Chapitre 12 : Chloé - 1942
Chloé marchait vite, presque trop vite, comme si elle cherchait à fuir quelque chose. Mais où pouvait-elle fuir ?
Les rues de Bruxelles étaient calmes en apparence, mais elle savait que sous cette tranquillité se cachaient les ombres de la guerre. Des soldats allemands patrouillaient, des affiches aux slogans écrasants recouvraient les murs, et les regards se faisaient méfiants, prudents, comme si chaque parole prononcée pouvait être une erreur fatale.
Mais ce n’était pas l’occupation qui lui nouait l’estomac aujourd’hui.
C’était Nim.
Chloé s’arrêta sous le porche de sa maison, les mains tremblantes. L’air lui manquait. Elle se força à respirer profondément, mais cela n’apaisa en rien la panique qui la rongeait de l’intérieur.
Pourquoi Nim faisait-elle ça ?
Pourquoi prendre un tel risque ?
Son père lui avait appris que les ordres devaient être respectés, que l’obéissance garantissait la sécurité. Mais Nim refusait d’obéir. Elle s’apprêtait à aller à l’encontre de tout ce qu’on leur avait enseigné.
Et cela voulait dire une chose : elle allait mourir.
Chloé ouvrit la porte et monta lentement les escaliers. D’habitude, elle aimait la sensation du bois ancien sous ses pas, le craquement familier qui résonnait dans la cage d’escalier. Aujourd’hui, tout lui semblait étranger.
Lorsqu’elle entra dans sa chambre, elle ferma la porte derrière elle, s’y adossa et ferma les yeux.
Tout se mélangeait dans sa tête.
Elle se souvenait encore du visage de Nim lorsqu’elle lui avait annoncé son choix. Il y avait dans ses yeux une détermination qui dépassait tout ce que Chloé connaissait. Ce n’était pas de la naïveté, ni de la bravoure insouciante. C’était une certitude froide, une résolution absolue.
"Je vais y aller à sa place"
Chloé secoua la tête, comme pour chasser ces mots. Mais ils s’accrochaient à elle, s’insinuaient dans chaque recoin de son esprit.
Il fallait qu’elle en parle.
À son père ?
Un frisson lui parcourut l’échine. Non. Ce n’était pas une option.
Elle se revoyait encore, assise dans le bureau de son père, face à ce regard froid, à cette colère contenue. Son père n’était pas un homme qui tolérait la désobéissance. S’il apprenait ce que Nim comptait faire, il ne chercherait pas à l’aider. Il ne verrait pas une amie en danger, seulement une menace à l’ordre établi.
Chloé fit quelques pas vers son bureau, puis s’arrêta.
Et si elle se trompait ?
Et si, au fond, son père comprenait ?
Une lueur d’espoir vacilla en elle, mais elle s’éteignit aussitôt.
Non.
Elle connaissait son père.
Il n’y aurait ni compréhension ni pitié.
Elle était seule.
Elle aurait voulu en parler à Anna, mais quelque chose lui disait qu’elle savait déjà. Et puis, Anna était différente ces derniers temps. Il y avait quelque chose de plus sombre en elle, une lueur dans son regard qui la rendait insaisissable.
Chloé passa une main sur son visage.
Elle devait faire quelque chose.
Mais quoi ?
Elle tourna la tête vers son bureau, où reposait son carnet.
Elle ne pouvait parler à personne.
Alors elle écrirait.
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Le lendemain matin, Chloé descendit prendre son petit-déjeuner, encore engourdie de fatigue. Elle n’avait presque pas dormi. Mais une chose lui paraissait claire : elle devait trouver un moyen d’aider Nim, sans attirer l’attention.
Elle s’apprêtait à s’asseoir à table lorsque l’atmosphère glaciale de la pièce la frappa de plein fouet.
Son père était là, assis, les coudes sur la table, un regard perçant braqué sur elle.
Devant lui, soigneusement dépliée, se trouvait sa lettre à Bouton d’or.
Son souffle se coupa net.
— Où as-tu eu ça ? souffla-t-elle, paniquée.
— C’est Marie qui l’a trouvée, répondit calmement son père.
Marie. La servante.
Une vague de frissons la parcourut.
— Ce ne sont que des pensées… tenta-t-elle de justifier, mais sa voix tremblait.
— Juste des pensées ? répéta son père en levant un sourcil. Alors pourquoi écris-tu qu’une certaine famille s’apprête à désobéir aux ordres ?
Le silence s’abattit sur la pièce comme une chape de plomb.
Chloé sentait son cœur battre à une vitesse affolante. Elle ouvrit la bouche, cherchant une excuse, une manière d’effacer ce qu’elle avait écrit, mais c’était trop tard. Son père savait.
Et son père était un homme de devoir.
Il replia calmement la lettre et la glissa dans la poche de son veston avant de se lever.
— Je vais régler cela immédiatement, déclara-t-il avant de quitter la pièce.
Chloé resta figée, la tête bourdonnante.
Il allait les dénoncer.
Il allait condamner Nim et sa famille.
Et c’était de sa faute.
***
Bouton d’or,
J’ai fait une erreur. Une erreur impardonnable.
Je ne peux pas revenir en arrière.
Je ne peux qu’attendre et voir les conséquences de ma propre faiblesse.
Je suis désolée.
Chloé.
Ca faisait longtemps !
Je suis contente de relire tes commentaires !