Chapitre 11 – Anna - 1942
Anna resta assise sur le banc, figée, le regard fixé sur l’endroit où Nim avait disparu. Son cœur battait trop vite, trop fort. L’air semblait oppressant, étouffant, malgré le froid mordant.
Elle venait de la perdre.
Non.
D’un sursaut, elle chassa cette pensée comme on gifle un cauchemar pour le faire taire. Il restait du temps. Trois jours. C’était suffisant. Ça devait l’être.
Sans même réfléchir, ses jambes se mirent en mouvement. D’un bond, elle se leva et se mit à courir.
Le vent mordait sa peau, s’engouffrait sous ses vêtements, mais elle n’y prêta pas attention. Ses pas résonnaient sur les pavés, écho de son urgence. Elle zigzaguait entre les passants sans un mot, sans un regard.
Le café.
Elle enfonça la porte à la volée, le souffle court.
Vide.
Enfin, presque. Quelques habitués attardaient leurs cafés refroidis, perdus dans leurs pensées. L’odeur âcre du tabac et de la bière la prit à la gorge, lui retournant l’estomac.
Son regard balaya la salle.
Il n’était pas là.
Un vertige la prit, une vague de vide s’ouvrit en elle. Comme si elle venait de lâcher une bouée en pleine mer.
"Qu’est-ce que tu espérais, Anna ?"
Elle s’accrochait à une idée absurde, une impulsion insensée. Comme si Paul pouvait avoir une solution. Comme s’il pouvait empêcher l’inévitable.
La honte lui brûla les joues. Elle tourna les talons, prête à fuir, à enterrer cette erreur dans l’oubli.
Elle atteignait la porte quand quelqu’un l’ouvrit.
Elle leva les yeux et se figea.
Paul.
Lui aussi s’arrêta net. La surprise passa sur son visage avant de s’effacer en une expression plus douce, plus intriguée.
Un instant, ils se contentèrent de se dévisager. Puis, c’est lui qui brisa le silence.
— On avait rendez-vous aujourd’hui ?
Sa voix était calme, presque amusée.
Anna ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Si elle parlait maintenant, elle savait que sa voix tremblerait.
Paul la détailla, ses yeux glissant sur ses mains crispées, sa respiration encore saccadée par sa course, et enfin sur son visage.
Il vit les larmes au bord de ses cils.
Sans un mot, il posa une main sur son bras et l’attira doucement vers une table.
— Viens, on va boire quelque chose.
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Elle ne sut pas exactement à quel moment elle commença à vraiment boire. Peut-être au deuxième verre. Ou au troisième.
Paul ne posait pas de questions. Il buvait aussi, plus lentement qu’elle.
L’alcool lui brûlait la gorge, mais elle s’y accrochait comme à une ancre.
— Ma sœur… lâcha-t-elle enfin.
Paul haussa un sourcil.
— Ta sœur ?
Elle hocha la tête, fixant son verre.
— Elle veut faire quelque chose d’insensé. Elle veut prendre la place de quelqu’un… pour une convocation.
Silence.
Paul fit tourner son verre entre ses doigts, l’air pensif.
— J’ai entendu parler de quelqu’un qui veut faire la même chose, dit-il enfin.
Anna releva brusquement la tête.
— Vraiment ?
Il acquiesça lentement.
— Une connaissance à moi. Je ne sais pas quoi lui dire. C’est…
Il chercha ses mots.
— C’est stupide.
Anna eut un rire sans joie.
— Oui. Ça l’est.
Un silence s’installa entre eux, plus lourd que l’alcool dans leurs veines.
Elle était ivre. Elle le sentait. Sa tête tournait légèrement, mais son esprit restait accroché à cette conversation, à ces paroles.
— Mais tu sais quoi ? reprit Paul.
Elle leva un sourcil.
Il haussa les épaules, un sourire fatigué au coin des lèvres.
— Je crois que je comprends pourquoi elle veut le faire. Elle veut prouver sa force et son courage. Mais elle n'a pas besoin de prouver quoique ce soit parce que moi je sais. Je sais à quel point elle est forte. Je sais...
Le cœur d’Anna rata un battement. Il avait raison. Nim était incroyable. Une force de la nature qui ne baissait jamais les bras. Une jeune femme prête à tout pour sa famille.
Il n’ajouta rien, et quelque part, cela l’arrangeait. Elle ne voulait pas entendre plus.
Elle détourna les yeux, fixant son verre, puis, doucement, son regard glissa vers lui.
Elle le détailla, observant chaque trait, chaque ombre de son visage. Son menton, la ligne tendue de sa mâchoire, ses sourcils froncés. Puis ces grains de beauté.
L’un, juste au coin de sa bouche, sous sa lèvre inférieure, légèrement sur la droite. L’autre, sur son cou, du côté gauche.
Un sourire triste effleura ses lèvres.
*Il lui ressemble…*
Les mêmes grains de beauté. La même façon de froncer les sourcils quand elle ne trouvait pas de réponse. Quand elle était en colère.
Leurs regards se croisèrent.
Anna ne détourna pas les yeux. Elle le fixa, ses iris clairs se noyant dans les siens, plus sombres.
*Elle lui ressemble tellement…*
J'ai bien accroché aux différents enjeux des personnages (ce qui fait que je suis arrivée jusqu'ici). J'apprécie beaucoup les points de vue d'Anna, avec le petit côté mystérieux de la résistance.
Au delà de ça, c'est une période pour laquelle j'ai une sensibilité particulière, c'est aussi pour cela que j'ai pas mal accroché.
J'aurais bien aimé avoir plus d'éléments contextuels/factuels sur les droits et les libertés qui sont retirés petit à petit à Nim et sa famille, pour mieux prendre la mesure de l'angoisse dans laquelle ils sont plongés.
De même pour Chloé, elle est issue d'un milieu extrémiste et militaire, et il me manquerait des éléments pour mieux la comprendre (en gros comment la propagande a fini par se banaliser dans son quotidien).
Cela dit, je trouve les émotions vraiment assez bien écrites et c'est en partie pourquoi j'ai bien accroché, et à la fin, je comprends les enjeux des personnages. Par exemple pour Chloé, j'ai vite compris que le regard et l'avis de son père comptait beaucoup pour elle, ce qui l'aveugle dans ses réflexions.
Ce que j'apprécie aussi dans tes chapitres c'est qu'ils sont courts, efficaces et donnent du rythme au récit.
L'idée que Paul soit le frère de Nim m'a bien fait sourire, je suis friande des petits twists du genre (j'adore quand tout se recoupe).
À bientôt !
Merci pour ton commentaire ! j'espère que la suite te plaira également !
A bientôt !