Angoisses

Par deb3083
  • Tiens, vous avez autre chose que des loques dans votre garde-robe ? Ou vous avez emprunté la tenue de l’une de mes servantes ?

 

Amalia ne put s’empêcher de dévisager le prince héritier en éprouvant un profond ressentiment à son égard. Le jeune homme ne sembla pas le remarquer et il continua sur un ton sec :

  • Qu’est-ce que vous faites ici ?
  • Euh….et bien je…je cherche des…des ouvrages à consulter et je…
  • A moins que mes renseignements soient inexacts, je ne pense pas que des études  sur l’économie des pays d’Amérique du Sud vous soient d’une grande aide dans votre travail.

Oh, et j’ai obtenu de mon père que vous décampiez dans six mois. Votre éditrice recevra un courrier dans la semaine. Maintenant, hors de ma vue. Je travaille moi.

 

Abasourdie par la colère et la haine qu’elle avait pu lire dans les yeux du prince, Amalia s’enfuit presque comme une voleuse sans prendre la peine de saluer l’héritier du royaume de San Gavino.

Pressée de mettre autant de distance que possible entre ce désagréable personnage et elle, Amalia manqua de renverser Eugénie dans sa fuite. Cette dernière la dévisagea d’un air inquiet.

  • Est-ce que tout va bien ?
  • Je…oui. Je suis désolée, je ne voulais pas l’ennuyer et je…
  • Oh, vous avez croisé Joachim ?
  • Oui.

 

Amalia fronça les sourcils en entendant Eugénie appeler le prince de manière aussi familière mais terrorisée à l’idée d’être expulsée du château dès son premier jour de travail, la jeune femme se mit à scruter l’allée principale de la bibliothèque, persuadée que le prince héritier allait venir la réprimander une nouvelle fois.

Son air effrayé attira l’attention de la bibliothécaire :

  • Allons, allons, reprenez-vous. Joachim est impressionnant pour quiconque ne le connait pas mais il sait que vous avez parfaitement le droit de venir à la bibliothèque.
  • Je n’étais pas au bon endroit, mais je ne l’ai pas fait exprès je vous assure !  Alors je me demande si…il était vraiment très en colère. Je suis désolée, je ne voulais pas…
  • Amalia,…cessez de paniquer inutilement. Je lui parlerai si vous voulez.

 

La jeune femme s’apprêtait à repartir à la recherche d’ouvrages qui pourraient lui servir pour son pseudo livre quand elle entendit la voix grave et manifestement agacée, du prince derrière elle.

  • Génie, tu avais commandé cet exemplaire de The Arab Economies in a Changing World ? Je ne le trouve pas et j’en ai absolument besoin !

 

Interloquée, Amalia observa Eugénie se diriger avec un petit sourire en coin vers le prince héritier et le réprimander avec douceur :

  • T’arrive-t-il de m’écouter quand je te parle mon petit ? J’ai réorganisé le classement. Tu n’as sans doute pas regardé dans la 4ème rangée…

 

Amalia profita de cet instant pour s’éclipser et elle se dirigea rapidement vers les rayonnages qui évoquaient l’histoire de l’île et des pays du pourtour méditerranéen.

Une nouvelle fois, la jeune femme fut émerveillée par la richesse des collections privées de la famille de Bourbon-Conti et elle se plongea dans la lecture d’un ouvrage traitant de l’histoire de l’Italie.

Captivée par le texte qu’elle lisait, Amalia s’assit dans un confortable petit fauteuil. Elle oublia l’endroit où elle se trouvait, elle oublia pourquoi elle était dans un lieu aussi magique et elle oublia le regard sombre et empli de colère du prince Joachim jusqu’à ce qu’il se rappelle brutalement à elle.

  • Je ne vous dérange pas j’espère ?

 

Amalia sursauta comme si elle venait de recevoir une violente gifle dans la figure : elle se leva brusquement et elle lâcha le livre qu’elle tenait entre les mains.

Le prince ramassa l’ouvrage rapidement et il le replaça sur son étagère. Puis il fixa la jeune femme avec sévérité :

  • Je croyais que vous étiez ici pour écrire un bouquin, pas pour prendre des vacances. Comment se fait-il que je vous retrouve systématiquement sur mon chemin ? Je vous avais pourtant demandé de partir ! Vous ne comprenez pas le français ? Hors de ma vue !

 

Terrifiée par le regard sombre de l’héritier de San Gavino, Amalia  fut incapable de lui répondre. Et quand il s’approcha un peu plus d’elle, elle se mit à trembler.

