– Et donc c’est lui, ton Philitruc ? Philibert, ou… ?
– Oui, c’était Philidor.
– Hé bien…
Philidor, fils du Régent, voyant, pilote de dirigeable passable, mais dessinateur émérite. Hugo ressassait le peu qu’il avait pu apprendre de lui, depuis les quelques jours qu’il le connaissait. Profitant de cette pause inopinée, il avala une nouvelle bouchée. Froide, évidemment. Tant pis, il avait trop faim. Il ne fallut pas longtemps à Fostine pour absorber cette information, et coupant court à sa mastication lui demanda :
– Qu’est-ce qu’il est venu faire, dans l’atelier, à cette heure-ci ?
– Prendre son ballon, pour partir à ta recherche.
– Partir à… moi ? Mais je ne le connais pas !
– Lui non plus. Mais il t’a, ben, vue, d’une certaine manière.
Fostine écarquillait les yeux, amorça une parole, pour refermer la bouche aussitôt. Hugo ne savait plus très bien par quel bout dérouler la suite des événements et, saisissant discrètement un coin de nappe, s’essuya les mains dessus, puis, furtivement la bouche. La trace marron qu’il laissa le rendit presque aussi honteux que le regard furibond Fostine, et il cacha le rouge qui lui montait aux joues en fouillant dans son sac.
Il en sortit un mince carnet à la couverture en galuchat bleu-noir, fermé d’une boucle brillante. Ses coins cornés et ses pages irrégulières trahissaient un usage intensif, qui se confirma lorsqu’il s’ouvrit tout seul à peine posé sur la table.
Sans attendre l’invitation d’Hugo, Fostine le rapprocha d’elle, et commença à le parcourir. Sur chaque feuillet, un portrait, parfois annoté, parfois non. Des hommes, des femmes, de tous âges. Très peu d’enfants. Sur une double page, deux mains, l’une nue, l’autre recouverte d’un gant. On l'avait dessiné avec un grand soin du détail, et l’alternance des matières entre la pulpe des doigts, la paume de la main, et le dessus se devinait sans peine. Sanglé autour du poignet se trouvait un boîtier ouvragé, long comme le pouce, et à peine plus large. Plusieurs boutons répartis sur la surface supérieure s’enchâssaient au creux d’un motif de feuillage qui semblait, lui, purement décoratif.
– C’est l’artefact d’un tactile, je crois que son porteur est redessiné quelques pages plus loin.
– Je n’en ai jamais vu d’aussi beau !
– C’est rare qu'ils en aient. Ils n’en ont pas vraiment besoin, en fait, ça marche nettement moins bien que pour les voyants, ou les otiques. Enfin, je pense. Eux, ils peuvent propager ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, avec leur artefact, les tactiles, ils ne peuvent transmettre que ce qu’ils touchent.
– Donc t’es un tactile.
Ce n’était pas une question, juste une constatation. Mais c’était un peu plus compliqué que cela. Il hésita. Peut-être était-ce le bon moment ? Mais si Philidor s’était trompé ? Si elle n’était pas celle qu’il croyait qu’elle était ?
Fostine continuait de feuilleter le carnet. L’instant était passé. Hugo voyait arriver rapidement les dernières pages, et à ce moment-là, il le savait, il devrait tout lui expliquer. En attendant, il replongea dans les événements passés.
xxx
Quelques jours plus tôt, lorsque Hugo fut réveillé par Philidor, il se demanda s'il n'avait pas trop dormi, si la matinée était tellement avancée qu'il fut déjà l'heure de livrer le ballon. Mais non, la nuit régnait encore, et aucun bruit n'animait les ateliers. Tentant de reprendre une contenance, il se redressa tout à fait, et s'approchant de l'inconnu de quelques pas, décida de mauvais gré de l'aborder :
– Peut-être que je peux vous aider ? Vous cherchez quelque chose, quelqu'un ?
Un sourire malicieux éclaira de l'intérieur le visage du garçon, riant à une farce que lui seul semblait comprendre :
– Le quelque chose, je l'ai trouvé. Quant au quelqu'un... à toi de me dire ?
