Arrogant personnage

Par deb3083

Amalia se réveilla vers cinq heures du matin. Lorsqu’elle habitait Cannes, elle avait l’habitude d’aller faire un footing de cinq à six kilomètres avant de prendre son petit-déjeuner mais à présent, comme ses allées et venues allaient être surveillées, elle préféra descendre à la cuisine afin de discuter un peu avec le personnel.

Dans la salle réservée aux employés du palais, la jeune femme ne trouva que deux personnes : Régis, le chef de la cuisine et Louise la gouvernante. Cette dernière dévisagea Amalia avec étonnement :

  • Déjà levée ?
  • Oui. J’ai l’habitude de me lever tôt.
  • Tu vas goûter ces délicieuses brioches que Régis a préparées. C’est l’une de ses spécialités ! Alors comme ça tu vas écrire un livre sur ce fichu palais hein ?
  • Hum…oui.

 

Amalia prit le temps de boire lentement une gorgée de café brûlant en espérant que la gouvernante n’insiste pas avec de nombreuses questions.

  • Tu ne dois pas hésiter à demander de l’aide à Michele, c’est un bon gars et…il connaît les lieux comme sa poche ! Bon, je vais aller réveiller les filles.

Louise s’apprêtait à quitter les lieux lorsqu’elle se retourna vers le cuisinier :

  • Ah Régis, le cappuccino du prince héritier, s’il te plait, du lait entier. Les bouteilles viennent d’arriver, elles sont dans le frigo. Hier il a dit que tu n’avais pas utilisé du lait frais et il a trouvé que sa tasse était tiède. 

Et pour les oranges nous allons devoir changer de fournisseur, il ne veut que la variété maltaise.

Oh, j’allais oublier j’ai le menu pour la réception de la semaine prochaine.

  • Et ? Donne-moi les intitulés.
  • Homard bleu à la cardinale gratiné, lesté d’un sabayon et de truffes noires, Saint-Pierre aux algues pris dans une pâte de sel, pommes boulangère et coques, sauce au vin blanc, poularde de Bresse à la Reine, désossée, dressée en pâte feuilletée avec des bouchées à la reine et truffes, vieux comté millésimé de notre fournisseur habituel et omelette norvégienne aux fruits exotiques.
  • Ce n’est pas n’importe quelle réception n’est-ce pas ?
  • Je n’ai pas encore eu les informations mais étant donné qu’il faut préparer les huit chambres qui se situent non loin des appartements du prince héritier…
  • Oui, je vois. Ok, merci Louise. Et pour les vins ?
  • Je reçois la liste ce matin.

 

Le cuisinier fit un petit signe de tête laissant Amalia seule et assez choquée. Avant qu’il ne reparte vers ses fourneaux, la jeune femme lui posa quelques questions au sujet de l’organisation des repas car elle était très étonnée que le responsable de la cuisine ne soit pas à même de décider de la composition des repas.

Régis lui expliqua qu’il avait quartier libre en temps normal mais qu’à l’occasion des réceptions organisées par le Roi, il devait suivre strictement les consignes qui lui étaient données par le souverain et le prince héritier.

Il indiqua ensuite qu’après quinze années de service il connaissait parfaitement les goûts de chaque membre de la famille royale. Les seuls réels contretemps provenaient de Joachim de Bourbon-Conti qui passait son temps à modifier ses directives et à exiger toujours plus de produits luxueux.

Amalia comprit que les rumeurs étaient bien réelles : cet homme était incroyablement en décalage avec le monde qui l’entourait.

Deux jeunes femmes entrèrent alors dans la pièce où se trouvait Amalia et elles la saluèrent avec respect. Elles lui expliquèrent ensuite qu’elles assuraient le service du petit déjeuner à la famille royale au grand complet.