  • Regardez-moi quand je vous parle ! Vos parents ne vont ont pas appris les règles de politesse ?

 

La jeune femme releva lentement la tête et elle étouffa un hoquet de surprise lorsqu’elle vit les yeux bleus du prince posés sur elle. Amalia eut alors l’impression d’être écrasée par  le poids de son regard et elle eut tout à coup beaucoup de mal à respirer.

Elle ne désirait plus qu’une chose : être aussi loin que possible de ces yeux qui la transperçaient, qui lui donnaient l’impression de lire en elle comme dans un livre ouvert.

Amalia frissonna : le visage glacial de Joachim de Bourbon-Conti était beaucoup trop près du sien et elle se mit à chercher frénétiquement dans la poche de son pantalon son inhalateur en sentant qu’elle n’était pas loin de faire une crise de panique.

Depuis sa plus tendre enfance, la jeune femme avait toujours détesté se retrouver aux côtés d’étrangers et dès qu’une personne qu’elle ne connaissait pas s’approchait trop près d’elle, elle se retrouvait en état de stress intense et, bien souvent, cela déclenchait une crise d’asthme.

Remarquant son geste, le jeune homme se recula de quelques pas.

  • Vous êtes malade ?
  • Asthmatique.
  • Vous auriez pu le signaler.

 

Amalia, bien trop concentrée sur son médicament, ne répondit pas. Elle souffla pour vider ses poumons, tourna la molette de son inhalateur à fond dans un sens puis dans l’autre pour charger une dose de médicament puis, elle inspira profondément à  travers l’embout buccal.

Ensuite, la jeune femme s’appuya quelques secondes contre l’un des rayonnages de la bibliothèque et elle ferma les yeux.

Agacé, le prince Joachim partit à la recherche d’Eugénie et d’un ton sec il lui dit :

  • Et en plus elle est malade. Je ne veux plus qu’elle reste seule ici, sans surveillance. Est-ce qu’elle connait seulement la valeur de la plupart de ces ouvrages bon sang ? Ce n’est pas un hôpital ici !

 

Amalia, en entendant les vociférations du prince, s’assit par terre pour tenter de se calmer. Elle n’avait qu’une seule idée en tête : s’enfuir de cet endroit, partir loin, très loin de cet homme détestable qui l’avait en outre laissé en plan alors qu’elle se trouvait mal.

La jeune femme passa lentement une main sur son visage blême : elle n’avait plus fait de crise depuis bien longtemps mais l’état de stress dans lequel elle se trouvait depuis qu’elle avait rejoint San Gavino allait sans doute aggraver sa situation.

Eugénie, après avoir tenté de calmer le prince Joachim, vint s’enquérir de l’état de santé de la jeune femme tout en la rassurant au sujet de l’héritier de San Gavino. Selon la bibliothécaire, il était sous pression depuis plusieurs semaines à cause d’un dossier qu’il devait gérer seul afin de faire ses preuves auprès de son père.

  • Sa colère n’est pas dirigée contre vous Amalia. Venez vous assoir à mon bureau je vais vous faire une tasse de thé. Ensuite vous pourrez travailler tranquillement.

 

La jeune femme se releva lentement et remercia Eugénie de sa sollicitude.

La bibliothécaire, pour essayer de lui faire penser à autre chose, lui expliqua alors qu’elle avait des origines anglaises par sa mère, ce qui expliquait qu’elle préférait le thé au café.

Tandis qu’elle buvait à petites gorgées l’excellent breuvage que lui avait servi la bibliothécaire, Amalia songea qu’elle serait incapable de jouer la comédie pendant douze mois. Estelle Neffrey voulait la voir dans deux jours : elle se dit qu’elle allait tenter de négocier avec la directrice du magazine afin de quitter l’île au plus vite.

 

***

 

Quelque part en Sicile au même moment

 

L’immense portail de la propriété s’ouvrit lorsqu’une Porsche Cayenne noire aux vitres teintées freina brutalement à quelques centimètres de celui-ci.

Deux hommes portant des lunettes de soleil et un costume sombre se précipitèrent vers le luxueux véhicule et ils se reculèrent immédiatement lorsque la vitre arrière de la voiture s’abaissa et qu’un pistolet semi-automatique fut pointé dans leur direction.

Ils firent signe au conducteur du SUV pour l’autoriser à entrer dans la propriété puis ils reprirent leur poste de part et d’autre de l’imposant portail de fer orné de feuilles d’or de vingt-deux carats.

 

La Porsche parcourut une centaine de mètres avant de s’arrêter devant une villa luxueuse de style Versailles aux proportions pharaoniques.