Et sans rien de plus, il ouvrit la porte de la cabine du dirigeable, et s'éloigna à l'intérieur. Hugo, statufié, fixa quelques secondes l'entrée restée béante, lorsque la tête du garçon reparut dans l'encadrement :
– Ne reste pas planté là, viens m'aider !
Et sans attendre plus de réponses, il disparut à nouveau dans la nacelle.
C'était somme toute un aéronef de taille modeste, conçu pour la plaisance plus que pour le voyage, et sa cabine ne devait pas dépasser les quatre mètres de long. Quelques pas suffirent à Hugo pour retrouver le garçon, installé face au pupitre de commande, son sac à ses pieds, parfaitement à l'aise avec les leviers, manettes et cadrans éparpillés dans un chaos ordonné devant lui. Déjà il actionnait des boutons, appuyant sur une pédale, exécutant sans temps mort ni précipitation un ensemble complexe de manœuvres. La cabine frémit une fois et, semblant satisfait, il se tourna vers Hugo.
– C'est parfait ! Tu m'aides à larguer les câbles ?
Désormais réveillé tout à fait, Hugo fit un pas en avant, tentant de prendre un ton menaçant :
– Arrêtez, personne ne va larguer de câble, ce ballon reste là, c'est celui du fils du Régent qui doit venir le chercher...
Sa voix finit en un filet inaudible. L'inconnu souriait toujours et, se levant, il ouvrit grand les bras. Il se pencha profondément, frôla le sol du bout de ses cheveux, puis se redressa en brassant l'air de moult moulinets, la mine faussement sérieuse et guindée :
– Et bien, me voilà. Je suis là pour récupérer mon ballon.
Comme Hugo restait stoïque, il laissa tomber le masque et poursuivit, rieur :
– Et il me semble bien avoir trouvé du même coup le premier membre de notre futur petit groupe ! Tu vas voir, on va bien s'amuser. Et maintenant, les amarres !
Et sans attendre de réponse, il retourna s'installer au poste de pilotage, certain de l'obéissance aveugle de l'apprenti. Mais celui-ci ne bougea pas d'un pouce. Croisant les bras, Hugo s'adressa au dos du jeune homme :
– Je ne peux pas. Je ne peux pas vous laisser décoller, même si vous êtes vraiment... qui vous prétendez être.
Incapable de mener jusqu'au bout sa bravache, il baissa les yeux. Lorsqu'il les releva, le fils du Régent l'inspectait intensément. Mal à l'aise sous ce regard qui semblait lire en lui, il serra un peu plus fort ses bras, et attendit. Se redressant brusquement comme mû par une soudaine inspiration, le présumé pilote se planta devant lui, cherchant son attention. D'une voix décidée, il reprit la parole :
– Bon. On n'est pas parti sur de bonnes bases. Je m'appelle Philidor.
Et il lui tendit la main.
– Je sais, marmonna Hugo, la serrant de mauvaise grâce. Hugo.
Le sourire de Philidor avait quelque chose de communicatif qui titillait son sens du devoir, et qui donc ne lui plaisait pas. Il se sentait responsable de ce dirigeable, après ces longues journées à avoir travaillé dessus, mais il ne pouvait nier que c'était son propriétaire légitime qui se tenait devant lui. Malgré tout, celui-ci défiait toutes les règles, en se présentant seul, si tôt le matin. Et si lui n'avait pas été là ? Le ballon serait-il déjà en l'air ? Ou bien empêtré dans le lacis complexe des cordages ?
L'intrus poursuivit d'un ton presque amical :
– Hugo... Hugo. C'est bien, Hugo. Et bien Hugo, il faut que tu m'aides. Pour retirer le filet, enlever les tuyaux, tout ça. Ça ira beaucoup plus vite à deux, et il ne faut pas trop que je traîne si je veux prendre un peu d'avance. Et, continua-t-il, levant une main pour étouffer les protestations naissantes de l'apprenti, oui, tu vas m'aider. Car je connais ton petit secret.