  • Je ne les connais pas bien. Le roi a donc quatre enfants c’est bien cela ?
  • Oui, Le prince héritier a vingt-huit ans, son frère le prince Emmanuel est âgé de vingt ans et il est le second dans l’ordre de succession car la loi n’autorise pas les femmes à régner à San Gavino.
  • Bonjour la modernité…Et donc, les deux autres enfants…
  • Oui, il y a Luiza qui a vingt-quatre ans et la petite dernière, Victoria, est âgée de seize ans. Vous ne verrez sans doute que très rarement Leurs Altesses Royales à l’exception du prince héritier. Emmanuel et Victoria poursuivent des études en Suisse tandis que Luiza travaille à Londres. Mais exceptionnellement pour le moment ils sont tous au palais pendant un mois pour les vacances d’été. Je suppose que vous avez entendu parler des…exigences du prince héritier ?
  • J’ai lu beaucoup de choses à son sujet, notamment des articles au sujet d’employés qui avaient été virés. Il n’a pas l’air commode.
  • Il…
  • Non, ne dites rien. Je suppose que vous ne pouvez pas critiquer votre employeur et que vous êtes tenues au secret professionnel.

 

Les deux domestiques se regardèrent un instant avant que l’une ne réponde :

  • Il est vrai que tant que nous travaillons ici, rien de ce qui se passe au palais n’en sort. Effectivement, celles qui ont été renvoyées vendent leur histoire à la presse, ça se comprend d’une certaine manière. Maintenant, vous verrez, nous ne nous privons pas de parler entre nous. Vous serez très vite au courant de tout ce qui se passe ici. Nos conditions de travail sont dures vous savez. Autant Sa Majesté la Reine Sofia est une dame au grand cœur et vraiment très attentive au bien-être de son personnel, autant son époux, le Roi Maximilian et le prince Joachim sont très autoritaires et très…exigeants.
  • Vous voulez dire tyranniques non ? Je viens d’entendre ce que le prince réclamait pour son petit-déjeuner…
  • Il a des requêtes particulières en effet.
  • Et tout le monde obéit au doigt et à l’œil ? Personne ne lui a jamais fait remarquer qu’il était un peu…à côté de la plaque ?
  • Nous n’avons pas le choix. A force de vivre dans le luxe, ils sont complètement en décalage avec la société. La famille royale est très riche, c’est la plus fortunée d’Europe. Alors,…ils ne se privent absolument de rien.
  • Vous…êtes bien payés pour votre travail ?
  • En comparaison avec les heures que nous faisons, non pas vraiment. Mais nous avons un travail et de l’argent qui rentre tous les mois à la maison.

 

Voyant l’heure avancer, Amalia laissa les deux jeunes femmes pour regagner sa chambre. Estelle Neffrey lui avait laissé un planning extrêmement précis à suivre au jour le jour : elle devait passer sa première vraie-fausse journée de travail dans la bibliothèque du palais pour prendre des notes au sujet de la construction de la résidence royale.

La jeune femme prit donc un bic et le carnet que lui avait donné Estelle et elle se rendit au local de Michele Sapiento pour l’informer de ses projets pour la journée.

Trop tard Amalia se rendit compte qu’elle avait gardé sa tenue de la veille : elle s’apprêtait à retourner dans sa chambre pour se changer lorsqu’une voix grave se fit entendre derrière elle.

  • Michele, qu’est-ce donc ? Depuis quand hébergeons-nous les nécessiteux du royaume ?

 

Rouge de honte, Amalia se retourna pour faire face au responsable de la sécurité qui se tenait légèrement en retrait du prince héritier Joachim Lukas Constantin Hans Adam de Bourbon-Conti.

Ce dernier était vêtu d’un costume sombre et ses yeux, d’un bleu électrique, fixaient sévèrement la jeune femme.

Il détailla la tenue de l’inconnue et il afficha un rictus de dégoût : lui qui ne supportait pas de voir un pli sur ses chemises, qui était terriblement pointilleux sur l’apparence vestimentaire, ne comprenait pas ce que cette personne à l’allure aussi répugnante faisait dans son palais.

Amalia eut l’impression de recevoir un coup de poing dans le ventre et, bien malgré elle, elle détailla l’héritier du royaume.

