant.
Je trouve ce chapitre déconnecté de ce qui s'est passé juste avant mais aussi déconnecté des émotions (que devraient ressentir) tes personnages.
Je trouve que la première partie est bien et répond enfin aux questions que se pose le lecteur. Elle permet d'avoir un conflit, une remise en cause de ce qu'ils font, voire de ce qu'ils croient, car pour l'instant ce n'est pas clair pour le lecteur. Ce conflit pourrait les faire glisser vers quelque chose de plus dark - des meurtres de sang froid qui seraient en lien avec ce que les persos pensent mais ce faisant, les feraient devenir pires que ceux contre qui ils se battent. Ou au contraire, ce conflit pourrait les faire exploser pour un temps, afin qu'ils rendent compte de leurs actes, voire qu'ils deviennent ennemis par la suite. Mais finalement Krone passe l'éponge en 2 secondes top chrono, c'est dommage je trouve. Du coup, j'ai du mal à m'investir émotionnellement dans la seconde partie où Krone raconte sa vie en chantant, car je suis toujours bloquée sur le massacre d'avant et le conflit inachevé.
Ce point que je soulève là et dont j'ai parlé dans mon précédent message est finalement le point qui me dérange le plus et ce, depuis le début du livre, avec l'ouverture du roman sur le meurtre de sang froid de Fil qui n'est pas résolu et plus abordé ensuite. (je t'en avais déjà parlé). Comme je le disais, il y a un contraste fort entre leurs actes assassins et la joyeuse ambiance entre eux. Je pense que des explications sont nécessaires pour le lecteur où on ne comprend plus et on a du mal à suivre et à s'investir pleinement. Qu'on soit clair, ça ne me dérangerait pas de m'attacher à une bande d'assassins sans foi ni loi. Par exemple, j'ai adoré la série Peaky Blinders où le film Le Parrain où c'est exactement ça : on finit par trembler pour les pires pourris au monde. Mais les motifs de tes persos doivent être plus clairs, afin que le lecteur puisse bien comprendre. En gros, soit les persos ne regrettent pas du tout leurs actes et trouvent ça normal de tuer etc, en gros c'est des pourris et pour eux, la fin justifie les moyens, soit ils ont un idéal et s'en veulent de tous ces morts dans leur sillage. Là j'ai l'impression d'avoir le cul entre deux chaises et malgré les monologues de Fil, je ne comprends pas leur objectif.
Avec ce chapitre, j'ai ressenti la même chose qu'avec le chapitre 1 et 2. On voit le perso agir comme un meurtrier et on se dit qu'on va suivre une troupe de brigands sans foi ni loi, puis le chapitre 2 arrive avec un flash back sur la vie de Fil qui n'explique pas le meurtre de Fil le jour d'avant. Ici, tu rejoues un peu la même scène : Fil fait un massacre et tue une vingtaine ou plus de gens. Cette fois-ci, il s'en veut (très) vite fait. Puis Krone se justifie en racontant sa vie, mais ce n'est pas du tout connecté à ces meurtres, du coup je suis déconnectée de son propos moi aussi : je peine à comprendre leurs propos et leurs émotions.
(Ce n'est que mon avis mais il se précise de chapitre en chapitre donc je t'en fais part ici).
Mes notes de lecture :
"Bon sang, Fil, c’était quoi ce carnage ?"
> Ah ben voilà !
"J’serai dorénavant plus réfléchi. Parole de Fil, Gamin"
> Peut-on le croire ?
"La rancœur de Krone s'apaisa"
> What ? Il lui en faut peu pour acheter sa morale.
"Au moins, tout le peuple de Myr a été témoin du mensonge qui entoure le Parakoï."
> Il se voile la face, non ? Tous doivent être en train de parler du massacre à ce moment-là
"Malgré les atrocités de la journée, Krone n'arrivait pas à lui en vouloir outre mesure."
> C'est dommage, pourquoi ? Ce perso m'apparaît un peu lisse. Il est horrifié par ce que Fil a provoqué, puis en une seconde se laisse convaincre (cf explications plus haut)