Un sourire de satisfaction s'étira sur son visage, tandis qu'Hugo cherchait désespérément quelle faute il avait bien pu commettre qui serait remontée jusqu'aux oreilles de la famille princière. Mais rien ne vint. Voyant qu'il ne bougeait pas, Philidor continua :
– Hugo, je sais que tu n'es pas un sans-talent, comme tu le fais croire à tout le monde. Est-ce que je me trompe ?
Hugo sentit ses oreilles bourdonner, et resta immobile, incapable d’émettre le moindre son. Son unique crainte, la révélation au grand jour de son secret honteux, menaçait de se réaliser.
Depuis toujours, ou presque, Hugo avait su qu'il était différent. À l'âge de trois ans environ, ses petits voisins, ses premiers camarades de jeu, commencèrent à développer leurs talents. Cela se fit naturellement, aussi simplement qu'ils avaient appris à marcher, à parler, à courir et à sauter. Hugo bien sûr, ne développa rien du tout. Comme pour tout enfant né de talents différents.
Ils le savaient pourtant, ses parents, qu’étant pour l’un otique, pour l’autre tactile, ils vouaient leur progéniture à une vie de paria. Une vie de sans-talent. Mais voilà : ils désiraient plus que tout faire prendre corps à leur amour et leur tendresse, et ils avaient souhaité un enfant.
Lorsqu'il fut à l’âge où les autres voyaient percer leur don naturel, ils le lui expliquèrent. À petits mots mesurés, empreints de douceur et d'affection. Ils lui dirent surtout que, malgré tout, ils l'aimaient, et l'aimeraient, et l'aideraient autant qu'ils le pourraient. Ils tinrent parole, et par la suite son père remua ciel et terre pour lui permettre de devenir apprenti dans la prestigieuse fabrique de ballon du Régent. Mais à l'époque, rien de tout cela ne comptait. Tout ce que retint Hugo, c'était ceci : ce jugement définitif et irrévocable de ne pas avoir de talent.
Or, peu d’années après, des choses étranges commencèrent d'advenir. Au début, il n'y prêta pas attention, incapable de saisir ce qui lui arrivait. Puis sa curiosité prit le pas, et du bout des doigts il se mit à explorer tout ce qui lui tombait sous les mains : ses vêtements, les meubles, et même les murs et le sol de sa maison. Des objets plus intrigants, tels que les vitres et les miroirs, le laissèrent désorienté. Sa rencontre avec le premier arbre le rendit perplexe, il percevait moins, tout lui semblait plus complexe, plus agité. Il tenta aussi, une fois, de poser les doigts sur son corps : son ventre fut l'objet de son exploration, mais une nausée violente le prit et il ne recommença jamais à s'exercer sur les êtres animés, à commencer par lui-même.
À ce stade pourtant, il avait accepté son statut de sans-talent : l'amour de ses parents, la relative, mais suffisante tolérance de leurs connaissances, amis et voisins lui permettait de ne pas trop souffrir de sa condition. C'est pourquoi cette découverte bouleversa intégralement tout ce qu'il tenait pour acquis, et l'univers qu'il s'était maladroitement construit durant ses quelques années de vie menaça de basculer dans l'inconnu. Aussi ne dit-il rien. Pour tous, jusque pour lui-même essaya-t-il, il resta Hugo le sans-talent, le gentil garçon, qu'on tolère pour l'amour de ses parents.
Et pourtant, voilà que le fils du Régent lui-même menaçait de remettre en cause ce fragile équilibre. Hugo se sentit vaciller. Personne, absolument personne, ni ses collègues, ni ses amis, même les plus proches, ni même ses parents ne savait qu'il n'était pas ce qu'on lui avait toujours dit. Qu'il n'était pas un sans-talent. Comptant sur sa bonne étoile pour se faire une petite place, il avait passé les premières années de sa vie à tenter de ne pas trop se faire remarquer. Sa décision fut douloureuse à prendre, mais il n'avait pas le choix, et à contrecœur il se glissa dans le rôle du complice :
– D'accord. Je t'aide. Mais je n'étais pas là, tu ne m'as jamais vu, et tu t'es débrouillé tout seul, répondit-il.