Il était grand, un mètre quatre-vingt-cinq au moins, ses cheveux noirs ébouriffés donnaient l’impression qu’il sortait de la douche, son costume, du sur-mesure certainement, mettait en valeur son physique avantageux. Il ne portait pas de cravate, au grand étonnement d’Amalia et les premiers boutons de sa chemise étaient ouverts. Il avait un look décontracté et paraissait sympathique au premier abord mais la jeune femme savait que les apparences étaient trompeuses. La manière dont le prince Joachim l’avait désignée et le regard sévère qu’il portait sur elle en étaient la preuve.

Michele Sapiento toussota et il présenta Amalia :

  • Cette jeune personne va réaliser le livre sur le palais. Sa Majesté la Reine vous en avait touché un mot il y a deux semaines je crois ?
  • Et donc, je vais devoir supporter ce boulet pendant un an ? Je vais en parler à mon père.

 

Comme si Amalia n’existait pas, Le prince Joachim passa devant elle pour rejoindre la salle à manger laissant la jeune femme totalement déstabilisée.

Michele s’approcha d’elle et d’un ton rassurant, lui dit :

  • Ne craint rien Amalia. Le prince n’aime pas voir des étrangers au palais. Sa Majesté le Roi a accepté la requête de Madame Neffrey, tu pourras effectuer ton travail comme cela a été convenu avec la famille royale.

 

Amalia adressa un sourire embarrassé au vigile puis elle se précipita vers l’aile où se trouvaient les quartiers du personnel. Elle enfila un pantalon noir et un chemisier blanc, l’une des deux seules tenues légèrement habillées qu’elle possédait, puis elle troqua ses chaussures de sport contre des sandales à haut talon.

La jeune femme se rendit à nouveau dans le hall d’entrée où l’attendait Michele puis elle le suivit vers l’immense bibliothèque du palais.

Amalia resta bouche bée lorsque qu’elle pénétra dans la pièce. L’immense plafond était recouvert de magnifiques fresques représentant l’art et la science mais la jeune femme n’eut pas le temps de poursuivre ses observations car une femme d’une cinquantaine d’années à l’aspect sévère se dirigea vers elle. Michele fit alors les présentations :

  • Eugénie, je te présente Amalia qui va rester avec nous durant un an pour écrire ce livre sur le palais. Sa majesté le Roi a donné son autorisation pour qu’elle consulte les ouvrages ici présents. Je compte sur toi pour la guider au mieux.

 

Le vigile quitta rapidement la pièce, laissant Amalia terriblement intimidée.

Eugénie l’entraîna alors pour une visite des lieux et bien malgré elle, la jeune femme oublia un instant pourquoi elle se trouvait sur place.

Le sol de marbre en damier de la bibliothèque étincelait et Amalia eut presque peur de faire quelques pas dans cet endroit somptueux.

De style rococo, la bibliothèque était très lumineuse. Lorsqu’Amalia entendit les dimensions énoncées par Eugénie, elle crut défaillir.

Sur soixante-cinq mètres de long, dix de large et avec une hauteur de plafond de douze mètres, il s’agissait de l’une des bibliothèques les plus imposantes au monde. Elle comportait près de cent cinquante mille ouvrages dont des exemplaires uniques valant une fortune.

Amalia, qui adorait la lecture, se dit qu’elle pourrait rester dans la pièce des heures durant sans crainte de s’ennuyer un instant.

La jeune femme remarque que le long de chaque étagère il y avait une petite escabelle blanche permettant d’avoir accès aux ouvrages situés tout en haut des divers rayonnages.

Amalia se demanda combien d’employés étaient chargés d’entretenir et de nettoyer la bibliothèque car rien ne traînait. Elle se demanda même si la pièce était utilisée car elle avait l’impression qu’il n’y avait pas un seul grain de poussière sur les rayonnages.