La résidence était construite sur un terrain de cinq hectares. La bâtisse principale s’étendait sur près de cinq mille mètres carrés et possédait une piscine intérieure, une piscine extérieure avec cascade, trois jacuzzis extérieurs, dix chambres dont une suite royale avec son hammam et son sauna privé, un salon de cinq cent mètres carrés, un bar à vins, trois cuisines, un spa, un salon de coiffure, une salle de fitness, un bowling, une boite de nuit et une salle de cinéma.

Le domaine comprenait également deux terrains de tennis, un étang et un haras où étaient hébergés les chevaux les plus chers au monde.

 

Deux jeunes femmes portant un uniforme noir et blanc sortirent précipitamment de la villa et attendirent avec une certaine anxiété que le maître des lieux descendit de la voiture.

Avec précaution celui-ci posa un pied sur le sol et il se leva avec l’aide d’une béquille.

Tommaso Denaro Trapani observa d’un œil attentif les alentours puis il se dirigea vers l’entrée de la villa tout en refusant l’aide de ses adjoints.

L’homme venait de passer dix ans aux Etats-Unis suite à une opération qui avait mal tourné dans l’île de Panarea, la plus petite île de l'archipel des Éoliennes. Gravement brûlé, il avait été emmené sur un bateau pour échapper aux autorités locales puis ses adjoints avaient mis le cap sur la Floride. Il avait alors été soigné dans un hôpital clandestin de Miami et lorsque le médecin qu’il avait débauché de la Mayo Clinic de Rochester dans le Minnesota lui avait indiqué qu’il pouvait rentrer chez lui, Tommaso avait demandé à ce qu’un jet privé soit affrété dans les plus brefs délais.

Ses hommes avaient continué à gérer ses affaires tant qu’il n’était pas en état de le faire mais depuis quatre ans le sicilien avait repris la main.

Tommaso Denaro Trapani gérait un trafic florissant de drogues et de cigarettes avec l’Amérique du Sud et il possédait deux hôtels de luxe à Las Vegas où il organisait des parties de poker clandestines qui lui rapportaient des millions de dollars. Il s’était juré de ne jamais se lancer dans le trafic d’armes et les enlèvements, bien trop risqués à son goût et il n’avait recours au meurtre qu’en cas d’extrême nécessité.

Le FBI et Interpol savaient qu’il trempait dans des affaires louches mais d’un naturel méticuleux et pointilleux, le sicilien avait toujours réussi à ce qu’aucun indice ne puisse permettre à la police de remonter jusqu’à lui.

Tommaso jeta un coup d’œil rapide aux deux employées et fit un signe de tête appréciateur : il avait toujours aimé être entouré de jolies femmes.

Agé à présent de quarante-neuf ans, il était marié depuis trente ans à Ornella, la fille de l’un de ses adjoints qu’il aimait profondément et il n’avait cédé à la tentation que trois fois. Trois petites erreurs qu’il cachait à son épouse et qui pouvaient lui coûter cher.

Cependant Tommaso avait conclu un accord avec deux des trois femmes qui étaient mariées avec de riches industriels très influents en Italie et dans le monde entier et il savait qu’il n’avait rien à craindre d’elles.

Mais il vivait dans l’angoisse que sa première conquête ne refasse surface un jour où l’autre. Il ne connaissait pas son identité ni son adresse. A vingt-trois ans, totalement ivre, il avait dérapé dans une boite de nuit parisienne et avait passé du bon temps avec une jeune femme avant qu’elle ne disparaisse mystérieusement.

Tommaso avait engagé de nombreux détectives privés mais aucun n’avait réussi à la retrouver jusqu’à présent.

 

D’un pas lent le sicilien emprunta le majestueux escalier de marbre qui menait à ses appartements tout en demandant à ce qu’on le laisse seul. Arrivé dans son bureau, il ouvrit son bar privé et se servit un verre de vodka issue de la collection Stoli Elit Himalaya édition. Elle était distillée avec du blé d’hiver de Russie et de l’eau d’un réservoir de l’Himalaya, l’un des plus purs du monde, à trois mille mètres sous terre.

A peine assis dans un confortable fauteuil, Tommaso reçut un appel sur son smartphone. Les mots de son interlocuteur furent brefs :

  • Nous l’avons retrouvée. Et elle a bien changé.

 

Un frisson d’angoisse parcouru le corps du sicilien et il déposa son verre de vodka d’un geste brusque sur la petite table basse face à lui, éclaboussant le marbre de quelques gouttes d’alcool.

 

 

 

 

 

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