– Marché conclu !
Taraudé par le doute d'avoir pris la bonne décision, Hugo sauta à bas de la nacelle, et débuta le décrochage de l'aéronef. Ce n'était pas une tâche aisée, et même s'il l'avait déjà réalisé à plusieurs reprises, on l'avait toujours guidé. Il parvint cependant à démonter les lourds tuyaux sans encombre, et entreprit de les enrouler précautionneusement autour de leur support, lorsque Philidor l'apostropha :
– Laisse ça, ça peut attendre ! Décroche les câbles ! Je stabilise le ballon.
Abandonnant les tuyaux en un tas désordonné, Hugo se dirigea vers les amarres. La manœuvre s’avérait complexe, l'enchaînement suivant lequel relâcher les cordages crucial. De longues secondes s'écoulèrent avant que ses mains moites et tremblantes ne desserrent le premier lien. Le deuxième lui prit moins de temps, et le troisième encore moins. Il dénoua les entraves une à une, veillant à ce que le ballon soit toujours retenu par la grande amarre transversale afin d'assurer sa position jusqu'au dernier moment. Soudain, une brise plus forte lui fit prendre conscience de son erreur : dans son élan, il avait retiré le cordage à l'avant, qui maintenait la poupe dans le vent. Lentement mais sûrement, le dirigeable commença à tourner, prenant la brise de côté.
En quelques secondes, Philidor sortit la tête de l'habitacle :
– Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi on n'est plus alignés ?
Sans répondre, Hugo s'affaira. Il ne disposait pas de beaucoup de temps, sous peu, un coup de vent risquait de réorienter complètement le dirigeable, mettant en péril sa retenue par les amarres. Le filet, encore partiellement en place, pourrait alors glisser et se prendre dans les hélices. Ce serait une catastrophe...
Laissant là les quelques cordages restantes, il prit appui sur les échelons courant le long de la carlingue. S’agrippant comme il put, il progressa le plus haut possible dans une position précaire, la main tendue vers le filet recouvrant le ballon. Il sentait contre lui le frémissement des moteurs déjà allumés, percevait sous ses doigts tout l'aéronef se réveiller et ronronner d'empressement. Oubliant les quelque quatre mètres le séparant du sol, un frisson d'adrénaline le saisit : il n'avait jamais volé. Jamais sa condition ne lui avait permis de monter à bord des engins qu'il passait ses journées à choyer, et chaque décollage depuis l'atelier lui laissait une sensation de manque et d'envie au cœur.
Tendant ses muscles, il se hissa sur la pointe des pieds et lança ses doigts, son bras, son corps tout entier. Il frôla le filet une première fois, mais il lui échappa, et ce n'est qu'à la deuxième tentative qu'il parvint à le saisir. Se cramponnant fermement le cordage, de toutes ses forces il tira vers lui.
Un coup de vent plus fort que les autres acheva de faire prendre le bord au dirigeable. Déséquilibré, Hugo manqua de tomber, et se rattrapant de justesse, il relâcha au loin le filet. Celui-ci rejoignit le sol, du côté opposé, loin des transmissions fragiles. Du même coup, la dernière amarre transversale glissa, et dans un sursaut le dirigeable prit encore quelques mètres de hauteur.
Agrippé à l'échelle, les muscles tétanisés, Hugo n'osait pas regarder en bas. La brise fraîche balayait ses cheveux sur ses joues, dans ses yeux. Ses mains cramponnées aux barreaux commencèrent à lui faire mal. Il lutta de toutes ses forces contre l'instinct primaire de fermer les paupières. Fébrilement, il tourna la tête, et entrevit Philidor qui l'observait, inquiet :
– Viens ! On est trop haut, tu ne peux pas descendre ! Il faut que tu rentres !
Hugo secoua la tête, incapable de répondre. Il devait trouver une échappatoire, sauter sur le toit, sur une toile, n'importe où ! Mais où que son regard se portât, aucune surface accueillante ne se présenta. Il n'avait pas le choix.