Un instant, la jeune femme se revit plus jeune lorsqu’elle adorait regarder le dessin animé La Belle et la Bête. Elle en fit la remarque à Eugénie qui lui dit :

  • Ce n’est pas étonnant : les dessinateurs de chez Disney se sont inspirés de l’endroit ainsi que d’une autre bibliothèque en Autriche.
  • Je comprends pourquoi j’ai ressenti cette curieuse impression d’être déjà venue ici. Mais, c’est un peu étrange d’avoir conçu une pièce dans ce style si particulier non ?
  • En fait, nous supposons, puisque nous manquons d’informations, que le premier château érigé à Castello di Gavino a été en grande partie détruite car au 13ème siècle, le style était assez rustique.  Je pense qu’ensuite, les différents souverains du royaume ont souhaité apporter leur contribution personnelle à l’édification du palais tel qu’il est devenu aujourd’hui. Ainsi, vous ne devez pas vous étonnez de trouver des influences baroques, néoclassiques ou encore Louis XIV.

Vous aimez lire ?

  • Enormément.
  • Si vous souhaitez consulter certains livres en dehors de ceux qui vous seront nécessaires pour votre travail, vous en avez l’autorisation mais vous devez alors me prévenir. Vous pouvez consulter librement les rangées une à quinze. Si vous avez besoin d’un ouvrage qui se trouve dans les rangées seize à vingt-trois, dites-le mois et je vous apporterai des gants et je vous assisterai. Il s’agit d’œuvres très anciennes qui doivent être manipulées avec précaution.
  • Oui bien entendu.
  • Enfin, je dois vous avertir que le premier étage vous est interdit : c’est l’endroit où sont rangés les ouvrages les plus chers et les plus précieux. Seul le Roi et le prince héritier peuvent les consulter. Ainsi que quelques rares personnalités lorsqu’elles sont invitées au palais.

Bien, je vais vous laisser travailler. Je suis installée là-bas près de l’entrée si jamais vous avez besoin de moi. Les thématiques de chaque rangée sont indiquées sur le premier rayonnage. Vous avez plusieurs tables de travail disséminées un peu partout.

 

Amalia remercia Eugénie puis elle prit son carnet dans lequel elle avait noté quelques idées. Il n’existait aucun ouvrage de référence sur le palais de Castello di Gavino pour la simple et bonne raison qu’aucun des souverains depuis le 13ème siècle et l’indépendance du royaume, ne l’avait autorisé. Il existait des photos du bâtiment prises de l’extérieur dans certains guides touristiques mais rien de plus car l’endroit n’était pas accessible au public.

Le roi y conviait ses ministres et les plus hauts responsables du pays lors d’une brève réception à chaque nouvelle année mais chaque personne qui franchissait les grilles du palais se voyait confisquer son smartphone avant même de pouvoir franchir l’imposante porte d’entrée du palais.

Le gouvernement se réunissait dans un bâtiment de l’autre côté de la ville et lorsque le roi Maximilian recevait un visiteur dans le cadre d’une réunion de travail, aucun n’avait le droit de pénétrer dans le palais avec un téléphone, une tablette ou un ordinateur portable.

Amalia allait devoir taper ses notes pour son pseudo livre sur un ordinateur qui se trouvait dans le bureau de Michele et qui ne disposait d’aucune connexion internet.

Elle n’avait même pas pu conserver son smartphone qui était à présent enfermé dans un coffre. Toute personne souhaitant lui parler devait passer par le secrétariat du palais.

Tandis que la jeune femme se promenait dans les allées de la bibliothèque en réfléchissant à ce qu’elle allait bien pouvoir écrire, elle remarqua qu’elle n’était pas seule dans la rangée où elle se trouvait, ce qui l’obligea à s’arrêter brusquement.

Amalia crut défaillir lorsqu’elle s’aperçut qu’elle trouvait face au prince Joachim qui était plongé dans la consultation d’un ouvrage de la section consacrée à la finance internationale.

Quand le jeune homme remarqua qu’il n’était plus seul, il lança un regard noir à Amalia. Paralysée par la peur, elle fut incapable de bouger et elle baissa spontanément les yeux.

 

 

 

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