Se fiant à ses pieds et à ses mains, il entreprit de faire machine arrière : sous ses orteils, un barreau, et un autre sous ses doigts. Une main, un pied, puis la deuxième main.
– Vite ! Le ballon est instable à cette altitude, il faut que je monte ! Dépêche-toi !
La voix inquiète de Philidor l'aiguillonna, et il accéléra son mouvement. Ses oreilles bourdonnaient, il n'entendait plus rien, il se déplaça encore, et dès qu'il put il saisit la paume du fils du Régent. L’attrapant fermement, il fut tiré sans ménagement à l'intérieur. Le souffle court, Hugo s'affala de tout son long sur le plancher, tandis que Philidor repartait précipitamment vers la cabine.
Posant instinctivement les mains sur le sol de la nacelle, sa terreur reflua tandis que l'émerveillement d'être présent dans le ballon prenait le pas. Ébahi, il réalisa que tout ce qu'il avait pu saisir de la machinerie savante sous ses doigts n'était qu'immobilité. Ainsi en mouvement, il percevait à un niveau plus profond, plus vivant, l'incroyable complexité et les subtils jeux des engrenages. Il n'avait pas besoin de ses yeux pour deviner quelles commandes Philidor actionnait, comment les hélices propulsaient l'embarcation volante dans le ciel clair du matin, comment les directives se transmettaient depuis les manettes jusqu'aux gouvernails. Ses doigts étaient là pour le lui raconter dans le langage qu'il connaissait le mieux.
Un peu calmé, sa peur se mua en inquiétude. Ouvrant les yeux, il rejoint Philidor, qui semblait partagé entre le plaisir de piloter, et la concentration nécessaire à cette mission. La demi-sphère de verre tenant lieu de proue à la nacelle dévoilait son spectacle. Sans mot dire, Hugo s'approcha, et se sentant immédiatement happé, glissa à genoux directement sur le sol, les mains posées sur le froid de la vitre.
Devant lui, jusque sous ses pieds lui semblait-il, s'étalait la capitale : déjà, l'atelier s'éloignait, le trou béant de son toit rapetissant et fuyant, pour laisser la place à un enchevêtrement de tours, ponts, passages, s’entremêlant au gré des possibilités de construction et de l’imagination des chefs de chantier. Le lac sur lequel la ville s’était érigée n’était presque plus visible, seul un éclat ici ou là rappelait sa présence bénéfique. Un peu plus loin, presque au centre de l'eau, s’élevait le palais du Régent, îlot de verdure et de métal au sommet de troncs colossaux.
Hugo ne l’avait jamais vu d’une telle hauteur, et d’ici il en appréciait toute l’ingéniosité : sur la seule île du lac, on avait laissé s’épanouir les arbres librement. Leur taille gigantesque, plus haute que n’importe quelle autre bâtiment, avait été mise à profit pour installer, dans leurs cimes, une immense plateforme, sur laquelle les architecte les plus talentueux, les meilleurs ouvriers et artisans avaient construit, il y a plusieurs décennies, le palais du Régent.
Une poignée de dômes faits de bois, de métal et de verre, disposés de manière aléatoire, mais harmonieuse, occupaient presque tout l’espace. Entre les toits hémisphériques pointaient, tels des jardins suspendus, des nuées de verdures. Les architectes-jardiniers, en charge de la croissance des arbres, laissaient s’épanouir certaines branches bien choisies afin d’apporter un halo de douceur au creux des bâtiments. Pourtant, leur tâche principale s'avérait autrement plus ardue : la croissance fulgurante des arbres les obligeait à régulièrement abattre certains des piliers végétaux du palais afin de permettre la repousse de nouveaux, plus solides.
C’était une tâche sans fin, les arbres n’ayant qu’une durée de vie de dix ans, quinze tout au plus, mais aussi la fonction qui assurait à qui s’en acquittait une reconnaissance à vie dans son domaine, et un prestige bien au-delà des frontières de la ville. Une onde de fierté le gonfla de l’intérieur : il avait de la chance d’habiter la capitale.
Le dirigeable, piloté d'une main sûre par Philidor, atteignit une hauteur de croisière, et amorça un virage. Lançant son regard plus loin, Hugo capta une autre construction : une tour, qui s'élançait à une telle hauteur que son sommet déjà attrapait les premiers rayons du soleil, alors que le reste de la ville demeurait dans l'ombre. Les miroirs et vitraux colorés recouvrant sa structure fuselée brillaient, diffusant à qui voulait bien les regarder les images et messages encodés par ses occupants. En temps normal, cette vision familière le rassurait, garantie immuable et immobile de la sécurité de la ville. Rien ni personne ne pouvait échapper aux sentinelles. Et aujourd’hui, là était bien le problème. La cabine tournait toujours, et une deuxième tour, puis une troisième, très similaires à la première entrèrent, quoi qu'à plus grande distance, dans leur champ de vision.
- Les tours-sentinelles... murmura Hugo.
Lui jetant un coup d’œil en biais, Philidor pointa le plafond de la nacelle :
– Le vert est un parfait laissez-passez. Ne t'inquiète pas, ils ne regarderont pas de ce côté-là.
Malgré tout, l'enchantement était rompu, et Hugo se rappela qu'à cette heure-ci, il aurait dû être en train de commencer une nouvelle journée de travail. Au lieu de ça, il se retrouvait à naviguer, loin au-dessus de la cité, dans un ballon qui, bien que n'ayant techniquement pas été volé, n'avait aucune raison de se trouver là. Et c'était en partie de sa faute.
– Jusqu'où va-t-on ? Est-ce qu'on se pose bientôt ? Je ne serai jamais à l'heure à l'atelier...
Un rire bref de Philidor coupa court à ses interrogations :
– On n'est pas près d'atterrir ! Et je crois que tu vas faire partie du voyage ! On tire nord-ouest, direction Lämird. Il y a là bas quelqu'un que je dois retrouver. Et je pense que tu seras très intéressée de la rencontrer ! Oublie l'atelier, tes autres ballons. Regarde, tu voles ! Je parie que c'est la première fois, non ?
Sa voix pleine d'entrain répondait à son visage enjoué. Il jubilait d'être parvenu à ses fins, et d'avoir pris possession de son ballon au nez et à la barbe de tous. Hugo était à peu près certain qu'il n'était pas prévu que Philidor vienne seul reprendre son dirigeable ni qu'il soit autorisé à voler sans garde rapprochée. Et pourtant, ils se retrouvaient tous les deux, pénétrant le jour naissant, en direction d'une hypothétique rencontre à laquelle Philidor croyait dur comme fer. Hugo doutait de trouver une raison de lui faire faire demi-tour, et il comprit que son chemin de retour s'annonçait bien plus long que prévu.
je l'ai supprimé et je le reposte ici du coup ! je lirai le chapitre suivant bientot
un com vite fait pour te dire que j'ai un gros coup de coeur pour Phillidor !
Les sauts passé/présent ne m'ont posé aucun souci, c'est très clair. Par contre je suis curieuse de savoir pourquoi et comment tu en es venue à choisir de raconter les choses dans cet ordre là et pas linéairement ?
Hate de voir la suite! (oui du coup elle est postée, j'ai plus qu'à la lire :D)
J'ai bien aimé ce chapitre où on en apprend plus sur Hugo et où on découvre Philidor. Pour un jeune noble, fils du Régent, il n'a pas froid aux yeux ! Son pouvoir c'est la vision ? Pour en savoir autant sur Hugo et sur Fostine ...
J'aime toujours autant ton style, je le savoure !
J'ai cependant quelques points qui m'interpellent :
- le passage où Hugo prépare l'aérostat est un peu long, peut-être, je m'y suis un peu perdue.
- le passage sur l'enfance d'Hugo est super touchant, par contre je ne comprends pas pourquoi il cache le fait qu'il a non pas un pouvoir, mais deux, surtout à ses parents.
- Hugo est bien stoïque tandis qu'il se fait pour ainsi dire enlever ^^ j'ai l'impression que c'est un garçon qui est discret et qui a l'habitude de ne rien dire, de ne pas protester, mais là quand même, c'est fort de café ^^ il accepte un peu vite son sort, je trouve.
A part ça, j'aime toujours autant ton histoire, ces pouvoirs c'est intrigant, je me demande pourquoi ils cherchent à retrouver Fostine, bref, je suis embarquée ;)
Bises
Gab
Je prends enfin le temps de te répondre!
Oui, Philidor et Hugo sont de caractères très différents.
Concernant les points qui t'interpellent, et notamment le fait qu'Hugo n'en parle pas à ses parents, ça veut dire qu'il va falloir que je revoie le passage. Et que je tourne ça autrement! L'idée, c'est qu'il a eu tellement de mal à intégrer le fait qu'il soit sans talent, ses parents lui ont tellement dit que ce n'était pas grave, qu'ils l'aimaient quand même, etc. qu'il ne sait pas gérer le fait d'en avoir deux. Il est déjà une bête curieuse de n'en avoir aucun, et il n'ose pas contredire ses parents. Il a un peu peur de leur réaction, de la peur irrationnelle qu'on parfois les petits enfants. Est-ce que ça te paraît plus crédible expliqué ainsi, ou toujours pas?
Quant à l'enlèvement... C'est un concours de circonstances, au départ Hugo doit juste l'aider à larger les amarres, pas partir avec lui! Mais effectivement, ce n'est peut-être pas clair...
Merci en tout cas pour tous tes précieux commentaires!
Je ne suis pas sûre non plus que les explications sur les sans-talents soient à labonne place. pourquoi ne pas les avoir mises plus tôt ? Ou alors, elles sont à la bonne place, mais comme elles sont noyées par la biographie d'hugo, elles perdent de leur impact. Quoiqu'il en soit, je trouve que ce passage sur Hugo est trop long. En plus j'ai trouvé que son enfance était racontée assez platement : pourquoi ne pas le garder pour plus tard à un moment où il y aura plus d'émotion par rapport à cela ? Parce que c'est dommage de raconter le passé d'un perso alors que ça n'éveille aucune émotion (en tout cas, c'est l'effet que ça m'a fait).
Et pour le coup, les explications sur les tours sentinelles, c'est plutôt ici que je les mettrais et pas dans le chapitre d'avant. Là, tu pourrais rajouter une ligne sur leur rôle, et ça serait pile poil le bon endroit, selon moi.
Encore une fois, je trouve les relations entre les perosnnages trop simples. Ils s'accomodent des uns et des autres sans trop se poser de questions ; techniquement Philidor kidnappe Hugo, quand même, et celui-ci n'est pas plus dérangé que ça ! Ok c'est fascinant de voler, mais il pourrait défendre un peu mieux son bifteck, clairement. Parce qu'il doit savoir que ce voyage risque de lui coûter sa place et jamais il ne trouvera de job aussi bien qu'à l'atelier. Peutêtre que Philidor peut faire ce qu'il veut et s'en tirer à bon compte, mais c'est pas le cas de hugo qui a tout à perdre.
De façon globale toute la fin manque un peu d'épices. Autant le suspens était bien dans le chap 3, autant là mes émotions étaient plates comme une limande et ça m'a assez déçue. Le fait que je sois pas mal occupée à essayer de visualiser les actions des personnages joue pas mal là-dedans, mais quand même, je pense que y a moyen d'améliorer grandement tout ça, notamment en gérant mieux la dose et l'emplacement de ce que tu veux dire.
Bon, c'est un commentaire un peu dur sans doute, mais on ne peut pas écrire des chapitres "strike" à tous les coups ! J'espère que je ne t'ai pas trop démoralisée. Sache que j'ai très hâte d'en savoir plus en tout cas! Malgré tout ce que j'aidit, Hugo est attachant, Philidor est intrigant, et je me demande bien à quel moment ils sont devenus amis, on dirait qu'ils ont vécu pas mal de péripéties avant d'arriver dans la ville de leur souhait.